Les ressources naturelles : obstacle ou moteur pour la croissance

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Les ressources naturelles : obstacle ou moteur pour la croissance économique ?
(HEC 2008)
Extraits du rapport du jury
En proposant ce sujet, on s’attendait à ce que :
1) Les ressources naturelles soient définies avec précision comme des facteurs de production fournis par la nature : terrains, fleuves, gisements de matières premières, etc., en distinguant bien celles qui sont renouvelables (par exemple, les forêts) et celles qui ne le sont pas (par
exemple, le pétrole)
2) Les deux acceptations du terme « croissance » - la première renvoyant aux mouvements conjoncturels de l’activité économique, la
seconde au développement et l’évolution du niveau de vie à long terme – soient bien distinguées. S’agissant de réfléchir sur les liens entre
ressources naturelles et croissance, la première acceptation devait conduire à s’intéresser aux effets des chocs pétroliers ou, plus généralement,
aux conséquences des variations de prix des matières premières sur l’activité économique et les prix, alors que la seconde devait conduire à
replacer les ressources naturelles dans l’ensemble des déterminants de la productivité et du niveau de vie à côté du capital physique, du
capital humain, du travail et du savoir technologique ou à s’interroger sur les limites de la croissance dans le long terme.
3) La question des liens entre ressources naturelles et croissance fasse l’objet d’une réflexion approfondie utilisant les outils d’analyse
économique (modèle « standard » de la macro-économie moderne pour une analyse de court/moyen terme ; fonction de production et modèles de croissance pour une analyse de moyen/ long terme).
4) Il soit fait référence à quelques « grands » travaux sur la question : analyse malthusienne des liens entre disponibilité des ressources
naturelles, croissance de la population et niveau de vie ; analyse de la question du charbon dans le cas britannique proposée par Stanley
Jevons (1865) ; règle de Hotelling (1931) ; travaux du Club de Rome sur les limites de la croissance, etc.
5) Un certain nombre de faits saillants soient dégagés pour bien montrer que si les ressources naturelles sont importantes (par exemple, on
met souvent en avant l’abondance et la qualité des terres , parfaitement adaptées à l’agriculture, pour expliquer les performances de
l’économie américaine à la fin du XIXe), elles ne sont pas indispensables (le Japon est l’un des pays les plus riches au monde alors qu’il
est pauvrement doté de ressources naturelles) et peuvent même constituer un handicap, voire une « malédiction» (exemple de quelques pays
africains richement dotés en ressources naturelles alors que le niveau de vie y est l’un des plus bas observés dans le monde).
Introduction
Actualité (COP 21) ou références plus larges (comparaison entre le Royaume Uni et le Japon ou entre le Botswana et
la République Démocratique du Congo en termes de croissance)
 lien entre ressources naturelles (définies comme les facteurs de production fournis par la nature) et croissance (augmentation de long terme d’un indicateur quantitatif de production) apparaît simple et évident de
prime abord, le développement économique apparaissant lié à la capacité humaine de mettre en valeur de
manière de plus en plus efficace les ressources naturelles
 débats actuels et expériences historiques montrent que le lien est beaucoup plus complexe, tant en ce qui
concerne l’impact des ressources naturelles sur la croissance que la notion même de ressources
A- Il semble difficilement contestable que les ressources naturelles représentent un moteur de la croissance…
1. Les ressources naturelles, un facteur de production déterminant au cœur de la croissance
 identification des ressources naturelles comme facteur de production au delà des facteurs classiques (travail et
capital) avec une place fondamentale reconnue par les physiocrates mais une présence dans l’ensemble des théories
économiques
 dynamique de croissance peut alors être lue autour de l’existence d’un facteur de production naturel au centre des
processus économiques (coton, charbon, pétrole, uranium, …)
 exemple de la constitution d’un système technique autour du charbon au début du 19 ème siècle (B. Gilles), analyses de K. Pomeranz sur le décollage britannique
2. Les ressources naturelles facteur des stratégies de développement
 constat du développement américain au 19ème siècle avec valorisation progressive de l’espace (agriculture) et des
matières premières
 mise en place de stratégies de développement (qui supposent un processus de croissance) autour des richesses
naturelles : insertion dans le commerce mondial, valorisation des ressources naturelles (montée en gamme vers des
produits à plus haute valeur ajoutée), utilisation de la rente obtenue pour financer des investissements productifs
et/ou sociaux
3. L’épuisement des ressources, contrainte majeure de la croissance
 thèse de Malthus : croissance du revenu par tête bute sur l’insuffisance de ressources naturelles ; dans cette perspective la croissance démographique doit être modérée pour éviter les « obstacles destructifs »
 principe de l’état stationnaire de Ricardo lié à l’insuffisante disponibilité de terres de qualité pour nourrir la population à faible coût
 thèses remise en cause par les gains de productivité agricole mais réapparition de ces préoccupations autour
d’analyses pointant le risque d’épuisement des ressources naturelles dans le contexte de la croissance du 20 ème siècle
(rapport « Halte à la croissance ») ; une solution peut alors passer par la décroissance
B- … mais le lien croissance – ressources naturelles est plus complexe
1. La « malédiction » des ressources
 analyse de la « maladie hollandaise » (Dutch disease) : disponibilité importante de ressources naturelles exportables entraîne une perte de compétitivité de l’économie concernée qui (hausse des coûts de production internes) qui
pèse sur la croissance
 généralisation avec la « malédiction des ressources » (ressource curse) : pays en développement qui disposent
de richesses naturelles ont un taux de croissance en moyenne plus faible que des pays moins bien dotés
2. Les phénomènes de domination autour des ressources naturelles
exploitation des ressources naturelles peut se faire au détriment des intérêts de l’économie nationale
pillage des richesses dans un cadre colonial (Marx, Inde et Angleterre autour de la soie)
influence des investisseurs étrangers (économies bananières, terres africaines sous contrôle chinois)
difficulté de valorisation internationale des produits bruts (détérioration des termes de l’échange, dépendance face à un seul produit, volatilités des cours)
 référence à la « croissance appauvrissante » (Bhagwati)
3. Dépasser le manque de ressources
 absence de ressources induit une incitation à l’innovation (E. Boserup) ou à une spécialisation efficace permettant de combler les pénuries (Japon)
 capacité d’adaptation des économies (cf développement du « charbon de terre » en Angleterre au 18ème siècle,
Japon et Allemagne face à la réduction de la production d’énergie d’origine nucléaire)
C- La question déterminante apparaît alors être celle de la gestion des ressources naturelles
1 Ressources naturelles et institutions
 question de l’utilisation de la rente liée à l’exploitation des ressources avec risque de captation par certains acteurs
(États prédateurs dans les pays du Tiers Monde) et l’absence de réinvestissement efficace
 question des richesses naturelles et de leur utilisation efficace devient indissociable de celle des institutions favorables à la croissance (« on a pas de pétrole mais on a des idées »)
2. Les politiques autour de l’usage des ressources naturelles
 question de la gestion du stock de ressources naturelles (essentiellement les ressources non renouvelables)
 cadre théorique complexe : paradoxe de Jevons (effet rebond), gestion des biens communs, droits de propriété
 interrogations sur les moyens à mettre en œuvre pour assurer une gestion optimale du stock de ressources naturelles (niveau national – règle de Hotelling, niveau international – politiques climatiques)
 recherche d’une compatibilité entre le stock des richesses existantes et les prélèvements liés à la dynamique économique
3. Reconsidérer la notion de ressources naturelles
 interrogations sur ce que sont les ressources naturelles : éléments figés avec un stock défini ou prise en compte
d’une dimension dynamique : rôle de l’innovation (uranium, terres rares), possibilité de réutilisation des ressources
(recyclage, économie circulaire), externalités positives de ressources non marchandes (abeilles polinisatrices)
 processus de croissance (essentiellement innovations qui y sont liées) fait évoluer la notion même de ressources
naturelles
Conclusion
Tant au niveau de l’économie globale à celui des économies nationales, le lien entre croissance et ressources naturelles est complexe : si les richesses fournies par la nature apparaissent comme une condition forte du processus de
croissance, elles n’en sont pas, en tout cas au niveau des nations, une condition suffisante.
Deux enjeux fondamentaux se dégagent : la capacité d’une économie à mettre en place des institutions permettant de
maximiser les gains de l’exploitation et de la mise en œuvre des ressources naturelles mais aussi, et sans doute surtout
à l’heure actuelle, la compatibilité entre la dynamique de croissance et le stock de ressources naturelles disponibles.
Au delà des mécanismes et des politiques économiques qui sont en jeu, la question renvoie fondamentalement à des
négociations internationales entre rapports de force et principe coopératif.
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