Appréhender les enjeux sociétaux de la connaissance ne peut pas se limiter à une
approche économique car des aspects politiques et sociologiques importants
interviennent dans la régulation des relations entre les différentes parties prenantes de la
société de la connaissance. La compréhension des enjeux socio-politiques dans lesquels
est encastrée la société de la connaissance est complexifiée par sa nature même. Souvent
la connaissance n’appartient pas en propre à l’entreprise mais aux salariés qu’elle
emploie, rendant d’autant plus complexe sa gestion car, lorsque l’organisation
« apprend », elle le fait bien souvent à travers ses salariés. Ces knowledge workers
acquièrent du pouvoir au sein de l’organisation du fait de la connaissance qu’ils
détiennent. De plus, l’accumulation de savoirs contribue à l’accroissement de leur
valeur marchande sur le marché du travail. Ainsi, la rentabilité des investissements dans
la formation pour diffuser des connaissances au sein de l’organisation apprenante
dépendra de la stabilité des salariés formés en son sein, faisant de la gestion des
ressources humaines une pratique essentielle du management de la connaissance.
Pour saisir les enjeux sociologiques dans lesquels est encastré le management de la
connaissance, il convient de se démarquer des cadres d’analyse théorique qui prêtent
aux organisations une volonté propre pour affirmer qu’elles ne sont que ce que les
acteurs humains et les groupes sociaux qui les composent en font. Les perspectives
théoriques qui prêtent une volonté propre aux organisations constituent un subtil moyen
d’omettre que cette volonté est bien souvent celle qui a été définie par les individus qui
gouvernent les entreprises, à savoir les managers. Nous adopterons la position de
chercheurs comme J. K. Galbraith
et A. Chandler
qui ont bien identifié que les
orientations des organisations ne leur sont pas propres, mais sont plutôt celles de la
catégorie sociale qui les dirige, à savoir les managers et que ceux-ci cherchent à
optimiser leurs intérêts, qui peuvent être antagonistes avec ceux d’autres parties
prenantes (salariés, actionnaires, fournisseurs, clients, Pouvoirs Publics, etc.). Comme
l’illustre J. K. Galbraith, cette catégorie est porteuse d’intérêts spécifiques d’autant plus
aisément optimisables que les managers, censés officiellement prendre des décisions qui
optimisent les intérêts de leurs mandataires, à savoir leurs actionnaires, bénéficient en
réalité d’une asymétrie d’information qui leur permet d’optimiser leurs intérêts
particuliers. Cette asymétrie d’information est au centre de la théorie de l’agence (M. C.
Jensen et W C. Mecking
) qui, selon eux, amène les actionnaires à offrir aux dirigeants
J. K. Galbraith, Le nouvel état industriel, Gallimard, collection « tel », Paris, 1967.
A. Chandler, The Visible Hand. The Managerial Revolution in American Business, Belknap Press, 1977.
M. C. Jensen et W. C.Meckling, “Theory of the Firm: Managerial Behavior, Agency Cost, and
Ownership Structure”, Journal of Financial Economics, vol. 3, n° 4, 1976.