Le Devoir
Actualités, mercredi 19 mai 2010, p. A1
Biodiversité: l'étalon PIB cache le passif
L'humanité navigue avec une boussole défectueuse, constate l'économiste Pavan Sukhdev
Louis-Gilles Francoeur
Enrayer le déclin de la biodiversité exige des gouvernements qu'ils adoptent des politiques
qui vont imposer aux grands utilisateurs des ressources vivantes et des grands écosystèmes
qu'ils intègrent le prix de leur utilisation dans leurs coûts de production. Cette vision d'une
économie plus verte commandera par ailleurs une réforme du PIB au profit d'une
comptabilité nationale qui tiendrait compte du passif que constitue la perte ou le déclin des
ressources vivantes.
C'est ce qu'a soutenu hier Pavan Sukhdev devant une vingtaine de spécialistes des questions de
biodiversité, réunis à Montréal par la Commission de coopération environnementale (CCE), un
organisme qui administre le traité sur l'environnement, subsidiaire à celui de l'ALENA. Par la
suite, celui qui réalise dans le champ de la biodiversité des évaluations que l'on compare souvent
à celles de Lord Stern sur le coût de l'inaction en matière de changements climatiques, était
l'invité de l'Université McGill, où il a prononcé une conférence-midi sur les moyens de «verdir»
une économie qui tient peu compte de la surexploitation des écosystèmes, voire de leur
destruction ou de la disparition des espèces.
Pavan Sukhdev estime que la croissance du PIB, l'étalon international de la mesure de la richesse
des pays, donne un portrait tronqué de la réalité, car il ne tient pas compte d'éléments essentiels
comme les changements survenus dans la santé publique, dans le niveau d'éducation et aussi de
l'évolution à la fois qualitative et quantitative des ressources naturelles. En somme, l'humanité
navigue «avec une boussole économique défectueuse», un obstacle majeur à la transition vers
une économie plus verte, dit-il.
Selon cet économiste, la bonne vieille économie -- polluante, énergivore et dévastatrice des
écosystèmes -- mise sur l'utilisation gratuite de ressources publiques. Ces coûts jamais pris en
compte correspondent présentement à environ 3 % du PIB de la planète et à 33 % des profits
globaux. Et cette tendance va s'accentuer, dit-il, au point d'atteindre cumulativement 7 % de la
consommation globale en 2050, des pertes dont la valeur globale oscillera entre 1,3 et 3,1
billions, selon les taux d'actualisation retenus. En 2000, il ne restait que 73 % de la biodiversité
naturelle d'origine. En 2050, une perte additionnelle d'habitats et de leurs espèces pourrait
alourdir de 11 % ce déclin, soit une perte de zones naturelles de 7,5 millions de km2, l'équivalent
de la superficie de l'Australie.
La comptabilité du PIB est, de plus, peu représentative de l'«économie des pauvres» qui
dépendent de ces richesses naturelles pour leur survie immédiate, comme ce demi-milliard de
personnes qui dépendent des pêches sur les récifs coralliens en voie de stérilisation. En Inde,
donne-t-il en exemple, 480 millions de personnes dépendent de l'agriculture artisanale, laquelle