Acuité visuelle et cortex visuel
Texte publié par la FNRO dans le cadre des actes du colloque « Amblyopie » 12007 et des
cours du DU de strabologie 2007/2009
Dr Emmanuel BUI QUOC
Ophtalmologiste
Service d’Ophtalmologie
Hôpital Robert Debré
48, boulevard Sérurier
75019 Paris
Introduction
Il est un court raccourci de dire que l’œil est un appareil optique permettant la focalisation de
l’image sur la rétine. C’est alors que le traitement sensoriel de l’information commence. Si
l’intégration du message visuel débute au niveau rétinien, c’est au niveau cérébral que
s’élabore la perception. Et quand bien même, le cortex visuel n’est qu’un premier relais de
perception, distribuant son information vers les parties antérieures du cerveau (voie ventrale et
voie dorsale) : cortex frontal et temporal, aires associatives.
Pour résumer la physiologie visuelle, on peut dire que l’image visuelle est un stimulus
sensoriel chard’information qui sera capté par un récepteur, puis transmise à un décodeur
et à un intégrateur. C’est ainsi que l’information prend sens. Le message visuel est composé
de lumière, c'est-à-dire d’une radiation électromagnétique (onde /photon). La lumière visible,
c'est-à-dire qui est captée par les photorécepteurs, va de 400 à 700 nm de longueur d’onde. Le
stimulus a donc une longueur d’onde, une intensité lumineuse, mais aussi un contraste, un
mouvement.
Dès l’étage rétinien, il existe une intégration du message visuel, ce qui permet un
premier codage d’une information traitée par 100 millions de récepteurs (photorécepteurs) et
transmise par 1 million de transmetteurs (axones des cellules ganglionnaires). Il existe un
premier traitement de l’information au niveau de la rétine, des photorécepteurs aux cellules
bipolaires. Les afférences synaptiques entre les photorécepteurs et les cellules bipolaires se
font par deux voies : directe et indirecte, correspondant à une opposition centre/périphérie,
avec ainsi des champs récepteurs centre ON / périphérie OFF ou l’inverse. Le second
traitement de l’information au niveau de la rétine se fait des cellules bipolaires aux cellules
ganglionnaires. Le message est transmis des cellules bipolaires aux cellules ganglionnaires
qui présentent la même organisation ON/OFF ou OFF/ON. Il existe différents types de
cellules ganglionnaires. On trouve trois types de cellules ganglionnaires dans la rétine du chat
(selon la taille du corps cellulaire et des arborisations dendritiques): α, β et γ. Chez le
macaque (comme chez l’homme), on trouve de grandes cellules de type M (magnus) et de
petites cellules de type P (parvus). Elles correspondent à deux voies :
-voie M, pour laquelle les champs récepteurs sont grands et pour laquelle les cellules traitent
des informations de faible contraste et participent à la détection du mouvement.
-voie P, pour laquelle les champs récepteurs sont petits, et pour laquelle les cellules traitent
des informations colorées, de la forme et des détails.
Au niveau du corps géniculé latéral dorsal, il existe une ségrégation en couches
séparées des afférences en provenance de chaque œil et une conservation de la rétinotopie.
Au niveau du cortex visuel primaire, les cellules présentent des propriétés de
dominance oculaire (couche IV), de binocularité (couche II/III), de sélectivité à l’orientation,
à la vitesse…
Au-delà, les cortex visuels secondaires participent à l’intégration d’un message
perceptif de plus en plus élaboré.
Le corps calleux est impliqué dans la perception du méridien vertical central, la vision
stéréoscopique, la réunion des deux hémichamps visuels.
Il existe une poursuite du développement des structures oculaires, des voies visuelles,
des structures cérébrales impliquées dans la perception visuelle après la naissance. C’est
pourquoi une altération précoce de l’expérience visuelle, du fait d’une altération de ce
processus de développement et du fait de la plasticité cérébrale, est à risque d’amblyopie
La vision est une fonction complexe dont la connaissance de la physiologie est facilitée par la
possibilité d’accès au récepteur (œil) que l’on peut stimuler aisément et à l’intégrateur
« principal » (cortex occipital). Mais la connaissance de la physiologie visuelle précise est
difficile car l’analyse est souvent parcellaire, les stimuli expérimentaux évalués bien pauvres
par rapport à la complexité d’une image réelle. Les zones à étudier sont par ailleurs multiples
(la moitié du cortex est consacré à l’intégration cortical du message visuel).
Dans cet article seront rappelés les fondements neurophysiologiques essentiels de la
vision, au niveau du corps géniculé latéral dorsal, du cortex visuel primaire et des cortex
visuels secondaires, ainsi que du corps calleux. Enfin seront rappelées les bases neurales de
l’amblyopie.
Les fonctions visuelles
La mesure de l‘acuité visuelle est une mesure psychophysique. Elle traduit l’angle minimum
de résolution entre deux lignes. Définissons la fréquence spatiale comme le nombre de cycles
par degré d’angle visuel. La mesure de l’acuité visuelle est la recherche de la plus haute
fréquence spatiale visible à contraste égal à 1. L’acuité visuelle maximale est de 60 cycles par
degré, soit 30 secondes d’arc, correspondant à 0,3 unité logarithmique, soit 20/10.
La mesure de l’acuité visuelle n’est qu’un élément de la fonction visuelle, celle-ci
étant multiple : fonction de sensibilité au contraste, vision stéréoscopique, vision des couleurs,
champ visuel, vision du mouvement…
Comment étudier le cerveau ?
Les travaux fondamentaux permettant de décrypter la neurophysiologie visuelle reposent sur
des approchent anatomiques ou fonctionnelles.
Les approches anatomiques reposent sur l’étude de coupes de cerveaux, après divers
marquages, colorations, étude des réseaux neuronaux.
Les approches fonctionnelles reposent sur l’électrophysiologie (travaux premiers
d’Hubel et Wiesel). Chez un mammifère supérieur (furet, chat, singe) anesthésié et
paralysé, un enregistrement électrophysiologique par microélectrode en tungstène introduite
dans le cortex ou la zone d’intérêt est effectué lors d’une stimulation visuelle. En fonction de
la localisation du stimulus dans le champ visuel et la localisation de l’électrode peuvent être
retrouvés les paramètres rétinotopiques. Les propriétés des neurones sont étudiées :
dominance oculaire (selon la réponse à la stimulation d’un œil ou de l’autre), sélectivité à
l’orientation (selon la réponse à un stimulus se déplaçant dans un sens défini), binocularité…
Plus récemment s’est veloppée une approche fonctionnelle par imagerie optique :
enregistrement des propriétés différentielles de réflectivité optique de l’hémoglobine
directement au niveau du cortex, selon l’activité ou non de la zone étudiée, en fonction de la
stimulation visuelle.
Notion de champ récepteur
Le champ récepteur d’une cellule du système visuel (quel que soit l’étage étudié) peut être
défini comme la région de la rétine au niveau de la quelle une variation de la stimulation
lumineuse (stimulus positif ou négatif) entraîne une modification du potentiel membranaire de
la cellule.
Le corps géniculé latéral dorsal
Le corps géniculé latéral dorsal (CGLd) est une structure thalamique qui reçoit 90% des
projections rétiniennes, 10% allant au colliculus supérieur ou tectum optique). Le CGLd
comporte six couches de corps cellulaires qui sont séparées par des couches ne comportant
que des axones et des dendrites. L’analyse histologique montre que les deux couches
ventrales comportent des neurones dont le corps cellulaire est de taille relativement grande :
il s’agit des couches magnocellulaires. Leurs afférences proviennent des cellules
ganglionnaires de la rétine dite M. Les quatre couches dorsales sont nommées
parvocellulaires car les corps cellulaires de leurs neurones sont de petite taille. Ils reçoivent
leurs afférences des cellules ganglionnaires de type P.
. Il existe une séparation des voies M, P et K. La voie koniocellulaire correspond aux
cellules non M non P de la rétine qui projettent sur des cellules du CGLd à la face ventrale des
couches M et P.
Est conservée une rétinotopie au niveau du CGLd.
Notion de rétinotopie
La rétinotopie reflète une organisation particulière et précise des neurones visuels.
Ainsi, des cellules voisines de la rétine transmettent des informations à des sites
voisins de leurs structures cibles, quelles qu’elles soient. Cependant, la rétinotopie ne
correspond pas à une superposition exacte, car les cellules visuelles de la rétine ne
représentent pas l’espace de la même façon. De même qu’au niveau du cortex moteur
existe une surreprésentation de la main, il existe une surreprésentation de la macula
dans les structures cérébrales impliquées dans la vision. La cartographie du champ
visuel sur une structure cérébrale l’on retrouve une rétinotopie est donc souvent
déformée, car les cellules de la rétine ne représentent pas toutes l’espace visuel de
façon proportionnelle.
Les deux ensembles de cellules magnocellulaires et parvocellulaires comportent des
neurones dont les champs récepteurs ont des propriétés concentriques centre ON / périphérie
OFF (ou l’inverse), comme les cellules ganglionnaires de la rétine qui projettent sur elles.
La ségrégation œil droit/œil gauche demeure. Du fait de la décussation chiasmatique,
une couche donnée du CGLd reçoit ses afférences uniquement de la rétine ipsilatérale (champ
rétinien temporal) ou controlatérale (champ rétinien nasal). Le CGLd d’un hémisphère reçoit
les informations de la moitié opposée du champ visuel : hémichamp visuel droit pour le CGLd
gauche et hémichamp visuel gauche pour le CGLd droit.
De même que les cellules ganglionnaires, les neurones P et M possèdent des
propriétés différentes. La principale propriété différentielle est celle de la sensibilité différente
au contraste de couleur. Les neurones P du CGLd répondent de manière opposée à la
stimulation des cônes par une lumière bleue ou par une lumière jaune ou bien par un couple
de lumière rouge ou verte. Ils sont donc sensibles aux changements de couleurs (rouge/vert et
bleu/jaune) et peu aux changements de luminance des couleurs. En revanche, les neurones M
répondent faiblement aux changements de couleur, mais sont très sensibles aux contrastes de
luminance entre la partie sombre et la partie brillante du stimulus. Dès l’étage du CGLd se
dessine une propriété fondamentale des neurones visuels : la vision du contour est suffisante à
la vision de l’objet.
Cortex visuel primaire
Le cortex visuel primaire est la zone corticale qui reçoit des afférences directes du CGLd. Il
s’agit chez l’humain de l’aire V1 ou aire 17 de Brodmann. Elle est située dans la partie
postérieure du cerveau (cortex occipital). Chez le chat en revanche, à la fois les aires 17 et 18
sont primaires car recevant des afférences directes du CGLd. L’aire V1 de chaque hémisphère
reçoit des informations du champ visuel controlatéral. Il existe cependant une double
projection de la zone du méridien vertical central. La rétinotopie est conservée avec une
amplification maculaire considérable, puisque la moitié de la surface de V1 correspond aux
projections en provenance de la fovéa. Le cortex primaire est épais de 2 mm chez l’humain.
Les colorations histologiques (Nissl ou cytochrome oxydase) permettent de distinguer six
couches de neurones (substance grise) entre la surface et la substance blanche sous jacente
(composée des axones myélinisés). Les afférence du CGLd se projettent principalement dans
la couche IV qui se sous divise en 4 sous couches : IVA, IVB, IVCα sur laquelle se projette
les cellules M du CGLd et IVCβ sur laquelle se projette les cellules P du CGLd. Il existe des
connexions intracorticales multiples, horizontales et verticales et, de même qu’il reçoit des
afférences, le cortex strié émet de nombreuses efférences, vers les cortex secondaires,vers
l’autre hémisphère via le corps calleux, mais aussi vers le CGLd.
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