3- un exemple : Corps et interactions en situation.
piste bleue
Nous avons présenen 2ème partie la notion de schéma corporel. Cependant, cette perception non
consciente du corps n'est pas aussi objective que présentée. Elle est elle aussi traversée par l'histoire
sociale et personnelle du sujet et transformée par le regard des autres.
L'histoire affective du sujet s'inscrit dans l'image du corps conçue comme une structure libidinale
dynamique qui varie en fonction de nos rapports avec le milieu physique, vital et social donc « en
perpétuelle auto-construction et auto-destruction » (Schilder, 1968). C’est un processus continuel de
différenciation et d’intégration de toutes les expériences incorporées au cours de notre vie
(perceptives, motrices affectives, sexuelles ...).
L'histoire sociale s'inscrit dans l'habitus corporel
1
et modèle les techniques du corps (M Mauss, rééd
1983)(les façons de se tenir, de se mouvoir, d'inter-agir, de s'habiller etc…). Celui-ci provoque des
réactions, des regards, des représentations chez les autres qui à leur tour change le regard que chacun
porte sur son corps et donc la perception qu'il en a. L'apparence et la morphologie de chacun sont
interprétées par les autres qui nous regardent d'une certaine façon, regard que nous percevons
confusément et transforme à son tour notre propre regard sur nous même.
Ainsi chacun est amené à donner une valeur affective à certaines parties de son corps, va surinvestir
certaines zones corporelles au détriment d'autres, va avoir développé des capacités à percevoir plus
importantes pour certaines parties de son anatomie, va en fonction de la situation et en particulier des
autres accepter son corps sous leur regard ou pas.
Cela va se traduire par une perception de soi particulière, parfois une incapacité à mouvoir finement
des parties du corps, va entraîner des états de tension et donc un tonus incompatible avec les
coordinations nécessaires etc…
La notion de schéma corporel pourrait donc ici encore être un concept inter-disciplinaire qui rende
compte de la complexité du fonctionnement de l’individu. Il renvoie au dialogue corporel de l’individu
avec l’environnement et repose sur l'histoire de chacun. Il est co-construit dans la relation à
l’environnement en même temps qu’il construit l’environnement, il se construit en situation en même
temps qu’il construit la situation.
1
Cf chap 13,II-l’apport des sciences sociales et Boltansky 1969, Le Breton 1992
Piste noire : corps et interactions en situation de classe.
Nous avons vu comment la perception et la cognition étaient des constructions dans la 2ème partie et
dans la 5ème partie. La perception de soi même, de l’environnement dépendent du fonctionnement de
l’organisme comme le fonctionnement de cet organisme dépend de l’environnement.
La construction du corps dépend de la perception de celui-ci et des actions dans l’environnement qui
eux mêmes dépendent de cette construction. Cette dernière dépend donc du fonctionnement de
l’organisme et de ses capacités sensori-motrices mais aussi de son histoire culturelle, psychologique et
de la façon dont le sujet se perçoit en train d’agir et agit.
Une situation de classe, tout comme une situation d’entraînement ou d’apprentissage peut être étudiée
à travers les manifestations corporelles, à travers les interactions corporelles en situation. Les
différentes façons de vivre son corps, de sentir le regard des autres, de se regarder, les différents désirs
et les différents corps et les différentes parties du corps valorisées interagissent continuellement en
situation et participent à la construction du projet de chacun.
.I- Corps, identité et socialisation.
1- Le corps social: une construction, un produit, un signifiant, le résultat d'un processus, un
producteur.
"Le corps semble aller de soi" (D Le Breton, 1992) puisque la condition humaine est
corporelle, "que l'homme est indissociable du corps qui lui donne épaisseur et la sensibilité de son être
au monde". Et pourtant Le corps n'est pas un donné en soi, la conscience du corps ne va pas de soi, "il
ne prend sens qu'avec le regard culturel de l'homme", il "est une construction symbolique". "Les
représentations du corps et les savoirs qui l'atteignent sont tributaires d'un état social, d'une vision du
monde, et à l'intérieur de cette dernière d'une définition de la personne".
Le corps est ainsi tributaire d'une société donné et d'une époque mais il est aussi façonné par elle, il est
ce en quoi "se mire la société", "le symbole de l'intégrité du corps social" (M Bernard, 1981), "il
fournit à la société un moyen de se représenter, de se comprendre et d'agir sur elle-même".
L'intermédiaire entre le corps de l'individu et le corps social est l'apprentissage des techniques du corps
qui "sont les façons dont les hommes société par société savent se servir de leur corps de manière
traditionnelle" (M Mauss, 1968). Chaque société à travers les faits d'éducation impose à l'individu un
usage déterminé de son corps, "de l'art d'utiliser le corps humain", par l'intermédiaire des besoins et
des activités corporelles. Cet "habitus corporel", véritable "principe producteur de pratique" (Bourdieu,
1980), "structure structurée appelée à fonctionner comme structure structurante" (Bourdieu, 1972),
"cette loi immanente lex insita inscrite dans le corps par une histoire identique" devient l'organisateur
et des pratiques corporelles et du rapport au corps, en même temps que la référence pour apprécier
l'autre dans la relation sociale et décrypter la réalité pour agir. "Dimension fondamentale du sens de
l'orientation sociale, l'hexis corporelle est une manière pratique d'éprouver et d'exprimer le sens que
l'on a, comme on dit, de sa propre valeur sociale... Tout se passe comme si les conditionnements
sociaux attachés à la condition sociale tendaient à inscrire le rapport au monde social dans un rapport
durable et généralisé au corps propre, une manière de tenir son corps, de le présenter aux autres, de le
mouvoir, de lui faire une place, qui donne au corps sa physionomie sociale" Ainsi chacun apprécie
l'autre sur et à partir de sa propre hexis corporelle, et "les sociétés en traitant le corps comme une
mémoire, lui confient sous une forme abrégée et pratique, les principes fondamentaux de l'arbitraire
culturel".
le corps est donc un produit social et un marqueur social, il nous permet de nous reconnaître mais
aussi de distinguer, il nous permet de situer les autres dans la relation, mais aussi d'être "catalogué", il
est celui à partir duquel on va comprendre le monde social et agir sur lui, et il est pour toutes ses
raisons celui dont l'éducation ne saurait être laissée au hasard.
Le corps est donc le résultat d'une intériorisation du social dans l'individu et donc des processus qui
participent à "une mise en société" (Chamborédon, 1971) de celui-ci.
Mais il est aussi ce par quoi l'individu se différencie, s'affirme comme personne autonome en
particulier par le biais des différentes interactions qu'il peut vivre dans différentes situations, situations
dans lesquelles il met son corps en scène (Goffman, 1971) et apprend à partir de son histoire à tenir
différents rôles, à contenir son corps et à jouer de son corps, où il apprend progressivement à maîtriser
les "allants de soi" corporels propres à un milieu donné, à un rôle donné. "Les sociétés occidentales,
confrontées à la désymbolisation de leur rapport au monde, les relations formelles l'emportent
toujours davantage sur les relations de sens (et donc de valeurs) engendrent des formes inédites de
socialisation qui privilégient le corps, mais le corps ganté de signes éphémères, objet d'un
investissement croissant" (D Le Breton, 1992). alors, l'individu, "cherche son unité de sujet en
agençant des signes où il cherche à produire son identité et à se faire socialement reconnaître".
Le corps devient ainsi à la fois le porteur d'un histoire et le lieu d'inscription des structures, à la fois le
vecteur des transformations et le support de l'identité de l'acteur, il est la sultante de l'ensemble des
processus de socialisation, processus résultant à la fois d'une intériorisation du social dans l'individu et
du produit des interactions sociales (P Garnier, 1992). S'interroger sur le corps revient à interroger le
processus de socialisation et à s'intéresser à "tous les cursus, toutes les expériences, tous les parcours
générateurs d'apprentissage ou (...) générateurs de transformation des habitus et des représentations"
(Ph Perrenoud, 1988). Le corps est alors "le lieu privilégd'intelligibilité des procès de socialisation
(...), à la fois par l'incorporation du sociétal dans l'individuel, soit selon une logique structurelle
comme naturalisation de la règle, soit selon une logique actancielle comme interaction d'affects par
lesquels se constitue le lien social, à la fois grâce à la marge de manoeuvre dont disposent les acteurs
qui "opèrent par stratégies et tactiques au sein des systèmes de contraintes dont la détermination
complexe implique une part d'incertitude et d'indétermination" (M Drulhe, 1985).
Pour comprendre ce qui se déroule dans la situation, comment s’établissent les interactions sociales
mais aussi comment le sujet appréhende la tâche et son contexte, il devient dès lors nécessaire de
s'intéresser non seulement au corps produit mais surtout au corps producteur, "au corps ludique qui
réalise des stratégies de réappropriation et un certain déchaînement des passions" et pour cela
d'observer les divers aspects corporels de ce qui est impliqué dans les procès de socialisation, aussi
bien ce qui relève de la matérialité corporelle que des représentations sous-jacentes ayant trait au
corps, à ses postures et à ses gestes pour le présenter et en rendre compte et être attentif aux pratiques
corporelles productrices d'effets particuliers dans l'interaction.
2- Corps et identité, image de soi et image du corps.
Le corps est plus qu'un produit et un producteur. Il est la résultante d'un processus tant social
q'individuel qui fait se croiser en lui le monde social en faisant incorporer à l'homme les objets sociaux
et le monde des pulsions individuelles qui nécessitent une sublimation, un investissement
fantasmatique et un processus de symbolisation, "C'est en lui que s'accomplit l'activité de structuration
symbolique du monde" (M bernard, 1981) la résultante se déclinant pour chacun en image du corps.
C'est ainsi que "notre corps ne se confond ni avec sa réalité biologique en tant qu'organisme vivant, ni
avec sa réaliimaginaire en tant que fantasme, ni avec sa réalité sociale en tant que configuration et
pratiques culturelles. Il est en quelque sorte plus et moins que les trois à la fois, dans la mesure il
est processus de constitution, de formation symbolique, c'est-à-dire fournissant à la fois à la société un
moyen de se représenter, de se comprendre et d'agir sur elle même, et à l'individu, un moyen de
dépasser la simple vie organique par l'objet fantasmé de son désir" ( M Bernard, 1981).
Il est moi au monde, il est à la fois sensation et sens, il est ce qui me donne corps, le porteur de ce que
je suis, l'expression de mon identité, il est le vecteur de l'image de soi comme l'occasion de la
construction de cette image et le "sol dialectique acquis sur lequel s'opère une mise en forme
supérieure" ( Merleau Ponty, 1976 ), il est à la fois le support et l'origine de l'image de soi et de la
quête d'identité. le corps permet de faire entendre une revendication d'existence "quand l'identité
personnelle est en question à travers les remaniements incessants de sens et de valeurs qui marquent la
modernité", de "chercher son unité de sujet en agençant des signes où il cherche à produire son identi
et à se faire socialement reconnaître" (D Le Breton, 1992).
Donc, par le corps, la personne vérifie son existence au monde et cherche à valider son image, image
de soi participant de la constitution progressive de l'identité de l'individu ( B Charlot, et al 1993) tout
en s'expérimentant en tant que "je", porteur d'un pouvoir sur le monde et sur les autres.
Cette construction du "je", individu autonome nécessite la construction d'un Moi peau, première
construction d'une image du corps, limite perméable entre l'intérieur et l'extérieur permettant la fusion
et la séparation, la protection et les échanges, à la fois contenant et contenu (D Anzieu, 1985). Elle
nécessite l'élaboration de l'image du corps qui est une représentation que le sujet se fait de son corps,
la façon dont il lui apparaît plus ou moins consciemment à travers un contexte social et culturel
particularisé par son histoire personnelle (D Le Breton, 1992).
L'image du corps est non seulement une construction qui dépend de l'histoire du sujet et de la relation
qu'il établit aux autres, de l'image de l'image du corps que lui renvoie les autres, "notre corps n'acquiert
une réalité pleine et entière que lorsque notre acceptation du regard et du jugement d'autrui permet de
construire une image du corps en accord avec la configuration fantasmatique dessinée par nos désirs"
(M Bernard, 1981), mais aussi l'expression du sujet, de l'identité de l'individu: "l'image du corps ne
reflète pas seulement la coupure symbolique entre l'intérieur et l'extérieur, l'intime et le social, la
nature et la culture. Elle est aussi représentation l'extérieur est chargé de rendre perceptible un
intérieur non plus organique mais spirituel. C'est que le corps, en tant qu'emblème, est chargé
d'exprimer le système des valeurs de celui qu'il représente aux yeux des autres" (D Picard, 1983).
L'image du corps, comme l'identité, est alors le résultat d'une construction dans le temps lié au
processus biographique à partir des catégories offertes par les institutions successives (famille,
école...) et considérées à la fois comme accessibles et valorisantes (transaction subjective), et d'une
reconnaissance à travers le processus relationnel à un moment donné et au sein d'un espace terminé
de légitimation (C Dubar, 1992). l'image du corps possède au moins 2 faces d'une même subjectivité
plus ou moins consciente: l'image pour soi, l'image pour autrui représentée et une 3ème, l'image
virtuelle souhaitée.
L'image du corps présentée servira donc de support pour conférer à chacun une 1ère identité sociale en
particulier à l'école, pour lui dénier ou non la possibilité de transformer son identité héritée.
Travailler sur le corps, s'interroger sur l'image du corps, sur les éléments de construction de cette
image, sur les éléments d'information utilisés pour conférer une image, sur l'image de soi renvoyée à
travers le corps de l'autre et l'interprétation de son regard, c'est à la fois poser le problème de la
constitution de chacun comme sujet donc de l'accès à l'autonomie, et celui de la construction de
l'identité, de l'accès à une identité autre que celle conférée, c'est se poser le problème de la réussite et
de la reconnaissance sociale de chacun.
3- Corps et interaction sociale.
Ainsi le corps est un marqueur social, il est ce par quoi l'autre nous attribue un statut et une valeur
sociale, ce par quoi nous nous présentons aux autres. Il est devenu porteur de signes qui permettent de
tenir un rôle et de jouer sur les identités.
Il est ce qui à tout moment va nous signifier aux yeux des autres, va conduire à engager une relation, à
l'orienter avant même le premier mot, interférer, accompagner, marquer toute interaction; le face à
face est un corps à corps. Le corps "ce fait social total" (M Mauss, 1986) est impliqué totalement dans
toute communication, tout échange et il participe à la construction de l'interaction à quatre niveaux.
a- le corps comme a priori dans la relation et système d'excellence et de jugement.
Le corps se présente par son apparence, c'est-à-dire le corps et les objets portés par lui, sa présentation,
sa représentation, ce que l'on voit, comment il est vêtu, arrangé, présenté. Cette apparence corporelle
est une construction, un lieu se marquent et se donnent à voir les conditions sociales de sa
production, mais aussi une création individuelle dans le sens sa production suppose de la part des
acteurs sociaux une interprétation de ses contraintes, des manières de se situer par rapport à elles et de
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