ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE Le territoire et les hommes Géographie Article écrit par Jacqueline BEAUJEU-GARNIER, Catherine LEFORT, Laurent VERMEERSCH Les États-Unis d'Amérique se classent au quatrième rang mondial par leur superficie (9 385 000 km2) depuis qu'ils ont réuni aux quarante-huit États qui les composaient traditionnellement l'Alaska en 1959 et les îles Hawaii en 1960. Leur population, qui est estimée à 302 millions d'habitants en 2007, les place au troisième rang (bien que très loin), derrière la Chine et l'Inde. Opposant de puissantes montagnes à de vastes plaines, étendus par le prolongement de l'Alaska jusqu'aux latitudes arctiques et se ramifiant au sud par la Floride presque jusqu'au tropique, ils disposent d'une gamme de variétés climatiques, et donc de possibilités naturelles, exceptionnelles . Mais leur territoire, également riche en ressources multiples tant végétales que minérales, a aussi fait l'objet d'une remarquable et efficace mise en valeur, et cela explique leur puissance économique qui n'est surpassée par celle d'aucun autre État. I - Le milieu naturel Les plaines côtières atlantiques et les Appalaches À l'est, des plaines côtières bordent l'Atlantique. Elles apparaissent avec netteté à partir de la latitude de New York ; au nord, elles sont en partie recouvertes par la mer et réduites à quelques îles ; au sud, elles s'étendent de plus en plus largement jusqu'à la presqu'île de Floride. Leur pente est très douce et elles se terminent vers l'Océan par une côte que découpent de larges estuaires et qui se prolonge sous forme de longues flèches de sable (cap Cod, cap Hatteras). À l'intérieur, ces plaines sont dominées par un léger talus dont l'ampleur augmente vers le sud et qui constitue le rebord du piémont appalachien. Au sud, la plaine s'élargit pratiquement à toute la péninsule de Floride, bombée en un léger plateau ne dépassant pas 50 à 60 m d'altitude et frangée sur toutes ses rives par des îles, des marais, des dunes et des récifs coralliens. Au-delà de la baie de Tampa, les plaines côtières orientales se confondent avec celles qui bordent le golfe du Mexique. Entre ces plaines côtières et celles de l'intérieur s'étend un vaste bourrelet montagneux, désigné sous le nom général d'Appalaches. Cette ligne de hauteurs commence dans l'île de Terre-Neuve, s'allonge en NouvelleÉcosse et dans le Nouveau-Brunswick, au Canada, forme l'ossature de la Nouvelle-Angleterre et se prolonge jusqu'au sud d'Atlanta, tout près du golfe du Mexique. On peut la suivre sur 3 600 km. Les mêmes plissements ont constitué cet ensemble qui se divise en deux parties, coupées par les vallées de la Mohawk et de l'Hudson entre le lac Ontario et New York. En Nouvelle-Angleterre, un plateau de 350 à 400 m est entaillé par des vallées en gorges, troué de lacs et dominé par des reliefs résiduels constitués de roches dures (mont Monadnock qui a donné son nom à ce type, 1 050 m). Vers l'ouest, plusieurs noyaux montagneux sont séparés par des vallées parallèles nord-sud (White Mountains, qui renferment le point culminant de la région : le mont Washington avec 2 090 m ; Green Mountains ; Taconic Mountains). Au sud de la coupure, les orientations nord-est - sud-ouest l'emportent, formant cinq bandes à peu près parallèles : le Piémont à l'est, sorte de plateau de basses collines ; les Montagnes Bleues (Blue Ridge), crêtes étroites et boisées et vallées alternées, dominées par le plus haut sommet de l'est des États-Unis (mont Mitchell, 2 037 m d'altitude) ; la région des crêtes et des vallées, la véritable zone du « relief appalachien » classique ; le plateau appalachien, qui porte le nom d'Alleghanys au nord (400 à 700 m d'altitude), où il a été fortement raboté par les glaciers, et de Cumberland au sud ; enfin, un dernier gradin, où ont été sculptés par l'érosion de vastes bassins comme ceux de Nashville et de Lexington, s'enfonce progressivement vers l'ouest sous les Plaines centrales. À l'exception de quelques intrusions granitiques, cet ensemble montagneux s'est formé à la même époque par des terrains primaires plissés et faillés. Après leur formation, ces grands plis ont été soumis à de longues phases d'érosion qui les ont nivelés en plusieurs pénéplaines superposées, et ils ont été disloqués à maintes reprises par de puissantes fractures. Cette montagne a été un véritable laboratoire de géographie 1 physique : c'est dans le nord qu'ont été étudiées pour la première fois les glaciations dans l'hémisphère occidental, tandis que le géographe américain W. M. Davis a élaboré sa fameuse théorie de l'évolution cyclique du relief en considérant des surfaces aplanies étagées si fréquentes dans la région. Cette zone montagneuse située à faible distance de la côte orientale, qui constitue incontestablement une sorte de barrière, est d'une importance majeure dans l'histoire et dans la vie économique des États-Unis. Au début, elle a servi de protection aux colonies naissantes contre les entreprises des Indiens ; ensuite, les principaux passages ont canalisé les communications vers les Grands Lacs et le Centre-Ouest et ont favorisé la concentration de l'activité propice au développement des villes correspondant à ces trouées, comme New York, Philadelphie, Baltimore. Enfin, sur ses flancs, existent de vastes gisements houillers, tandis que ses eaux ont favorisé le développement des villes, celui des industries et actuellement la production d'hydroélectricité : c'est dans ces replis montagneux que New York dispose des énormes ressources en eau dont elle a besoin, et la vallée du Tennessee a été le premier exemple au monde de l'aménagement global d'un bassin fluvial. La dépression centrale Le centre des États-Unis est occupé par une vaste dépression entre les Appalaches à l'est et les Rocheuses à l'ouest. Cette région de plaines, d'une monotonie parfois désespérante quand on la parcourt sur quelques centaines de kilomètres, correspond pourtant à des ensembles différenciés soit par leurs structures, soit par les phénomènes climatiques passés qui y ont plus ou moins violemment imposé leurs marques. On peut distinguer la région des Grands Lacs et de leurs bordures, les plaines du Mississippi et du Missouri moyen, la coupure de l'Ozark et des monts Ouachita, les Grandes Plaines au pied des Rocheuses et les plaines bordières du golfe du Mexique. L'action des glaciations quaternaires a poussé son atteinte extrême jusqu'au niveau du confluent MissouriMississippi. Toute la région septentrionale en a été plus ou moins marquée. Les Grands Lacs en constituent l'élément le plus visible : ils couvrent 245 000 km2. Parmi les plus importants, on compte le lac Supérieur (83 000 km2, 307 m de profondeur maximale, 183 m d'altitude) , le lac Huron (59 500 km2, 222 m, 177 m), le lac Michigan (58 100 km2, 266 m, 177 m), le lac Érié (25 900 km2, 64 m, 175 m) et le lac Ontario (18 760 km2, 225 m, 75 m), mais ils sont accompagnés de milliers de lacs plus petits. Leur différence d'altitude a nécessité des travaux d'aménagement pour en faire une magnifique voie navigable. Malgré leur profondeur, ils ne sont pas surcreusés au-dessous du niveau de la mer, sauf le lac Ontario. La masse d'eau considérable qu'ils renferment joue un rôle capital à la fois sur le climat des régions périphériques et sur la vie économique locale. Ils se vident du côté de l'Atlantique par le chenal du Saint-Laurent, resserré entre le lac Ontario et Montréal, où le fleuve coupe le bouclier canadien qui réapparaît au sud sous la forme du petit massif rond des monts Adirondacks. En effet, la région des lacs occupe, au point de vue structural, une zone de contact entre le vieux socle du continent, le « bouclier canadien », la plus grande unité structurale de l'Amérique du Nord, qui borde leurs rives septentrionales, et les terrains plissés du Primaire puis du Secondaire qui recouvrent le socle vers le sud et qui servent de cadre aux lobes méridionaux. L'existence de ces immenses étendues lacustres est due à un triple phénomène : la structure des plissements affectant les roches primaires et dessinant un vaste bassin centré entre le lac Michigan et le lac Huron ; une érosion fluviale ancienne qui avait creusé dès la fin du Tertiaire des dépressions ; l'action des glaciers venant du plateau canadien qui ont façonné, raboté et érodé toute cette morphologie antérieure en y laissant des zones surcreusées, occupées maintenant par les eaux, et de longs chapelets de moraines qui dessinent des arcs parallèles aux rivages, par exemple au sud du lac Michigan. Tout autour de la région des Grands Lacs eux-mêmes, les dépôts glaciaires forment une couverture qui peut atteindre plus de 100 m dans le Michigan et l'Indiana septentrional. Il n'y a guère qu'une trentaine de milliers d'années que les glaces ont définitivement disparu de cette région. Les plaines ont ici 200 à 300 m d'altitude : elles coïncident avec d'épaisses couches sédimentaires, allant du Primaire au Tertiaire, qui sont presque horizontales. Le cours actuel du Missouri doit être le tracé de l'ancien chenal à la limite extrême des glaciations. De place en place, quelques crêtes de roches dures émergent, donnant des collines comme les Turtle Mountains (700 m) dans le Dakota septentrional. Les vallées sont molles et les lacs nombreux. À l'est du Mississippi, c'est le même genre de paysage : relief mou et vallées qui, comme celles de l'Illinois, peuvent atteindre 2 km de largeur. 2 Au sud du confluent Missouri-Mississippi, à l'ouest, et de la vallée de l'Ohio, à l'est, les plaines n'ont jamais été atteintes par les glaciations. Le relief, plus vigoureux, avec une série de collines hautes de 15 à 60 m, est constitué par des bancs durs de grès légèrement redressés parmi l'ensemble des roches sédimentaires tendres. L'écoulement des eaux se fait du nord-ouest au sud-est, selon la pente générale de la région, mais contrairement à la pente des couches géologiques. Ces plaines sont limitées vers le sud par deux petites montagnes marquant la frontière avec les plaines du Golfe. Ces reliefs ne sont rien d'autre que la réapparition du plissement appalachien, orienté ici de l'est à l'ouest. Le plateau de l'Ozark s'élève jusqu'à 700 m ; c'est une région de roches particulièrement dures plissées et faillées avec des sommets de granite et de porphyre (mont Saint-François, mont de Boston) ; il s'allonge sur 350 km du nord au sud ; sur sa bordure, les vallées s'encaissent en gorges de près de 200 m de profondeur. Au sud, les monts Ouachita sont séparés du plateau de l'Ozark par la vallée de l'Arkansas : ce sont, sur 350 km d'ouest en est, des collines boisées correspondant à des roches violemment plissées et faillées. Leur sommet atteint 900 m. Les plaines du Golfe forment une auréole qui s'étend depuis la Floride à l'est jusqu'à la frontière avec le Mexique à l'ouest et s'infiltre le long de la vallée du Mississippi jusqu'au confluent avec l'Ohio. Larges en moyenne de 250 à 500 km, elles sont constituées par des couches sédimentaires allant du Crétacé au Quaternaire le plus récent et plongeant doucement des Appalaches, à l'est, et des plateaux qui précèdent les Rocheuses, à l'ouest, vers le Golfe. Les rebords des couches dures dessinent de vastes amphithéâtres de lignes de côtes, séparées par des dépressions couvertes de lœss et d'alluvions, qui sont exploités par l'agriculture et où se sont installées les villes. Les côtes elles-mêmes sont basses et formées par une succession de lagunes, bordées par d'immenses cordons littoraux. Au centre, la basse vallée du Mississippi et son delta s'étendent sur environ 75 000 km2 ; ils occupent un golfe important, progressivement comblé, mais où l'affaissement continue, parfois même avec des phases violentes (tremblements de terre de New Madrid en 1811 et 1813 et observations séismologiques). L'alluvionnement est considérable : le système du Mississippi dépose 730 milliards de tonnes par an de dépôts solides en dissolution. Vers le sud, le delta est immense. Des sondages en Louisiane ont atteint près de 7 000 m sans toucher la base du Miocène ; on estime le total de la sédimentation à plus de 15 000 m d'épaisseur ; le delta s'avance progressivement dans la mer à une vitesse de 100 m environ par an. Le lac Pontchartrain, qui s'étend au nord de La Nouvelle-Orléans, a été fermé par la progression des alluvions. Le chenal du Mississippi atteint 30 à 60 m de profondeur depuis Baton Rouge, ce qui explique l'importance portuaire de La Nouvelle-Orléans. À l'ouest des Plaines centrales du Missouri-Mississippi, les « Grandes Plaines » forment une région intermédiaire au pied des Cordillères occidentales. Elles sont larges de 200 à 400 km. Elles s'élèvent en direction des Cordillères et, dans le sud, montent de 500 à 600 m jusqu'à près de 2 000 m ; dans le nord, leur altitude est plus basse. C'est le véritable « piémont » des Rocheuses. Elles sont constituées par des couches sédimentaires généralement secondaires, plissées à proximité des montagnes et ondulées vers l'est, rabotées par l'érosion et recouvertes par d'énormes formations détritiques (cailloutis, sables localement cimentés par des calcaires, argiles), disposées en bandes grossières suivant les anciens chenaux sortant de la montagne : c'est la « formation des Grandes Plaines », qui peut atteindre jusqu'à 180 m d'épaisseur et daterait du Pliocène. Celles-ci se seraient formées lors de la phase d'aplanissement qui a suivi la dernière surrection des Rocheuses. Ces plaines ont été également façonnées par les glaciers sur les deux rives du Missouri ; au contraire, au sud, le relief est resté plus vigoureux avec certains sommets importants comme les Black Hills (2 209 m). Au sud du Kansas, des couches de lave ont en partie recouvert des formations détritiques ; ce sont les mesas, dont les rebords rectilignes encadrent la vallée du Pecos. Des Rocheuses au Pacifique À l'ouest des Grandes Plaines commence la puissante masse des Cordillères occidentales, qui se poursuivent au Canada et au Mexique et occupent environ 30 % de la surface de l'Amérique du Nord. C'est une zone complexe par son relief, par les roches qui la constituent, par les étapes de sa formation. De nombreux volcans et des tremblements de terre occasionnels témoignent d'une orogénie toujours vivace dans la zone la plus voisine de l'Océan. On distingue plusieurs bandes parallèles de l'est à l'ouest. Les Rocheuses dominent nettement les Grandes Plaines vers l'est, mais se prolongent par de hauts plateaux vers l'ouest. Dans l'ensemble, les formes sont lourdes et les sommets fréquemment aplanis, même dans les 3 grandes chaînes. C'est la limite de partage des eaux entre le versant atlantique et le versant pacifique. Les formations géologiques sont de plus en plus récentes de l'est à l'ouest : le socle précambrien et sa couverture, plus ou moins déformée, apparaissent à l'est et disparaissent progressivement sous les plissements jurassiques et crétacés vers l'ouest ; les influences glaciaires sont très marquées (roches rabotées, cirques, vallées en auge), tandis que le volcanisme a joué un rôle considérable : plateaux de lave qui peuvent atteindre jusqu'à 600 ou 700 m d'épaisseur et sont découpés en canyons dans la région du Yellowstone ; geysers fameux comme le Old Faithful qui jaillit à intervalles réguliers et fait la gloire du célèbre parc national de Yellowstone. Les plus hauts sommets dépassent 4 000 m : monts de la Wind River (4 202 m), Uinta (4 115 m), Elbert (4 399 m), Colorado Front Range, monts San Juan au sud-ouest. Entre ces sommets, des bassins ou parks, vastes étendues emplies de terrains sédimentaires où les rivières s'encaissent en profonds canyons. . À l'ouest des Rocheuses, une série de plateaux s'étend largement : les aspects varient en fonction de l'altitude, de la latitude et de la puissance des chaînes qui les limitent vers l'ouest. Au nord, les plateaux de la Columbia forment vers 1 000 à 2 000 m le piédestal des chaînes qui les dominent ; ils sont couverts de grands épanchements de laves et ont été très sculptés par les glaciers. Au sud, le « Grand Bassin » occupe 10 % de la surface des États-Unis : c'est une région accidentée de chaînes parallèles nord-sud, séparées par des bassins désertiques ; le drainage est endoréique : c'est la région la plus sèche des États-Unis. Dans les creux existent souvent des lacs temporaires dont le plus important est le Grand Lac Salé. Sous ce climat, l'érosion éolienne est très importante (dunes, grands bassins, bolsons). Au sud, les plateaux du Colorado couvrent une surface aussi vaste que les trois quarts de la France : élevés de 1 600 à 3 000 m, ils sont constitués par des couches à peu près horizontales tranchées par les canyons des États-Unis les plus visités : celui du Colorado traverse la région sur 300 km par une entaille profonde de 1 000 à 2 000 m et large de 8 à 25 km. La majesté du relief, la beauté des couleurs, la pureté et la transparence de l'air font de cette région une des plus renommées des États-Unis. À l'ouest, la bordure montagneuse du Pacifique est formée par la succession des Cordillères occidentales, qui possèdent les plus hauts sommets et les zones les plus instables de toute l'Amérique du Nord. Au nord, la chaîne des Cascades, ruisselante d'eau et couverte de belles forêts, associe les dômes granitiques, les chaînes plissées et les cônes volcaniques. Au sud, la sierra Nevada s'étend sur 700 km ; le granite, qui en forme l'essentiel, donne les sommets extraordinaires que l'on peut voir dans le parc national de Yosemite . Au pied de ces hauteurs, une ligne de dépression court du nord au sud : elle constitue successivement le chenal maritime du Puget Sound sur lequel est installé le port de Seattle, la vallée de la Willamette, puis la grande vallée de Californie où coulent le Sacramento et le San Joaquin. C'est une région d'affaissement récent puisque, en Californie, où la dépression s'allonge sur 600 km, avec 80 km de large, les dépôts quaternaires ont jusqu'à 900 m d'épaisseur. À l'ouest, de petites chaînes de roches plissées tombent directement sur le Pacifique. Elles peuvent atteindre 2 500 m d'altitude et le volcanisme y apparaît localement. La plaine côtière pacifique est réduite à une étroite bande de 2 à 3 km de largeur. C'est une zone de montagne encore en évolution comme en témoignent les fréquents tremblements de terre. Le climat et la végétation La masse continentale, l'orientation du relief et l'étirement en latitude sur plus de 3 000 km sont les facteurs fondamentaux du climat. Il faut, en outre, tenir compte des courants côtiers froids qui atteignent la latitude de New York, à l'est, et la côte californienne, à l'ouest, tandis que la vaste ouverture du golfe du Mexique a des effets bénéfiques : combinée avec la masse énorme des terres qui l'encadrent au nord et au nord-ouest, elle constitue une zone de forte opposition, créant des conditions favorables à une ample circulation des masses d'air, surtout en été où l'air tropical pénètre jusque sur le revers des Appalaches et sur le front des Rocheuses, au-delà même de la frontière canadienne. En hiver, au contraire, la disposition du relief favorise la pénétration des masses d'air polaires sur tout l'intérieur du continent. Cet affrontement, au sein d'un même ensemble continental, de masses d'air polaires, froides et sèches, et de masses d'air tropicales maritimes, chaudes et humides, est propice à la formation de nombreux cyclones tempérés qui se déplacent à travers le continent et dont la zone s'étend depuis le sud-ouest du Texas jusqu'au nord de l'Alberta. C'est ce qui 4 explique la violence et les contrastes du climat nord-américain, dont les manifestations spectaculaires sont bien connues (vagues de chaleur, coups de froid avec tempêtes de neige, cyclones). Les climats de l'Est À l'est, les zones climatiques forment des bandes sensiblement ouest-est qui s'arrêtent à la limite des Grandes Plaines et se différencient surtout par les températures ; au-delà du 100e méridien, c'est la sécheresse et l'humidité ou bien l'altitude qui jouent le rôle dominant, et les zones climatiques s'allongent plutôt du nord au sud, sauf sur la côte pacifique où la latitude redevient le facteur principal. Dans le Nord-Est et le Centre-Est domine le climat continental humide, aux hivers froids et aux étés frais. Le déplacement des fronts donne un climat variable, avec de fréquentes dépressions cyclonales provoquant la pluie ou la neige. Des nuances existent en fonction de la situation plus ou moins continentale ou septentrionale. En Nouvelle-Angleterre, les précipitations sont abondantes toute l'année avec beaucoup de neige en hiver, ce qui a permis la pratique récente des sports d'hiver. Nulle part la moyenne de juillet n'est supérieure à 22 0C ; les hivers sont froids avec des températures qui peuvent tomber jusqu'à — 35 0C. La période de végétation est réduite à 120 jours ; toutes les montagnes intérieures sont couvertes de forêts. La zone des Grands Lacs bénéficie de l'influence de ces masses d'eau, qui réduisent les extrêmes de température mais favorisent la formation des brouillards et de nébulosité. La période de végétation atteint 160 jours ; les précipitations sont plus faibles qu'en Nouvelle-Angleterre (60 cm contre 1 m). Si la forêt et la prairie sont encore des formes essentielles de végétation, des conditions climatiques particulières dans les lieux abrités permettent l'installation de cultures très spécialisées, comme les vergers et les cultures maraîchères. Quant aux plaines centrales septentrionales, elles ont un climat beaucoup plus brutal avec des hivers glacials et des étés très chauds ; les précipitations dépassent encore 60 cm par an, mais sont en grande partie absorbées par l'évaporation due à l'ensoleillement. Au niveau de la frontière canadienne, plus de 60 nuits ont une température inférieure à 15 0C ; les hivers sont longs et durent de six à sept mois. À Winnipeg, l'écart moyen annuel atteint 38 0C (moyenne de juillet 18 0C, de janvier — 20 0C). La végétation naturelle est toujours la forêt mais, en dehors des conifères, d'autres arbres comme l'érable, l'orme, le peuplier se multiplient et, à mesure qu'on va vers l'intérieur, la forêt devient plus claire et se mélange avec la prairie aux herbes hautes. Depuis la région de New York, sur une partie de la plaine côtière au pied des Appalaches, et dans les Plaines centrales du sud du Michigan au confluent du Missouri et du Mississippi, on rencontre un climat tempéré, frais et humide. L'air polaire détermine encore les froids d'hiver (moyenne de janvier à Saint Louis, au sud de cette zone, 0 0C) ; l'hiver est souvent marqué, surtout dans la région côtière, par le passage des dépressions circulant du sud-ouest au nord-est. À partir du printemps, l'air tropical maritime humide prend de plus en plus d'importance et occupe totalement la région en été. Les températures de juillet sont de 20 0C à Toronto, 23 0C à Chicago, 25,5 0C à Saint Louis. Les précipitations atteignent 75 cm à 1,20 m et surviennent surtout en été lorsque l'air chaud et humide du Golfe pénètre dans l'intérieur ; les orages sont alors fréquents. C'était aussi le domaine de la forêt (chênes, châtaigniers, noisetiers), tandis que, vers l'ouest, on trouve la prairie à grandes herbes. Les sols sont ici profonds et riches en matière organique et très propices à l'agriculture. Au sud, le climat subtropical humide, à étés chauds, englobe la plaine côtière des États-Unis (sauf l'extrême pointe de la Floride, qui appartient au climat proprement tropical), les plaines du Golfe et se prolonge dans la basse vallée du Tennessee et de l'Ohio, dans le bassin de la Red River et dans la plus grande partie de celui de l'Arkansas. La douceur y est générale et les étés sont très chauds. Le gel n'existe pratiquement pas en Floride du Sud et à l'extrémité du delta du Mississippi (La Nouvelle-Orléans a, en janvier, une moyenne de 12 0C). La saison de végétation dépasse 240 jours et est encore de 200 jours au nord de l'Arkansas. Cependant, des coups de froid pénibles peuvent se faire sentir et on a même enregistré — 12 0C à La Nouvelle-Orléans. L'humidité diminue de l'est vers l'ouest ; 1,30 m sur la plaine côtière atlantique (147 cm à La Nouvelle-Orléans, 142 cm à Miami), 75 cm à 1 m au Texas, et aussi dans l'intérieur : c'est la fameuse Cotton Belt. À l'humidité de l'Est correspond une forêt vigoureuse et variée ; à la sécheresse de l'Ouest, une forêt de chênes à petites feuilles, coupée de vastes clairières et qui disparaît dans l'ouest du Texas où l'irrigation devient nécessaire à la culture. 5 Climat des Grandes Plaines À partir du 100e méridien, les Grandes Plaines ou Hautes Plaines, qui s'étendent vers l'ouest, sont protégées des influences occidentales par les chaînes montagneuses, et soumises aux conditions d'appel d'air maritime tropical venu du golfe du Mexique : les chutes de pluie sont donc relativement faibles et diminuent du sudest au nord-ouest (80 cm au nord-ouest de l'Oklahoma, 45 cm dans le Montana) ; les quatre cinquièmes de ces précipitations tombent de mai à septembre, pendant la période de végétation mais aussi d'évaporation maximale ; les irrégularités annuelles sont grandes ; l'hiver est sec. Les forêts disparaissent et l'érosion des sols sous l'influence des vents violents a pu être considérable (Dust Bowl). En raison de l'étirement en latitude, les températures sont très différentes dans le Nord (durée moyenne de la période de végétation, trois mois) et dans le Sud (six mois). L'amplitude thermique est élevée (35 0C), à cause surtout des chaleurs d'été (la moyenne est partout supérieure à 25 0C). Les cordillères occidentales Les montagnes de l'Ouest ont un climat sévère mais assez différent suivant leur accessibilité à l'air océanique humide. Dans le Nord-Ouest, l'influence du Pacifique sur les températures est à peu près arrêtée par la chaîne des Cascades alors que, sur les précipitations, elle se fait sentir jusqu'à la chaîne de Bitterroot. C'est dans cette région qu'on a enregistré la température la plus basse des États-Unis (le 20 janvier 1954 : — 56 0C à 60 km au nord d'Helena dans le Montana). L'été est très chaud, l'hiver modérément froid ; les pluies se raréfient rapidement (20 cm sur le plateau de la Snake), mais augmentent sur les chaînes montagneuses (1,50 m sur les Blue Mountains) abondamment enneigées. La période de végétation dure environ quatre à cinq mois. Au sud du 42e degré de latitude, l'hiver se réchauffe sensiblement et l'été devient brûlant. Dans la région du Grand Lac salé, vers 1 400 m d'altitude, la moyenne de janvier oscille autour de 0 0C et celle de juillet autour de 25 0C. La pureté et la sécheresse de l'air ont assuré la fortune de l'oasis de Phoenix, centre de production agricole et surtout de tourisme réputé. Les précipitations varient suivant l'altitude mais elles sont généralement peu élevées : c'est un véritable désert où l'irrigation est nécessaire à l'exploitation du sol. Sur les chaînes montagneuses, l'humidité est plus considérable et la forêt reparaît jusqu'à 4 000 m au NouveauMexique et 3 500 m au nord du Montana. La transhumance du bétail est associée à la sécheresse des plateaux et à la verdure montagnarde. Grâce à l'irrigation, de véritables oasis autour de villes souvent très peuplées ont pu s'implanter. Les climats de la côte pacifique Sur la côte pacifique, on enregistre la même opposition entre le Nord et le Sud. Dans l'État de Washington, l'influence maritime s'exerce assez constamment ; en hiver, de nombreux cyclones extra-tropicaux déferlent sur la côte où l'amplitude thermique n'est guère que de 8 0C. La période de végétation dure environ sept mois. Au niveau de la mer, il tombe 1,50 m de pluie par an (peu pendant la période froide de novembre à avril, mais surtout au cours des orages d'été) et, sur les premières pentes, on recueille jusqu'à 3 m d'eau. C'est le domaine des rivières nombreuses et abondantes, grandes productrices d'hydroélectricité, renommées pour la pêche au saumon, et de la forêt. À partir du sud de l'État de Washington, les températures augmentent mais le courant froid de Californie rafraîchit la côte, surtout au printemps et au début de l'été. Les étés sont lumineux, tandis que l'hiver est plus instable ; on qualifie parfois ce climat de méditerranéen. Les précipitations diminuent du nord (1,20 m) au sud, où le désert commence à quelques kilomètres de la mer. La période de végétation couvre onze mois de l'année. Le brouillard est fréquent, principalement en été, et, au voisinage immédiat de la côte, il se combine dans les grandes villes comme San Francisco et Los Angeles avec les poussières et les fumées pour donner le redoutable smog (smoke + fog). Pourtant le climat californien est, avec celui de la Floride, le plus réputé des États-Unis. · Jacqueline BEAUJEU-GARNIER, · Catherine LEFORT II - Société et espace 6 Les États-Unis, première puissance mondiale, fondent leur rayonnement sur un territoire immense de 9 385 000 kilomètres carrés, et une population de 302 millions d'habitants selon les estimations de 2007 (elle était de 281,4 millions lors du recensement de 2000). Cette fédération de cinquante États, liés notamment par la culture, par la langue, par un attachement à la nation, étonne et fascine par la diversité de ses espaces géographiques. Le cadre de vie des Américains La construction d'une puissance littorale Les Américains vivent sur le littoral. À quoi en effet se réduirait la première puissance mondiale sans les quelques dizaines de kilomètres de terre longeant les franges côtières ? C'est sur les façades littorales que bat le cœur de l'Amérique. C'est là, au bord de l'Atlantique et du Pacifique, que sont localisées deux mégalopoles, sept des dix plus grandes villes du pays, plus des trois quarts de la population. C'est sur les littoraux que l'économie prospère, tant dans le Nord-Est, qui garde sa suprématie à l'échelle nationale et internationale, que dans le Sud-Ouest où la Californie s'affirme comme un centre décisionnel de rang mondial. L'intense activité de Seattle et de Portland dans le Nord-Ouest, les ports texans, La NouvelleOrléans et la Floride, sur le golfe du Mexique, intensifient et concluent cette polarisation des États-Unis sur leurs littoraux, qu'ils soient maritimes ou lacustres. Plusieurs facteurs en sont à l'origine. L'histoire du peuplement, et notamment la phase européenne, a influencé la géographie humaine actuelle. Tout d'abord, parce que l'économie coloniale était construite sur l'échange avec la métropole, et donc sur les ports. La présence de baies en eaux profondes sur la côte est a ainsi cristallisé les premières villes. Les colons se sont également installés là où les conditions naturelles étaient assez proches de celles de leur pays d'origine. Il n'est donc pas surprenant que la côte est soit longtemps restée le lieu privilégié pour l'installation des colons, en opposition aux steppes intérieures, alors perçues comme un milieu inconnu et hostile ; la barrière des Appalaches et ses rivières tumultueuses ont également bloqué la navigation et donc la colonisation du Midwest jusqu'au début du XIXe siècle. L'industrialisation souligne cette polarisation des hommes dans un grand Nord-Est élargi aux Grands Lacs. La première phase d'industrialisation concerne la côte est ; la construction de canaux, la présence de matières premières (houille, minerai de fer), l'immigration apportant une main-d'œuvre importante font ensuite émerger un deuxième foyer autour des Grands Lacs et des villes de Pittsburgh, Cleveland, Detroit, Chicago. Cette spécialisation industrielle de la Manufacturing Belt est d'autant plus marquée que le Sud, aux mains d'une bourgeoisie terrienne, vivant du riz, du tabac puis du coton, ne connaît qu'une industrialisation marginale. Toutefois, le XIXe siècle voit également se dessiner l'ébauche de la géographie actuelle des États-Unis, avec la formidable conquête des territoires de l'Ouest, du Mississippi au Pacifique. C'est la grande époque de l'arc Chicago-Saint Louis-La Nouvelle-Orléans, têtes de pont entre le foyer d'immigration de la côte est, les plaines centrales du bassin du Mississippi, dont les sols semblent être une richesse agricole illimitée, et l'Ouest, encore plein de promesses. Là aussi, les richesses du sous-sol jouent un rôle primordial dans la dispersion des hommes sur cet immense territoire. Des ruées vers l'or successives sont à l'origine du peuplement de nouvelles terres : la Californie à partir de 1848 puis, au tournant du siècle, le Colorado, le Nevada et le Dakota. Pourtant, mis à part sur la côte pacifique, seules des oasis de peuplement peuvent apparaître dans ces immensités rocheuses et arides qui s'étendent à l'ouest du 100e méridien. Il faut des richesses minières exceptionnelles pour fixer quelques villes isolées : l'or et l'argent donnent naissance à Denver, Boise, Helena. La recherche de l'isolement pour éviter les persécutions religieuses est également un facteur de colonisation du désert (les mormons à Salt Lake City). Mais, plus encore, c'est l'ouverture de lignes de chemin de fer transcontinentales qui se trouve à la source de la conquête territoriale de l'Ouest, et notamment la conquête de terres agricoles facilitée par l'Homestead Act de 1862, permettant un rapide accès à la propriété. De nouvelles villes doivent ainsi leur naissance et leur prospérité à un carrefour de lignes de chemin de fer sur lesquelles reposera longtemps toute l'activité économique (Cheyenne dans le Wyoming, Bismark dans le Dakota, Phoenix en Arizona). 7 Cette course à la frontière est interrompue sur les bords du Pacifique, où se joue le point d'orgue de la conquête, sur cette côte si subitement favorable à l'installation humaine après des milliers de kilomètres d'aridité déserte et montagneuse. Comme sur la côte est, la présence du littoral et de ses larges baies hospitalières fixent des hommes et des activités dans ce nouveau pôle de dynamisme. Les anciens pueblos et presidios espagnols puis mexicains se transforment rapidement en véritables pompes à immigrants, venus de la côte est, mais également d'Asie, tout particulièrement de Chine. Là encore, l'or est à l'origine du succès de la Porte d'or (Golden Gate) de San Francisco, mais également de Seattle, sur la route de l'Alaska. La forte demande en bois pour la construction des villes et pour les mines entraîne le développement du Nord-Ouest (Portland, Seattle) ; à partir de 1914, l'ouverture du canal de Panama permet le développement de Los Angeles et du Sud californien. L'économie nouvelle repose alors sur la voie ferrée et sur les ports qui ouvrent l'économie américaine sur le Pacifique. La concentration du peuplement sur le littoral est d'autant plus marquée sur la côte ouest que la nature inhospitalière est ici aux portes des villes : à peine pénètre-t-on vers l'intérieur que les altitudes s'élèvent (Sierra Nevada, mont Sainte-Hélène), que le désert s'impose (désert Mohave). La conquête de l'Ouest achève de dessiner la géographie humaine des États-Unis telle que nous la connaissons aujourd'hui. Le XXe siècle ne fait que souligner cette tendance à la littoralisation du peuplement. Les grands investissements gouvernementaux pour la défense du territoire favorisent le développement des villes de la côte ouest. Le pétrole renforce le poids des côtes texanes. Le tourisme avantage les littoraux de Floride et de Californie, tandis que l'internationalisation de l'économie et le poids grandissant des transports soutiennent cette concentration des forces vives à proximité des foyers portuaires du Nord-Est atlantique, des Grands Lacs, du golfe et du Pacifique. Il faut également souligner le dynamisme de la Sun Belt, cette vaste région aux limites floues, marquée par un climat clément et ensoleillé et qui connaît ses heures de gloire grâce à la désindustrialisation du Nord-Est et au développement des nouvelles technologies qui s'opère loin des stigmates de la première vague d'industrialisation et valorise ainsi le potentiel économique du Sud : Californie, Texas, Georgie notamment. Si l'effet Sun Belt n'a pas bouleversé en profondeur la géographie humaine du pays, il faut tout de même noter des augmentations de population de plus de 15 % par décennie en Floride, au Texas, en Californie, au Nevada, de 1970 à 2000. Pourtant cette ruée vers le Sud a tendance à se ralentir dans les dernières années du XXe siècle : l'ancienne Manufacturing Belt – longtemps dénommée Rust Belt (ceinture de la rouille) – a pris en main sa reconversion et s'est lancée à son tour dans les nouvelles technologies. La mégalopole du NordEst avec ses universités prestigieuses et, dans une moindre mesure, les Grands Lacs, réaffirment depuis les années 1980 leur rôle historique de locomotive économique nationale. La géographie a ainsi accompagné l'histoire, la conjoncture des climats et des reliefs renforçant la concentration des hommes sur les côtes, bien plus hospitalières que les immensités intérieures : la conquête du territoire commence et se termine sur le littoral dans ce pays résolument ouvert sur les échanges, notamment par l'intermédiaire de ses villes. Un réseau urbain très polarisé Si la population est concentrée sur les littoraux, ceux-ci sont loin de constituer un cordon d'urbanisation uniforme. Au contraire, on distingue trois grands foyers de population, organisés autour de trois grands chapelets de villes, les mégalopoles (tabl. 2). La plus importante, celle du Nord-Est, regroupant quelque 45 millions d'habitants au début du – XXIe siècle est centrée sur l'agglomération new-yorkaise. Surnommé Boswash, puisqu'elle s'étend de Boston à Washington, cet ensemble, qui inclut Philadelphie et Baltimore, est le poumon historique des États-Unis. Une deuxième mégalopole s'étend sur la rive sud des Grands Lacs, de Milwaukee à Buffalo et – englobe les agglomérations de Cleveland, Pittsburgh, Detroit et surtout Chicago, la troisième ville des États-Unis après New York et Los Angeles. Le poids de la mégalopole des Grands Lacs est surtout lié à l'histoire de l'industrie lourde qui a fortement marqué les paysages ; les villes des Grands Lacs sont celles qui, aujourd'hui, connaissent une décroissance en termes de population. C'est d'ailleurs souvent au profit de la troisième mégalopole. 8 L'ensemble San-San, de San Diego à San Francisco, est en effet le plus dynamique. – Centrée sur l'aire métropolitaine de Los Angeles qui regroupe à elle seule 16,3 millions d'habitants, la mégalopole californienne s'organise autour de deux pôles majeurs : l'ensemble San Francisco-Oakland-San Jose au nord, et celui qui est formé par Los Angeles-San Diego au sud, qui se prolonge jusqu'à Tijuana, au Mexique. La recherche et les nouvelles technologies sont à l'origine du dynamisme des villes, encore accentué par l'activité des ports de Long Beach et d'Oakland. À l'échelon inférieur, d'autres groupes de villes tiennent également un rôle prépondérant dans la géographie urbaine des États-Unis : on peut ainsi distinguer l'ensemble Dallas-Houston-La Nouvelle-Orléans, reposant tout particulièrement sur l'industrie pétrolière et sur ses ports d'exportation. Se détachent également le NordOuest et l'ensemble Seattle-Portland-Tacoma, versant sud d'un ensemble urbain plus large, incluant Vancouver et qui profite largement de ses industries aéronautiques et de ses échanges avec l'Asie. Enfin, le tourisme dynamise un dernier ensemble urbain formé par Miami-Tampa-Orlando-Jacksonville, dans le SudEst. Mis à part quelques très rares métropoles isolées (Denver, Atlanta), le réseau urbain aux États-Unis se polarise donc autour de quelques grandes régions urbaines où les agglomérations, proches les unes des autres, finissent par relier leur banlieue et former des cordons d'urbanisation de plusieurs centaines de kilomètres. Ailleurs, et donc sur la plus grande partie du territoire, c'est la petite ville qui domine, accrochée à sa gare et à son échangeur autoroutier, ville étape entre ces mégacités périphériques. Des villes à la mesure du territoire Édifiée très rapidement et à partir de rien, la ville américaine offre aujourd'hui des paysages très caractéristiques. Conçue à l'origine comme un bastion contre les Indiens et contre un milieu inconnu – à l'image de Boston, embusquée sur sa presqu'île, ou de Saint Augustine derrière ses fortifications –, la ville américaine se libère de toute contrainte spatiale avec la pacification des territoires du Centre et de l'Ouest. Un premier modèle de développement urbain naît tout naturellement dans les premières colonies : c'est le village de Nouvelle-Angleterre, devenu un symbole national, avec son église blanche et ses maisons en bois groupées autour du common, terre de pâturage collectif. Ce modèle, correspondant alors à la culture de l'élite dominante des XVIIIe et XIXe siècles, s'étalera bien au-delà de sa région d'origine, jusqu'en Pennsylvanie et au Michigan. Un deuxième modèle d'urbanisation émerge de la colonisation des grandes plaines centrales et de la ruée vers l'Ouest. Désormais domine le paysage de la main street, la rue principale commerçante orientée vers l'ouest, alignant ses maisons à corniche et centrée sur la gare, l'église et la chambre de commerce. Né dans le Midwest, ce modèle de paysage urbain voyage avec le train et marque toutes les villes, jusque dans les vallées reculées des Rocheuses. L'industrialisation et l'électrification des rues permettant le passage du tramway entraînent alors une première révolution d'échelle et une séparation entre les quartiers d'habitat et les quartiers de production et d'entreposage situés près de la rivière et de la gare. Un troisième modèle émerge au XXe siècle, avec la popularisation de la voiture qui crée son propre paysage : c'est le modèle californien de la banlieue, la suburbia, paysage le plus répandu de la ville américaine actuelle et qui bouleverse l'échelle du phénomène urbain. Bien que les premières banlieues soient apparues avec le tramway, c'est véritablement l'avènement de l'automobile qui impose ce modèle à l'ensemble des États-Unis. L'abandon progressif des formes urbaines plus anciennes qui en résulte est à l'origine de la crise urbaine de la seconde moitié du XXe siècle. La crise urbaine De multiples causes, qu'elles soient politiques, sociales ou économiques, sont à l'origine de la crise urbaine – qu'il faut comprendre comme la dévalorisation des centres-villes au profit des banlieues. Toutefois, l'avènement de l'automobile individuelle en est la cause principale, puisqu'elle a bousculé les habitudes des Américains qui ne fréquentent plus que très rarement le centre-ville, malgré certaines tentatives de reconquête plus ou moins réussies. Le rapport centre/périphérie est donc ici très particulier, et bien différent de celui qui prévaut dans les villes européennes. Le succès de l'automobile individuelle a en effet entraîné l'abandon des réseaux de tramway et facilité l'exurbanisation, tant de l'habitat que des activités économiques : dès les années 1950, la traditionnelle main street perd de sa substance au profit du mall – nom donné en Amérique du Nord aux centres commerciaux de 9 périphérie – et du strip, cette avenue bordée de commerces et de services, uniquement praticable en voiture et également l'apanage des banlieues. En outre, cette exurbanisation a été facilitée par les politiques fédérales, largement favorables à la construction d'autoroutes et à l'accession à la propriété, et ce malgré les premiers symptômes de crise dans les centres-villes. Il faut dire que les populations concernées par cette migration sont les plus nombreuses et les plus solvables, un électorat que les élus ne peuvent décevoir. Cette migration des populations a entraîné celle des activités économiques, trop à l'étroit dans un centre-ville où les taxes et les terrains sont de plus en plus chers en raison de la chute des ressources fiscales et des projets de revitalisation lancés par les élites locales. Enfin, il faut souligner les problèmes liés à la cohabitation des différents groupes ethniques. L'arrivée des populations afro-américaines en ville – conséquence de l'industrialisation des villes et de la mécanisation des campagnes dans les années 1920-1930 – entraîne une ségrégation socio-spatiale : les populations noires sont en effet écartées des nouvelles banlieues, notamment par les promoteurs, et investissent donc le centre-ville ; celui-ci devient le lieu d'installation privilégié des populations migrantes, qu'il s'agisse de migrations internes ou externes (Asiatiques et Latino-Américains notamment). À ces problèmes sociaux s'ajoute la difficulté des municipalités à coopérer entre elles. Aux États-Unis, l'indépendance des gouvernements locaux est quasi intouchable et la grande ville américaine est plus une addition qu'une association de communes. Des opérations de revitalisation ont toutefois été lancées dès les années 1970 pour enrayer le déclin des centres-villes, notamment par le secteur privé local et par le gouvernement fédéral. Cette requalification des quartiers centraux s'est traduite par la prolifération de tours de bureaux dans le quartier des affaires traditionnel, qui reste le premier lieu décisionnel de la ville, malgré la concurrence des edge-cities, miniquartiers des affaires installés en banlieue. Elle s'est également traduite par la mise en valeur touristique des vieux quartiers, notamment des quartiers portuaires, devenus des lieux de divertissement où prolifèrent musées, marinas et centres commerciaux. Toutefois, ces équipements, destinés à « gentryfier » les quartiers centraux, sont peu fréquentés par la population locale qui ne s'y sent pas forcément la bienvenue et qui est finalement peu concernée par le type de commerces offerts. Enfin, la nécessité d'imiter la « vraie ville » aboutit parfois à des résultats dont l'artificialité est de plus en plus critiquée. . Ainsi, la ville américaine est une agglomération de quartiers disparates, au sein de laquelle on peut toutefois distinguer trois grandes zones urbanisées : downtown, le centre de la ville ; l'inner city, qui l'entoure et l'englobe ; les suburbs, c'est-à-dire les banlieues. –Downtown est formé à la fois du centre historique, parfois « muséifié », du quartier commerçant de main street, qui a souvent le plus souffert de la désaffectation commerciale des centres, et du C.B.D. (central business district). S'il connaît une certaine animation aux heures de bureau, il se vide dès 17 heures, sauf dans quelques villes (New York, Boston) où il reste le lieu privilégié des divertissements. L' –inner city correspond également au centre-ville, mais à une échelle plus large, puisqu'il englobe les quartiers d'habitat apparus à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, avec les premières lignes de tramway. Souvent pauvres et délabrés, ce sont les quartiers que les populations blanches ont quittés en premier, au profit des communautés noires ou, plus récemment, d'autres origines (South Boston, Harlem ou Bronx à New York). Certains quartiers de cette couronne représentent toutefois les symboles d'un renouveau urbain, que ce soit par la présence d'une université ou d'un secteur ethnique touristique (Chinatown). C'est dans les – suburbs que vivent la grande majorité des Américains. Les maisons en bois aux couleurs pastel et entourées de jardins s'alignent sur des dizaines de kilomètres de plan quadrillé. La quasi-absence d'immeubles collectifs donne à la ville américaine ce paysage « bas » si caractéristique. Ces quartiers sont séparés les uns des autres par les highways qui les desservent, par les malls et edge-city, ces nouveaux lieux de centralité qui ponctuent la banlieue. C'est le lieu de vie des populations aisées, mais également des classes moyennes, qu'elles soient blanches, noires, ou plus récemment, asiatiques (Monterey Park à Los Angeles). Ainsi, la ville américaine apparaît très fragmentée : des quartiers qui se côtoient sans se connaître ; un inner city symbole à la fois de la modernité derrière ses tours de verre et de la décadence urbaine à proximité ; des banlieues au paysage homogène mais qui se mêlent peu, faute d'un centre commun. Telle est l'image de la ville américaine actuelle que les politiques urbaines tentent de réinventer, sans forcément s'en donner les moyens. 10 Les mythes liés au territoire Bien que les États-Unis soient un pays à population majoritairement urbaine, les Américains n'en sont pas moins attachés à la nature, qui a joué un rôle essentiel dans la formation de la nation et qui reste aujourd'hui très présente dans les paysages et dans la culture. Les premiers temps de la conquête ont constitué une lutte contre la nature, alors perçue comme un milieu hostile parce que inconnu. Pourtant, la conquête de l'Amérique s'apparente à l'affirmation de l'homme moderne, de l'homme-maître, notamment face à une nature à dompter. C'est tout particulièrement par le plan en damier (grid pattern) défini par Thomas Jefferson en 1785 et divisant le territoire en damiers réguliers (townships) pour assurer la conquête des nouveaux territoires de l'Ouest, que s'affirme cette volonté de maîtriser ces vastes espaces naturels. Toutefois, cette conquête s'accompagne dès le XIXe siècle d'une volonté de préserver la nature sauvage qui devient un élément fondamental de l'identité américaine, notamment par opposition à l'Europe. Le mouvement transcendantaliste, représenté par Ralph Waldo Emerson ou par Henry David Thoreau qui considérait la communion avec la nature comme un des fondements de la civilisation, joue en la matière un rôle de premier plan. Ses adeptes seront à l'origine à la fois de la création précoce des parcs nationaux (Yellowstone en 1872) et de grands parcs urbains, notamment sous l'impulsion de Frederick Law Olmsted, concepteur de nombreux parcs (Central Park à New York) ou systèmes de parcs (Boston). Ce rapport à la nature influence les formes urbaines des banlieues pavillonnaires du XXe siècle et, plus récemment, la rurbanisation des espaces boisés dans les régions les plus urbanisées du Nord-Est (gentleman farm belt). En outre – et par opposition à l'Europe –, c'est bien la nature sauvage et non la campagne que recherchent les Américains, une campagne qui, aux États-Unis, est avant tout perçue comme un lieu de production sans grand intérêt paysager. Avec l'exacerbation actuelle des problèmes environnementaux, cette préservation de la nature sauvage devient un des éléments de la frontier, ce mythe fondateur de la société américaine. La frontier dans son sens anglais ne désigne pas une limite, mais un front pionnier, une terre à conquérir. La frontier désigne donc à l'origine la conquête des terres de l'Ouest. L'historien Frederick Jackson Turner, dans The Frontier in American History, publié en 1893, la présente comme un des fondements de l'identité culturelle des ÉtatsUnis, dans le sens où c'est là, sur ces marges à conquérir, à « civiliser », que la nation américaine a appris la démocratie. Depuis lors, ce mythe de la frontier a été régulièment repris – John Kennedy y faisait allusion pour désigner son combat contre les inégalités sociales – pour souligner que la nation américaine est en marche et reste un défi à relever. C'est peut-être dans la conquête de l'espace ou, d'un point de vue plus terre à terre, dans la gestion des ressources naturelles, que se situe aujourd'hui la frontier... Du melting-pot au multiculturalisme : un peuple ou des peuples ? Des premiers Amérindiens aux Asiatiques d'aujourd'hui, les États-Unis sont nés de différentes vagues d'immigration originaires du monde entier. Les premiers pèlerins européens qui y trouvèrent refuge ont voulu construire une terre d'accueil pour tous les peuples opprimés. Ce mythe fondateur de la nation est bien réel : les États-Unis ont accueilli 60 millions d'immigrants depuis 1820, dont 18 millions de 1970 à 2000. Il ne fonctionne toutefois pas sans heurts, la cohabitation entre les groupes s'avérant parfois difficile (tabl. 3). Une géographie des groupes ethniques liée à l'histoire Les premiers peuples à s'installer en Amérique du Nord furent les Amérindiens, arrivés d'Asie il y a 30 000 ans par le détroit de Béring, alors gelé. Aucun groupe n'a connu, sur le territoire actuel des États-Unis, la prospérité des civilisations du Mexique central ; la proximité des foyers mexicains a pu cependant être à l'origine d'une plus grande maîtrise de l'agriculture chez les groupes du Sud, notamment chez les Natchez, qui habitaient le cours inférieur du Mississippi ou encore chez les Hopi d'Arizona. Toutefois, l'économie de cueillette et la chasse étaient à la base de l'existence de la plupart des groupes, que leur méconnaissance des techniques pour restaurer la fertilité du sol obligeait à migrer à la recherche de nouvelles terres. Ces migrations n'étaient pas sans créer des rivalités et des conflits entre les différents groupes. À partir du XVIe siècle, ces rivalités se sont trouvées largement exacerbées par l'arrivée de groupes européens, eux-mêmes rivaux, qui tentaient d'obtenir la collaboration des Amérindiens pour dominer le commerce des fourrures. Cette collaboration fut de courte durée : le désir de conquête des Européens, les maladies importées (variole, 11 choléra, rougeole, peste) contre lesquelles les Amérindiens n'étaient pas immunisés, l'alcool, les armes à feu eurent tôt fait de décimer les populations. L'extermination des bisons au XIXe siècle, destinée à forcer les Amérindiens à rejoindre les réserves fédérales, réduisit encore leur nombre : estimés à 1 million à l'arrivée des Européens, ils n'étaient plus que 250 000 en 1890. Ils sont environ 2 millions dans les années 2000, particulièrement présents dans les États du Sud-Ouest (Arizona, Nouveau-Mexique) et des plateaux centraux (Montana, les deux Dakota, Oklahoma). Avec 369 000 individus, les Cherokee sont les plus nombreux, suivis des Navajo (225 000) et des Sioux (107 000). Reconnus citoyens américains en 1924, les Amérindiens ont eu tendance à fuir les réserves, tout au long du XXe siècle, pour se diriger vers les grandes métropoles. Toutefois, l'affirmation et la reconnaissance des identités culturelles indiennes entraînent à partir des années 1980 un retour vers les réserves, retour favorisé par un développement économique ponctuel lié au tourisme (Terres navajo) et aux casinos ; cette manne financière permet l'installation d'équipements sur les réserves (universités, hôpitaux). Cette affirmation culturelle peut également être à l'origine du renouveau démographique actuel. Toutefois, les réserves indiennes restent parmi les espaces les plus pauvres des États-Unis : le taux de chômage peut atteindre 50 %, la mortalité infantile est encore très élevée, l'espérance de vie est la plus courte. Les populations blanches, d'origine européenne, sont les plus nombreuses, puisqu'elles représentent les trois quarts de la population totale. Les premiers groupes, Espagnols (Floride) et Français (vallée du SaintLaurent), sont suivis à partir du XVIe siècle par les Anglais (Nouvelle-Angleterre) qui deviendront rapidement majoritaires, puis par les Néerlandais (vallée de l'Hudson). Ces implantations européennes restent limitées à l'est des Appalaches jusqu'à la fin du XVIIIe siècle. Au XIXe siècle ont lieu les grandes vagues d'immigration européennes : Irlandais, Allemands, Anglais fourniront les effectifs les plus importants de 1840 à 1890, puis, jusqu'à 1930, Italiens, Européens de l'Est et du Centre, Canadiens français et Scandinaves domineront. De 1980 à 1990, l'immigration européenne ne représentait plus que 11 % des entrées et concernait surtout les populations d'Europe de l'Est (Yougoslavie, notamment) et la fuite des cerveaux, le brain-drain. Les descendants d'Européens dominent actuellement dans la plupart des États : descendants d'Allemands, de Scandinaves et d'Européens de l'Est dans les États du Nord, de la Pennsylvanie à l'État de Washington en passant par les Grands Lacs ; descendants de Britanniques en NouvelleAngleterre, dans les États du Centre et de l'Ouest. Les Européens sont minoritaires dans le Sud-Est, où la population noire est plus nombreuse, et dans le Sud-Ouest, du Texas à la Californie, à majorité hispanique. La population noire (12 % de la population nationale) est présente surtout dans le Sud-Est des États-Unis, où elle constitue plus de 50 % de la population dans certains comtés du Mississippi, de l'Alabama ou de la Georgie. L'économie de plantation fondée sur l'esclavage et des raisons de coût de transport pour les organisateurs de la traite expliquent cette concentration des populations afro-américaines à proximité des côtes de la Caraïbe et de l'Atlantique. L'industrialisation et la mécanisation des campagnes dans les années 1920-1930 provoquent la dispersion des populations noires sur le territoire, dispersion toute relative puisqu'elle concerne surtout les grandes métropoles, notamment celles du Nord-Est, et dans une moindre mesure de Californie. Les Hispaniques constituent aujourd'hui le plus fort contingent d'immigrés (41,8 millions) avec les Asiatiques. Ils pourraient représenter un cinquième de la population américaine en 2050, vu leur fécondité et l'ampleur des migrations. Il faut distinguer les hispanos – descendants des anciens colons, installés dans les États du Sud-Ouest avant leur annexion en 1848 – et les chicanos, arrivés depuis 1950. Ils sont logiquement plus présents à proximité des pays d'origine : Texas et Californie pour les Mexicains, qui représentent 63 % des immigrants hispaniques, Floride pour les Cubains (5 %), notamment à Miami, véritable plaque tournante pour les réfugiés politiques de Cuba, mais aussi de Haïti ou du Nicaragua. Cependant, les Portoricains (13 %) – citoyens américains puisque Porto Rico est un État associé – se concentrent plutôt dans les grandes villes, de la mégalopole du Nord-Est notamment. Avec 12,4 millions d'individus, les Asiatiques représentent 4 % de la population américaine en 2000 ; ils constituent néanmoins le deuxième flux après les immigrants d'Amérique latine, en augmentation de 170 % entre 1985 et 1995. Là encore, il faut distinguer deux grandes vagues d'immigration : au XIXe siècle, l'arrivée des coolies chinois pour la construction du chemin de fer dans l'Ouest, dont l'immigration s'apparente à une véritable traite, et, dans la seconde moitié du XXe siècle, une immigration d'origine plus diversifiée, chinoise, mais aussi philippine, japonaise, indienne, vietnamienne ou laotienne. Particulièrement présents à Hawaii où ils représentent 50 % de la population, ils sont également très nombreux dans les villes californiennes et dans la mégalopole du Nord-Est. 12 Cohabitation des groupes Bien que l'immigration soit un des fondements de la culture des États-Unis, elle n'en est pas moins à l'origine de nombreuses tensions au sein de la société et de tout aussi nombreuses questions sur l'identité américaine. Fille de la modernité, la nation américaine a longtemps été pensée comme l'espace de liberté par excellence, où doit s'épanouir un homme nouveau, quelles que soient son origine, sa religion, ses opinions, dès lors qu'il respecte la Constitution. L'idée du melting-pot, définie dans les années 1920, découle directement de cette conception des États-Unis : de la fusion de différents peuples et de différentes cultures doit naître une nouvelle race d'hommes. Toutefois, au début du XXe siècle, de nombreuses réactions xénophobes avaient déjà divisé la nation en formation : la question de l'esclavage des Noirs et la guerre de Sécession ou encore les discriminations contre les Chinois en Californie en attestent. Au sein même de la population blanche apparaissent également des discriminations, notamment sous l'impulsion des nativistes qui sont, dans les années 1920, à l'origine des quotas favorables à l'immigration anglo-saxonne et protestante (celle des W.A.S.P., White Anglo-Saxon Protestants) aux dépens des Européens de l'Est et du Sud, catholiques (Polonais et Italiens, alors très nombreux). Toutefois, le melting-pot, qui n'a finalement réussi qu'à fusionner les populations blanches, est remis en cause par les minorités non blanches. La Californie invente alors dans les années 1980 le Salad Bowl, qui insiste sur l'idée d'unité dans la diversité, avant que ne s'impose le multiculturalisme. Celui-ci met en avant la différence et prend comme fondement de l'identité nationale la présence de cultures et de groupes ethniques qui cohabitent, mais ne se mélangent pas forcément. Ceux-ci revendiquent leur culture particulière ou leur attachement à un pays d'origine. La lutte des Noirs contre la ségrégation pratiquée dans les États du Sud et leur combat pour les droits civiques ont donné le ton dès les années 1950. Les Hispaniques ont suivi avec le mouvement chicanos, qui revendique désormais l'enseignement en espagnol dans les collèges et les lycées, provoquant l'indignation des anglophones en Californie ; ceux-ci ont officialisé par un vote, en 1986, la langue anglaise dans cet État. Ces distinctions entre les groupes entraînent des tensions, notamment pour l'appropriation des territoires urbains, comme en attestent les heurts entre Noirs et Hispaniques dans Harlem à New York ou entre Noirs et Vietnamiens à Los Angeles. Ces tensions sont également attisées par les différences de réussite sociale entre les groupes. Ainsi, la communauté asiatique est-elle particulièrement diplômée, par opposition aux Hispaniques ou aux Noirs : 42,2 % des Asiatiques font des études supérieures, contre 10,3 % des Hispaniques, 13,3 % des Noirs et 24 % des Blancs. Enfin, il faut ajouter la question de la prédominance culturelle que pose l'évolution des différents groupes. Si les W.A.S.P. représentent encore aujourd'hui le groupe dominant, ils connaissent les taux de fécondité les plus bas et sont les premiers concernés par le vieillissement de la population. Au contraire, les minorités connaissent les taux de natalité les plus forts (autour de 20 ‰), assurant une bonne part de l'accroissement naturel national et d'une fécondité (deux enfants par femme) bien supérieure à celle du Japon ou de la plupart des pays d'Europe occidentale. Les États-Unis connaissent globalement une croissance démographique représentative des pays industrialisés, marquée par le vieillissement, malgré une natalité plus forte que dans les autres pays avancés – 14 ‰ en 2006 contre 10 ‰ en Europe occidentale et 9 ‰ au Japon. La mise en valeur du territoire L'agriculture L'adaptation de l'agriculture aux conditions climatiques a fait progressivement apparaître aux XIXe et XXe siècles de grandes régions spécialisées (les belts). Ainsi, et jusqu'aux décennies de 1970 et 1980, on distinguait : la Dairy Belt (produits laitiers), dans les régions fraîches et humides de la Nouvelle-Angleterre aux Grands Lacs ; la Corn Belt (maïs), plus au sud, de l'Ohio au Nebraska ; la Tobacco Belt (tabac) , dans le Centre-Est au climat déjà subtropical (Kentucky, Virginie) ; la Cotton Belt (coton), dans les États du SudEst ; la Wheat Belt (blé), dans les régions plus sèches des grandes plaines, du Texas au Kansas et aux deux Dakota. De manière globale, les productions des États du Sud étaient ainsi orientées vers l'exportation, tandis que celles du Nord et de l'Est s'écoulaient principalement sur le marché intérieur. 13 Si aujourd'hui ces belts sont encore le reflet d'une réalité, les progrès intervenus tant en matière de technique agricole que de génétique, la mondialisation, l'évolution des goûts des consommateurs ont amené une diversification des productions de chaque région et une émergence de nouveaux espaces agricoles, notamment la Californie qui passait inaperçue dans la division par belt, alors qu'elle est aujourd'hui l'une des premières régions agricoles du pays. Globalement, on peut noter une diversification des différentes zones agricoles, au profit notamment du Sud. Recherche et mondialisation : les facteurs du changement Les progrès réalisés dans les techniques de mise en valeur agricole sont largement responsables des bouleversements de la géographie de l'agriculture, et notamment de sa subtropicalisation, c'est-à-dire du poids grandissant des régions au climat subtropical dans la production. Tout d'abord, l'irrigation a permis de mettre en valeur des régions longtemps arides et peu fertiles : vallées californiennes, Texas ou encore les oasis de l'Arizona et du Nouveau-Mexique où s'épanouit notamment la culture du coton. C'est également l'irrigation qui a permis l'installation des feedlots, ces vastes exploitations d'élevage bovin qui peuvent compter jusqu'à 100 000 bêtes, dans les régions de contact entre les hautes terres de l'Ouest et les zones céréalières (Nebraska, Kansas, Texas). Les recherches en génétique ont également favorisé l'implantation ou l'extension de certaines activités agricoles, notamment la culture du maïs qui, grâce aux variétés hybrides plus résistantes, a pu s'étendre audelà de la Corn Belt. Notons également le développement du soja qui, par ses qualités protéiniques, a révolutionné l'alimentation du bétail et s'est largement répandu depuis les Grands Lacs jusqu'aux États du Sud. Concernant l'élevage, l'insémination a facilité la diffusion des races les plus productives, notamment les holstein, la race bovine la plus répandue aux États-Unis. Ces applications de la génétique se sont trouvées au centre des débats sur les O.G.M. (organismes génétiquement modifiés), qui opposent entre autres les ÉtatsUnis et l'Union européenne, plus réservée sur la question au nom du principe de précaution. Ajoutons que l'informatique et les progrès dans le monde de la communication en général, s'ils ont eu peu d'impacts géographiques, ont permis d'optimiser l'agriculture. Celle-ci est de plus en plus intégrée à la recherche, à laquelle participent l'État fédéral, les firmes agrochimiques (Dupont de Nemours, Union Carbide, plus récemment Monsanto pour les O.G.M.) et les universités. Ces facteurs permettent donc une diversification des productions agricoles et entraînent parallèlement une concentration de l'activité sur les zones les plus productives. Cette double évolution de diversification et de concentration est favorisée par le phénomène de mondialisation et l'affirmation, à l'échelle de la planète, de grands groupes agro-industriels (Cargill pour le blé, Smithfield Foods pour la viande de porc). Ces groupes se sont installés en priorité là où l'exploitation familiale traditionnelle n'existait pas ; ils ont ainsi participé à l'émergence de nouvelles régions, aujourd'hui marquées par l'agriculture capitaliste : Californie, Floride, Texas et plus largement les États du Sud. Les productions d'arachides en Georgie et en Alabama, d'agrumes en Floride ou de riz dans le delta du Mississippi en sont des illustrations. Toutefois, les performances en matière de production ont également entraîné la concentration de la production agricole sur un nombre restreint d'exploitations, tandis que leur surface moyenne augmentait. Ainsi, au début des années 1990, sur 2,3 millions d'exploitations, 700 000 assuraient à elles seules les quatre cinquièmes des ventes de produits agricoles. Des zones de déprise agricole apparaissent donc progressivement dans les dernières décennies du XXe siècle dans les régions les moins productives, se traduisant par l'augmentation des surfaces boisées, notamment en Nouvelle-Angleterre, et par le retour à la prairie dans certaines régions de l'Ouest. Dans le Sud, en revanche, la sylviculture a pris possession de nombreuses terres abandonnées par l'agriculture, notamment pour l'exploitation des pins destinée à la production de papier. L'évolution des goûts des consommateurs a également provoqué des transformations dans la géographie des productions. Les dernières décennies du XXe siècle sont marquées par un engouement pour les fruits et légumes frais, favorisant le phénomène de subtropicalisation et la multiplication des zones maraîchères à proximité des régions les plus urbanisées, dans le Maine, le Maryland ou le Delaware, régions du truck farming, le transport des produits se faisant par camions. Parallèlement, la consommation de viande rouge a baissé au profit de celle des viandes blanches et du poisson : l'aviculture s'est ainsi largement développée dans les États du Sud-Est (Arkansas, Floride, Alabama), tandis que la pisciculture industrielle, notamment celle du poisson-chat, est très active dans les bayous du delta du Mississippi. Enfin, les graisses animales ont 14 été délaissées au profit des graisses végétales, favorisant l'essor du maïs ou du soja aux dépens des productions laitières. Les grandes régions agricoles Dans la seconde moitié du XXe siècle, la géographie agricole des États-Unis s'est transformée rapidement et en profondeur, et les traditionnelles belts, parfois, n'existent plus qu'à l'état résiduel. Est ainsi apparue une « Sun Belt agricole », de la Californie au Vieux Sud en passant par les États de la frontière mexicaine et du golfe du Mexique. Cette ceinture intègre en effet les régions agricoles les plus dynamiques, marquées par l'agrobusiness, l'échelle essentiellement nationale du marché, la complémentarité saisonnière des productions et le recours à la main-d'œuvre temporaire (les braceros mexicains). Elle n'est toutefois pas homogène comme pouvaient l'être les anciennes belts et s'y côtoient les zones de très forte production et les zones de déprise. Parmi les régions les plus dynamiques, on peut distinguer la Californie (vallées irriguées, vergers, vignobles de la vallée de la Napa), dont l'agriculture a connu la plus forte croissance depuis 1950 et qui est, depuis 1997, le premier État laitier grâce aux méthodes de production hors sol. Plus à l'est, le coton assure l'essor des vallées irriguées d'Arizona et du Nouveau-Mexique, mais également du Texas, de plus en plus présent dans l'agriculture américaine grâce au riz, au sorgho, mais surtout grâce à l'élevage bovin d'embouche organisé en feedlots. Au-delà, certaines régions de l'ancienne Cotton Belt opèrent une diversification réussie, après la migration des cultures cotonnières vers l'ouest : en Louisiane et dans les autres États du golfe, notamment grâce au riz, aux cultures tropicales (agrumes, fruits, légumes) et à la pisciculture dans la région du delta, mais également au coton qui persiste dans la vallée du Mississippi. L'aviculture et les arachides ont assuré la diversification du Vieux Sud atlantique, tandis que la Floride s'imposait sur le marché des agrumes et des fruits tropicaux, notamment pour la fabrication des jus de fruits. On peut intégrer à cet ensemble le Nord-Ouest (Washington, Oregon, Idaho) et ses productions de blé, fruits et pommes de terre. De cette Sun Belt agricole qui a connu les plus profondes transformations, se distinguent les anciennes belts qui ont évolué plutôt vers une complémentarité des productions. Le pays des farmers, caractérisé par l'exploitation familiale, l'encadrement des coopératives et l'échelle internationale des marchés, est le plus dépendant vis-à-vis des politiques agricoles de l'État fédéral. Les – Wheat Belts, du Nord (blé de printemps) et du Sud (blé d'hiver), ont connu peu de transformations, même si l'on y observe une certaine diversification (légumes de plein champ, tournesol, lin, orge de brasserie). La – Dairy Belt est marquée par la récession spatiale liée à l'abandon des terres les plus septentrionales, à saison végétative trop courte. Elle reste toutefois la première région laitière du pays (Pennsylvanie, Minnesota pour le fromage, États de Nouvelle-Angleterre), bien que le Wisconsin, premier État laitier traditionnel, ait été détrôné par la Californie. La Dairy Belt connaît néanmoins une diversification, due notamment à la baisse de la consommation des graisses animales au profit des graisses végétales : soja et maïs se répandent donc sur ces terres des Grands Lacs. La – Corn Belt – devenue Corn and Soy Belt dès lors que le soja a été perçu comme la plante miracle pour l'engraissement des bœufs et des porcs – s'est en effet largement répandue vers les Grands Lacs, mais également vers le sud, en parallèle avec d'autres cultures comme la luzerne. Toutefois, l'élevage bovin tend à régresser dans le Nord depuis que les feedlots ont remis en cause les méthodes artisanales d'engraissement. La région reste dominante pour l'élevage porcin. À côté de ces deux grands ensembles d'agriculture intensive, coexistent des espaces où l'agriculture joue un rôle plus marginal, notamment dans les régions montagneuses dominées par les surfaces boisées (monts Ozark, Appalaches) ; se distinguent également les Rocheuses, pour les mêmes raisons, mais également pour l'élevage extensif (ranching) des bovins dans le Nord, des ovins dans le Sud. L'agriculture américaine aujourd'hui Avec une surface agricole utile (S.A.U.) couvrant un cinquième du territoire, l'agriculture américaine se place au premier rang dans le monde, tant en termes de production (tabl. 4) que d'exportation ; elle participe ainsi à l'hégémonie du pays. C'est au Japon, dans l'Union européenne, au Canada, au Mexique et en Corée du Sud que s'écoulent principalement ses productions, dégageant une balance agricole presque toujours 15 excédentaire. Maïs, soja et viande bovine sont les points forts de cette agriculture, qui n'emploie plus que 1,9 % de la population active, mais 20 % si l'on prend en compte la filière agroalimentaire. Ce dynamisme ne peut cependant cacher les très fortes disparités entre une agriculture capitaliste qui génère de gros revenus (Californie, Texas, Floride) et tout un monde agricole qui ne bénéficie pas des évolutions technologiques et foncières : petits exploitants du Vieux Sud ou de Nouvelle-Angleterre, petits éleveurs de l'Ouest. À cela s'ajoute la dépendance de nombreux exploitants vis-à-vis de la politique agricole fédérale qui tente de gérer la surproduction par des aides à l'exportation, par l'instauration de bons alimentaires ou par le gel de certaines terres. Enfin, des problèmes environnementaux, notamment liés à l'irrigation, révèlent également les fragilités de la première agriculture mondiale. Une géographie industrielle en recomposition La géographie industrielle américaine est longtemps restée confinée au Nord-Est, de la mégalopole atlantique aux Grands Lacs. La présence des foyers de population, l'amélioration des couloirs de transport, la proximité des matières premières (houille, minerai de fer dans les Appalaches) et des possibilités portuaires sur l'Atlantique et sur les lacs se sont conjuguées pour favoriser l'industrialisation du Nord-Est qui est resté, de l'arrivée des premiers colons aux années 1950, l'unique foyer industriel des États-Unis. Le textile en Nouvelle-Angleterre, la métallurgie dans la vallée de l'Ohio (notamment à Pittsburgh), l'automobile dans la région des Grands Lacs (Detroit), l'industrie agroalimentaire et les minoteries dans le Midwest (Chicago, Minneapolis) ont ainsi dessiné la Manufacturing Belt vers laquelle le système fordiste a attiré un nombre croissant d'ouvriers jusqu'en 1960. Le reste du pays avait alors pour rôle de fournir ce grand Nord-Est, gourmand en matières premières et en énergie. Cette géographie industrielle a bien évolué depuis lors, et si l'industrie reste un secteur clé de la puissance économique américaine (tabl. 5), elle emploie une main-d'œuvre de moins en moins nombreuse. La crise dans les pays développés des industries textiles et sidérurgiques a tout d'abord affaibli l'industrie du NordEst, qui reposait principalement sur ces deux secteurs. Ensuite, la volonté du gouvernement fédéral de développer la côte ouest, notamment par de lourds investissements dans les industries d'armement, a provoqué une rapide expansion, de Seattle à San Diego en passant par la Silicon Valley, à proximité de San Francisco. Troisième facteur d'évolution, l'apparition de nouvelles productions (électronique, informatique) et donc de nouveaux modèles industriels : désormais, ce n'est plus la proximité des matières premières ou des bassins de main-d'œuvre nombreuse qui guide les localisations industrielles, mais plutôt les agréments (mer ou montagne, ensoleillement), la proximité d'une main-d'œuvre diplômée – et donc d'universités ou de centres de recherche – ou encore celle d'un nœud autoroutier ou d'un aéroport international. Les technopoles sont ainsi nées dans la Sun Belt, faisant surgir de nouvelles régions industrielles : la révolution informatique a propulsé la Californie sur la scène mondiale, notamment grâce à la multiplication des implantations dans la Silicon Valley (Apple, Intel, Hewlett Packard) ou encore dans le comté d'Orange, à Los Angeles. Le NordOuest s'est également rapidement développé à partir des années 1960 grâce aux industries aéronautiques (Boeing) et informatiques (Microsoft) à Seattle et plus récemment dans le parc d'activités de la Silicon Forest de Portland. Le Texas, poussé par les recherches de la N.A.S.A., a également profité de l'essor industriel du Sud, notamment à Houston, Dallas et plus récemment Austin et San Antonio. Enfin, Atlanta, forte de la présence du siège de Coca-Cola et surtout du géant de la communication C.N.N., s'est spécialisée dans les technologies de l'information, un dynamisme qui s'est répercuté sur le couloir Atlanta-Washington (Charlotte, Raleigh). La Floride bénéficie également de la recherche aérospatiale à Cape Canaveral. Ce boom économique a hissé au rang de métropole des villes qui, jusqu'au milieu du XXe siècle, étaient restées de moindre importance : Phoenix, Denver, Dallas, Atlanta... Le succès industriel du Sud a ainsi minimisé le poids du Nord-Est (qualifié de Rust Belt, ceinture de la rouille) dans la production industrielle, sans toutefois l'effacer. En effet, la reconversion des vieux secteurs et surtout le développement des industries de haute technologie ont rendu au Nord-Est son rôle historique de locomotive industrielle. Le textile, premier secteur à entrer en crise dès les années 1960, a opéré une reconversion et fait à nouveau des bénéfices. Toutefois, la production s'est délocalisée vers le sud (Vieux Sud, Californie), là où la maind'œuvre à bon marché (Noirs et Hispaniques notamment) est plus nombreuse et également moins syndiquée. Le secteur sidérurgique s'est également transformé : littoralisation de la production dans les années 1960 et plus récemment fusions des groupes (Bethleem Steel et Allegheny Teledyne), accords avec les concurrents 16 (Inland Steel et Nippon Steel), réduction des effectifs ont ensemble rééquilibré le secteur, toujours localisé à proximité du principal consommateur, l'industrie automobile des Grands Lacs. Celle-ci, largement dominée par les Big Three historiques (General Motors, Ford, Chrysler), reste en effet située principalement dans le Michigan (notamment à Detroit), puis dans l'Ohio (pour les voitures japonaises), le Kentucky et le Missouri. Enfin, les nouvelles technologies ont permis la reconversion d'anciennes régions industrielles. La NouvelleAngleterre a connu une véritable renaissance à partir des années 1960 : la route 128 qui ceinture Boston a vu l'implantation de nombreuses entreprises, notamment dans l'industrie pharmaceutique, attirées par la présence des universités prestigieuses de Harvard et du M.I.T. (Massachusetts Institute of Technology). Les industries nouvelles sont également bien implantées dans la mégalopole, notamment dans les banlieues de New York (Princeton Corridor) et de Washington (Biotech Valley). Les industries traditionnelles des Grands Lacs ont également attiré des activités nouvelles qui leur sont liées, notamment la robotique à Detroit. Enfin, le Nord-Est conserve largement le pouvoir sur la production industrielle. Si la Sun Belt a bénéficié d'une décentralisation de la production, elle reste souvent tributaire des centres de décision, concentrés dans la mégalopole du Nord-Est – notamment à Manhattan, lieu d'élection privilégié des sièges sociaux – puis à Chicago ; la Californie et le Texas ne viennent qu'ensuite. La géographie industrielle américaine a donc connu un élargissement quant aux lieux de production, mais le Nord-Est reste dominant. Toutefois, ces évolutions ont creusé des disparités au sein du territoire : à l'échelle des villes, d'une part, où les activités industrielles à bas salaires se concentrent dans l'Inner City (la confection, notamment) par opposition aux banlieues où s'installent les nouvelles industries ; à l'échelle de la nation, d'autre part, puisque les ateliers d'assemblage réclamant une main-d'œuvre nombreuse s'installent dans le Sud (maquiladoras), et notamment à la frontière mexicaine où des foyers industriels se développent dans les villes doubles (San Diego-Tijuana, Brownsville-Matamoros, El Paso-Ciudad Juarez). Énergie et transports, deux piliers de la puissance L'énergie La puissance industrielle des États-Unis repose sur des ressources énergétiques particulièrement abondantes et facilement exploitables. Le pays produit ainsi un cinquième de l'énergie mondiale et en consomme un quart. Le charbon est particulièrement abondant (30 % des ressources de la planète), notamment dans les mines à ciel ouvert du Wyoming et du Montana, mais également dans les Appalaches. La production (920 millions de tonnes en 1999) a doublé depuis les chocs pétroliers des années 1970 et est à l'origine de 57 % de l'électricité américaine en 1999, Peabody étant le premier producteur de charbon du pays. Toutefois, les centrales thermiques au charbon sont à l'origine de problèmes environnementaux, notamment les pluies acides dans le Nord-Est. La production pourrait donc baisser dans les premières décennies du XXIe siècle au profit du gaz naturel. Pétrole et gaz naturel sont également abondants, tout particulièrement dans l'ensemble Texas-LouisianeOklahoma, qui regroupe la plupart des puits (onshore et offshore), en Californie, et surtout en Alaska où se situent les plus grosses réserves. La production a toutefois tendance à stagner au profit d'importations moins coûteuses, notamment en provenance du Moyen-Orient. L'extraction offshore suppose en effet de lourds investissements pour les groupes qui dominent le secteur (Exxon-Mobil, B.P.-Amoco, Chevron). Des problèmes de coût d'exploitation se posent également en Alaska, notamment pour la construction d'un gazoduc vers les zones de consommation. Le raffinage est effectué principalement sur les lieux de production du golfe du Mexique (Houston, La Nouvelle-Orléans, Port Arthur) et sur les lieux de consommation de la mégalopole (vallée du Delaware), des Grands Lacs (Chicago) et de Californie. Ces lieux de consommation dépendent toutefois des nombreux oléoducs provenant du golfe du Mexique. De grands aménagements ont fait progresser la part de l'hydroélectricité. Le succès de la Tennessee Valley Authority dans les années 1930 a poussé les gouvernements à multiplier les barrages hydrauliques, notamment dans les nouvelles régions industrielles : vallée du Colorado dans le Sud-Ouest, vallée de la Snake et de la Columbia dans le Nord-Ouest. Enfin, le nucléaire, surtout présent dans l'Est, a tendance à être abandonné, en raison des dangers qu'il représente, mais aussi face aux exigences des compagnies d'assurance et du gouvernement fédéral en termes de sécurité. Pourtant, les énergies nouvelles (éoliennes notamment) restent faibles (1 % de la production d'électricité). 17 Les transports Fondement de la conquête du territoire, les infrastructures de transports sont particulièrement performantes, notamment en ce qui concerne la route. Elles sont concentrées sur les périphéries, par opposition à un intérieur peu maillé, et relient les points nodaux principaux que sont New York, Chicago, Los Angeles et les ports du golfe du Mexique (Houston, La Nouvelle-Orléans). Dans un contexte de pétrole bon marché, c'est la route qui domine le monde des transports aux États-Unis, la voiture et le camion restant les outils les plus adaptés à la desserte de cet immense territoire dominé par une urbanisation lâche. Toutefois, les deux dernières décennies du XXe siècle ont été marquées par une diversification accrue des modes de transport. Le transport routier est de loin le plus important dans ce pays de l'automobile, pour le transport de passagers (86 % du total en 2000), mais également pour le transport de marchandises (79 % des recettes totales du transport). C'est notamment le Federal Highway Program qui a permis, de 1955 à 1967, la construction de 70 000 kilomètres d'autoroutes, le réseau le plus important du monde. Toutefois, la concurrence du chemin de fer dans le transport de marchandises, et notamment de conteneurs, entraîne une stagnation des transports routiers au tournant du XXe siècle. Le chemin de fer conserve un rôle fondamental pour le transport des marchandises (48,9 % du tonnage total en 2000). Il concerne surtout le transport en vrac des céréales et du charbon, et le transport des conteneurs : ceux-ci empruntent notamment les ponts terrestres reliant les ports de la côte est à ceux du Pacifique, liaison plus coûteuse mais plus rapide que le canal de Panama. Les politiques de déréglementation adoptées en 1984 sur les prix des transports ont permis le développement de l'intermodalité mer-fer et ont rendu sa compétitivité à la voie ferrée, malgré la concurrence du camion. La route est cependant à l'origine du déclin du chemin de fer dans le transport des passagers. Après ses heures de gloire, le train perd du terrain depuis les années 1950, et n'assure plus aujourd'hui qu'un trafic passagers négligeable (0,3 % du total en 2000), même si Amtrak, l'organisme public créé sous Nixon (en 1971) pour enrayer le déclin du chemin de fer, a ouvert en 2000 une ligne à grande vitesse (Acela) entre Boston et Washington, qui devrait se prolonger jusqu'en Floride. Mais le succès du train à grande vitesse reste à prouver aux États-Unis. Les voies navigables demeurent très actives, malgré un maillage là encore limité principalement dans le Nord-Est. Le canal Érié, ouvert en 1825, long de 584 kilomètres et reliant New York à Duluth par la vallée de la Mohawk et les Grands Lacs, est à l'origine du succès commercial du port de New York depuis le XIXe siècle. Il est doublé en 1959 par la voie du Saint-Laurent, que les glaces rendent toutefois difficilement praticable en hiver. L'Illinois Waterway permet, dès 1848, la liaison entre ce premier ensemble et les voies navigables du Mississippi et de ses affluents (Missouri, Arkansas, Ohio, Tennessee) vers les ports du golfe du Mexique. Ceux-ci sont eux-mêmes reliés au Nord-Est par l'Intracoastal Waterway qui permet le déplacement de lourdes barges le long de la côte atlantique à l'abri de l'océan. En 1997, 655 millions de tonnes de fret ont été transportées sur ce réseau, notamment sous la forme de convois poussés regroupant jusqu'à quarante barges. Charbon, pétrole, fer, produits agricoles représentent la plus grosse partie du tonnage. Ce réseau d'Inland Waterways s'appuie sur des infrastructures portuaires réparties dans trois régions principales : le Nord-Est (avec les ports de New York, troisième port mondial avec un trafic de 150 millions de tonnes et premier port des États-Unis, Philadelphie, Hampton Roads) ; la façade ouest du golfe du Mexique (La Nouvelle-Orléans, Houston, Corpus Christi) ; la côte pacifique, dominée par les ports californiens de Los Angeles, Long Beach, Oakland. L'essor du transport de conteneurs, combiné à l'émergence de l'Asie du Sud-Est dans la seconde moitié du XXe siècle, a largement favorisé les ports californiens de Long Beach et de Los Angeles, dont la part dans le commerce maritime ne cesse d'augmenter. La multiplication des échanges avec les pays d'Amérique latine soutient le développement des ports texans. L'aviation civile, précocement développée aux États-Unis en raison de la taille du territoire, prend la place de la route pour les distances supérieures à 500 kilomètres. Là encore, le secteur a été bouleversé par la déréglementation, en 1978, qui a notamment provoqué, à terme, la chute de grandes compagnies comme la Panam (en 1991), pionnière du transport aérien, la T.W.A. (en 2001) ou encore United Airlines (en 2002). La déréglementation a également entraîné la concentration de l'activité sur un nombre restreint de platesformes aéroportuaires, les hubs, où convergent et éclatent les flux principaux et secondaires d'une seule compagnie, facilitant les correspondances et accroissant la rentabilité. Ainsi, American Airlines s'installe à 18 Chicago, Delta Airlines à Atlanta, Northwest à Dallas... Parmi les dix premiers aéroports mondiaux en 2005, pour le trafic de passagers, cinq sont américains (Atlanta, Chicago, Los Angeles, Dallas, Las Vegas). Le transport de fret par avion-cargo reste marginal, puisqu'il représente 0,2 % du fret transporté ; il a toutefois doublé entre 1980 et 2000. Le tourisme : entre nature et culture Depuis les années 1950, l'engouement des Américains pour les loisirs et les voyages a provoqué un formidable essor du tourisme sur le territoire national. Les États-Unis sont aussi le deuxième pays du monde en termes de nombre de touristes accueillis, et, si la balance touristique reste négative, le tourisme représente tout de même la deuxième branche économique du pays. Soleil et plages font évidemment partie des critères de localisation des foyers touristiques ; mais les Américains sont également friands de nature sauvage et de féerie, le tout dans un cadre protégé. Ainsi, à côté des formes touristiques « classiques » sont apparus des concepts plus américains, notamment les parcs – nationaux ou à thème – qui attirent les foules et participent largement au succès du tourisme des États-Unis. Créés pour préserver les richesses naturelles de l'Ouest mises à mal par la colonisation, les parcs nationaux apparaissent dès 1872, avec la création du parc de Yellowstone. Quarante-sept autres parcs nationaux, gérés par le National Park System, ont été créés depuis lors, principalement dans les Rocheuses (Yosemite, Grand Canyon du Colorado ), mais également dans l'Est (Great Smoky Mountains dans les Appalaches, Everglades en Floride), et, pour les plus récents (1980), en Alaska. Ils représentent 300 000 kilomètres carrés de sites naturels et ont accueilli plus de 70 millions de visiteurs par an dans les années 1990. . Les parcs d'attraction, et tout particulièrement ceux de la firme Disney, sont également une des formes touristiques les plus en vogue aux États-Unis. Le concept repose sur la création d'un monde imaginaire destiné aux enfants et aux parents, et où règnent sécurité et moralité. Lancé en 1955 à Anaheim, dans la banlieue de Los Angeles, Disneyland s'implante ensuite en Floride, à Orlando (Disneyworld), et, plus récemment, au Japon (1983) et en France (1992). C'est le complexe d'Orlando, construit sur 11 200 hectares qui est aujourd'hui le plus vaste, avec ses trois parcs à thème reliés par des autoroutes, où travaillent 33 000 personnes. Il faut également mentionner le tourisme urbain qui connaît un développement important depuis les années 1970. La mise en valeur touristique a en effet été un outil pour revitaliser les centres-villes en déclin. La firme Rouse a joué un rôle important en inventant le concept de Festival Market Place, centre commercial ludique où il s'agit de vendre en amusant. Le succès de ce concept sur les vieux ports de Baltimore et de Boston a entraîné sa prolifération dans d'autres centres-villes des États-Unis. L'opération s'accompagne de l'ouverture de musées en tous genres et de la réhabilitation des quartiers anciens. On distingue ainsi trois grands foyers touristiques : Le Nord-Est, – particulièrement fréquenté par les touristes étrangers, attirés par New York, Washington et, dans une moindre mesure, Boston et Philadelphie. La région est surtout prisée pour le tourisme urbain, lié notamment à la présence des plus grands musées (Metropolitan, M.O.M.A., Guggenheim à New York, National Gallery of Art et Smithonian Institution à Washington) et des symboles de l'histoire nationale (Independence Park à Philadelphie, Lincoln Memorial et Washington Monument dans la capitale fédérale). La région – cour de récréation de la mégalopole – connaît également un important tourisme balnéaire (Cape Cod), nautique (Newport) et du jeu (Atlantic City). Le Sud-Ouest est la deuxième région – touristique. Le jeu y tient un rôle prépondérant, puisque Las Vegas est la première concentration hôtelière du pays. Toutefois, les plages, les sports nautiques génèrent également de nombreux flux, notamment vers la Californie du Sud. La proximité des grands parcs nationaux participe également au poids du foyer touristique californien, notamment à San Francisco. La Floride est un foyer bicéphale, formé par – le parc de Disneyworld à Orlando et par un chapelet de stations balnéaires s'étirant au Sud-Est de l'État (Miami-Fort Lauderdale) jusqu'à Key West. La région renforce encore son attractivité, dans les années 1990, avec l'essor des croisières. Miami est ainsi le premier port mondial de croisières et regroupe un tiers de la flotte destinée à cette activité. Le littoral sur le golfe du Mexique, dont la fréquentation touristique se concentre autour de Tampa et de Saint Petersburg, s'est lancé dans le tourisme de masse dans les années 1980 ; il accueille notamment une des trois Sun Cities, ces villes nouvelles uniquement peuplées de retraités (les deux autres se trouvent en Arizona et en Californie). 19 Enfin, des sites plus spécialisés et plus localisés sont également de grands foyers touristiques : Hawaii, pour le tourisme balnéaire, la région de Denver pour les sports d'hiver, La Nouvelle-Orléans pour ses bars à jazz... Les régions : une diversité culturelle Les conditions naturelles et l'histoire du peuplement ont favorisé l'émergence de grands ensembles géographiques culturels. Là encore, la dichotomie centre-périphérie joue un rôle essentiel. On peut ainsi opposer deux Amériques : d'une part, l'Amérique des pourtours, la plus peuplée, la plus puissante, une Amérique ouverte au monde, où la population n'est plus à majorité blanche d'origine européenne (l'Amérique arc-en-ciel) et, d'autre part, l'Amérique du centre, plus conservatrice, où les tensions entre les groupes sont plus « traditionnelles », une Amérique liée à la terre, plus introvertie, plus frileuse aussi vis-à-vis de l'étranger. Nord-Est et Californie : les deux centres de l'Amérique Le Nord-Est et la Californie sont les deux espaces culturels dominants, ceux qui s'imposent comme modèle, comme « centre », par opposition aux périphéries intérieures. Plutôt que concurrents, ils sont complémentaires, chacun garantissant la continuité d'une certaine Amérique, et notamment de deux de ses mythes fondamentaux : le pouvoir et l'innovation. L'Amérique de la maturité : mégalopole et Nouvelle-Angleterre Un premier ensemble régional se distingue autour de la mégalopole atlantique. Véritable cœur des ÉtatsUnis, il trouve sa cohérence dans le rôle qu'il a joué dans la formation de la nation et dans son histoire, notamment celle d'une Amérique essentiellement tournée vers l'Europe. Souvent qualifié de puritain en raison de l'austérité religieuse des premiers colons, le Nord-Est est aujourd'hui une des régions les plus libérales des États-Unis. Construite sous l'éthique protestante du travail et de la recherche du profit au service de Dieu, c'est l'Amérique du commerce, qui reste toutefois garante d'une continuité historique : on y célèbre les valeurs démocratiques des pères fondateurs et, plus globalement, les valeurs traditionnelles qui ont fait la nation ; on y préserve les traces du passé, qu'il s'agisse d'un patrimoine bâti, le plus souvent sur le modèle européen, ou d'un patrimoine humain, à l'image de la communauté amish qui conserve, en Pennsylvanie notamment, son mode de vie traditionnel. Lieu du pouvoir politique, économique et financier, c'est ici l'Amérique de la maturité, une Amérique ouverte, mais prudente, qui surveille son image, d'autant qu'elle se trouve aux premières loges de la scène internationale. Dominé par New York, l'ensemble de la mégalopole est le centre décisionnel des États-Unis depuis leur fondation. C'est à Washington que se concentre le pouvoir politique (Maison-Blanche, Capitole, Pentagone), tandis que New York tient les rênes de la finance internationale depuis le quartier de Wall Street, celles de la presse nationale (Time, Newsweek), et de la télévision (A.B.C., N.B.C., C.B.S.). Foyer intellectuel des États-Unis, la mégalopole concentre les universités parmi les plus prestigieuses (Yale, Princeton, M.I.T., Harvard) et les musées les plus riches. Au nord de la mégalopole, la Nouvelle-Angleterre préserve une certaine idée de l'Amérique, entre morale et nature, à l'ombre de sa capitale, Boston, bastion du pouvoir blanc ; ses paysages pastoraux, si chers aux Américains, sont devenus le symbole de l'Amérique mythique des pères fondateurs. L'Amérique « adolescente » : la Californie et ses annexes La Californie constitue le deuxième « centre » des États-Unis et souligne l'autre aspect de la personnalité de la nation américaine. Le mythe de la frontier reste vivace dans cette Amérique de l'utopie, du paradis terrestre possible, « au bout de la route », un mythe construit dès le XVIe siècle par les Espagnols, puis par l'épopée de la ruée vers l'or et, plus récemment, par les récits de John Steinbeck (Les Raisins de la colère, 1939) ou de Jack Kerouac (Sur la route, 1957). C'est en Californie, et tout particulièrement dans le quartier de Haight-Ashbury à San Francisco, que les beatniks puis les hippies cherchèrent l'espace propice à de nouvelles expériences spirituelles. Cette Amérique, que le cinéma a fait connaître dans le monde entier, se joue de l'histoire et de la réalité. Las Vegas, ville de la lumière et du jeu en plein désert du Nevada voisin, les décors des studios de cinéma (Universal Studios, M.G.M. à Los Angeles), le musée J. Paul Getty, 20 reconstitution d'une des plus fastueuses villas romaines d'Herculanum, sont en cela de purs produits de l'Amérique californienne. Cette Amérique excessive est à l'image de la nature qui l'entoure : la menace d'un tremblement de terre, en raison de la présence de la faille de San Andreas, explique peut-être cette culture de l'urgence. Cette Amérique qui fascine est un foyer majeur d'immigration et participe ainsi à l'émergence de l'Amérique arc-en-ciel des pourtours, que la population blanche a parfois tendance à quitter au profit de ses régions annexes. Ce modèle californien – dont l'emprise dépasse largement le cadre national – influence en effet les comportements culturels d'un grand Ouest, où il se décline différemment dans des sous-régions : les États du Nord-Ouest, Oregon et Washington, répondent ainsi à ce mythe pionnier, mais sur un registre mettant en avant l'écologie et le développement durable ; la ville de Portland est ainsi considérée comme un modèle de gestion urbaine. Ces orientations, qui révèlent une certaine humilité vis-à-vis de la nature, sont également perceptibles dans les États voisins du Montana, de l'Idaho et du Wyoming. En revanche, Nevada, Utah et Colorado sont plus directement liés au modèle californien : c'est en effet ici que de nombreux W.A.S.P. de la côte ouest viennent s'installer pour inventer de nouvelles communautés, une nouvelle frontier, loin des problèmes des grandes villes californiennes. L'Amérique du Centre Des Dakota à la Floride, l'Amérique du Centre est plus difficilement identifiable, parce qu'il y subsiste de très fortes disparités entre les sous-régions. Moins rayonnante à l'échelle du pays et à l'échelle internationale, elle puise néanmoins son identité dans la préservation d'une Amérique plus traditionnelle, moins exposée aux évolutions brutales que connaissent les deux « centres ». Même si la population blanche est parfois minoritaire, les tensions sociales restent liées aux relations séculaires entre Noirs et Blancs. Attachée à la terre pour des raisons historiques et économiques, c'est également l'Amérique mythique des immensités agricoles qui fait preuve d'un certain conservatisme, et sur laquelle la ville a un poids culturel moindre. Midwest et Grands Lacs Locomotive de l'industrie américaine pendant un siècle, la région des Grands Lacs a connu ses heures de gloire dans la première partie du XXe siècle, et notamment autour de Chicago, la capitale économique et intellectuelle de la région ; l'école de Chicago ne symbolisait-elle pas cette Amérique urbaine qui se libérait du joug de l'Europe ? La croissance de l'Ouest californien combinée à la crise des secteurs industriels traditionnels a effacé ce rayonnement de Chicago et plus largement des villes des Grands Lacs. Toutefois, celui-ci a contribué à forger une identité à cette grande région centrale, dont la population et la culture sont fortement marquées par les origines germaniques (Milwaukee) et scandinaves (Minneapolis-Saint Paul), une région riche et indépendante, notamment vis-à-vis de New York. Depuis les années 1980, l'ancienne Rust Belt se reconstruit une image, notamment en soulignant sa spécificité par rapport à la mégalopole atlantique, l'adaptation des compétences industrielles aux nécessités de l'environnement devenant un enjeu de premier plan. Chicago, qui contrôle les marchés agricoles des plaines, conserve une grande influence sur tout le Midwest. Le Sud C'est une des régions des États-Unis où les contrastes sont les plus marqués. Depuis les années 1970, l'effet Sun Belt, entraînant le développement économique, a transformé ce Vieux Sud qui reste toutefois très empreint de conservatisme. C'est dans ces États que sont les plus vivaces différentes formes de ségrégation, vis-à-vis des minorités quelles qu'elles soient. C'est également dans ces États de la Bible Belt que la religion est la plus présente. Battu par les partisans de l'Union pendant la guerre de Sécession, le Sud est longtemps resté sous la domination du Nord-Est. Le récent dynamisme économique reste limité au Sud atlantique (les deux Caroline, Georgie), par opposition aux États du Dixieland (Louisiane, Mississippi, Alabama) qui restent parmi les plus pauvres des États-Unis. Deux États du Sud, toutefois, se distinguent : la Floride et le Texas. La Floride constitue un cas particulier ; – elle est intégrée dans le domaine des Caraïbes, notamment par l'influence de Miami, où vit une communauté cubaine très importante. Elle se différencie également par une économie florissante, reposant principalement sur le tourisme, mais également sur l'aérospatiale (Cape Canaveral) et sur une croissance démographique bien plus importante que celle des États voisins. Elle est également très influencée par les échanges nationaux et internationaux qu'engendrent ses stations balnéaires, 21 ses parcs de loisirs d'Orlando et plus généralement ses résidences secondaires. Très fréquentée par les populations du nord-est du pays et par les Canadiens de l'Est, elle est une excroissance de la mégalopole atlantique. Le Texas et la frontière mexicaine. Le Texas – constitue également un cas particulier au sein du Sud : son histoire, marquée par une courte période d'indépendance au XIXe siècle, lui a laissé certains attributs d'une nation, une histoire que l'on brandit volontiers contre un fédéralisme parfois discuté. Sa population « texmex » et sa culture « cow-boy » liée à l'élevage et à la terre sont particulièrement conservatrices. Mais, parallèlement, le Texas s'est affirmé par un décollage économique foudroyant, dû à la découverte d'immenses richesses pétrolières, qui a fondé la puissance financière de ses villes, Dallas et Houston, et qui en fait le deuxième pôle de cette Amérique du Centre après Chicago. Forces économiques à l'échelle mondiale et cultures locales participent ainsi à la diversité de la nation américaine, une diversité toujours recomposée, à l'image des brassages de population qu'engendre ce « carrefour du monde »... · Laurent VERMEERSCH Bibliographie sélective · A. BAILLY, G. DOREL, J.-B. RACINE et al., États-Unis-Canada, Géographie universelle, BelinReclus, Paris, 1994 · J. BEAUJEU-GARNIER, Les États-Unis, t. I : Géographie physique, Sedes, Paris, 1975 · J. BETHEMONT & J.-M. BREUIL, Les États-Unis : une géographie thématique, Masson, 1995 ; Les États-Unis : une géographie régionale, ibid., 1996 · P. CLAVAL, La Conquête de l'espace américain, Flammarion, Paris, 1990 · G. DOREL, A. GAUTHIER & A. REYNAUD, Les États-Unis depuis 1945, Bréal, Paris, 1992 · J. GOTTMAN, L'Amérique, Paris, 1955 · C. GHORRA-GOBIN, Les États-Unis : espace, environnement, société, ville, Nathan, Paris, 1993 · M. GOUSSOT, Les États-Unis dans la nouvelle économie mondiale, Armand Colin, Paris, 2000 ; Les Grandes Villes américaines, ibid., 2000 · A. KASPI, Les États-Unis d'aujourd'hui : mal connus, mal compris, mal aimés, Plon, Paris, 1999 · P. LEMARCHAND dir., Atlas des États-Unis. Les paradoxes de la puissance, Atlande, Paris, 1998 · J. MAUDUY, Les États-Unis, Armand Colin, Paris, 1996 · J. H. PATTERSON, North America. A regional Geography, Londres, 1960 · J. REPS, La Ville américaine. Fondations et projets, Mardaga, Liège, 1981 · F. WEIL, Naissance de l'Amérique urbaine (1820-1920), Sedes, Paris, 1992. 8888888888888888888888888888 CANADA - Cadre naturel Article écrit par Pierre DANSEREAU, Henri ROUGIER Sans aucun doute, la première image que l'on a, lorsqu'on évoque le milieu canadien, est celle d'un climat rude : ce pays n'a-t-il pas été comparé à l'empire du froid ? Cependant, la rudesse bien connue des hivers longs aux températures si basses ne saurait faire oublier la légendaire douceur de l'indian summer ni l'agréable tiédeur des confins du Puget Sound. En outre, le relief est loin d'être un élément secondaire, même si c'est à grande échelle qu'il faut l'appréhender. I - Quatre ensembles du relief bien distincts À première vue, le relief canadien semble d'une étonnante simplicité ; on en arrive même à imaginer qu'il n'est que le prolongement nordique du triptyque étatsunien associant Appalaches, plaines centrales et 22 montagnes de l'Ouest. La réalité est différente, à deux titres : d'une part, si l'on retrouve bien les trois subdivisions précitées, force est de constater que leur présence au Canada est passablement modifiée ; d'autre part s'ajoute un quatrième élément qui singularise tout à fait le Canada par rapport à son voisin : le bouclier. À l'ouest, le système cordilléran est beaucoup plus resserré qu'aux États-Unis. Les montagnes Rocheuses, qui, contrairement à ce que l'on entend souvent, ne sont que l'axe des hauts sommets le plus à l'est, surgissent brutalement au-dessus des collines de piedmont (Foothills) et culminent à 3 954 mètres au mont Robson. Formées par une succession d'écailles développées dans des sédiments secondaires alternativement durs et tendres, ces montagnes se prêtent à une morphologie structurale exemplaire autant qu'élémentaire tant la nature et la disposition des couches sont faciles à percevoir dans le paysage : aux alentours du lac Spray, le profil transversal rappelle à s'y méprendre le toit à sheds d'une usine du XIXe siècle. Sur 1 700 mètres de hauteur, le millefeuille stratigraphique du mont Robson n'a d'égal que la paroi nord de l'Eiger. Et, à quelques kilomètres de Banff , la pyramide calcaire du mont Assiniboine vaut à ce dernier le surnom de Matterhorn of the Rockies tant on pourrait s'imaginer au pied du célébrissime Cervin ! Vers l'ouest, les montagnes Rocheuses s'interrompent tout aussi nettement qu'elles apparaissent au-dessus des Prairies : un long et profond sillon (Rocky Mountain Trench), au deuxième rang mondial après le rift estafricain pour la longueur et la continuité, sépare sans transition le bourrelet montagneux des hauts plateaux intérieurs. Ceux-là, moins élevés et un peu plus monotones, doivent l'aération de leur relief aux langues glaciaires dévalant des Rocheuses à l'ère quaternaire, qui ont achevé d'établir le réseau hydrographique du Fraser, contribuant ainsi à la mise en place des axes de communication contemporains. Plus à l'ouest, un nouveau bourrelet de hautes montagnes correspond au système des chaînes pacifiques. À lui les plus hautes altitudes puisque, dans l'angle sud-ouest du territoire du Yukon, aux confins de l'Alaska, le mont Logan (6 050 m) est le point culminant de tout le Canada. À lui également les paysages littoraux les plus spectaculaires qui voient la montagne dégringoler dans le Pacifique et l'océan pousser ses tentacules par des fjords aux parois vertigineuses (Squamish). Les ultimes chaînons côtiers, continus aux États-Unis, ne se manifestent plus que fragmentés, représentés par des îles (Vancouver) ou un archipel (Reine-Charlotte). Tant dans les Rocheuses que dans les chaînes pacifiques, la parure des glaciers illumine encore fortement la montagne, bien qu'elle ne soit qu'un pâle reflet des grandes glaciations du Quaternaire. Le glacier de Columbia dans les Rocheuses, avec ses sept langues s'écoulant à partir de la calotte centrale, illustre en miniature les vastes inlandsis qui ont enseveli à quatre reprises la quasi-totalité du sol canadien. Les Prairies, inscrites géologiquement entre le bouclier et le système montagneux occidental, sont assimilées aux plaines de l'intérieur. Immense corridor s'ouvrant vers l'océan Arctique grâce au bassin hydrographique du Mackenzie, ce monde de croupes et d'incommensurables étendues horizontales n'est interrompu dans sa monotonie que tout au sud par les Cypress Hills. Contrairement à ce que l'on imagine, la monotonie n'y existe pas partout, à condition de tenir compte, ici encore, des distances dont l'unité est la centaine de kilomètres. Imperceptible mais pourtant réel, un gigantesque glacis occupe la moitié de l'Alberta en direction des Rocheuses : c'est ce plan incliné qui vaut à Calgary d'être à plus de 1 000 mètres d'altitude. À l'est, une bonne partie du Manitoba est parcourue par un escarpement structural, permettant d'opposer « montagne » et « plaine » même si la dénivellation n'atteint que 50 mètres au maximum dans les environs de Baldur ou Notre-Dame-de-Lourdes. La platitude générale de Manitoba, associée à une forte épaisseur de sols argileux, entraîne une plus forte densité de lacs, dont certains de grande superficie (lac Winnipeg). Le bouclier, auquel l'usage associe le qualificatif de « canadien », est incontestablement l'aire la plus originale dans le relief du pays. Il s'agit du plus vaste ensemble géomorphologique que l'on connaisse au monde, sur une étendue voisine de la moitié du Canada. Recouvrant, schématiquement, une étendue quasi circulaire ayant pour centre la baie d'Hudson, il pèse par son ampleur et impressionne par la répétition des mêmes paysages sur des centaines de kilomètres. Formé de terrains précambriens, uniquement recouverts de quelques strates primaires au sud et à l'est de la baie de James, le bouclier apparaît déprimé en son centre et relevé sur ses marges, surtout à l'est et au sud où se rencontrent les « hautes terres » des Laurentides, du Labrador et de l'île de Baffin. L'image stéréotypée de l'immense et morne pénéplaine polie par les glaciers, criblée de lacs et uniformément recouverte par la forêt boréale s'observe avant tout dans le large demi-cercle allant du Grand Lac des Esclaves au Labrador. Le bouclier est un monde en soi, relativement austère et surtout très peu occupé par l'homme. Cependant, son apparente stérilité en surface est largement compensée par les richesses qu'il recèle en profondeur : on a ici la plus vaste réserve minérale de la planète. 23 Les basses terres laurentiennes et les « Maritimes » constituent le quatrième ensemble du relief du Canada. Se juxtaposent l'ample corridor du Saint-Laurent, d'orientation sud-ouest-nord-est où le remblaiement alluvial et le développement de terrasses fluvio-glaciaires garantissent de bons sols que concrétise l'essor de l'agriculture, et, plus à l'est, de Terre-Neuve au sud du Nouveau-Brunswick, la portion extrême du système montagneux appalachien, dont les formes morphologiques sont passablement émoussées du fait de l'abrasion glaciaire quaternaire. Le littoral combine fjords et plaines de niveau de base, ces dernières trouvant leur expression la plus nette dans la baie de Fundy, où le marnage est le plus élevé que l'on puisse rencontrer sur terre (18 m). Globalement simple dans ses aspects autant que dans le partage de son espace, le relief canadien est considérablement marqué par le rôle de la glace et de l'eau. Au point que ces deux éléments finissent par être autant représentatifs du pays que la légendaire feuille d'érable rougie par les premières manifestations de l'automne... Les lacs occupent 7,5 % du territoire fédéral, c'est-à-dire une fois et demie la superficie de la France. Dans les seuls Territoires du Nord-Ouest, leur part dans la surface totale est supérieure à un tiers. Les bassinsversants des grands fleuves sont également évocateurs d'une démesure incontestable : 3 583 265 kilomètres carrés pour celui des fleuves tributaires de l'Arctique. À l'eau, omniprésente, s'ajoute la glace. Elle recouvre une petite partie des hauts reliefs de l'Ouest, mais elle caractérise bien davantage les espaces nordiques sous forme de banquise, transformant les étendues marines en surfaces assimilables à des continents durant au moins neuf mois par an. Elle matérialise à la perfection le froid qui définit la majeure partie du Canada, dont le climat est moins uniforme qu'on imagine, lui aussi. II - Le climat et ses nuances Blizzard, froid, neige... une trilogie souvent mentionnée à propos du climat canadien. Pourtant, il serait erroné de penser que d'autres paramètres n'existent pas ; en outre, comment croire, que, sur un si grand espace, on n'ait qu'un climat et non pas des climats ? L'extension en latitude comme en longitude, la présence à grande échelle d'ensembles topographiques distincts engendrent forcément une série de nuances et de contrastes. Trois influences majeures déterminent les données du climat canadien : l'air arctique, continental durant l'hiver, maritime pendant l'été, est générateur de froid, et sa pénétration sur la majeure partie du pays est d'autant plus facile qu'aucun obstacle, à l'est des Rocheuses, n'entrave son cheminement vers le sud. On lui doit les températures les plus basses jamais enregistrées à des latitudes tempérées (− 63 0C en 1947) en même temps que les vents violents occasionnant les « poudreries », équivalent glacé des tempêtes de sable sahariennes. À l'opposé, il n'est pas rare en été de voir l'air tropical remonter vers le nord, envahir le Québec, l'Ontario et la majorité des provinces des Prairies. D'où une ambiance étouffante, humide à proximité des lacs les plus vastes et, localement, des températures avoisinant 40 0C avec une hygrométrie de 80 % (sud de l'Ontario, à la fin d'août 1985). La troisième influence climatique essentielle provient des océans et se manifeste sur chaque rivage de manière différente. Alors que, sur le rivage du Pacifique, on est en présence d'une douceur assez marquée des masses d'air venant buter contre les montagnes qui font écran, une plus grande fraîcheur caractérise les littoraux de l'Atlantique, générée par le courant marin froid du Labrador. À l'ouest, c'est donc le climat agréable des alentours du delta du Fraser et de l'île de Vancouver , qui vaut à la région de ne pratiquement jamais connaître de chutes de neige en plaine ; sur l'Atlantique, dans les provinces maritimes et le corridor laurentien, c'est au contraire le « Canada des neiges », avec une hauteur cumulée annuelle de 2 mètres en moyenne, mais surtout des chutes d'une ampleur exceptionnelle (à Moncton, Nouveau-Brunswick, il est tombé 1,61 m en vingt-quatre heures à la fin d'avril 1992). Continentalité des provinces des Prairies, ambiance humide et douce du sud-ouest de la Colombie britannique, abondance de la neige et humidité en toute saison dans les « Maritimes » semblent personnaliser le climat des grands ensembles régionaux, à l'exclusion du Nord, à qui l'on consacrera une place spécifique. 24 Néanmoins, au-delà de ces traits généraux surgissent des nuances à une échelle plus réduite, que l'on ne peut évoquer ici que par un petit nombre d'exemples significatifs. Au cœur des montagnes de la Colombie britannique, la vallée de l'Okanagan est caractérisée par un déficit hydrique très accentué du fait de la continentalité : à Penticton, la ville principale, les précipitations annuelles se réduisent à 296 millimètres, et le nombre de jours avec gelée descend à 143, ce qui représente une diminution respective de quatre cinquièmes et de 30 % par rapport au littoral pacifique à la même latitude. De l'autre côté du système montagneux, à cheval entre les provinces de l'Alberta et de la Saskatchewan, le Dry Belt est un espace franchement aride, avec des totaux pluviométriques annuels semblables à ceux de l'Okanagan mais qui trouvent une compensation dans un moindre nombre de jours de gel que partout ailleurs dans les provinces des Prairies. Enfin, tout à l'est du pays, en Nouvelle-Écosse, les vallées d'Annapolis et de Cornwallis associent douceur relative et humidité abondante et régulière pour favoriser la culture des pommiers et des pommes de terre, rappelant par leurs paysages bien des aspects de la Normandie. Cependant, ces nuances, qui affectent des régions ou des « pays » en les privilégiant à l'égard du reste du territoire fédéral, ne sauraient occulter de brusques changements de temps et des caprices météorologiques bien souvent préjudiciables pour l'agriculture. En fait, on ne doit jamais oublier que la latitude tempérée fraîche du Canada méridional et l'ouverture du territoire face aux immensités nordiques peuvent faire régner partout des conditions climatiques d'autant plus rudes que leur durée accroît la pénibilité des éléments à endurer. C'est ce qui explique que, parmi les quatre points cardinaux, le nord surpasse les trois autres tant dans les manifestations physiques que dans la perception que l'on en ressent. III - Primauté du Nord dans la géographie canadienne S'il est une question qu'il faut bien se garder de poser, c'est de savoir où commence le Nord au Canada... Au poète québécois Pierre Morency, qui écrit à propos de sa province : « Le Nord n'est pas dans la boussole, il est ici », répond en écho le géographe Louis-Edmond Hamelin, qui pense que « le Nord est un état mental ». En fait, qu'elle soit idéalisée ou trop pessimiste, la vision que l'on a des espaces nordiques s'applique à une étendue qui correspond à tout ce qui n'est pas la zone peuplée jouxtant la frontière étatsunienne et qui peut se résumer à une trilogie associant au climat froid la prédominance du peuplement amérindien et une population spatialement très clairsemée. Dans les faits, le Nord est bien autre chose que le binôme territoire du Yukon-Territoires du Nord-Ouest et que les basses températeures aggravées par la longue nuit de l'hiver arctique. Contexte global aux aspects physiques, humains et économiques singuliers, le monde nordique, trop facilement assimilé à l'espace de l'Arctique, est avant tout une étendue sans arbre et, pour une part considérable, sans sol. Plus on monte en latitude, plus l'immensité glacée prend de l'ampleur, au point qu'il devient difficile d'apprécier les distances. Malgré tout, cela ne doit pas laisser croire que le relief est rigoureusement horizontal ! Dans ces vastitudes, où toute notion d'échelle semble inimaginable, une grande variété de paysages géomorphologiques s'offre au visiteur : montagnes englacées ou laissant apparaître une topographie de fjell sur l'île de Baffin, fjords au fond desquels les glaciers vêlent pour alimenter en icebergs l'océan dégelé ; dans les régions centrales, en apparence plates et monotones, la surface du bouclier est criblée de lacs que séparent de belles roches moutonnées ou que relient entre eux des rivières ponctuées de rapides. Aux modelés glaciaires contemporains ou hérités s'ajoutent les manifestations des processus morphogénétiques périglaciaires : en été, vus du ciel, les milliers de kilomètres carrés recouverts par la toundra apparaissent fréquemment sous la forme d'un carrelage savamment ajusté, tant les polygones qui la caractérisent ont des formes régulières. À même le sol, là où le permafrost cède la place à une mince épaisseur dégelée, foisonnent les thufurs (buttes gazonnées), tandis que dans le delta du Mackenzie se rencontrent les plus gros pingos que l'on connaisse au monde. Celui de Ibyuk Hill est haut de 40 mètres, et sa circonférence à la base dépasse 900 mètres. Dans les secteurs où la topographie est plus accidentée, les versants réglés peuvent être interrompus par des replats goletz alors qu'à leur base les effets de la solifluxion engendrent de remarquables coulées qui se traduisent par une surface bosselée. L'absence ou la maigreur du tapis végétal favorisent la 25 contemplation de paysages morphologiques dont le Nord est un authentique conservatoire ; pourtant, ce sont bien souvent les éléments du climat qui saisissent le visiteur lorsqu'il débarque en provenance du « Sud ». L'identification première du Nord, c'est le très bas niveau des températures hivernales que vient encore souligner leur durée, accentuée par l'impression pénible introduite par la nuit polaire. Cependant, une donnée moins connue réside dans le contraste marqué entre l'hiver et l'été. On peut être étonné par l'emploi du terme « été », mais l'expression de « climat sans été » pour décrire les hautes latitudes se révèle fausse à ceux qui ont parcouru le Nord en toutes saisons. Certes, il ne faut pas prêter à la durée du jour estival au-delà du cercle arctique plus de vertus qu'elle ne peut fournir. C'est elle néanmoins qui explique qu'à Aklavik la moyenne des températures de juillet se hisse à 13 0C, tandis que, à Holman Island sur l'île de Victoria, elle n'est plus que de 6,8 0C du fait de la latitude plus haute. Malgré tout, des confins de l'Alaska aux rivages orientaux vis-à-vis du Groenland, c'est l'hiver qui accapare l'essentiel de l'année. De Churchill à Iqaluit, de Dawson City à Cambridge Bay, c'est la même symphonie des températures très froides, des blizzards violents et durables et des faibles quantités de précipitations (136 mm/an à Resolute Bay). Ces totaux dérisoires sont, pour une part infime, le fait de pluies ; la plupart du temps, les précipitations se produisent sous forme de neige non pas floconneuse, mais granuleuse. Froid, sol gelé et toundra se combinent pour faire du domaine nordique des « terres stériles » (barren lands) ; toutefois, l'aire est bien trop vaste pour pouvoir présenter une grande homogénéité de situations. C'est la raison pour laquelle toute découverte du Nord, toute connaissance de la « chose nordique », doit s'appuyer sur la notion de nordicité. La nordicité est l'expression en un lieu donné d'une dizaine de critères, tant physiques qu'humains ou économiques, établis en Vapos (valeurs polaires). Plus le total est élevé, plus la nordicité est accentuée. Cette codification permet une appréhension progressive du fait nordique au fur et à mesure que l'on s'achemine vers les hautes latitudes. Parallèlement se distinguent plusieurs zones au sein du monde nordique. Schématiquement, on peut partager le Nord en trois ensembles : le Moyen Nord recouvre la partie septentrionale des provinces et – constitue une sorte d'espace de transition entre le Canada peuplé et le Canada plus ou moins vide d'hommes. Il empiète, au-delà du 60e degré de latitude sur les Territoires (Yukon et Territoires du Nord-Ouest, T.N.O.) et englobe le corridor du Mackenzie ; le – Grand Nord s'identifie globalement à la zone du climat arctique et aux aires dépourvues de végétation arborée. Existe donc une corrélation avec l'ensemble toundra et surfaces de roches à nu ; parallèlement, le Grand Nord inclut les rivages continentaux ou insulaires qui se trouvent libérés par les glaces marines en haute saison estivale ; enfin, l'Extrême Nord regroupe la grande majorité des îles – arctiques autour desquelles la banquise est pratiquement permanente. À l'évidence, la notion de Nord est plus complexe qu'il n'y paraît de prime abord. On ne peut donc calquer l'espace nordique sur le périmètre arctique puisque ce terme s'identifie à un parallèle au-delà duquel, vers le pôle, la durée du jour est de vingt-quatre heures au solstice d'été. Le cercle polaire n'influe pas sur les conditions climatiques, et l'aire du climat arctique déborde largement au sud (partie orientale de la baie d'Hudson, par exemple). L'imprécision apparaît en définitive grande pour définir et délimiter ce qu'est le Nord. Dans le contexte du Canada, il s'agit de savoir s'il existe un Nord provincial et un Nord territorien, et s'il faut considérer le Nord continental comme un prolongement septentrional des provinces. Dans cette perspective, les îles arctiques formeraient une entité distincte. Étant donné que, par de multiples aspects, de vastes étendues nordiques continentales sont absolument identiques à des secteurs entiers des îles, on ne saisit pas très bien pourquoi l'insularité pourrait prétendre constituer l'authenticité du milieu nordique. En définitive, c'est par ses paysages et ses genres de vie que le Nord se détermine sans doute le mieux. Assemblage de multiples types d'interrelations, entre espaces et sociétés, il déborde sur le bouclier autant que sur le système cordilléran. C'est pourquoi, par-delà un Nord moyen, grand ou extrême, existe un contexte global que l'on perçoit autant dans la nature que chez les populations. Vraisemblablement, le dénominateur commun n'est pas davantage géopolitique que climatique. Le Nord est en réalité une terre où il reste encore beaucoup à découvrir. En cela, il est typiquement canadien. Au sein de ces immensités dont on ne sait jamais exactement où elles débutent pas plus qu'on ne voit où elles s'achèvent, le milieu naturel joue un rôle de tout premier plan. On est frappé par la masse des contrastes qui se révèlent alors que l'on est plutôt préparé à un paysage fortement homogène. Ce fait prend une signification particulière au niveau des lacs autant que des littoraux. On suppose que rien, ou presque, ne différencie les lacs, si ce n'est la taille ; la réalité est tout autre même si le cas général associe aux plans d'eau 26 une parure fournie de forêt d'épinettes (épicéas). Dans les montagnes de l'Ouest, l'originalité de chaque lac est facile à admettre, du fait des différences de géomorphologie régionale ou de position géographique : au lac Maligne, qui s'apparente à un long fjord encadré de puissantes citadelles calcaires, peuvent s'opposer les lacs Peyto et Moraine qui combinent surcreusement glaciaire et barrage morainique ; alors que le lac Louise est dominé par d'imposantes parois qui rappellent le cirque de Gavarnie, le lac Bow est ourlé de cônes d'éboulis et d'avalanches qui accélèrent son comblement. Plus remarquables sont les variétés offertes par les lacs que l'on rencontre dans les autres ensembles physiques du Canada : la rive occidentale du lac Saint-Jean est calquée en partie sur la faille de Desbiens tandis que, de l'autre côté, les rivières Mistassini et Péribonka donnent au pays de Maria Chapdelaine un aspect plat à peine interrompu par quelques rapides qui débouchent sur le vaste plan d'eau. Dans l'immense Nord enfin, aucun lac ne ressemble à un autre : formes longilignes associées à des accidents tectoniques, cercles parfaits liés à la fonte tardive de culots de glace, contours tarabiscotés à quoi s'ajoute une incomparable échelle des dimensions, des lacs assimilables à des mares du Grand Lac des Esclaves qui est une authentique mer intérieure. Les littoraux sont également synonymes de contrastes : succession dense des fjords, parallèles comme seules les failles savent l'être au nord de l'Ungava, minuscules criques du rivage néo-écossais, au fond desquelles se nichent d'idylliques petits ports (Peggy's Cove), longues plages sableuses et caillouteuses, mais sans baigneurs, des îles de l'Arctique (Starvation Cove, île Victoria). Au total, le Canada est un véritable kaléidoscope en ce qui concerne les paysages naturels. Frappante est l'opposition que l'on perçoit entre l'espace utile et l'espace utilisé. Schématiquement, l'impression prévaut que ce sous-continent se partage inéquitablement entre une mince frange méridionale et tout le reste. Tout se passerait comme si cette disproportion visait à séparer un heartland sudiste et un incommensurable hinterland nordiste. La réalité n'est pas conforme à cette image, car il n'y a pas opposition mais très forte complémentarité entre ces deux parties du pays. S'il est vrai que le Sud rassemble population, villes, activités économiques (ce qui d'ailleurs n'apparaît pas sous forme continue de l'est à l'ouest), le « Nord » est loin d'être aussi vide et inutile qu'il le semble. Le bouclier nous en fournit la preuve : à sa surface assez monotone de lacs, de roches moutonnées, de toundra s'opposent des profondeurs qui sont autant de gisements minéraux aux réserves impressionnantes. Les sept mines d'or autour de Yellowknife ont une réserve d'extraction qui dépasse deux siècles ; au rythme actuel d'exploitation, le gisement pétrolier de Norman Wells possède cent-vingt ans d'existence devant lui. Que dire enfin de cette immense forêt hudsonienne, bien mal entretenue par rapport aux forêts domaniales françaises, mais dont la réserve ligneuse dépasse un millénaire si l'abattage se poursuit à la cadence actuelle ? Espace utile, espace utilisé et espace en réserve agissent en sorte au Canada que les apparences sont particulièrement trompeuses. Errent ceux qui croient qu'au-delà de quelques degrés de latitude vers le nord tout s'arrête ; en réalité, tout se poursuit, mais autrement ! Richement doté par sa nature en dépit de conditions naturelles que l'on peut considérer comme inhospitalières, le Canada, terre de grandeur, est également une terre d'espérance. Pays neuf, où l'on a parfois une impression d'inachèvement, c'est aussi un remarquable champ d'expériences, un fantastique laboratoire pour le géographe qui y voit et qui y vit comment les hommes, venus d'ailleurs, peuvent aménager l'espace et y façonner un paysage que très tôt certaines composantes ont permis d'immortaliser. · Henri ROUGIER IV - Forêts et prairies La forêt boréale (souvent appelée « forêt canadienne ») constitue la végétation typique du pays, dont elle reflète la devise : « A mari usque ad mare ». Haute et dense, elle est dominée par les épinettes (Picea) et les sapins (Abies), sous lesquels poussent peu de plantes ligneuses – quelques sorbiers, cornouillers, vergnes, bleuets (airelles) –, des plantes herbacées en touffes dispersées et un tapis continu de mousses (Hypnum, Pleurozium, Hylocomium). Les bassins fermés constituent des tourbières. Ce paysage constitue le « muskeg ». Plus au nord, dans la zone subarctique, les tourbières occupent un espace de plus en plus vaste. Sur les terres bien drainées, les arbres forment plutôt un parc ou une savane, qui contraste avec la forêt boréale. Les épinettes, sapins et pins gris sont isolés ou forment des médaillons ou des bosquets entre lesquels un fourré bas et de larges plaques de lichens occupent les espaces bien dégagés. 27 L'orignal (élan d'Amérique), le castor, le lynx, l'ours noir, l'écureuil roux, la « bête-puante », le siffleux (marmotte), le geai du Canada sont des animaux typiques de la forêt boréale. Ce sont le caribou, le carcajou, le loup , le lagopède qui caractérisent la savane subarctique. Dans les deux zones, les insectes pullulent, les moustiques notamment. La toundra Les limites souvent indécises du subarctique et de la toundra sont marquées par la baisse concomitante des températures et des précipitations, la continuité et la profondeur du pergélisol qui rendent impossible la croissance des arbres, bien que plusieurs espèces y persistent à l'état rabougri. Au-delà du timberline, on rencontre des espèces naines ou rampantes de bouleaux, de saules, d'Ericacées ; des tapis de camarine et des coussins de silène acaule, de Diapensia. Cette toundra, parfois assez dense, se réfugie souvent dans les interstices du felsenmeer, découpé par l'érosion en vastes dalles tapissées de lichens et bordées de mousses. Ailleurs, lorsque le drainage est déficient, c'est plutôt une pelouse rase de laîches, de rouches et de joncs qui prédomine. La toundra est le domaine du bœuf musqué, du caribou arctique, de l'ours polaire , et dans les mers vivent de vastes troupeaux de phoques ; les lemmings, minuscules rongeurs, sont la nourriture de l'hermine, du renard arctique et même du loup (qui préfère le caribou). Le cas des oiseaux est plus remarquable : outre les populations résidentes de manchots (exterminés au XIXe siècle) et de lagopèdes, des millions de canards et d'oies viennent se reproduire dans l'Arctique, de même que de nombreux passereaux, des échassiers, ainsi que le hibou des neiges. Ours polaire, CanadaUn ours polaire (Ursus thalarctos maritimus), au Canada. Zones alpines La végétation des zones alpines des Rocheuses et des hauts sommets laurentiens et appalachiens ressemble beaucoup, surtout au voisinage des glaciers, à la toundra arctique. Elle bénéficie toutefois de températures plus variables, de pluies plus abondantes et de sols généralement plus profonds. Dans les Rocheuses, les pelouses sont souvent des prairies. Le mouflon, la chèvre de montagne y remplacent le bœuf musqué et le caribou. Les forêts du Pacifique Les forêts pacifiques, où dominent les conifères sempervirents, conservent une allure boréale : vers le nord, l'épinette de Sitka, le sapin de Douglas et, vers le sud surtout, la pruche (Tsuga heterophylla) et le thuya (Thuja plicata). La forte humidité de l'atmosphère favorise une végétation sempervirente d'arbustes latifoliés comme le shallon (Gaultheria shallon), l'épine-vinette (Mahonia), de fougères comme le Polystichum munitum, qu'accompagnent, sur le sol et les troncs d'arbres, des mousses épiphytes et de gros lichens foliacés. Le puma (ou lion de montagne), qui autrefois peuplait, comme d'ailleurs le wapiti (cerf du Canada), tout le Canada boréal, trouve refuge dans ces forêts. L'aire de répartition du puma (Felis concolor), appelé aussi couguar ou lion des montagnes, s'étend du Canada à la Patagonie, du désert à la forêt tropicale. Ce solitaire est un redoutable prédateur qui n'hésite pas à attaquer de gros cervidés. Quelques populations sont sérieusement menacées de disparition (malgré leur statut d'espèce protégée), notamment en Floride … 28 Les prairies Les prairies canadiennes ne sont ni assez chaudes ni assez humides pour atteindre la luxuriance de la tallgrass, prairie de l'Illinois et de l'Iowa. Les Stipa, Agropyron et Festuca y dominent ; les lupins et les pulsatilles, tout comme diverses Composées, y jouent un rôle saisonnier. Les cours d'eau sont bordés de peupliers et de saules. Le bison, en quantité innombrable, parcourait jadis la prairie, la réduisant périodiquement à l'état de steppe. L'antilope s'y montrait aussi, et les spermophiles (gophers) contribuaient au rajeunissement des sols en creusant leurs terriers. La poule de prairie, les alouettes, le gros-bec doré y séjournent en permanence, tandis que les grèbes, les canards et les oies en migration y trouvent une nourriture abondante. La forêt décidue Un vaste croissant de tremblaie forme un parc semblable à celui qui, en Russie, assure la transition entre la forêt sibérienne et la steppe. À l'est, la forêt boréale rejoint la forêt décidue (ou forêt à feuilles caduques). La péninsule de Niagara et le sud-ouest de l'Ontario, de même que les basses terres du Saint-Laurent sont occupés par l'érablière laurentienne, forêt à rythme saisonnier très marqué : la phase printanière comporte une vague de plantes héliophiles à bulbes ou à rhizomes dont les fleurs et les feuilles éclosent avant la feuillaison de la strate arborescente (érable à sucre, hêtre, chêne rouge, tilleul, cerisier d'automne). À ces plantes printanières, devenues « dormantes », succède une strate herbacée estivale plus haute et plus éparse. Les cours d'eau sont bordés d'une riche forêt alluviale qui occupe toute la plaine (orme, érable rouge et argenté, frêne noir, saule noir) avec, en sous-bois, une strate herbacée luxuriante de fougères et de rares graminées. Les marécages de quenouille, de calamagrostide et d'herbe-à-liens, les fourrés d'aulnes et de cornouillers sont fréquents, ainsi que de vastes tourbières, souvent superficielles (blanket-bogs). Sur les crêtes exposées et les régions sableuses très perméables poussent des forêts de pins blancs et, parfois, de pins rouges. L'érablière est le séjour préféré du chevreuil (cerf de Virginie) ; on y rencontre aussi le raton laveur (Procyon lotor), l'écureuil gris, le renard roux, la perdrix (gélinotte à fraise), le geai bleu. Sur les contreforts et les montagnes, voisins de la forêt boréale, les bois-francs nordiques remplacent l'érablière laurentienne dont ils diffèrent surtout par l'abondance de la pruche (Tsuga canadensis) et du bouleau jaune, ainsi que par la persistance du pin blanc. L'if du Canada, petit conifère rampant forme une strate inférieure. Les pinèdes sont plus stables, les tourbières plus nombreuses, tandis que les forêts inondées et les marais se raréfient. · Pierre DANSEREAU Bibliographie sélective · H. BAULIG, L'Amérique septentrionale, t. XIII : Géographie universelle, Armand Colin, 1935 · R. BLANCHARD, Le Canada français, coll. Que sais-je ?, no 1098, P.U.F., Paris, 1964 · P. GEORGE, La Géographie du Canada, Presses univ. de Bordeaux, 1986 · L.-E. HAMELIN, Le Canada, coll. Magellan, P.U.F., 1969 ; Canada, a Geographical Perspective, Wiley, Toronto, 1969 · D. INNIS, Canada : a Geographical Study, McGraw-Hill, Toronto, 1966 · J. PELLETIER, Le Canada, Masson, Paris, 1976 · J.-L. ROBINSON, Concepts and Themes in the Regional Geography of Canada, Talonbooks, Vancouver, 1983 · H. ROUGIER, Espaces et Régions du Canada, Ellipses, Paris, 1987 · STATISTIQUES DU CANADA, Annuaire 1992 · G. TOMKINS & T. HILLS, Canada : a Regional Geography, Gage, Toronto, 1970 · J. WREFORD WATSON, Canada : it's Problems ans Prospects, Longmans, Toronto, 1968. · C. BEATY, The Landscapes of Southern Alberta : a Regional Geormorphology, Univ. of Lethbridge, 1978 · C.-L. BLAIR & R.-I. SIMPSON, The Canadian Landscape : Map and Air photo Interpretation, Copp Clark, Toronto, 1967 · L.-E. HAMELIN, Nordicité canadienne, Hurtubise H.M.H., Montréal, 1975 29 · F.-K. HARE & M. THOMAS, Climate Canada, Wiley, Toronto, 1979 · A. & J. MCPHERSON, The Natural Environment of Newfoundland St. John's, Dept. of Georgr., Memorial University, 1981 · G. NELSON, Man's Impact on the Western Canadian Landscape, McClelland & Stewart, Toronto, 1976 · A. E. 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L'État fédéral, constitué en 1867, n'obtient la souveraineté internationale qu'en 1931 et ne rapatriera sa Constitution qu'en 1982. L'espace habitable se trouve encore incomplètement occupé et mis en valeur malgré une forte immigration. Par ailleurs, l'histoire canadienne, tissée de conflits ethniques, de rivalités provinciales et d'influences étrangères, montre bien que le pays est imparfaitement intégré et manque encore d'unité, sinon d'union nationale. Les réalités géographiques y sont nourries de contrastes. Le Canada s'étend vers le nord mais c'est le Sud qui est peuplé. Minuscule à l'échelle canadienne, son œkoumène a exigé des infrastructures démesurément développées. Son entité géopolitique s'est formée à l'encontre des orientations physiographiques. Son aménagement doit concilier l'abondance et l'éloignement des richesses avec la faiblesse de la population. La notion de distance entre dans l'essence même du Canada. Malgré tout, le pays s'est doté d'une économie enviable. Profitant d'un milieu bilingue et multiculturel, la littérature et les arts reflètent la difficile expérience canadienne. L'immensité, la forêt, le froid ainsi que le choc des langues et des cultures offrent de nombreuses sources d'inspiration. La vie culturelle traduit les mille facettes d'un pluralisme que le Canada respecte, dans une société en quête d'identité. · Ludger BEAUREGARD I – Population Si le Canada est le deuxième pays au monde par la superficie, il n'occupe que le trente et unième rang quant à la population qui s'élève à 32 852 000 habitants au début de 2007. Très inégalement répartis sur la surface du pays, les Canadiens se singularisent par de nombreux caractères démographiques spécifiques. Répartition Globalement, la grande majorité des habitants est concentrée dans une sorte de corridor plus ou moins continu qui longe la frontière avec les États-Unis. Mais plus de trois Canadiens sur cinq sont citoyens des deux provinces de l'Ontario et du Québec. Toutefois, par rapport aux données du recensement de 1961, celles de 2006 révèlent que les fluctuations relatives à chaque province sont considérables . La répartition de la population canadienne est en constante évolution, et cela va de pair avec le dynamisme que connaît l'économie du pays. Au début du XXe siècle, les provinces de l'Atlantique rassemblaient 17 % de la 30 population ; en 2006, ce taux était de 8 % environ. À l'opposé géographiquement, la Colombie britannique est passée de 3 à 12,9 % dans le même intervalle, alors que Québec et Ontario réunis ont connu un relatif déclin (72 % des Canadiens en 1901, 62,5 % en 2006). Durant l'épisode de la conquête de l'Ouest, la mutation la plus sensible a affecté les provinces des Prairies qui regroupaient seulement 8 % de la population au début du siècle ; l'Alberta, le Manitoba et la Saskatchewan en rassemblent actuellement plus de 16,5 %. La répartition de la population canadienne est très fortement marquée par l'urbanisation et la constitution des régions métropolitaines. Au milieu du XIXe siècle, on estime qu'à peu près 13 % des habitants étaient concentrés dans des régions urbaines. Depuis, bien que le nombre des ruraux n'ait véritablement commencé à décliner qu'à partir du milieu du XXe siècle, le taux d'urbanisation du Canada a connu une croissance régulière, l'évolution connaissant, à l'évidence, un rythme bien différent d'une province à l'autre. Dès la fin de la Première Guerre mondiale, la Colombie britannique, l'Ontario et le Québec dépassaient les 50 % de population urbaine. En revanche, la Nouvelle-Écosse n'a atteint ce seuil qu'en 1941, le Manitoba en 1951, Terre-Neuve et l'Alberta en 1961, la Saskatchewan en 1971. Seule l'île du Prince-Édouard possède encore aujourd'hui une majorité de population rurale (61 %). Actuellement, de considérables différences existent d'une province à l'autre quant au taux de population urbaine ; Québec, Colombie britannique et Ontario ont franchi récemment le seuil des 80 %. Dans les Prairies, alors que le Manitoba et l'Alberta ont largement dépassé 70 %, la Saskatchewan frôle les 60 %. Pour mieux appréhender la dichotomie entre population urbaine et population rurale, les statistiques utilisent la notion de région métropolitaine de recensement (R.M.R.), désignant la « principale zone du marché du travail d'une région urbaine comptant un minimum de 100 000 habitants ». Suivant cette définition, la population des dix plus grandes R.M.R. s'élève à 16 636 000 habitants en 2006, soit environ le double qu'en 1961 ! Au milieu des années 2000, un habitant sur deux au Canada vit dans les dix plus grandes aires urbanisées, et de profondes différences quant à l'évolution récente de ces dix R.M.R. peuvent être enregistrées. Si l'on se réfère au taux de croissance annuel moyen, , Vancouver occupe de loin la première place, avec 2,7 %, alors que les « vieilles » agglomérations (Québec, Montréal), plafonnent entre 1 et 1,2 % et que Toronto est à 1,9 %, entraînant dans son sillage les deux nébuleuses urbaines sud-ontariennes de London et Hamilton. Par rapport à ses concurrentes Edmonton et Winnipeg, Calgary ne doit pas exagérément faire illusion si l'on tient compte de l'effet des jeux Olympiques de 1988. Avec plus de dix ans de recul, on observe un effet seulement légèrement positif. Évolution La croissance démographique actuelle du Canada est due, pour à peu près deux tiers, à l'accroissement naturel . Son taux moyen annuel (3 ‰), bien que figurant dans le peloton de tête pour les pays industrialisés, est pourtant le plus faible que le pays ait jamais connu. Le taux de natalité lui-même (11 ‰ en 2006) ne cesse de diminuer, et l'on est conscient que le maintien d'une pareille situation ainsi que du niveau présent de l'immigration occasionneraient une dépopulation au cours de la première moitié du XXIe siècle. Alors que le taux de mortalité se stabilise à 7 ‰, l'espérance de vie progresse, atteignant soixante-dix-sept ans pour les hommes et quatre-vingt deux ans pour les femmes. L'immigration a toujours joué un rôle essentiel dans l'accroissement de la population du Canada. Aujourd'hui, les immigrants représentent 15,6 % de la population fédérale. Mais cette immigration a constamment obéi à des cycles et a toujours été plus ou moins dépendante de la vie économique . Les périodes de prospérité ont, tout naturellement, correspondu aux années d'arrivée des groupes les plus nombreux. Cependant, le ralentissement qui affecte la conjoncture mondiale depuis le milieu des années 1980 a amené le gouvernement du Canada à restreindre à moins de 100 000 le nombre annuel d'immigrants, dans un premier temps. Mais, depuis le creux de 1984 (88 239 admis), un renversement de tendance s'observe, et, déjà en 1989, le nombre des immigrants atteignait 191 886 personnes. Traditionnellement, la majorité de la population immigrante venait d'Europe, principalement de Grande-Bretagne. Depuis une trentaine d'années s'observe une diversification des provenances des personnes qui désirent s'établir au Canada. La progression des immigrants asiatiques est remarquable : ils comptent pour environ la moitié dans 31 le nombre des entrées. Un immigrant asiatique sur cinq vient de Hong Kong, 12 % des Philippines et un peu moins de 10 % du Vietnam. Plus de la moitié de la population immigrée habite en Ontario, province où les immigrants représentent à peu près le quart des habitants. On retrouve la même proportion en Colombie britannique. Actuellement, plus de la moitié de la population immigrée vit dans les R.M.R. de Toronto, Montréal et Vancouver. Caractéristiques de la population canadienne La structure par âges de la population évolue au Canada de façon sensible à la suite d'une variation considérable des taux de natalité durant les dernières décennies : l'explosion démographique qui a prévalu durant les années 1950 et le début des années 1960 a été suivie par un effondrement sans précédent jusqu'au milieu de la décennie 1970-1980, le phénomène s'accompagnant d'une progression remarquable de l'espérance de vie. Le résultat est que, si le Canada demeure un pays jeune, on peut aussi constater qu'il vieillit assez rapidement. Durant la période 1961-1991, la part des personnes âgées de moins de dix-huit ans est passée de 39 à 25 % alors que celle des « citoyens de l'âge d'or » (65 ans et plus) a évolué de 8 à 11 %. Ce dernier groupe d'âge a progressé plus que tous les autres dans les années 1980, et ce taux de croissance est d'autant moins susceptible de se tasser que les spécialistes prévoient qu'en 2011 la proportion des jeunes ne sera plus que de 20 %. Parallèlement, on assiste à une évolution au niveau des familles, qui comptent de moins en moins de membres : de 1961 à 1991, le nombre moyen de personnes par famille a décliné de 3,9 à 3,1. La mosaïque ethno-linguistique canadienne Depuis longtemps, le Canada est un pays d'immigrants. Au début du XVIe siècle, la fondation de l'« abitation » de Québec par Samuel de Champlain illustre les prémices de l'établissement d'éléments étrangers dans le Nouveau Monde. Ensuite, durant près d'un siècle et demi, c'est de France que parviendront les colons. Cependant, une mutation s'amorce dès lors que se produit un afflux d'immigrants originaires du Royaume-Uni (Anglais, Écossais, Irlandais), qui proviennent soit des États-Unis (« loyalistes »), soit directement d'Europe occidentale. On a vu comment au XXe siècle se diversifie l'origine des nouveaux arrivants. Au dernier recensement de la population, trois Canadiens sur quatre ont déclaré une seule origine ethnique, et, parmi ceux-ci, un tiers est d'origine française, tandis que près de deux sur cinq sont de souche britannique. L'originalité principale au sein de la mosaïque ethno-culturelle réside dans la présence de trois catégories d'autochtones : Indiens , Inuit et Métis. Elles se subdivisent en six périmètres culturels : arctique, côte nordouest, grandes plaines, plateau, nord-est et subarctique. Les onze principaux groupes linguistiques sont l'algonquin, l'athapascan, l'esquimau-aléoute, l'haïda, l'iroquois, le kutenai, le sioux, le salish, le tlingit, le tainshian et le wakash. Lors du recensement de 2001, les autochtones regroupaient 1 066 500 personnes, soit 3,4 % de la population totale du Canada. La grande majorité vit dans les provinces de l'Ouest et dans les immensités territoriennes (Yukon, T.N.O.). Dans les Territoires du Nord-Ouest, 62 % des personnes recensées ont déclaré une origine autochtone ; cette proportion s'abaisse à 20 % au Yukon, tandis qu'elle n'est plus que de 12 % au Manitoba et dans la Saskatchewan. Les Indiens d'Amérique du Nord étaient approximativement 220 000 au Canada avant l'arrivée des Européens. Lorsqu'est fondée la Confédération, en 1867, on estime leur nombre à 125 000. On attribue cette diminution très sensible à de multiples facteurs, entre autres l'introduction de maladies européennes (scarlatine, tuberculose, variole) contre lesquelles les autochtones n'étaient pas naturellement immunisés. Ce n'est qu'au début des années 1940 que la population autochtone a recommencé à croître pour retrouver, en 1966, le niveau qu'elle avait avant la colonisation européenne. En 1996, 554 290 Indiens appartenaient à l'une des 598 bandes réparties dans toutes les régions du Canada. Ces bandes habitent 2 284 réserves dont l'ensemble couvre un peu plus de 150 000 kilomètres carrés . En moyenne, une bande indienne compte 780 membres, mais plusieurs n'atteignent pas la cinquantaine, tandis que la plus grande, celle des Six Nations de la Grand River, est forte de 15 000 personnes. Le taux de natalité moyen annuel des autochtones est 1,5 fois 32 supérieur au taux canadien global. Rien d'étonnant à ce que cette population indienne soit jeune : l'âge médian était d'environ 24,7 ans en 2001, soit 12 ans de moins que la population canadienne. En contrepartie, 4 % seulement ont dépassé soixante-cinq ans (11 % pour l'ensemble du pays). Plus de trois Indiens sur cinq vivent en milieu rural et un sur cinq habite des régions éloignées où il n'y a pas une route accessible pendant toute l'année pour se rendre à la ville la plus proche. Les Métis sont d'ascendance indienne d'Amérique du Nord et européenne. Historiquement, le groupe le plus connu est celui des Métis de l'Ouest et du Nord-Ouest, centré au départ sur la rivière Rouge. En 1869-1870, menés par Louis Riel, les Métis se soulevèrent, tentant ainsi d'accéder à l'autonomie politique. Après l'échec du soulèvement et l'arrivée de nombreux colons européens, les Métis ont migré vers l'ouest et le nord, se propageant dans la Saskatchewan, l'Alberta, la Colombie britannique et les Territoires du Nord-Ouest. De nos jours, il est difficile de dire combien sont les Métis ; 210 190 personnes se sont déclarées métis lors du recensement de 1996. Les nouvelles projections démographiques prévoient que, en 2017, le pays comptera 971 200 Indiens, 380 500 Métis et 68 400 Inuit. Les Inuit (Esquimaux),parlant l'inuktitut, vivent en petits groupes dans le delta du Mackenzie, les îles de l'Arctique et sur le littoral des Territoires du Nord-Ouest et au Nunavut. On en rencontre également sur les rivages québécois des baies d'Hudson et d'Ungava, ainsi qu'au Labrador. Les communautés inuit se localisent préférentiellement dans les baies, à l'embouchure des cours d'eau, à proximité de bras de mer ou de fjords. C'est là le témoignage vivant d'une civilisation pour une grande part, aujourd'hui encore, tributaire de ressources marines (chasse, pêche). De Coppermine à Pangnirtung (île de Baffin), le rythme de vie traditionnel est conditionné par le passage d'un troupeau de caribous, la présence de phoques ou de belugas échoués sur le rivage. Durant l'« été », on délaisse la maison du village pour implanter un campement assez précaire sur la « plage » à quelques mètres du domicile principal. Il suffit d'un brusque coup de vent, comme à Pangnirtung au début août 1986 (rafales à plus de 150 km/h) pour que cette manifestation de seminomadisme soit complètement anéantie. Signalons au passage que de nombreux « Blancs » qui « font du Nord » sur les îles arctiques ont adopté une attitude similaire à celle des Inuit : durant la belle saison, on vit à quelques miles du village dans une cabin (dont l'aspect n'est pas sans rappeler le cabanon des Marseillais) que l'on atteint en quad (moto à quatre roues motrices) ; entre la terrasse et le bord de la rivière, du lac ou du bras de mer sèchent au soleil des filets d'ombles que l'on fumera par la suite pour se nourrir pendant l'hiver. Parmi les activités traditionnelles des Inuit figure le piégeage des animaux à fourrure, héritage du XVIIe siècle lorsque fut fondée, le 2 mai 1670, la célèbre Compagnie de la baie d'Hudson. La plupart des communautés ont conservé leur poste de traite, même si les conditions ont singulièrement changé depuis lors. D'ailleurs, dans chaque village, « La Baie » est une institution et alors que depuis 1986, la chaîne de magasins a été vendue et rebaptisée Northern, l'ancienne dénomination n'est pas près de disparaître du vocabulaire des habitants. De nos jours, de multiples aspects de la vie traditionnelle des Inuit se trouvent passablement modifiés par l'apport de la « civilisation du Sud ». Après la Seconde Guerre mondiale, les déplacements aériens se développent et les télécommunications atteignent les points les plus reculés du Nord. Le kayak et le traîneau tiré par les huskies laissent la place au canot à moteur et au ski-doo. Rares sont les communautés qui ne disposent pas d'une piste d'atterrissage ; parfois, comme à Pangnirtung, celle-ci coupe carrément le village en deux. Ainsi, sans crainte d'exagérer, il est possible d'affirmer que la « civilisation du Sud » a envahi le Nord. La plus grande partie des collectivités inuit sont devenues des villages constitués, gérant leurs affaires par l'intermédiaire de conseils élus. Et le Conseil des Territoires du Nord-Ouest, organe similaire à ceux des provinces, comptait en 1991 huit Inuit parmi ses membres élus. Il n'empêche que cette évolution ne peut que catalyser les revendications des autochtones. Les revendications globales portent sur la poursuite de l'utilisation et de l'occupation traditionnelles des terres et étendues d'eau. Elles ont pour objet de protéger et promouvoir le sentiment d'identité des autochtones tout en favorisant leur participation de manière significative à la société contemporaine et à l'essor économique de leurs territoires. Le 1er avril 1999 est officiellement né le Nunavut. Le mot signifie « notre terre » en dialecte inuktitut. Il s'agit d'une subdivision territoriale des anciens Territoires du Nord-Ouest. En superficie, le Nunavut englobe la partie du continent canadien et des îles de l'Arctique qui se trouve au nord et au nord-est de la limite septentrionale de la forêt . Plus précisément, la limite sud du Nunavut s'étend de la terminaison occidentale du détroit de Dolphin à 60 kilomètres du sud du point où la rivière Tha-anne se jette dans la baie d'Hudson. Parmi les principales îles de l'Arctique, il exclut l'île de Bank, l'île du Prince-Patrick et une partie des îles 33 Melville et Victoria. En totalité, le Nunavut couvre une superficie de 1 600 000 kilomètres carrés (hors surface maritime), c'est-à-dire une étendue quasi équivalente à celle du Québec. Le territoire du Nunavut a une population totale d'environ 27 000 personnes, dont 85 % sont des Inuit. Les accords de juin 1993 aux termes desquels fut créé le territoire précisent que l'ensemble est subdivisé en trois catégories de terres : C –rown lands (terres vierges) sur lesquelles les Inuit ont le droit de chasser, de piéger, de pêcher et à la gestion desquelles ils participent ; 318 084 kilomètres carrés de terres, propriété exclusive des Inuit ; – 37 883 kilomètres carrés de terres où la propriété concerne également le sous-sol. – Les Inuit furent invités à sélectionner les portions de terre correspondant à chacune des trois catégories. En compensation des crown lands qui ne sont pas la propriété des Inuit, le gouvernement fédéral s'est engagé à payer aux organisations inuit reconnues la somme de 1,15 million de dollars canadiens sur quatorze ans. Au niveau politique, le Nunavut, dont la capitale est Iqaluit (anciennement Frobisher Bay), a une Assemblée de dix-neuf membres dont les pouvoirs sont équivalents à ceux des autres territoires fédéraux, un gouvernement, dirigé par Paul Okalik et sa propre Cour suprême. Mosaïque ethnique... mosaïque linguistique également : au recensement de 1996, 60 % des Canadiens ont déclaré l'anglais comme seule langue maternelle, 23 % le français, et 16 % une autre langue, mais chaque recensement enregistre une progression des langues originaires du continent asiatique. En ce qui concerne les Canadiens déclarant le français comme langue maternelle, neuf sur dix vivent au Québec. Cependant, les francophones représentent encore le tiers des citoyens du Nouveau-Brunswick (Acadie), alors que, partout ailleurs, ils n'entrent que pour moins de 5 % dans le total, y compris en Ontario, où le français constitue la seule langue maternelle de 425 000 personnes, soit le nombre le plus élevé à l'extérieur du Québec. Officiellement, le Canada est un pays bilingue : au dernier recensement, plus de 4,8 millions de personnes (soit 16 % de la population) déclaraient être en mesure de mener une conversation en français et en anglais. Le taux de bilinguisme est en progression, lente mais régulière. C'est au Québec (35 %) et au NouveauBrunswick (29 %) qu'il est le plus fort. Aujourd'hui, un peu plus de la moitié des Canadiens bilingues habitent au Québec. Multiples apparaissent donc les originalités du peuplement et de la population du Canada, où, sur un territoire dix-huit fois plus étendu que la France, vit un groupe humain qui est à peine égal (45 %) à celui de l'Hexagone. Et pourtant, en dépit de l'impression de désert humain qui surgit si facilement, on peut constater que l'utilisation de l'espace atteint déjà une extension considérable. II - L'utilisation de l'espace canadien On distinguait traditionnellement au Canada deux subdivisions essentielles : l'œkoumène et ce qui était en dehors. Actuellement à la suite des découvertes et des exploitations énergétiques ou métallifères du Nord et grâce au rôle fondamental qu'a joué dans l'espace canadien le transport aérien, il n'y a plus de partition nette de part et d'autre d'une limite de peuplement et de mise en valeur. Où que ce soit, on ne peut, bien évidemment, se défaire des grandes distances ou de la discontinuité du peuplement qui peut n'apparaître qu'en taches. Mais, à l'aide de satellites, entre autres, l'aire à découvrir se restreint quotidiennement. Rien n'aurait été possible, dans ces vastitudes, sans une puissante infrastructure de réseaux de transports. D'elle découlent aménagement de l'espace rural et développement des zones urbaines. La primauté de l'équation circulation ne saurait être prise en compte sans rappeler un caractère essentiel de la configuration du Canada : alors que les axes géographiques s'orientent du nord au sud, prolongeant en bonne partie la physiographie des États-Unis, l'onde de peuplement, de mise en valeur et donc de progression des réseaux de communication s'est opérée transversalement, d'est en ouest. Ce n'est qu'à partir des années 1940 que, grâce à l'avion notamment, des tentacules ont pu parvenir jusqu'au Grand Nord. Dans tous les cas, il y a lieu de tenir compte de deux séries d'obstacles : à l'ouest, la masse orographique agit en sorte que Vancouver a plus de facilité à s'incorporer à la Megalopolis du Puget Sound qu'à communiquer, par voie de surface, avec les Prairies ; toujours par mode de transport terrestre, aller d'Edmonton à Prince Rupert est une expédition ! Au fur et à mesure que l'on progresse vers le nord, le climat, pourtant déjà peu clément dans bien des secteurs méridionaux, devient de plus en plus contraignant par l'exacerbation de certains de ses 34 éléments. Et, aux entraves qu'il occasionne pour la navigation aérienne, s'ajoute l'embâcle de l'océan Arctique qui réduit à parfois un ou deux mois l'accessibilité maritime aux communautés inuit ou aux aires de prospection minière. Transports et aménagement de l'espace La progression de l'homme à l'intérieur de l'étendue du Canada est calquée sur celle des réseaux de transport, au premier rang desquels on trouve le rail, même si, aujourd'hui, la dépendance est de plus en plus forte à l'égard de l'avion ou de l'automobile. Dans les années 1930, les chemins de fer rassemblaient plus des quatre cinquièmes des recettes provenant du transport des marchandises ; en 1960, leur part n'était plus que de la moitié et, au début des années 1990, elle s'établit à 36 %. Dans le même intervalle, le camionnage est passé de 2 à 54 %, tandis que le transport aérien ne recueille que 4 % , mais ce chiffre, tout comme celui de 6 % pour la navigation, a des apparences trompeuses. La mise en valeur de l'espace canadien est un peu assimilable à une gigantesque bataille du rail. Pour mémoire, rappelons que l'histoire des chemins de fer au Canada a débuté par une ligne de 26 kilomètres, reliant Saint-Jean à La Prairie (Québec), inaugurée le 21 juillet 1836. Un quart de siècle plus tard, le pays compte déjà 3 200 kilomètres de voies ferrées. En 1930, le réseau est de 91 065 kilomètres, mais, à partir de cette date charnière dans l'histoire économique nord-américaine, la progression ralentit. Le maximum est atteint en 1974 avec 96 958 kilomètres. Depuis lors, la longueur des voies en service diminue : dans les années 2000, elle est d'environ 91 000 kilomètres. C'est en 1885 qu'a été achevé le premier transcontinental, le dernier crampon ayant été posé le 7 novembre à Craigallachie, près du col Eagle en ColombieBritannique. 90 % de toutes les voies ferrées du pays sont possédées ou contrôlées par le Canadien National (C.N.) et le Canadien Pacifique (C.P.). Sur l'ensemble du réseau circulent 3 836 locomotives, 134 156 wagons et 1 233 voitures pour les voyageurs. Cette dernière mention est très évocatrice du rôle de plus en plus marginal que tient la voie ferrée pour l'acheminement des passagers, même si leur nombre progresse grâce aux dessertes cadencées mises en place au début des années 1970 entre Windsor et Québec, et principalement de part et d'autre de Toronto. Les services offerts pour l'acheminement des marchandises, tant en vrac qu'en conteneurs, sont particulièrement efficaces, en même temps que rapides et bon marché. On ne saurait parler des chemins de fer canadiens sans évoquer des images célèbres, devenues presque légendaires : les bâtiments des gares sont fréquemment imposants (Union Station à Toronto, Central Station à Winnipeg, où il ne passe pourtant que douze trains de voyageurs par jour...) ; accompagnant la progression du Canadien Pacifique, les châteaux-hôtels s'égrènent entre Québec et Vancouver, le château Frontenac (Québec) , le Royal York (Toronto), le Banff Hot Springs Hotel et le château Lac Louise étant les plus connus. Impressionnantes, vues du ciel, sont les emprises des gares de triage, en particulier autour de Winnipeg où se rejoignent les deux réseaux du C.N. et du C.P. Répétées à des centaines d'exemplaires mais toujours différentes les unes des autres sont les petites gares au cœur des Prairies avec leur série de silos où, jour et nuit, sont chargés les wagons de céréales : Dauphin, Baldur, Somerset..., Notre-Dame-de-Lourdes et même Miami pour ne prendre des exemples qu'au Manitoba. Enfin, comment ne pas parler des trains euxmêmes : convois de marchandises, par trains complets de céréales partis des Prairies vers Vancouver ou, de l'autre côté, vers Thunder Bay ou Montréal. Dans les Rocheuses, au Kicking Horse Pass, existe le seul tunnel hélicoïdal de l'Amérique du Nord : toujours captivante est la vision de ces trains démesurés dont la batterie de locomotives Diesel sort déjà du souterrain alors que le fourgon du serre-frein n'y a pas encore pénétré. Ambiance, pour terminer, des petites gares perdues dans les Rocheuses (Banff, Jasper) alors que la nuit tombe, que cerfs et biches s'ébattent entre les rames et que, mélancolique, retentit la cloche de la locomotive de tête pour annoncer le départ... Trente-six heures sont nécessaires pour relier Calgary à Vancouver ; par avion, le vol dure 1 heure 15 minutes. Si le rail est indissociable d'une mise en valeur du pays dans le sens longitudinal, l'avion, tout en faisant de même, est devenu indispensable pour la pénétration de l'immense Nord. Focalisé sur une dizaine d'aéroports importants au Canada, le transport aérien rayonne à partir d'une plaque tournante, Toronto. En 2005, l'aéroport international Lester B. Pearson a enregistré 29 900 000 passagers, et celui de Vancouver 16 000 000. À lui seul, l'aéroport de Toronto a un trafic supérieur à ceux de Vancouver, Montréal (Dorval) et Calgary réunis. La forte concentration du trafic sur peu d'aéroports, tout en traduisant remarquablement l'évolution vers un heartland ontarien auréolé d'un hinterland de dimension nationale, tout en recomposant 35 un nouveau découpage combinant centralités et périphéries, occulte passablement le rôle de l'avion ailleurs. Ailleurs signifie plus ou moins hors de ce que l'on désignait jusqu'à récemment par œkoumène continu. On n'insistera pas sur le progrès ou le service rendu que peut représenter le vol de quatre heures en avion à réaction entre Vancouver et Montréal. Par contre, une même durée de vol pour se rendre de Calgary à Cambridge Bay ou à Inuvik, ou les trois heures nécessaires entre Ottawa et Iqaluit (Frobisher Bay) réservent une tout autre sensation, car ce sont des déserts que l'on traverse avant de parvenir à des taches de civilisation dont le cœur est l'aéroport. Aux pistes bétonnées, longues pour accueillir des « jets » telles qu'on les rencontre à Inuvik ou Iqaluit, s'ajoutent les dizaines d'aéroports en apparence improvisés mais à l'infrastructure fiable : Kugluktuk, Tuktoyaktuk, Rankin Inlet, Pelly Bay ou Resolute Bay. Partout, l'avion est générateur de domestication de l'espace et de maintien de la population, car les Amérindiens eux-mêmes, pourtant solidement enracinés à leur terre et à leur genre de vie, commencent à apprécier l'apport du « Sud » et désireraient peut-être émigrer si le transport aérien ne leur procurait pas une meilleure existence matérielle. Statistiquement, l'avion est très en deçà du train, encore plus de l'automobile, par le volume de trafic qu'il représente. Mais, économiquement et psychologiquement, il est le moteur essentiel de la mise en valeur et de l'utilisation de l'espace canadien. Au Canada, le principal moyen de transport des marchandises est, de loin, la route. Hors des agglomérations urbaines, le réseau s'étend sur plus de 300 000 kilomètres. Alors que la route transcanadienne relie les océans Atlantique et Pacifique sur une distance de 7 725 kilomètres, d'autres axes sont également célèbres tant par leur longueur que par le rôle qu'ils continuent de jouer dans l'occupation de l'espace : route transalaskienne qui traverse le territoire du Yukon, route du Mackenzie entre Edmonton et Yellowknife, route de la baie de James ouverte à l'occasion des gigantesques chantiers hydroélectriques. Il faut mentionner que l'entretien du réseau routier canadien est particulièrement onéreux à cause du gel et de ses effets. Dès que l'on dépasse le 60e parallèle, l'asphaltage des chaussées doit être effectué avec un enrobé spécial, reposant sur des soubassements hors gel très épais. Vu les coûts de construction et d'entretien, on a fréquemment recours aux chaussées de terre compactée : tel est le cas du Dempster Highway (Whitehorse-Inuvik) ou du Klondike Highway (Whitehorse-Dawson City). En outre, on doit signaler que les franchissements des grands fleuves (Mackenzie entre Hay River et Yellowknife) ou de fjords (Saguenay à Tadoussac) ne se font pas par des ponts, dont la construction aurait été trop onéreuse par rapport au trafic escompté, mais par des navettes de bacs (les « traversiers » du Québec), gratuites puisqu'elles assurent – selon la loi – la continuité du réseau de routes et d'autoroutes, ces dernières étant également empruntées sans péage. Les transports par voie d'eau revêtent au Canada un double aspect, car la vocation maritime du pays est complétée par l'existence de la mer intérieure formée par les Grands Lacs (dont quatre sur cinq sont à cheval sur le Canada et les États-Unis) et l'axe laurentien. Ce n'est que depuis 1959 qu'est achevée la voie maritime de 8 mètres de tirant d'eau autorisant les navires de haute mer à se rendre à Thunder Bay à l'ouest du lac Supérieur. Ils s'ajoutent, sans toutefois les supplanter, aux célèbres lakers, énormes péniches adaptées au gabarit des écluses, qui font la navette entre les ports du golfe et ceux des rivages ontariens. Alors que Vancouver, premier port de la façade pacifique nord-américaine, reste très loin en tête avec un trafic de 73 500 000 tonnes de marchandises en 1998, Thunder Bay se hisse au sixième rang avec 12 800 000 tonnes, suivi de Hamilton. Globalement, les onze ports principaux de l'Ontario totalisent plus de 80 millions de tonnes, soit plus de 20 % du tonnage de tous les ports canadiens. Sur la façade atlantique, hors du domaine laurentien (fleuve et golfe), les deux ports principaux sont Saint John (Nouveau-Brunswick) avec 21 millions de tonnes en 1998 et Halifax (Nouvelle-Écosse) avec 14,1 millions de tonnes. On évoquera la place que prennent dans l'utilisation de l'espace canadien les oléoducs et les lignes de transport de force, particulièrement sous l'aspect du lien qu'elles créent entre les espaces nordiques, pourvoyeurs de ressources énergétiques, et le « Sud » peuplé et industriel. Fils électriques et pipelines illustrent à leur manière que la conquête du sol et du sous-sol devient de plus en plus un phénomène ubiquiste au Canada. Structures agraires et paysages ruraux Au Canada comme ailleurs, la mise en valeur de l'espace par l'homme repose essentiellement sur la partition entre la ruralité et l'urbanisation. Parce qu'il s'agit d'un pays « neuf » et parce que les montagnes de l'Ouest sont marquées par une très faible humanisation, les paysages ruraux se circonscrivent aux plaines centrales et aux rivages du Saint-Laurent, à quoi se greffent, dans le Pré- et le Moyen Nord quelques taches 36 correspondant à d'anciens fronts pionniers (Clay Belts) ainsi que quelques secteurs de plaine en bordure des océans. La principale distinction que l'on opère à propos de l'utilisation de l'espace à des fins agricoles oppose le « rang » québécois au « township » de l'Ontario et des Prairies. Durant les XVIIe et XVIIIe siècles, la colonisation française a mis en place des concessions en bandes allongées, dans un sens perpendiculaire aux fleuves puis aux routes. Les habitations, installées sur la berge puis le long de la route, s'égrènent à l'origine à portée de fusil les unes des autres. Ces lignes ont reçu le nom de « rangs ». Les premiers ont été établis le long du Saint-Laurent en 1626, soit seulement dix-huit ans après que Samuel de Champlain eut fondé Québec. Peu après, on installa des rangs le long des chemins : lorsque les maisons n'occupent qu'un seul côté, c'est le rang simple ; s'il en existe des deux côtés, on parle de rang double. Ainsi, le terme de rang définit un territoire rectangulaire en lots étirés. Ce paysage agraire se singularise par plusieurs aspects spécifiques : terres de largeur à peu près égale d'une exploitation à l'autre, parcelle d'un seul tenant, résidence de l'exploitant sur son lot, forte densité des voies de communication ainsi que des clôtures. Dans chaque « paroisse » (commune), les terroirs de rangs s'opposent complètement aux lieux de service où l'habitat est concentré. Contrairement à une idée reçue, le rang ne peut être défini comme un type de village même si, dans le paysage, l'assimilation avec le Waldhufendorf est facile à faire. Les premiers lots qui furent concédés le long du Saint-Laurent avaient une largeur de 175 mètres et une profondeur de 2 800 mètres, soit une superficie de 49 hectares. Rapidement, les « rangs d'arrière-fleuve » ont complété les « rangs de fronteau » : à Montréal, en 1702, donc soixante ans après la fondation de la ville, 36 % des rangs étaient localisés à l'intérieur de l'île. Mais, depuis ses origines, ce paysage a fréquemment changé d'aspect : tantôt, par regroupement d'exploitations, on aboutit à une géométrie plus régulière du périmètre possédé ; tantôt, dans le cas contraire (partage entre plusieurs enfants par exemple), les parcelles sont devenues plus étroites, et cela confère au paysage l'allure de « lames de parquet ». C'est à ce stade que l'opposition avec le système du township est la plus flagrante. Sous le régime britannique, plus particulièrement après 1791, le township (canton) est devenu le mode officiel de division des terres. Celles-ci sont réparties en carrés de 6 miles, 9,65 kilomètres de côté, chaque carré étant subdivisé en trente-six sections de 640 acres (269 ha), elles-mêmes partagées en quatre. Ainsi est né un parcellaire à grands carrés et à habitat dispersé, mais incluant des regroupements sous forme de villages-centres. Répandu à l'origine en Ontario, ce système du township caractérise également le monde des Prairies, où la céréaliculture s'accommode fort bien de vastes parcelles géométriques. On a déjà vu qu'à la mise en place de ce paysage rural le chemin de fer était étroitement associé, à tel point qu'aucune exploitation ne se trouvait, dans le sud des provinces, à plus de 10 miles d'une ligne principale ou secondaire. En réalité, les compagnies ferroviaires ont été prises dans une dynamique qu'elles n'avaient pas prévue : leur but était uniquement d'atteindre le Pacifique. Mais, quand elles ont saisi l'aspect lucratif que pouvait représenter la mise en valeur de ces terres vierges, elles entreprirent la construction d'un canevas assez serré de lignes secondaires. Ces compagnies n'hésitèrent pas non plus à céder à bas prix les terrains localisés près de leurs emprises à condition que les acquéreurs s'engagent à utiliser le rail pour écouler leurs produits. Comme l'action se passe à la fin du XIXe siècle et qu'il n'y a aucune concurrence d'un autre mode de transport, le succès a été immédiat ! De même que l'on a noté une évolution du rang, une mutation du township est également perceptible. Cela principalement en rapport avec des données d'ordre naturel : l'optimisation du paysage du township s'explique par la nature même du sud du Manitoba et de la Saskatchewan, c'est-à-dire des secteurs où bons sols et climat se conjuguent pour faire de l'espace le grenier à blé que l'on sait. Dès lors que l'on s'avance vers le nord, de plus grandes superficies sont indispensables à chaque exploitation pour parvenir à des résultats identiques. D'où un agrandissement des composantes du damier et même l'apparition, sur les franges pionnières, de lambeaux de forêt attestant du caractère en apparence inachevé de la mise en culture et donc de l'utilisation de l'espace. Par cet aspect, on se rapproche de l'aménagement agricole des Clay Belts, où le principe a été de développer une agriculture de survie en rapport avec l'ouverture de chantiers forestiers ou de concessions minières (Abitibi-Témiscamingue). À la palette des paysages ruraux et des aménagements de l'espace pour l'agriculture, il convient d'ajouter quelques portions de territoires côtiers, tant sur le Pacifique que sur l'Atlantique. Dans le premier cas, on mentionnera les « bons pays » que représentent le delta du Fraser et le sud de l'île de Vancouver, où la richesse de l'agriculture est très dépendante de l'urbanisation galopante. Ce paysage paisible combinant économie herbagère, élevage laitier et agriculture maraîchère (en partie sous serres) n'a 37 d'égal que celui qu'on rencontre à proximité des littoraux de la Nouvelle-Écosse, dans les vallées de Cornwallis-Annapolis, ou encore sur l'île du Prince-Édouard, réputée pour ses pommes de terre. Au total, on est frappé, lorsqu'on visite en détail le Canada, par le soin apporté à l'occupation du moindre arpent de terre pouvant être nourricier. Vraisemblablement aussi prévaut, dans la conservation et le développement de l'espace à des fins agricoles, la volonté de démontrer que le Canada est bien davantage qu'un appendice de son voisin méridional. Ce que l'on perçoit également au niveau de l'aménagement de l'espace urbain. L'espace urbanisé canadien On a remarqué, dans l'étude de la population, la place qu'occupe au Canada la population urbaine, même si les taux d'urbanisation fluctuent fortement d'une province à l'autre. La ville est donc un fait essentiel dans la géographie du pays. Donnée première dans l'occupation de l'espace national, le ville ne saurait être, au Canada, partout dérivée du même modèle. L'uniformité des paysages urbains n'est qu'apparente. S'il existe bien évidemment une hiérarchie selon la taille, les facteurs géographiques, voire historiques ne sauraient être sous-estimés. Par ailleurs, la fonction prédominante est à prendre en considération quoique, par définition, les grosses agglomérations soient primordialement multifonctionnelles. Toronto Ville de 2 500 000 habitants en 2006 (avec 5,4 millions dans la région métropolitaine), la capitale de l'Ontario est incontestablement la métropole de tout le pays. Regroupant à elle seule environ 15 % des Canadiens, première place économique et financière du pays, Toronto conforte chaque année davantage son rôle de leader, acquis durant la décennie 1970-1980 aux dépens de Montréal. Montréal Fière d'avoir franchi, à la fin de 1988, le seuil des 3 millions d'habitants pour atteindre 3 666 300 âmes en 2006, l'agglomération montréalaise bénéficie, dès sa fondation en 1642, d'une excellente position géographique. L'implantation originelle se situe sur l'île principale de l'archipel, donc dans une situation défensive. Toutefois, là n'est pas le seul avantage : à ce point du cours du Saint-Laurent s'interposent les rapides de Lachine, qui empêchaient toute navigation vers l'amont. Ainsi surgit dès le départ sur une île la double fonction de port et de point de rupture de charge. Mais, par rapport à l'espace environnant, d'autres atouts sont évidents : Montréal est un carrefour exemplaire. Vers l'est, le Saint-Laurent assure l'ouverture sur l'Atlantique et, précocement, Montréal ravira la primauté portuaire à Québec. Vers le sud, le corridor Richelieu-Champlain-Hudson positionne Montréal en droite ligne avec New York. Vers l'ouest et le nordouest enfin, le Saint-Laurent et la rivière des Outaouais assurent la jonction avec les Grands Lacs et tout l'ouest du pays. Jusqu'à l'ouverture de la voie maritime du Saint-Laurent en 1959, la fonction industrialoportuaire sera fortement prédominante à Montréal ; la suppression de la rupture de charge sur au moins deux tiers de l'année (car on ne peut éviter l'embâcle hivernale) est à l'origine d'un tassement du trafic. Vancouver Forte d'une croissance spectaculaire, liée à des atouts géographiques ainsi qu'aux effets conjugués du port, de la gare et de l'aéroport, Vancouver et son agglomération de 2 236 000 habitants en 2006 affichent la plus forte croissance démographique parmi les agglomérations canadiennes durant la décennie 1986-1996 (+ 32,6 %). Premier organisme portuaire du littoral pacifique, terminus des deux transcontinentaux ferroviaires, deuxième aéroport national, Vancouver étend chaque jour ses constructions sur le delta du Fraser dont les terrains agricoles sont également réputés. Cité du futur tournée vers l'Asie, vitrine de l'Occident sur le Pacifique, Vancouver exprime également la majorité des contrastes canadiens : au pied des audacieux gratteciel, la cité « rétro » de Gastown symbolise la réhabilitation de l'ancien quartier portuaire. Composante à part entière de la Megalopolis du Puget Sound, Vancouver veut se placer au rang de Seattle. 38 Les villes des Prairies Alors que la Saskatchewan se contente d'un binôme urbain de taille assez modeste (Saskatoon, 235 000 hab. en 2006 ; Regina, 198 300 hab. en 2006), Alberta et Manitoba connaissent un taux d'urbanisation largement supérieur. On trouve de nombreuses ressemblances entre Winnipeg (706 700 hab.), capitale du Manitoba, Edmonton (1 050 000 hab.), capitale de l'Alberta, et Calgary (1 107 200 hab.), la ville des olympiades d'hiver de 1988. Ce qui frappe dans les trois cas, c'est l'ampleur de l'espace occupé. Il est vrai que la place, dans ce monde de plaines, ne fait pas défaut, mais on est toujours surpris de constater qu'en surface, l'aire urbaine de Winnipeg est plus vaste que celle de Marseille, par exemple. Plus qu'ailleurs au Canada, le chemin de fer tient dans le développement des trois agglomérations un rôle fondamental. Historique puisque ces cités sont des « filles du rail », économique car les grandes gares de triage ou, à Winnipeg, les ateliers principaux du Canadien National (C.N.) sont pourvoyeurs d'emplois. La naissance récente de ces villes (en 1884, Winnipeg avec 25 000 habitants était la plus grande ville de l'Ouest) n'a d'égal que la modernité et la fonctionnalité de l'utilisation de l'espace. En vain cherche-t-on une rue en courbe et, à Edmonton, les « blocs » sont parfaitement calqués sur le damier des townships, attestant que la conquête du bâti urbain sur l'espace rural ne s'effectue pas par mitage, mais par transformation de carrés tout entiers. Le chemin de fer n'explique cependant pas à lui seul la croissance spectaculaire de ces agglomérationschampignons. Alors que Winnipeg doit beaucoup au commerce des céréales, à l'implantation en 1970 du siège de la Compagnie de la baie d'Hudson et à un aéroport, dont le trafic croît rapidement, Edmonton, qui a ouvert en 1986 le plus grand centre commercial du monde (Edmonton Mall Center), vit beaucoup par sa fonction de capitale et surtout par sa position de gateway-city vers le nord et le nord-ouest. Calgary, de son côté, est la capitale économique de l'Alberta, autour de ses gisements d'hydrocarbures dont les réserves commencent à décliner. Bien plus que dans d'autres provinces se ressent dans les Prairies l'impression d'un « pays neuf » avec l'indissociable sentiment que quelque chose est inachevé. Les agglomérations de ces immensités céréalières s'apparentent à un espace en devenir ; en ce sens, elles s'opposent à trois autres exemples, difficiles à classer. Les villes traditionnelles Un trio de villes s'individualise franchement au Canada : Ottawa-Hull, Québec et Victoria. Il ne s'agit pas de grands organismes mais la taille n'obère en rien la personnalité ! D'un côté, Québec est la plus francophone ; de l'autre, Victoria la plus « british » et, enfin, Ottawa-Hull réalise, de part et d'autre de la rivière des Outaouais, ce compromis légendaire qu'on évoque toujours au Canada puisque la conurbation se partage entre l'Ontario (Ottawa) et le Québec (Hull) et illustre au mieux le bilinguisme officiel. Dans chaque cas, ce n'est pas l'industrie qui constitue l'activité essentielle ; ce ne sont même pas les buildings des centres des affaires qui risquent d'impressionner. Fait rare pour ce pays toujours jeune, c'est l'histoire qui marque Québec, la seule ville fortifiée de l'Amérique du Nord, l'unique exemple d'une citadelle et d'un champ de bataille qui aient réellement servi à faire parler les armes (bataille des Plaines d'Abraham, 1759). Québec, at-on dit, représente pour les Nord-Américains « la France sans avoir à traverser l'Atlantique ». Les rues étroites de la basse ville (là même où Champlain se fixa), la statue de Louis XIV sur la Place royale au pied de l'imposant château Frontenac (un des châteaux-hôtels du C.P.) en font un incomparable « Montmartresur-SaintLaurent », tandis que sur la côte pacifique, à la pointe méridionale de l'île de Vancouver, Victoria rappelle à chaque pas que S.M. la reine d'Angleterre demeure le chef de l'État canadien, bien que la Constitution ait été « rapatriée » en 1982. Victoria, peut-être encore davantage que Québec, n'est pas une ville comme les autres. Capitale de la Colombie-Britannique, ce little bit of old England demeure l'image même de la ville administrative avec, autour du port, l'édifice gouvernemental dont l'illumination vespérale fait penser à un palais des mille et une nuits, et le célèbre Empress Hotel, le plus anglais des châteaux-hôtels égrenés le long du transcontinental. Bénéficiant d'un climat particulièrement doux en hiver (température moyenne en janvier, 6,5 0C, Victoria apparaît finalement comme le dernier témoin, au Canada, de la grandeur impériale. À Ottawa-Hull, tout s'éclipse devant la fonction de capitale fédérale, totalement distincte de la capitale provinciale et économique, Toronto. On y retrouve l'ambiance paisible et sérieuse de La Haye ou de Canberra dans un cadre de parcs et de canaux, ces derniers se transformant l'hiver en itinéraires de patinage (canal Rideau). 39 Ces trois agglomérations, où l'histoire réapparaît, traduisent la variété des types d'aménagement urbain que l'on peut côtoyer au Canada. Le tour d'horizon serait incomplet si l'on n'allait observer ce qui se passe dans le Nord lointain, où l'urbanisation existe également. Un espace urbanisé nordique : Yellowknife Capitale des Territoires du Nord-Ouest dans un rentrant de la rive septentrionale du Grand Lac des Esclaves, Yellowknife est indistinctement une cité minière, un carrefour aérien, un pivot économique et le cœur politico-administratif du « Nord territorien », vaste à lui seul comme toute l'Europe. Surgissant entre les roches moutonnées, les buildings cohabitent avec les maisons modestes à un seul étage bordant des rues qui ne sont pas toutes asphaltées. Terminus de la route d'Edmonton, Yellowknife prospère en bonne part grâce à son aéroport d'où irradient les dessertes vers le delta du Mackenzie, les îles arctiques ou le rivage occidental de la baie d'Hudson. Cité du désert en plein cœur du bouclier, Yellowknife illustre le devenir d'un front pionnier apparu grâce aux filons aurifères et érigé en centre décisionnel par le développement des communications qui l'ont fait passer de l'état d'isolat à celui de point central d'un énorme secteur du Canada. Problématique d'une division régionale du Canada On a souligné l'importance de l'immensité canadienne et la variété souvent méconnue des aspects du pays. Cela sous-tend une évidente complexité dès lors qu'on doit pratiquer au sein de l'ensemble un découpage spatial ou une division régionale. Il est indispensable de se défaire des normes européennes, même si, dans certains cas, le Canada offre l'existence de régions ou de « pays » de dimensions proches de ce que l'on connaît dans l'Ancien Monde. L'écueil à éviter, lorsqu'on est en présence d'un territoire aussi étendu, est d'aboutir à un véritable puzzle de micro-régions, chacune étant distincte de l'autre, parfois par des détails infimes ; on perd alors facilement la notion d'insertion locale dans un ensemble nettement délimité. Au Canada, surtout dans les provinces les plus anciennement constituées, chaque village, chaque vallée, peut se singulariser nettement vis-à-vis des autres : tel est le cas dans le secteur du Saguenay-lac Saint-Jean où chacune des communautés peut apparaître comme un monde à part. Saint-Cœur-de-Marie, Roberval, SainteRose-du-Nord et bien d'autres « paroisses » forment nettement des petits mondes isolés ; les considérer individuellement, pourtant, fait commettre l'erreur d'occulter le fil conducteur qui réalise l'unité régionale : l'axe de la rivière et du fjord du Saguenay. Comme ailleurs, le cadre naturel, la population et l'économie sont les paramètres les plus évidents qui viennent à l'esprit pour déterminer des ensembles régionaux. Par ce biais, il est aisé de distinguer des grands ensembles, de définition tout à fait simple et classique. À l'intérieur de ceux-ci s'organisent des grandes régions, elles-mêmes parfois divisées en plus petites unités, ces dernières rappelant nos « pays ». Le sentiment d'appartenance régionale apparaît comme un élément primordial dans la définition, mais il n'est malgré tout qu'un critère parmi d'autres. Pour tenter de déterminer des espaces et des régions, les économistes fondent volontiers leur raisonnement sur des distinctions statistiques pour lesquelles l'unité peut être vaste (la province) ou plus réduite (le comté). Un tel découpage ne rend presque jamais compte des facteurs physiques ou des richesses naturelles ; il ne fait pas appel non plus à la perception de l'entité spatiale par ses propres habitants. Les politiciens et, d'une manière générale, le grand public confondent très fréquemment au Canada régions et provinces, en se fondant eux aussi sur des critères statistiques et en faisant référence à l'histoire. De cette manière, ils évoquent en tant que région « la province atlantique » ou « la Prairie », alors que ce sont des espaces où des particularismes nombreux voilent souvent l'élément commun dicté par l'ambiance climatique ou la topographie : il est vrai que Terre-Neuve et la Gaspésie s'insèrent dans le même ensemble, mais combien sont nettes les oppositions entre la péninsule d'Avalon et les rivages de la baie des Chaleurs ! La géographie se doit de mettre en évidence l'ensemble des données du paysage au sens global du terme, c'est-àdire en considérant une entité physique et humaine, sans oublier que se surimpose dans chaque cas, au niveau des populations, une « conscience régionale ». Chaque Canadien a probablement une vision différente de la spécificité de la région où il demeure, et sans doute chaque Canadien a une perception différente de la totalité du Canada. 40 Quatre rubriques essentielles peuvent être retenues pour parvenir à un découpage régional du Canada : Tout d'abord, les interrelations entre les espaces et les – sociétés. Il s'agit ici de privilégier le plus souvent les facteurs physiques : géologie, géomorphologie, pédologie, hydrographie et hydrologie, végétation, climat. Et il convient d'examiner à ce propos comment les hommes ont pu ou n'ont pas pu s'intégrer à leur environnement. Cette adaptation humaine, qui va de pair avec la mise en valeur – d'un cadre naturel, permet de préciser une identité paysagère régionale dans la mesure où le paysage, tel qu'il apparaît à présent, est la résultante d'un processus de structuration de l'espace à partir des deux composantes primordiales que sont les facteurs physiques et la répartition spatiale des hommes ainsi que leurs activités. De la sorte, de vastes superficies au Canada offrent des aspects similaires dans leur paysage, et c'est en regroupant ces similitudes dans un périmètre que l'on peut cerner le « caractère régional », la spécificité intrinsèque de l'espace ainsi délimité tout en saisissant du même coup les différences par rapport à d'autres unités spatiales. On aboutit nécessairement à une répartition géographique des faits – qui s'ordonne obligatoirement suivant une typologie. Le paysage peut alors acquérir un aspect linéaire (le « rang » québécois) ou carré (le township ontarien). Cette allure géométrique est tout à fait caractéristique des pays neufs et, dans le cas d'un territoire aussi vaste que le Canada, les mêmes aspects paysagers peuvent s'étendre sur d'immenses surfaces et constituer un élément décisif dans la délimitation d'unités régionales. Enfin, il faut tenir compte du fait que tout paysage est – dynamique. Si l'environnement naturel n'évolue finalement qu'assez peu à l'échelle d'une vie humaine, les adaptations humaines, elles, sont en perpétuelle mutation. L'évolution qui se poursuit de manière ininterrompue contribue à ce que la géographie régionale du Canada d'aujourd'hui ne soit plus du tout identique à celle d'il y a seulement deux décennies, tant l'interface homme-nature varie continuellement. Alors, dans le périmètre canadien, quels espaces ? Quelles régions ? Comment parvenir à une division régionale dans laquelle il n'y ait ni trop ni trop peu d'espaces distincts ? Et comment sauvegarder, dans ce découpage, l'unité et la diversité du pays pris globalement ? Partons de la vision régionale qu'ont les Canadiens de leur propre pays. Pour l'énorme majorité d'entre eux coexistent trois immensités : le Nord, l'Ouest et l'Est... Mais ne demandez jamais où commence le Nord et où l'on passe de l'Est à l'Ouest ! On peut être étonné qu'il n'y ait pas de « centre » et encore moins de « Sud » dans l'esprit des habitants. Pas de centre, car on ne saurait trop où le placer, même si le centre géographique entre Terre-Neuve et l'île de Vancouver se situe du côté de Thunder Bay et même si, pour les économistes, le « centre du Canada » s'identifie au triangle Toronto-Ottawa-Montréal, appelé également « cœur industriel ». D'ailleurs, lorsqu'on questionne à propos de Thunder Bay, on ne vous répond pas qu'elle est au centre de la fédération mais que c'est « la porte de l'Ouest »... Pas de Sud, pour une raison assez simple : dans l'esprit des Canadiens, ce que nous appellerions « le Sud », c'est en définitive tout le Canada, tant le pays, jusqu'à une époque récente, a paru ignorer son Nord. Partager le pays en un Nord, un Ouest et un Est est une simplification grossière parce que trop imprécise. Un tel découpage n'acquiert pas la même signification suivant l'endroit où l'on se trouve : pour un habitant de Vancouver, un parent qui vit en Ontario, en Nouvelle-Écosse ou au Manitoba demeure « à l'Est ». Et tel autre citoyen de Saint-Jean (Nouveau-Brunswick) va « à l'Ouest » parce qu'il rend visite à son frère qui habite... Ottawa ! Quant au Nord, malgré les distinctions opérées en particulier par L.-E. Hamelin, qui distingue un Pré-Nord, un Moyen Nord, un Grand Nord et un Nord extrême, sa délimitation devient parfois fantaisiste chez beaucoup de personnes interrogées : pour les habitants de Windsor (Ontario), Timmins c'est déjà le « Nord profond », alors que cette ville est pratiquement à la latitude de Vancouver. Les points cardinaux ne sauraient par conséquent permettre de déterminer des espaces, encore moins des régions au Canada. C'est pourquoi il y a lieu de rechercher des facteurs distinctifs suivant une optique se fondant sur les hommes, la mise en valeur et le cadre naturel. On se trouve alors devant quatre nouvelles alternatives : On dissocie d'abord un Canada peuplé ou « colonisé », marqué par – de fortes densités humaines et une intense activité économique, et un « Nord » quasi vide d'hommes et où l'économie ne connaît qu'un développement ponctuel. Une deuxième opposition est d'ordre linguistique et historique : – d'un côté, le Canada anglophone et, de l'autre, les régions francophones, c'est-à-dire la province du Québec, l'Acadie et quelques îlots (SaintBoniface près de Winnipeg par exemple). En troisième lieu, on peut distinguer un « cœur » et un – « arrière-pays » (heartland et hinterland). À cet égard, en Ontario, les rivages des lacs Érié et Ontario, mais surtout le Golden Horseshoe forment le 41 heartland, et le reste de la province n'est qu'un hinterland. Même séparation au Québec avec les pays laurentiens et le nord de la Belle Province. Au Manitoba, on oppose dans cette optique l'agglomération de Winnipeg à tout le pays rural et agricole qui, pourtant, lui est directement lié. À la limite, cette idée d'un heartland s'applique au Canada pris intégralement si l'on considère que, en dehors du sud de l'Ontario et du Québec, on n'est en présence que d'espaces en voie de développement ou de « pays » neufs. Enfin, il faut noter qu'au Canada on a affaire à un territoire qui – est un amalgame de régions plus ou moins polarisées sur un noyau principal et souvent sur des centres secondaires. Autrement dit, une bonne partie de la superficie correspond à une imbrication de zones d'influence urbaines avec toutes les particularités que peut entraîner la structure politique fédérale. Dans cette perspective, ce sont les villes ou les agglomérations qui commandent le partage de l'espace et la régionalisation. Dès les années 1950, Pierre George écrivait qu'« en Amérique du Nord il n'y a de régions qu'urbaines ». Cela se confirme dans certains cas, mais pas partout : dans les provinces des Prairies, le schéma d'organisation de l'espace répond bien, au Manitoba, à l'influence centralisatrice de Winnipeg et dans les deux autres provinces à la rivalité que ne manquent pas d'introduire les binômes Regina-Saskatoon et Edmonton-Calgary. Mais, dans les provinces de l'Atlantique, il apparaît bien difficile de découper l'espace en fonction des agglomérations et de leurs zones d'influence, dans la mesure où la seule véritable agglomération est celle d'Halifax et où son arrière-pays est relativement limité. Ainsi, la séparation entre régions polarisées par les villes et régions non urbanisées n'apparaît pas automatiquement sous l'aspect des seules zones d'influence. D'autres facteurs interviennent à plus vaste échelle. Ceux-ci sont majoritairement des éléments naturels, ce qui introduit des cadres spatiaux assez vastes comme support principal. C'est pour cette raison que le Canada est un territoire dont l'ampleur engendre un double découpage : en espaces d'abord et en régions ensuite, voire en « pays » à l'intérieur de chacun d'entre eux. En rapport étroit avec les données physiques et la densité du peuplement et de la mise en valeur, on admet que le territoire canadien peut se partager en six espaces d'inégale étendue mais facilement discernables par un faisceau de caractères géographiques et économiques spécifiques. Le plus vaste et, sans doute, le plus complexe malgré sa faible population, c'est le Nord. Ou plutôt les espaces nordiques, tant la dénomination de « Nord » se révèle ambiguë. Politiquement, le Nord regroupe le Territoire du Yukon, les Territoires du Nord-Ouest et le Territoire du Nunavut. Cela le limite vers le sud au niveau du 60e parallèle, ce qui ne correspond pas, tant s'en faut, à une limite franchement géographique. Mais il est vrai que l'entité territorienne par rapport à la structure provinciale du reste de la fédération fait de ce Nord un monde structurellement à part, même si, au sud, ses composantes géographiques se rencontrent bien plus loin que le 60e parallèle. Continental autant qu'insulaire, le Nord est d'une diversité que l'on ne soupçonne pas a priori. On imagine un espace désolé et froid, un désert au cadre physique invivable occupé par quelques peuplades dont on évoque même l'arriération. Dans la réalité, le Nord n'est pas que la terre d'élection de la toundra étendant sa carapace morne sur des vastitudes infinies. C'est un domaine en partie boisé et, plus souvent qu'on ne le croit, collinaire, voire montagneux. Cet espace immense entouré par un océan gelé correspond, en bien des endroits, au prolongement d'autres unités que l'on rencontre plus au sud : le Territoire du Yukon est un élément septentrional de la cordillère de l'Ouest ; la vallée du Mackenzie prolonge vers la mer de Beaufort le monde des plaines de l'intérieur, et les montagnes de l'île de Baffin s'incorporent à la guirlande de reliefs qu'on suit jusqu'aux Appalaches tout en appartenant, par la géologie, au Bouclier. Mais ce Nord n'est pas que la continuation des espaces d'un domaine insulaire et arctique. C'est, au contraire, une mosaïque de régions où cohabitent la tradition et le modernisme, où se côtoient l'igloo et la plate-forme de forage pétrolier. C'est une terre d'avenir et en devenir et, en tout cas, la clé du futur, c'est-à-dire du Canada de l'an 3000. Aussi vaste que lui se présente un autre espace en devenir : le bouclier. Son unité est avant tout géologique : la zone d'affleurement du vieux socle précambrien. Si l'on ne considère que ce critère, le bouclier empiète largement sur le domaine précédent et couvre, en gros, la moitié du Canada continental. Mais si, dans sa grande majorité, c'est le support géologique qui est l'élément déterminant, au-delà d'une certaine latitude (600 N. pour simplifier), c'est la nordicité qui l'emporte, et le bouclier s'efface en tant que tel devant le Nord territorien. Ce bouclier offre un espace moins varié et bien moins grandiose que le Nord. Les innombrables lacs qui apparaissent comme autant d'écrins dans un océan forestier ou rocailleux en font un monde tout à fait singulier. Mais c'est aussi une terre d'exception par l'abondance et la variété des ressources minérales, forestières ou hydrauliques. Le bouclier, c'est comme le réservoir et le magasin destinés à approvisionner le Sud, énorme consommateur de ses richesses. C'est aussi la réputation d'un climat particulièrement âpre 42 jusque dans les contrées que la latitude fait considérer, pour le Canada, comme méridionales. Rien d'étonnant alors à ce que, comme dans le Nord territorien, l'on n'y rencontre qu'un habitat ponctuel là où les ressources du sol ou du sous-sol sont exploitées. À tous égards, le bouclier reste avant tout pionnier. La mise en valeur du potentiel hydroélectrique du pourtour de la baie de James montre assez qu'il est, lui aussi, une terre de la promesse, tout comme l'ont été les montagnes de l'Ouest il y a environ un siècle. L'Ouest cordilléran, c'est la montagne par excellence ; c'est aussi l'espace le plus facile à définir et à délimiter. Même si des reliefs élevés existent ailleurs (îles de Baffin ou d'Ellesmere), l'Ouest évoque pour le Canadien la montagne au même titre que les Alpes pour un Français. Les montagnes de l'Ouest constituent le domaine des grands contrastes sur les distances les plus courtes. L'Européen, et en particulier l'Alpin, y retrouve ce contexte bien connu de petites unités qui s'ajoutent les unes aux autres pour former un ensemble tout en conservant intacts leurs particularismes. Ce qui n'exclut jamais l'évolution vers le modernisme : longtemps synonyme de région d'arboriculture fruitière, où la culture des pommiers tendait à devenir monoculture, la vallée de l'Okanagan vient de s'éveiller au tourisme et devient une aire de loisirs appréciée des habitants de Vancouver. Cet Ouest des montagnes, c'est aussi un Ouest pacifique et, par son climat exceptionnel autant que par sa position géographique, le delta du Fraser en devient l'élément moteur par rapport aux montagnes qui acquièrent les traits d'un arrière-pays. On retrouve là le cheminement vers la dichotomie déjà évoquée du heartland et de l'hinterland, dont les racines se trouvent en Ontario mais aussi dans les provinces des Prairies. La Prairie, les Prairies, les plaines de l'intérieur : trois dénominations pour un même ensemble dont l'unité repose autant sur la géomorphologie que sur la mise en valeur. C'est le domaine traditionnel de la céréaliculture. Cependant, si celle-ci existe partout, ce n'est pas partout la même céréaliculture, car le climat impose par ses nuances des contraintes sévères dont la technologie et la science agronomique essaient de s'affranchir. Traditionnellement, les provinces des Prairies évoquent par leur paysage les alignements d'« elevators » le long desquels stationnent les interminables trains de céréales ; le paysage rural est celui des grands carrés des townships avec leur semis régulier de fermes. Mais cette image traditionnelle occulte le rôle croissant des villes qui subordonnent de plus en plus un espace rural ; celui-ci connaît l'exode et ne devient qu'un arrière-pays des agglomérations. Et, dans l'Alberta principalement, ce monde, qui ne compte d'ailleurs pas que des plaines, est aussi celui du pétrole, découvert dans la première moitité du XXe siècle à Leduc . Toutefois, le pétrole albertain a surtout profité au développement du véritable cœur de tout le Canada, c'est-à-dire à l'axe laurentien. Les bas-pays des Grands Lacs et du Saint-Laurent sont un espace bien réduit en superficie, à l'échelle du pays, mais qui rassemble un peu plus de la moitié de la population nationale et d'où proviennent les trois quarts du produit intérieur brut. C'est véritablement le heartland du Canada. Tout concourt à en faire un ensemble de régions riches : les sols favorables, le climat supportable, la topographie facile, les fortes densités humaines, les grandes agglomérations et l'industrie. Et le tout en bordure de la voie de pénétration royale qu'est le Saint-Laurent, avec son double débouché sur la mer intérieure des Grands Lacs et sur l'Atlantique. L'escarpement qui limite au sud le bouclier canadien détermine nettement la vallée du Saint-Laurent, et les contreforts appalachiens font apparaître un autre ensemble au sud du fleuve, conférant à l'axe Sud-Ouest Nord-Est un aspect évident de grand corridor. Cet espace agricole et industriel n'est pas uniforme et, là plus qu'ailleurs, se lit l'influence des deux grandes métropoles rivales, Montréal et Toronto, comme se remarque partout la dualité entre l'Ontario anglophone et le Québec francophone. L'existence de régions urbaines et de secteurs franchement agricoles apporte un élément supplémentaire de diversité, alors que les rivages lacustres et la vallée même du Saint-Laurent introduisent une différence nette. Aux deux extrémités de cette main street canadienne, deux villes de moyenne importance ressemblent à des sentinelles : Windsor, face à Detroit et à un des espaces les plus prospères des États-Unis, et la ville de Québec qui, du haut de son promontoire fortifié, est tout à fait dirigée vers le monde de l'Atlantique, dont elle est en quelque sorte la porte d'accès obligée. Restent, enfin, les régions orientales, celles qui regardent vers l'Europe et qui furent les premières colonisées. Cette façade atlantique du Canada, à laquelle il faut ajouter le pourtour du golfe du Saint-Laurent, est appelée par les anglophones the bypassed East : c'est ce que les Canadiens dénomment « les Maritimes ». En vérité, c'est un espace qui s'accommode assez mal du découpage administratif, dans la mesure où l'on y ajoute la Gaspésie. On exclut le Labrador parce qu'il fait partie intégrante du bouclier tout en ayant un littoral 43 atlantique et tout en appartenant à la province de Terre-Neuve ; on ajoute la péninsule de Gaspé, qui est québécoise parce qu'entre l'embouchure du Saint-Laurent et la baie des Chaleurs l'avancée vers l'est qu'elle représente s'inscrit parfaitement par sa position et ses activités dans ce contexte géographique fortement imprégné par la présence de l'océan. Cet ensemble, regroupant tout ou partie de cinq provinces (TerreNeuve, île du Prince-Édouard, Nouvelle-Écosse, Nouveau-Brunswick et Québec), ce qui est unique au Canada, est à la fois continental et insulaire, et apparaît constitué de pièces et de morceaux sans qu'une unité se dégage de prime abord. Pourtant, cette unité se manifeste par le climat et par les paysages. Le premier est franchement océanique mais avec des caractères spécifiques de façade orientale d'un continent, c'est-à-dire frais et humide ; les seconds rappellent que nous sommes ici dans la terminaison septentrionale du système appalachien. L'unité vient aussi du fait que nous sommes là dans le seul ensemble géographique du Canada affecté par une convergence de facteurs économiques négatifs : revenus moyens moins élevés, chômage plus répandu et dépendance sans cesse croissante à l'égard des finances fédérales font de cet Est atlantique un espace ancien et en crise. · Henri ROUGIER III - Économie Membre du groupe des sept grands pays industrialisés (G7), le Canada se caractérise par une importante ouverture vers l'extérieur de ses marchés commerciaux et financiers. Cette ouverture se manifeste principalement, quoique non exclusivement, vis-à-vis des États-Unis. Tout en affichant un niveau de vie supérieur aux pays de la zone euro et à la moyenne des États de l'O.C.D.E., sa performance dans ce domaine est tout de même inférieure à celle des États-Unis. Fortement dépendante de l'économie américaine, la croissance économique réelle (mesurée par la croissance du P.I.B. en volume) du pays a largement bénéficié de la forte conjoncture américaine des années 1990, avant de faire face au ralentissement de l'économie mondiale au début des années 2000. En moyenne, l'économie canadienne a cependant enregistré une hausse de 3 % chaque année depuis la fin des années 1990. La croissance est inégale selon les provinces. L'Ontario contribue ainsi à près de 40 % du P.I.B. total tandis que la part cumulée des Territoires du Nord-Ouest, du Nunavut et du Yukon est inférieure à 1 %. Ces disparités régionales se retrouvent aussi dans les indicateurs du marché du travail. Caractérisée par une tendance explosive des niveaux d'endettement publics de la fin des années 1970 au milieu des années 1990, la situation financière de l'ensemble des administrations gouvernementales fédérale, provinciales et locales s'est ensuite nettement améliorée. Néanmoins, les Canadiens sont généralement parmi les citoyens les plus taxés d'Amérique du Nord. Au chapitre de la politique monétaire, la Banque du Canada a adopté depuis 1991 un régime de cibles d'inflation qui consiste à maintenir l'inflation (mesurée par l'indice des prix à la consommation – I.P.C.) à un niveau bas proche de 2 %. Ce cadre est présenté comme le meilleur moyen de promouvoir une croissance et une stabilité économique durable. 'En matière de change, le Canada a opté pour un régime de change flottant, dès 1950, bien avant l'abandon du système de Bretton Woods. Sauf circonstances exceptionnelles, le Canada ne cherche donc pas à influer sur le cours de sa monnaie. Le cours de change du dollar canadien évolue ainsi librement sur le marché des changes. Il peut s'ensuivre, en réaction à des chocs économiques, des variations très prononcées du taux de change qui ne sont pas forcément faciles à gérer, mais réduisent d'autant les ajustements qui devraient s'opérer sinon au niveau des prix, des salaires et de la production. Données générales et évolution conjoncturelle récente Le P.I.B. du Canada représentait, au début des années 2000, un peu plus de 3 % de l'ensemble des P.I.B. (réels) des pays membres de l'O.C.D.E., se classant ainsi au septième rang de l'Organisation. Son économie, en termes de P.I.B., représente un peu moins de 9 % de l'économie américaine, près de 55 % de l'économie de la France et à peu près autant que celle du Mexique (son autre partenaire, à côté des États-Unis, au sein de l'A.L.E.N.A.), ou encore que la somme des économies néerlandaise, belge, luxembourgeoise et norvégienne. En dépit d'une croissance mondiale irrégulière au début des années 2000, le Canada a maintenu un bon rythme de croissance, proche de 3 % en moyenne chaque année depuis la fin des années 1990. En dollars canadiens courants, le P.I.B. canadien atteignait en 2007 près de 1 500 milliards, soit plus de 15 fois son 44 niveau du début des années 1970. En dollars constants, c'est-à-dire après correction de l'effet de l'inflation, le P.I.B. réel atteignait 1 300 milliards, soit 3,75 fois son niveau du début des années 1970. Le P.I.B. réel par habitant représente une mesure adéquate pour comparer le niveau de vie entre pays ou régions économiques. En effet, il dépend de la productivité du travail et de la proportion de la population au travail (ou taux d'emploi). À cet égard, selon la parité des pouvoirs d'achat, le Canada occupait, en 2005, le neuvième rang des pays de l'O.C.D.E. devant le Royaume-Uni et la plupart des pays de la zone euro (hormis le Luxembourg, l'Irlande, l'Autriche, le Danemark et les Pays-Bas, mieux classés), mais derrière les ÉtatsUnis. Composition sectorielle de l'économie canadienne L'économie canadienne est dominée par le secteur des services, qui génère plus des deux tiers du P.I.B. Avec un taux de croissance annuel supérieur à 3 % depuis la fin des années 1990, le secteur des services a dominé la croissance économique du pays, grâce au dynamisme du secteur du commerce de gros et de détail, des secteurs de la finance, de l'assurance et de l'immobilier, ainsi que des services professionnels et techniques. Au sein des industries productrices de biens, les secteurs de la construction et de la fabrication représentent respectivement 15 % et 6 % environ de la valeur ajoutée brute globale. Représentant seulement 2 % environ de la valeur ajoutée brute, le poids du secteur agricole (incluant la sylviculture et la pêche) est faible, cependant le secteur forestier, comme l'industrie minière et l'extraction de pétrole et de gaz, contribue notablement à la croissance de l'économie canadienne. Le secteur des services représente les trois quarts des emplois au Canada. Les 25 % restant se répartissent essentiellement entre l'industrie manufacturière (13 %) et le secteur de la construction (6 %), l'agriculture et le secteur des forêts, pêches, mines, pétrole et gaz n'occupant plus que 4 % environ des actifs. Le poids croissant du secteur des services a été porté, depuis le milieu des années 1990, par le développement significatif du secteur des technologies de l'information et des communications (T.I.C.) – télécommunication, fabrication d'ordinateurs, services scientifiques et informatiques. Cependant, les dépenses totales en recherche et développement (R.-D.), dont ce secteur dépend beaucoup ont peu progressé depuis la fin des années 1990. Après avoir dépassé 2 % au début des années 2000, elles sont redescendues au-dessous de ce seuil au milieu des années 2000, ce qui est nettement inférieur à l'ensemble des pays de l'O.C.D.E. (2,21 %), au G7 (2,44 %) et aux États-Unis (2,77 %). La faible part de la R.-D. est un peu inquiétante pour la performance économique à venir du Canada, dans le contexte d'une économie de plus en plus axée sur le savoir. Une économie très ouverte sur l'extérieur L'économie du Canada est largement ouverte sur l'extérieur. Bien que cette caractéristique ne soit pas nouvelle, particulièrement vis-à-vis des États-Unis, plusieurs traités de libre-échange bilatéraux et multilatéraux l'ont accentuée. En janvier 1989, l'Accord de libre-échange Canada - États-Unis (A.L.E.) élargissait le cadre des échanges commerciaux entre les deux pays, visant la suppression progressive sur dix ans de la plupart des barrières tarifaires et la réduction d'autres barrières non tarifaires. Une innovation très importante de cet accord consista à mettre en place des procédés plus efficaces de règlement des litiges commerciaux entre les pays – ces procédés ont été repris dans d'autres accords ultérieurs sur le commerce. En 1994, l'A.L.E. a été intégré à l'Accord de libre-échange nord-américain (A.L.E.N.A.), auquel accédait également le Mexique. D'autres accords commerciaux bilatéraux ont été signés depuis lors : en 1997, avec Israël et le Chili ; en 2001, avec le Costa Rica. Au niveau multilatéral, le Canada est bien entendu signataire de l'accord de libéralisation des échanges qui mena, en 1995, à la création de l'Organisation mondiale du commerce (O.M.C.), qui a succédé au G.A.T.T. Comme il l'a montré lors du Sommet des Amériques qui s'est tenu à Québec en avril 2001, le Canada est aussi un acteur de premier plan dans la négociation entreprise pour la création de la Zone de libre-échange des Amériques (Z.L.E.A.). De plus, en tant que membre de l'Organisation de coopération économique Asie-Pacifique (A.P.E.C.), le Canada vise un libreéchange régional entre les pays membres développés pour 2010, que rejoindraient les pays membres à économie en développement en 2020. En juillet 2007 ont par ailleurs débuté les négociations d'un accord de 45 libre-échange avec les pays membres du marché commun des Caraïbes (Caricom). Paradoxalement, malgré un tel niveau de libéralisation dans les relations avec l'extérieur, un assez grand nombre de barrières non tarifaires ont limité historiquement les échanges commerciaux et la mobilité de la main-d'œuvre entre les provinces canadiennes. L'Accord sur le commerce intérieur (A.C.I.) signé par les gouvernements provinciaux et le gouvernement fédéral en 1995 vise à régler ces problèmes. L'importance du commerce extérieur dans l'économie canadienne est indéniable . Les exportations et les importations de biens et services représentent respectivement environ 35 % et 30 % du P.I.B. Les États-Unis sont la destination de près de 80 % des exportations du Canada et l'origine de 65 % environ de ses importations. La part des États-Unis dans le commerce canadien tend toutefois à décliner au profit des pays d'Asie (Chine et Corée notamment), du Mexique et de l'Europe. En tant qu'exportateur et importateur de marchandises, le Canada occupe le neuvième rang dans le commerce mondial de marchandises. Pour le commerce des services, il se situe au treizième rang des pays exportateurs et au dixième des pays importateurs. Riche en ressources naturelles et s'appuyant sur un grand espace géographique peu densément peuplé, le Canada exporte traditionnellement une grande quantité de matières premières minérales et énergétiques, beaucoup de produits agricoles et alimentaires, de bois, de pâtes et papiers, et importe des équipements et de l'outillage en grande quantité. Par ailleurs, un traité commercial établi en 1965 avec les États-Unis – le Pacte de l'automobile – a contribué à favoriser le commerce des produits automobiles et des pièces détachées entre les deux pays. Depuis la fin des années 1990, les expéditions d'équipements de télécommunications, de matériel électronique et d'aéronefs ont pris une part plus importante dans les exportations canadiennes, avec le développement d'acteurs majeurs dans le secteur des T.C.I. (Nortel, B.C.E. International). La crise traversée en 2001 par les valeurs technologiques sur les marchés boursiers mondiaux a ralenti de façon passagère l'expansion de ces secteurs. Au cours des années 1990-2000, l'équilibre du commerce extérieur, tel que le révèle la balance des paiements, se caractérise par un solde généralement excédentaire de la balance commerciale des biens et services, en grande partie soutenue par la forte demande du marché américain ; l'excédent commercial réalisé vis-à-vis des États-Unis représentant 1,8 fois l'excédent de la balance commerciale totale du Canada.. En ce qui concerne l'intégration des marchés financiers, le Canada a connu l'une des plus longues expériences de marchés libéralisés des capitaux et de taux de change flottant (de 1950 à 1962 et depuis 1970) parmi les principaux pays industrialisés depuis la Seconde Guerre mondiale. Les investisseurs canadiens ont d'ailleurs potentiellement connu un accès illimité au marché américain des capitaux depuis le début des années 1950. Cette forte intégration des marchés financiers pour une petite économie ouverte implique que les taux d'intérêt réels (différence entre les taux d'intérêt nominaux et le taux d'inflation) canadiens sont déterminés en grande partie par les taux d'intérêt réels mondiaux, voire américains. Cela n'a pas empêché, en revanche, l'existence de différentiels positifs importants et persistants entre les taux d'intérêt réels canadiens et américains de court et de long termes sur certaines périodes, comme de 1976 à 1998. Les écarts historiques – jusqu'à 6 % au début des années 1990 – ont coïncidé notamment avec la hausse importante de l'endettement des administrations publiques au Canada et se sont résorbés, alors que le taux d'endettement public a été contrôlé, puis a commencé à décliner. Historiquement, la valeur du dollar canadien par rapport au dollar américain a beaucoup varié. De 1,048 dollar canadien pour 1 dollar américain en 1970, la monnaie canadienne a eu tendance à se déprécier jusqu'en 1986, pour atteindre une valeur de 1,390. Puis, elle s'apprécia jusqu'en 1991 à 1,146, se déprécia dans les années suivantes, atteignant même un plancher historique avec une valeur du taux de change de 1,584 5 en août 1998, alors que le cours des matières de base s'effondrait. Avec une reprise du cours de ces dernières, le dollar canadien se stabilisa et se raffermit un peu en 1999 et 2000. Depuis le début de 2001, le dollar canadien s'est à nouveau déprécié par rapport à la devise américaine.. Finances publiques, politique budgétaire et politique monétaire En 2007, les recettes totales du gouvernement fédéral s'élevaient à environ 558 milliards de dollars canadiens. Environ 85 % de ce montant provenait des impôts. Les recettes totales des administrations provinciales-territoriales et locales s'établissaient respectivement à 316 milliards de dollars et à 107 milliards 46 de dollars. Depuis la fin des années 1980, les dépenses des administrations publiques ont augmenté de façon régulière, mais à des taux différents. Les dépenses des administrations provinciales-territoriales et locales ont crû plus rapidement (à un rythme annuel de 4,5 % environ) que celles de l'administration fédérale (environ 3 % de progression annuelle moyenne). L'ensemble des dépenses des différentes administrations au Canada avait atteint un maximum en 1992, représentant plus de la moitié du P.I.B, dont une part non négligeable résultait des intérêts sur la dette publique (environ 5 % du P.I.B). L'endettement des administrations publiques fédérale et provinciales avait généralement connu une tendance explosive, à partir du milieu des années 1970 pour le gouvernement fédéral et dès le début des années 1980 pour plusieurs gouvernements provinciaux. Avec ce dérèglement de la gestion de ses finances publiques, le Canada atteignit en 1996 la troisième place des pays avec les plus forts taux d'endettement public brut (120,9 % du P.I.B.) et net (88,5 % du P.I.B.), juste derrière la Belgique et l'Italie. L'endettement net résulte de la différence entre le passif total des gouvernements et la valeur de leurs actifs. Depuis 1998, des efforts importants de redressement ont été faits par le gouvernement fédéral et ses homologues provinciaux, efforts qui furent grandement facilités par la croissance économique. Ils leur ont permis d'afficher des excédents budgétaires et de réduire les taux d'endettement public. Cependant, même si l'administration fédérale a, au cours des années 2000, réussi à diminuer le déficit, le niveau d'endettement global demeure une préoccupation. La dette du gouvernement canadien s'établissait encore en 2004 à environ 523 milliards de dollars, soit plus de 40 % du P.I.B. total du Canada, impliquant des versements d'intérêt de l'ordre de 15 % du revenu annuel du gouvernement. Par ailleurs, la situation de l'endettement public des administrations provinciales diffère beaucoup d'une province à l'autre. Par exemple, en 1999-2000, les administrations publiques de Terre-Neuve, de la Nouvelle-Écosse et de Québec avaient des taux d'endettement net supérieurs à 42 % de leurs P.I.B. respectifs, alors que les ratios correspondants étaient de 26,9 % pour l'ensemble des provinces et de 2,6 % pour l'Alberta. Du point de vue de la fiscalité, les recettes courantes des administrations publiques (résultant des taxes, impôts, cotisations sociales, etc.) représentent près de 44 % du P.I.B. Lorsqu'on considère les variations dans la structure et les niveaux de taxation entre provinces, on voit que les citoyens de certaines provinces canadiennes sont parmi les plus taxés en Amérique du Nord, le Québec occupant la première place. À la fin des années 1990, le Canada venait au troisième rang des pays de l'O.C.D.E., avec les taux globaux de taxation sur les entreprises les plus élevés (environ 47 %) devant la Turquie (43 %), la France (42 %) et les États-Unis (39 %). Le fardeau fiscal pèse lourdement sur la compétitivité de l'économie et a des effets négatifs sur le niveau de vie des Canadiens. La prise en compte de cette situation a incité le gouvernement fédéral et plusieurs provinces, quoique de manière inégale, à réduire les impôts. Cette orientation budgétaire se heurte aux demandes de ressources financières supplémentaires, notamment dans le programme de santé publique. Le taux moyen annuel de hausse de l'indice des prix à la consommation (I.P.C.) global a été de 5,0 % entre 1970 et 1973, 9,2 % entre 1973 et 1979, 6,5 % entre 1979 et 1989, puis stabilisé au-dessous de 3 % depuis le début des années 1990. Lorsqu'on exclut de l'I.P.C. des composantes dont les prix relatifs sont volatils, comme l'alimentation, l'énergie et les taxes indirectes, on remarque que l'inflation tendancielle a évolué parallèlement à la hausse de l'I.P.C. global, avec des niveaux parfois un peu plus faibles. Afin de poursuivre un objectif de maîtrise de l'inflation, la Banque du Canada et le gouvernement fédéral commencèrent en 1991 à fixer des fourchettes cibles de l'inflation. Elles furent graduellement réduites et sont établies depuis 1995 entre 1 % et 3 %. La Banque du Canada est une banque centrale relativement indépendante, particulièrement en ce qui concerne l'élaboration et la poursuite des opérations régulières de la politique monétaire. En pratique, par la gestion des encaisses de trésorerie du gouvernement fédéral et d'autres opérations, elle cherche à exercer une influence sur les taux d'intérêt de très court terme, de manière à imprimer à la masse monétaire une évolution compatible avec la fourchette cible d'inflation. Alors que certains signes de pressions inflationnistes qui auraient pu amener le taux d'inflation vers la borne supérieure de la fourchette cible commençaient à se manifester vers la fin de 1999 et le début de 2000, la Banque du Canada résolut de resserrer sa politique monétaire. Cela se traduisit par une augmentation des taux d'intérêt d'un peu plus de 4,5 % à la mi-1999 jusqu'à environ 5,8 % du printemps 2000 jusqu'au début de 2001. La résorption des pressions inflationnistes et le ralentissement économique amorcé ont ensuite conduit la Banque du Canada, en parallèle à la Réserve fédérale américaine, à adopter une politique monétaire moins restrictive. Mais les tensions qui se sont fait jour sur les marchés de l'énergie et des matières premières en 2005-2006 ont amené la Banque centrale à interrompre cette détente monétaire, dans 47 un contexte où elle jugeait l'économie canadienne proche de ses pleines capacités et le taux de chômage suffisamment faible pour ne pas souffrir de ce nouveau resserrement. Marché du travail, disparités régionales, niveau de vie et redistribution des revenus Le taux de chômage au Canada se situe à un niveau proche de 6 %. Avant qu’il ne se stabilise à ce niveau, le pays a longtemps connu un taux de chômage relativement élevé. Entre 1970 et 1989, il s'établissait en moyenne à 8,0 %, avec un maximum de 11,9 % en 1983. De 1990 à 2000, le Canada a affiché un taux de chômage moyen de 9,3 %. La décennie avait débuté avec des taux supérieurs à 10 % jusqu'en 1994, et supérieurs à 9 % jusqu'en 1997. Un autre indicateur pour mesurer le marché du travail est le taux d'emploi, qui correspond au pourcentage de la population de 15 à 64 ans qui occupe effectivement un emploi. Celui-ci était en moyenne de 65,7 % entre 1970 et 1999. À la fin des années 1990, le taux d'emploi s'est amélioré de façon notable pour atteindre 71,1 % en 2000 (soit la neuvième meilleure performance des pays de l'O.C.D.E., dont le taux moyen est de 65,7 %). En 2006 cependant, il redevenait inférieur à 64 % avec des écarts importants entre les provinces. Le taux de chômage varie aussi beaucoup d'une province canadienne à l'autre. Alors qu'il était de 6,1 % en juin 2007 pour l'ensemble du Canada, le taux s'établissait entre 13,1 % et 6,8 % dans les provinces de l'Atlantique, il était de 6,9 % au Québec, de 4,4 % en Colombie-Britannique et se situait entre 3,8 % et 6,5 % dans les quatre autres provinces. Les causes de cette disparité sont multiples. La mobilité de la main-d'œuvre dans certaines régions est souvent limitée. L'absence de diversification de l'activité économique entraîne un manque chronique d'emplois ; de plus, certaines provinces sont affectées par des variations saisonnières importantes. La fiscalité peu compétitive et certaines dispositions du cadre réglementaire et législatif, qui réduisent aussi la flexibilité du marché du travail, ne facilitent pas la création d'emplois. Cela étant, hormis la province de Terre-Neuve-et-Labrador, la situation de l'emploi s'est grandement améliorée depuis le début des années 2000 partout dans le pays. Une autre dimension importante pour mesurer la performance économique d'un pays consiste à évaluer et comparer son niveau de vie (ou P.I.B. réel par habitant). De 1980 à 1996, période au cours de laquelle le Canada a connu des déficits budgétaires constants et considérables, le pays se classait à l'avant-dernier rang des pays du G7 et au 22e rang des pays de l'O.C.D.E., au chapitre de la croissance du P.I.B. réel par habitant. La fin des années 1990 a ensuite marqué un important revirement, le P.I.B. réel par habitant ayant progressé plus vite au Canada que dans les autres pays du G7. De 1997 à 2001, le P.I.B. réel par habitant a augmenté en moyenne de 3 % par année, résultat semblable à celui observé au cours des années 1960 et 1970. Le Canada est ainsi passé de la 22e à la 9e place au classement de l'O.C.D.E. Bien qu'il demeure important, l'écart du niveau de vie avec les États-Unis s'est rétréci. Après s'être creusé dans les années 1980 jusqu'à atteindre un sommet de près de 19 % en 1997, il est redescendu aux environs de 15 % au début des années 2000. Cette amélioration s'explique en grande partie par la forte croissance de l'emploi et par celle de la productivité du travail. L'un des principaux défis du Canada est de poursuivre la réduction de cet écart de niveau de vie entre Canadiens et Américains. Cependant, la croissance du taux d'emploi ne pourra plus guère constituer un levier pour la croissance du niveau de vie des canadiens. Plusieurs raisons à cela : d'une part, l'amélioration de l'emploi a été telle que les marges de progression supplémentaires sont désormais réduites. D'autre part, le taux d'activité se situe à un niveau (plus de 67 % en 2007) proche de ses sommets historiques, or la croissance de la population d'âge actif (de 15 à 64 ans) poursuit son ralentissement avec l'arrivée à l'âge de la retraite de la génération du « baby-boom ». C'est donc essentiellement sur l'accroissement de la productivité que va pouvoir reposer l'amélioration du niveau de vie. Celle-ci dépendra tout entière de la capacité des entreprises canadiennes à accroître leur productivité et de celle du gouvernement à favoriser leurs efforts au moyen de politiques économique et fiscale mais aussi sociales (éducation, santé...) adaptées, et d'un soutien appuyé à l'innovation et à la recherche. · Alain PAQUET · · Bibliographie sélective États-Unis, Canada. Géographie universelle, t. 4, Belin-Reclus, Paris-Montpellier, 1992 P. GEORGE, La Géographie du Canada, Presses univ. de Bordeaux, 1986 48 · L.-E. HAMELIN, Le Canada, coll. Magellan, P.U.F., 1969 ; Canada, a Geographical Perspective, Wiley, Toronto, 1969 · D. INNIS, Canada : a Geographical Study, McGraw-Hill, Toronto, 1966 · J. PELLETIER, Le Canada, Masson, Paris, 1976 · J.-L. ROBINSON, Concepts and Themes in the Regional Geography of Canada, Talonbooks, Vancouver, 1983 · H. 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