Assemblée nationale – Groupe SRC Direction des études – 126 rue de l’Université 75007 Paris
François Hada Le 1er décembre 2008
Fonds souverains dans le monde et en France
Selon l’approche standard, les fonds souverains sont des fonds d'États qui investissent dans
des bons du trésor (souvent américains), dans l’immobilier, des titres mobiliers (actions,
etc.), et d’une manière générale à plus ou moins long terme dans des actifs financiers à fort
rendement. Ils sont constitués soit à partir des excédents courants
1
, tirant parti par exemple
de la hausse des prix des matières premières ou du baril de pétrole, soit à partir de l’épargne
nationale dégagée grâce à leur croissance économique. Pour les pays détenteurs, ces fonds
sont un vecteur de placements dans des secteurs « d’avenir », ce qui permet entre autres
d’assurer des revenus pour les générations futures, notamment pour les pays dont les
revenus actuels sont tirés de ressources naturelles épuisables (pétrole par exemple) ou de
matières premières aux prix instables.
La création d’un fonds souverain français répond, elle, à une problématique plus défensive :
aider à la stabilisation des entreprises « saines » secouée par la crise financière et sécuriser
le capital d'entreprises stratégiques que les baisses boursières exposent aux OPA hostiles.
Avantages et risques portés par les fonds souverains
Les fonds souverains ont fait leur apparition il y a un demi siècle. Il y 55 ans, le Koweït
instituait le Koweït Investment Board chargé d’investir les surplus pétroliers koweitiens. A ce
jour, on en compte une quarantaine, pour la plupart contrôlés par des pays émergents,
résidant principalement dans le Golfe et à Singapour. Seuls deux États membres de l'OCDE,
la Norvège et le Canada, détiennent des fonds souverains de taille significative. Début 2008,
le montant des actifs ainsi gérés s'élèverait au moins à 3 000 Mds USD (2 000 Mds €). Ces
montants pourraient s’élever dans quelques années à 10 000 Mds USD (6 700 Mds €) selon
le FMI. Douze fonds ont ainsi été créés depuis 2005, principalement par des Etats non
membres de l'OCDE. Ce développement est pérenne
2
.
La forte hausse des prix des matières premières et du pétrole, et les excédents courants de
ces pays, contribuent au développement de ces fonds. Leur taille a très nettement augmen
en 15 ans. Le nombre de fonds, les montants d'actifs qu'ils détiennent et l'élargissement de
leur champ d'investissement en font désormais des acteurs financiers significatifs.
Toutefois, ces fonds souverains ne détiennent qu’environ 4% des actifs gérés par l'ensemble
des fonds dans le monde (hedge funds, fonds d’investissement, fonds de pension, etc.) et ne
sont à l’origine que de 1,6% des fusions-acquisitions en 2007. A ce jour, 5 de ces fonds
souverains détiennent près de 70% du total des actifs détenus par des fonds souverains. Les
Émirats arabes unis, la Norvège, l'Arabie Saoudite, la Chine, le Koweït, la Russie et
Singapour en sont les principaux propriétaires. Le fonds souverains chinois, la Chinese
Investment Corporation (CIC), créée en 2007, dispose d’un capital initial de 205 Mds USD,
dont une capacité d’investissement international de 70 Mds USD, le reste servant à des
investissement domestiques. La Russie a créé en 2008 un fonds de réserve de 125 Mds
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La balance courante d'un pays est le solde de ses échanges commerciaux (exportations
importations) de biens et services, revenus et transferts courants. L’excédent indique que le solde
est positif.
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Rapport sur les fonds souverains, Alain Demarolle et Henri Johanet, rapport remis en mars 2008
à la ministre de l’Economie, de l’industrie et de l’emploi.
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USD, destinés à des investissements internationaux. Elle a aussi créé un fonds du « bien
être national » de 32 Mds USD.
Les fonds souverains contribuent à la diversification de l'accès au crédit. Ils offrent aux pays
d'accueil des avantages similaires à ceux des investissements étrangers classiques. Ils
signalent l’ouverture des marchés émergents à nos investissements, dès lors qu’une clause
de réciprocité d’investissement dans les pays détenteurs de ces fonds souverains, est
effective. En France, de nombreux fonds souverains sont déjà présents dans le capital de
grands groupes nationaux. Ainsi, Dubaï International Capital détient 3% de EADS, Qatar
Investment Authority 5% de Lagardère. Le fonds gérant les réserves de change de Pékin
détient 1,6 % du capital de Total.
Depuis la crise des crédits hypothécaires à l'é2007 aux États-Unis, les fonds souverains
ont joué un effet stabilisateur sur les marchés financiers, en intervenant auprès de grandes
banques américaines fragilisées par la crise des subprimes. En novembre 2007, le fonds
Abu Dhabi Investment Authority (ADIA) a acquis 4,5% du capital de Citigroup. En décembre
2007, le fonds chinois China Investment Corporation (CIC) a acquis 9,9% du capital de la
banque d'affaires Morgan Stanley, pour 10 Mds USD. Au total, en 6 mois, 66 Mds USD ont
été investis par des fonds souverains dans les institutions financières occidentales. Le plus
souvent, les fonds souverains intervenant dans des acquisitions financières, ont limité leurs
participations et se sont interdits d’être représentés au sein des conseils d'administration.
Mais symétriquement à cet effet stabilisateur, les masses financières et les prises de
participations de ces fonds dans les actifs des grandes banques induit le soupçon d’être des
instruments servant les stratégies économiques et politiques des pays les gérants, donc
surtout les pays émergents, au détriment des pays dits développés. Le caractère public de
ces fonds signifie que des gouvernements étrangers peuvent intervenir dans le capital
d'entreprises privées de pays tiers. L'émergence de fonds souverains gérés par la Chine ou
la Russie, dont les intérêts stratégiques et politiques sont connus, pose problème. De plus, la
réciprocité des investissements dans des entreprises des pays émergents n’est pas toujours
effective. Enfin, ces fonds souverains ne sont pas toujours transparents quant à leur taille,
leur rentabilité économique, la composition de leur portefeuille et leur stratégie.
Les ministres du G7 ont insisté en octobre 2007 sur la nécessité d’une transparence
améliorée et ont demandé à l’OCDE, au FMI et à la Banque mondiale de se saisir de cette
question. Le FMI est en train de mettre au point un « code de déontologie » des fonds
souverains en collaboration avec leurs détenteurs. L'OCDE cherche à définir les meilleures
pratiques pour les pays destinataires de ces fonds. L’objet de ces travaux est d'aider les
gouvernements à protéger leur sécurité nationale, lorsque les fonds souverains s’intéressent
à des entreprises d’armement ou touchant au nucléaire par exemple, en évitant que les pays
accueillant les investissements des fonds souverains ne soient tentés par une forme de
protectionnisme en matière d'investissement. Des textes pourraient être adoptés en 2009. La
Commission européenne propose aux États membres d'adopter une stratégie commune, en
privilégiant l’ouverture aux investissements, conditionnée à l'obligation pour les fonds
souverains de publier des comptes.
La position du gouvernement français sur les fonds souverains
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Christine Lagarde, dans un communiqué le 5 mars 2008, a reconnu l'utilité des fonds
souverains, sans perdre de vue les inquiétudes que ces fonds soulèvent quant à leur
manque de transparence.
La France a structurellement besoin d'investisseurs à long terme et les fonds souverains
peuvent faire partie de ces acteurs. Notre pays est par ailleurs en concurrence avec ses
principaux partenaires pour attirer ces investisseurs. A ce titre, Alain Demarolle
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estime que
la France est trop réticente à ces investisseurs financiers alors qu'elle est l’un des pays qui
accueille le plus d’investissements étrangers, selon l'OCDE. Depuis 2003, la France a mis en
oeuvre, avec l'Agence française pour les investissements internationaux une politique
d'amélioration de l'attractiviqui répond bien aux attentes des fonds souverains. Enfin, le
système français de contrôle des investissements étrangers est moins restrictif que les
dispositifs mis en place par les autres pays du G7 ou par les autres pays européens.
Le rapport « Demarolle » préconise ainsi d’éviter les traitements discriminatoires des fonds
souverains, si ceux-ci s'inscrivent dans une claire logique de réciprocité en matière d’accès
des investissements français et européens dans les pays d'origine des fonds souverains,
ainsi qu'en matière de droit boursier. Il suggère aussi de préciser la définition des secteurs
stratégiques au niveau européen (énergie, infrastructures, etc.) nécessitant une
réglementation spécifique des investissements étrangers.
Cette question devait être au cœur des objectifs de la présidence française de l'Union
européenne. Les pays membres de l’Union européenne et les représentants des fonds
souverains qui le souhaitaient, devaient être réunis au 2nd semestre 2008, afin de formaliser
un ensemble d'engagements réciproques.
De la pertinence ou pas de créer un fonds souverain français
Nicolas Sarkozy a voulu doter la France de son fonds souverain : le « Fonds stratégique
d'investissement français », gérant 20 Mds , détenus majoritairement par la Caisse des
dépôts. Sur les 20 Mds , 14 viennent de la réunion des participations minoritaires de l'Etat
(dans Air France, Renault ou encore France télécom) et de l'ensemble des participations
stratégiques de la CDC (Accor, Veolia, la Cie des Alpes, Icade), à l'exception notable de ses
40% dans CNP Assurances ou ses 18% dans Dexia. Les 6 Mds restant seront fournis à
moitié par l'Etat et à moitié par la CDC, par l'endettement.
Deux missions ont été confiées à ce fonds souverain : contribuer à la stabilisation des
entreprises « saines » secouée par la crise financière et sécuriser le capital d'entreprises
stratégiques que les baisses boursières exposent aux OPA hostiles.
Ce fonds souverain français doit donc rivaliser avec ses homologues étrangers et contribuer
à la lutte contre la prédation boursière, selon François Fillon. Daher, équipementier en
aéronautique, défense et automobile, bénéficierait d'un investissement de 85 M . Ce fonds
stratégique a aussi pour mission de consolider l'industrie nationale. La France ne dispose
pas d’excédents commerciaux ni de mannes pétrolières pour envisager des placements
dans d'autres pays. Le périmètre d’action de ce fonds restera donc hexagonal.
La force de frappe du fonds souverain français est très modeste, au regard de ses
homologues. Rappelons à titre de comparaison que les fonds étrangers gèrent à ce jour un
total d’environ 2 000 Mds €. Selon la banque Morgan Stanley, Abou Dhabi Investment
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Rapport sur les fonds souverains, Alain Demarolle et Henri Johanet, rapport remis en mars 2008
à la ministre de l’Economie, de l’industrie et de l’emploi.
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Authority gère 580 Mds (875 Mds USD), Government Pension Find Global (Norvège) 220
Mds (330 Mds USD), ainsi que la Government of Singapore Investment Corporation ; la
Koweit Investment Authority gère 160 Mds (250 Mds USD), la Chine Investment
Corporation 140 Ms (200 Msd USD) et la Temasek Holdong (Singapure) 106 Mds (159
Mds USD). D’autres fonds souverains, libyen, Malaisien, Algérien, russe, coréen, gèrent
entre 15 et 33 Mds € (20 et 50 Mds USD). Nicolas Sarkozy envisage ainsi des alliances avec
d'autres fonds.
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