La réglementation des hedge funds face à la crise financière

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La réglementation des hedge funds face à la crise financière
Une contribution au débat
Michel Aglietta (Paris Ouest la Défense - EconomiX et Cepii) et
Sandra Rigot (Paris Ouest la Défense - EconomiX)
Résumé
L’objet de cet article est double : d’une part montrer que les arguments qui justifiaient une
régulation allégée des hedge funds ne sont désormais plus valables étant donné le changement
structurel des marchés financiers et l’évolution récente de l’industrie des hedge funds qui en
font des acteurs à enjeux systémiques et d’autre part apporter un nouvel éclairage sur la forme
que doit revêtir la réglementation des hedge funds. Pour cela, nous procédons dans la
première section à une clarification de la logique des arguments en faveur de la discipline de
marché et de la régulation indirecte qui constituent l’approche réglementaire des hedge funds.
Dans la seconde section, nous faisons une analyse théorique et empirique des risques associés
aux stratégies des hedge funds. Nous montrons en quoi ils sont générateurs de risque
systémique et en quoi ils sont des propagateurs de la crise du crédit structuré de l’été
2007. Dans la troisième section, nous faisons la synthèse des recommandations à la fois des
organisations professionnelles, des autorités de régulation et des institutions internationales au
regard de la cartographie des risques des hedge funds. Cette mise en perspective permet de
distinguer quels sont les besoins de régulation directe des hedge funds et quelles sont les
améliorations qui résulteraient indirectement d’une réforme de la régulation des autres acteurs
qui interviennent dans la titrisation du crédit. Elle devrait se situer à la fois aux niveaux
microéconomique et macroéconomique, concerner les facteurs de demande et d’offre,
renforcer les prérogatives du régulateur public et enfin définir précisément les conditions
d’une discipline de marché efficace dont les acteurs seraient les investisseurs institutionnels
de long terme.
Mots clefs : levier financier, prime brokers, titrisation, risque extrêmes, risque systémique,
opacité, investisseurs institutionnels de long terme, due diligence, monitoring, divulgation
d’information, discipline de marché, régulateur public
JEL : G23
Abstract
This paper deals with two issues. On the one hand, it shows that structural changes in
financial markets and in the hedge funds industry makes the light-touch arguments for
regulating hedge funds no longer relevant. On the other hand, pleas for stronger regulation of
hedge funds are getting more attention. In the first part of the paper the huge expansion of the
industry is outlined and the state of current regulation is highlighted. In the second part an in-
depth analysis of risks associated with hedge funds is carried out. It is shown that systemic
risk can arise from leverage and from concentration of exposures amongst hedge funds. The
part played by hedge funds in the spread of the crisis of structured credit is portrayed. In the
third section, the recommendations of professional organisations, regulatory authorities and
international institutions are summed up in the framework of risk mapping. This oversight
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shows the ways of reform: the need of direct regulation, the enhancement of indirect
regulation and the overhaul of securitization. The prospective pattern of regulation
encompasses macro and micro issues, and impinges upon factors of demand and supply. It
emphasizes the enhanced role of public regulators and displays the conditions of an effective
market discipline performed by long run institutional investors.
Sommaire
Introduction
I. Principaux résultats des études empiriques ou comment les hedge funds sont
devenus des acteurs à enjeux systémiques
1. Le boom de l’industrie des hedge funds et le changement structurel des marchés
financiers
2. La modification de la structure de la clientèle des hedge funds
3. La discipline de marché et la réglementation indirecte
II. Une cartographie des risques spécifiques aux hedge funds dans le contexte global
perturbé par la crise du crédit structuré de l’été 2007
1. Les risques cachés des hedge funds
2. Les hedge funds sont des générateurs de risque systémique
3. Les hedge funds et la crise du crédit structuré
III. Analyse des recommandations au regard des risques des hedge funds
1. La teneur générale des propositions des organisations professionnelles, des autorités
de régulation et des institutions internationales
2. Tableau récapitulatif des recommandations croisées aux risques des hedge funds : une
analyse structurelle
IV. Les axes d’une régulation efficace du crédit structuré
Conclusion
Bibliographie
Introduction
Le débat sur le rôle de la réglementation des hedge funds et la forme qu'elle doit revêtir
remonte à près de dix ans. Il repose sur un certain nombre d’évènements impressionnants de
défaillances de hedge funds qui ont menacé la stabilité du système financier comme la quasi
faillite de LTCM en 1998 ou la banqueroute du fonds Amaranth en 2006. Plus récemment, la
crise des subprime de l’été 2007 a révélé les faiblesses et les risques de la titrisation dont
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l’industrie des hedge funds est partie prenante. De quoi relancer le débat sur les hedge funds et
donner du grain à moudre aux partisans d’une réglementation plus stricte.
L’absence de contrainte dans le champ des investissements, la multiplicité des stratégies et le
dopage des rendements par le levier sont les caractéristiques les plus structurelles des hedge
funds. Elle s’explique en grande partie par le cadre réglementaire
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des hedge funds combinant
une régulation indirecte très incomplète via les prime brokers et une discipline de marché qui
s’appuie sur la promotion des standards de bonnes conduite non contraignants par définition.
Cette faiblesse du cadre réglementaire se justifie par des arguments à la fois théoriques et
structurels qui sont aujourd’hui réfutables. En effet, depuis quelques années, on assiste à un
changement structurel des marchés financiers qui tend à infléchir ces justifications d'une
régulation allégée. De plus, la crise du crédit de l’été 2007 a révélé les dysfonctionnements
des chaînes de la titrisation. Elle permet de poser la question sur la transmission du risque
systémique par ces fonds spéculatifs en situation de stress. Le fait qu’ils soient porteurs de
risques cachés qui se réalisent par des pertes extrêmes en de rares occurrences est une
caractéristique qui explique la sous-estimation largement répandue de la propagation des
risques par les hedge funds.
Avant de préciser les conditions d’une amélioration de la réglementation des hedge funds,
nous commencerons par rappeler les caractéristiques des hedge funds puis par résumer les
principaux résultats empiriques sur l’évolution de cette industrie en mettant l’accent sur le
changement structurel des marchés financiers dans une première section. Nous examinerons
les risques spécifiques aux hedge funds et leur vulnérabilité au risque systémique en relation
avec le marché du crédit structuré dans une seconde section. Nous discuterons ensuite les
recommandations des instances professionnelles et des institutions publiques selon la grille
fournie par la cartographie actualisée des risques des hedge funds dans une troisième section.
Enfin, nous indiquerons en conclusion les directions qui devraient être approfondies par les
régulateurs et décideurs politiques dans une quatrième section.
I. Principaux résultats des études empiriques ou comment les hedge
funds sont devenus des acteurs à enjeux systémiques
Les hedge funds semblent avoir une place à part au sein du paysage de la gestion actifs dans la
mesure il n'existe aucune définition légale et encore moins universelle. Il est donc
nécessaire d’utiliser un ensemble de caractéristiques pour les définir. En résumé, on pourrait
dire que le hedge funds est en principe géré par un general partner qui combine des
stratégies
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long short très variées
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(avec une liberté absolue), un trading très actif, du levier
via les marchés dérivés, dans le but de réaliser une performance absolue, le tout dans un cadre
réglementaire très souple voire inexistant et d'une remarquable opacité
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. Parce qu’il n’y a ni
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Il convient de préciser qu’il s’agira essentiellement de la réglementation des gérants/sociétés de gestion des
hedge funds et non des fonds eux-mêmes qui sont majoritairement domiciliés dans des places offshores.
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Si le nombre de stratégies et la nature des stratégies déployées par les gérants des hedge funds continue de
croître, on distingue une vingtaine de stratégies qui peuvent être classées en trois catégories : l’arbitrage, la
gestion dite event-driven liées à des événements et enfin la gestion directionnelle. Les stratégies les plus
courantes en 2007 sont les multi-stratégy (30.6%), Long short equity (23.2%) et even driven (13.3%).
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Vente à découvert qui permet de faire des profits sur des paris à la baisse.
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Cette volonté de cultiver ce goût du secret s'explique par le fait que les clients originels des hedge funds sont
des particuliers très fortunés soucieux de préserver une grande confidentialité et souvent hostiles à toute forme
de publicité. Une autre raison de cette opacité vient du fait que les gérants craignent de voir les stratégies -basées
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benchmark, ni track record pour évaluer leurs performances, les gérants de hedge funds
exigent des investisseurs une double structure de commissions (fees) très élevée. En général,
les management fees oscillent entre 1% à 2% et les performance fees entre 10% et 20% voire
beaucoup plus. De plus, il existe des périodes lock up qui bloquent l'argent investi pendant un
certain temps. Si les hedge funds sont domiciliés majoritairement dans les places offshores
pour jouir d’une gulation minimale et d’une fiscalité légère, les managers conduisent leurs
opérations dans les principaux centres financiers (Londres et New York) et externalisent une
grande variété de services à de administrateurs. Car les stratégies des hedge funds exigent de
gros volumes de transactions avec beaucoup de soutien opérationnel qui génèrent des coûts
élevés de « prime brokerage ». Les prime brokers sont souvent des départements de banques
d’investissement. Ils fournissent de nombreux services aux hedge funds comme le courtage,
les opérations de compensations et de règlements, la garde des titres (custody), la gestion des
risques, les services de recherche, le reporting et de conseils en investissements pour lesquels
ils chargent des commissions importantes.
Parmi ces services, le plus important est sans conteste la fourniture du levier financier via les
marchés dérivés (de gré à gré) sur lesquels les hedge funds n’ont pas souvent directement
accès. Les prime brokers assument le risque de contrepartie sur ces fonds. Les hedge funds
offrent deux avantages aux banques : ils réduisent d’une part les risques de crédit des banques
en retirant des actifs de leur bilan, d’autre part, ils améliorent la liquidité des banques en leur
procurant un marché pour leurs opérations de titrisation et autres stratégies de financement. A
l’instar de l’industrie des hedge funds
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, le prime brokerage est un marché très concentré. Les
deux banques d’investissement Morgan Stanley et Goldman Sachs contrôlent plus de 40 % du
total des actifs. De même, leurs revenus sont très concentrés. Les hedge funds représentent 20
à 30% des profits des banques d’investissement (dont sont issus les prime brokers). Les trois
quarts de ce pourcentage proviennent des 200 plus gros hedge funds (de plus de 2 milliards de
dollars). Les banques d’investissement ont donc trouvé un business profitable avec les hedge
funds. Ce qui traduit la dépendance des prime brokers par rapport aux hedge funds quant à
leurs revenus et leur vulnérabilité en cas de faillites d’un gros hedge funds ou de plusieurs de
taille moyenne.
Ainsi ce qui ressort des caractéristiques des hedge funds est d'une part l’opacité liée à la
structure privée et d'autre part le risque lié au levier via les marchés dérivés dont le montant
notionnel a explosé avec une croissance annuelle moyenne entre 1996-2006 de 60% (voir
tableau 1). De même, il convient de souligner la dépendance des revenus des primes brokers
vis-à-vis des hedge funds.
Tableau 1 : Croissance des crédits dérivés 1996-2006 (Mds de dollars)
1996
1998
2000
2002
2004
2006
1996-2008
Montant notionnel
180
350
893
1952
5021
20 207
Source: British Bankers Association ; Mac Kinsey Global Institute Analysis 2007.
souvent sur un algorithme- copiées ou volées par d'autres participants du marché. La moindre divulgation
entraînerait la réalisation immédiate des arbitrages existants et la disparition de l’inefficience initialement
constatée. Si ces arguments se tiennent du point de vue des hedge funds, il n’en reste pas moins que cette opacité
est préjudiciable aussi bien pour les investisseurs que pour les intervenants et les autorités de régulation.
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On constate que les trois quarts des hedge funds dans le monde sont américains et que les trois quarts des
hedge funds européens sont britanniques. La répartition par taille de ces fonds fait ressortir une forte proportion
de petits fonds. Fin 2006, les 200 plus gros hedge funds
5
représentaient les trois quarts des actifs sous gestion
(FSF, 2007).
5
1. Le boom de l’industrie des hedge funds et le changement structurel des marchés
financiers
L'industrie des hedge funds connaît depuis une dizaine d'années et particulièrement depuis
2002 une croissance exceptionnelle de ses encours et volumes de transaction. Selon les
sources, les chiffres diffèrent mais on estime que, entre 2000 et 2007 (T2), le nombre de
hedge funds a plus que doublé passant de 3335 à 7321 fonds, voire triplé avec plus de 10 000
fonds et que leurs actifs sous gestion sont passés de 490 à 1740 billions de dollars, soit une
croissance annuelle de 20% (Hedge Funds Research, Mac Kinsey Global Institute Analysis ).
En comptant le levier d'endettement, ces chiffres pourraient atteindre 6 trillions de dollars
6
.
Quant aux volumes de transaction des hedge funds, ils ont sans conteste augmenté
représentant près de 40-50% des transactions sur les deux principales places financières
mondiales, les NYSE et LSE.
Graphique 1 : Evolution des actifs gérés par les hedge funds 1990-2006
Sources : Hedge Fund Research (HFR), Fédération mondiale des Bourses de valeurs (FIBV),
Banque des règlements internationaux (BRI) et Swiss Re Economic Research & Consulting.
Les hedge funds sont devenus des acteurs de plus en plus influents mais les investisseurs
institutionnels restent les acteurs les plus importants, à savoir les fonds de pension, les Mutual
Funds et les compagnies d'assurances. Les encours des hedge funds (levier compris) sont
nettement moindres que ceux des fonds de pension avec 21,6 trillions de dollars, ceux des
Mutual Funds avec 19,3 et ceux des compagnies d'assurance avec 18,5 trillions de dollars.
Les autres acteurs des marchés financiers à connaître des taux de croissance aussi élevés sont
les fonds souverains avec les banques centrales asiatiques et les petrodollars investors. Ces
derniers comptabilisent une croissance annuelle respectivement de 20% et de 19% depuis
2000 avec un total d'encours de 3,1 trillions de dollars et de 3,4 à 3,9 trillions de dollars. Si on
prend en compte le levier d'endettement des hedge funds estimés à 6 trillions de dollars, les
encours des hedge funds sont plus importants (voir tableau 2). Les fonds souverains sont
6
Mais attention, tous ces chiffres sont à relativiser dans la mesure tous les HF ne sont pas répertoriés
systématiquement. Il y a de fortes probabilités que ces chiffres soient en réalité plus élevés.
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