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Prise en charge de l'infection VIH/SIDA de l'adulte en Afrique
par Olivier Rogeaux
Infectiologue, Service des Maladies infectieuses - Centre Hospitalier de Chambéry - France
Email : [email protected]
Introduction
L'infection par le VIH est un fléau majeur actuellement, en particulier en Afrique.
Cette infection reste longtemps asymptomatique. Sa transmission peut se faire dès
l'infection et jusqu'aux phases évoluées de la maladie. La prise en charge clinique
comporte deux volets principaux qui sont :
- le traitement et la prévention des infections opportunistes,
- le traitement antirétroviral.
Est développée dans cet article, la prise en charge clinique et thérapeutique des
infections et affections opportunistes.
I. Histoire naturelle de l'infection
1. Principales caractéristiques
L'infection par le VIH est chronique, sans phase de latence virologique. En effet, dès
le début de l'infection, le virus se réplique en permanence et en quantité très
importante dans le sang et dans les ganglions lymphatiques.
Progressivement des lésions du système immunitaire vont apparaître pour devenir
irréversibles. Les lymphocytes (CD4+) sont la cible principale du virus. Leur
diminution va favoriser l'émergence de complications opportunistes.
2. Evolution schématique de l'infection au cours du temps
 1e phase : phase de primo-infection.
C'est la phase de dissémination virale dans l'organisme. Les manifestations cliniques
sont présentes dans plus de la moitié des cas et apparaissent à partir du IO ème jour
suivant l'infection. S'y associe une très forte virémie. Les principaux signes cliniques
rencontrés à cette période sont de la fièvre qui dure souvent plus de 7 jours, des
adénopathies, une pharyngite, une éruption maculopapuleuse fugace, des myalgies,
des arthralgies. Plus rarement peuvent survenir des complications neurologiques
avec céphalées ou méningite, une diarrhée. Si une numération formule sanguine est
pratiquée à cette phase, il existe souvent une baisse des plaquettes (thrombopénie)
et une baisse des globules blancs (leucopénie). Il s'y associe parfois une élévation
des transaminases.
L'ensemble de ce tableau est trompeur car très évocateur d'une infection virale
banale, voire d'un accès de paludisme. Son évolution est spontanément favorable.
Si le diagnostic n'est pas évoqué à cette phase, le diagnostic de l'infection peut être
retardé. Le diagnostic de primo-infection à VIH est exceptionnellement fait en Afrique
du fait de la non spécificité du tableau clinique.
 2 e phase : phase de latence clinique.
Durant cette période, les patients sont peu ou pas symptomatiques. Par contre le
virus continue à se répliquer et peut se transmettre. Souvent l'examen clinique peut
être normal ou ne révéler que des adénopathies. Cependant, quelques complications
peuvent survenir dès cette phase à type de zona ou d'herpès, de lésions cutanées
de type dermite séborrhéique, voire parfois de sarcome de Kaposi.
Les lymphocytes CD4+ vont souvent diminuer progressivement. La période de
latence clinique ou période asymptomatique est variable d'un individu à l'autre et
peut durer de 1 an à plus de 10 ans. La rapidité de progression est variable selon
chaque personne.
Les facteurs qui influencent la durée de la latence clinique en Afrique :
- l'inoculum viral : transfusion sanguine versus transmission hétérosexuelle
- le type viral : VIH-1 plus rapide que VIH-2,
- l'âge : les enfants progressent plus rapidement que les adultes,
les infections virales, bactériennes et parasitaires à répétition pourraient accélérer
l'évolution de l'infection.
 3e phase : apparition de symptômes mineurs ou pré-SIDA.
Cette période correspond à l'apparition de baisse des défenses immunitaires
(diminution des lymphocytes CD4+). Les premières complications se manifestent
essentiellement par une fièvre inexpliquée, de la diarrhée, une infection herpétique
récurrente, un zona, une candidose orale. L'état général commence à se dégrader.
 4e phase : phase avancée de la maladie ou SIDA.
L'immunodépression à cette phase est importante et permet l'apparition de
complications tumorales ou infectieuses sévères, par exemple tuberculose,
toxoplasmose, infection pulmonaire pouvant conduire au décès. C'est à cette phase
que peuvent survenir l'ensemble des complications de la maladie avec
principalement l'amaigrissement et la fièvre associés à d'éventuelles complications
neurologiques, cutanées, digestives, pulmonaires.
3. Eléments pouvant influer sur l'évolution de l'infection VIH
Peu d'études ont été effectuées pour savoir si l'infection VIH progresse plus
rapidement dans les pays du Sud par rapport aux pays du Nord. Quelques études
semblent montrer que la médiane de survenue de complications sévères de type
SIDA se fait en moyenne plus rapidement dans un délai de 4 à 7 ans contre 10 ans
dans les pays du Nord, sans traitement. La médiane de survie est globalement plus
courte, en lien à la fois avec une progression probablement plus rapide de la maladie
et surtout des soins et des traitements moins accessibles.
Les principaux éléments biologiques pronostics de l'infection sont :
- Le nombre de CD4/mm3. Cet élément est corrélé au degré d'immunité. Il va
diminuer progressivement au cours de l'infection et des complications sévères vont
survenir principalement quand le nombre de CD4 sera inférieur à 200/mm3. Cet
élément est extrêmement utile pour le suivi des patients VIH car permet de guider la
prise en charge thérapeutique. Il existe actuellement des méthodes automatisées
économiquement abordables.
- La charge virale. Le 2e élément biologique prédictif du risque évolutif est la charge
virale du virus au niveau plasmatique. Cet examen mesure la réplication virale. Plus
la charge virale est élevée, plus le virus se multiplie et donc correspond à un élément
de mauvais pronostic. On considère qu'une charge virale est élevée au-delà de 30
000 copies/ml. Cet examen est peu disponible pour des raisons technologiques et de
coût.
4. Définition du SIDA de l'adulte en Afrique
Etant donné les difficultés d'accès aux éléments biologiques, voire parfois l'absence
de tests sérologiques, l'OMS a proposé en 1985 une classification dite «classification
de Bangui » (voir tableau 1). La classification de Bangui permet de suspecter les cas
de SIDA et de proposer une sérologie à VIH. L'association de deux signes majeurs et
d'un signe mineur est fortement évocatrice du SIDA.
Il. Quand faut-il penser cliniquement à une infection VIH ?
La présence du VIH peut être facilement détectée par une prise de sang et une
recherche des anticorps spécifiques du VIH. C'est le test de dépistage qui doit être
proposé le plus largement possible de façon volontaire et si possible anonyme. Il
existe deux types d'approche par rapport au dépistage :
- Le dépistage volontaire :
sensibilisation de la population aux éventuelles prises de risques avec demande de
test volontaire s'il y a eu conduite à risques.
Pour cela il existe des grilles d'analyse du type de celles proposées dans l'encadré
ci-dessous : «Evaluez votre risque de 0 à 10». Le test doit être présenté par des
professionnels formés, avec des entretiens pré-test et post-test pour accompagner le
résultat.
- Indication médicale au dépistage : le test doit être proposé s'il existe des
manifestations cliniques pouvant être compatibles avec une infection VIH évolutive.
L'encadré propose une analyse des signes cliniques devant faire penser à l'infection
VIH. Néanmoins, il existe un intérêt majeur a dépister le plus précocement possible,
avant l'apparition de complications, l'infection VIH pour éviter la transmission du virus
à d'autres personnes. L'autre intérêt est bien entendu de pouvoir être pris en charge
cliniquement et sur le plan thérapeutique. La découverte de l'infection VIH doit
pouvoir s'accompagner d'un soutien psycho-social adapté.
III. Manifestations cliniques principales de l'infection VIH/SIDA
Rappelons que l'on peut être porteur de l'infection VIH sans aucun symptôme
pendant plusieurs années.
Différentes complications peuvent survenir, qui peuvent toucher l'ensemble des
organes. Leur émergence est favorisée, par la baisse des défenses immunitaires.
Une personne infectée par le MH peut présenter des complications.
1. Complications infectieuses opportunistes
Les infections qui surviennent ne se rencontrent pas classiquement chez une
personne présentant une immunité normale. L'infection profite de la baisse des
défenses immunitaires pour apparaître. Elles sont variées et multiples. Les plus
habituelles sont la toxoplasmose cérébrale, la pneumocystose, les infections à CMV,
la cryptococcose...
2. Complications tumorales
Ce sont des complications favorisées par la présence de l'infection VIH.
Les tumeurs de type lymphome sont d'une fréquence augmentée. Peuvent
également survenir des sarcomes de Kaposi. Les risques de cancers apparaissent
globalement augmentés.
3. Complications en lien direct avec le VIH
Il s'agit d'atteintes d'organes directement à relier au virus. Les principales atteintes
sont l'encéphalite à VIH qui entraîne une détérioration neurologique centrale, dont la
démence, les atteintes neurologiques périphériques, les atteintes digestives pures et
le syndrome cachectique lié à la progression de l'infection.
4. Infections communautaires
Elles peuvent survenir chez n'importe quel sujet et sont également rencontrées chez
le patient porteur du VIH. Toute infection peut donc survenir chez un patient infecté
par le VIH sans que cela soit d'ailleurs synonyme de SIDA. Les infections
opportunistes les plus fréquentes en Afrique sont la tuberculose, la diarrhée
chronique d'étiologies multiples, les pneumopathies bactériennes récurrentes, les
infections neuroméningées. Certaines infections sont d'une fréquence augmentée,
c'est le cas particulier de la tuberculose qui est très souvent associée à l'infection
VIH. Les infections pulmonaires bactériennes sont également plus fréquentes, de
même que les atteintes bactériennes digestives, en particulier liées aux salmonelles.
Lors de la survenue d'une infection, des traitements curatifs doivent être proposés
pour pouvoir enrayer l'infection en cours et dans un certain nombre de cas, des
traitements d'entretien pour éviter la rechute sont parfois indispensables.
- L'approche pragmatique la plus intéressante apparaît être le traitement préventif.
C'est l'intérêt majeur démontré du cotrimoxazole à proposer aux patients infectés par
le VIH. L'objectif de ce traitement est de prévenir un certain nombre d'infections
bactériennes, en particulier digestives, les complications pulmonaires de type
pneumocystose ou certaines pneumopathies et des complications neurologiques de
type toxoplasmose cérébrale. Plusieurs études ont montré que la prophylaxie par le
cotrimoxazole doit être proposée à tous les adultes séropositifs pour le VIH à partir
du moment où ils sont symptomatiques, ou avec un nombre de CD4 inférieur à
500/mm3 et également aux femmes enceintes après le 3e mois de grossesse. La
posologie recommandée est un comprimé à fort dosage (TMP : 160 mg + SMZ : 800
mg). Cette prophylaxie devrait être donnée le plus longtemps possible tant que le
taux de CD4 est bas. Il existe des risques d'allergies avec ce type de traitement
pouvant se manifester par des réactions cutanées sévères, quelques cas également
d'insuffisance rénale ou hépatique, voire de toxicité hématologique sont possibles.
Une surveillance régulière sous traitement est donc indispensable et le traitement
devra être arrêté si des signes d'allergies sévères apparaissaient. La prophylaxie par
le cotrimoxazole fait partie des soins fondamentaux devant être utilisés chez des
enfants ou des adultes infectés par le VIH en Afrique. Plusieurs études ont démontré
son efficacité avec diminution des événements cliniques et réduction de la morbidité
et de la mortalité. Les meilleurs résultats obtenus concernent les infections
respiratoires, les infections digestives, notamment à Isospora belli et les septicémies.
- Prophylaxie de la tuberculose : plusieurs études ont également été menées, mais
avec des résultats plus discordants. Il apparaît actuellement prématuré de proposer
une prophylaxie systématique contre cette infection, même si des résultats
intéressants ont pu être montrés avec un traitement par l’izoniazide pendant 12 mois
ou par une association rifampicine-pyrazinamide, pendant 2 mois.
5. Principales complications infectieuses et modalités de prise en charge
-
L'amaigrissement est présent dans plus de 80 % des cas. Cette manifestation
est synonyme, pour beaucoup, du diagnostic de SIDA, parfois par excès. Il est
lié essentiellement à la dénutrition en relation avec la diarrhée chronique, les
candidoses et en parallèle des infections intercurrentes entraînant un
hypercatabolisme et donc un amaigrissement.
- La diarrhée est une des complications principales. Elle est souvent récidivante
ou chronique et responsable d'inconfort, de dénutrition et parfois de décès. Elle
doit être prise en compte rapidement sur le plan thérapeutique après recherche
étiologique si possible (voir tableau 2) Il ne faut pas hésiter à introduire un
traitement d'épreuve (fluoroquinolone, métronidazole ou antiparasitaire ...). Le
traitement symptomatique associé est fondamental :
- réhydratation orale ou injectable dans les formes graves,
- régulateur du transit, absorbant, ralentisseur du transit.
Sur le plan nutritionnel, la diarrhée chronique et l'infection VIH/SIDA sont très
souvent sources de malnutrition grave qu'il faut prévenir précocement par une
alimentation équilibrée et suffisante, non carencée en vitamines et en protéines.
Hélas, souvent des troubles digestifs gênent l'alimentation (vomissements,
nausées). De plus, l'isolement social qui peut se créer et la perte des ressources
économiques sont des freins à une nutrition satisfaisante. Une aide extérieure
familiale ou associative est indispensable.
- La fièvre est également un symptôme très fréquent correspondant à une
infection sous-jacente évolutive qu'il faudra s'attacher à diagnostiquer.
Rappelons que d'autres complications infectieuses non spécifiques peuvent
survenir, tant sur le plan bactérien que parasitaire (paludisme).
- La tuberculose reste l'infection opportuniste la plus fréquente. Elle peut se
manifester par des manifestations pulmonaires mais également ganglionnaires
ou une fièvre prolongée inexpliquée avec une atteinte profonde de l'état général.
Dans un certain nombre de cas, elle peut également toucher le système nerveux
avec des méningites ou des atteintes intracérébrales.
- Les manifestations pulmonaires sont également fréquentes (Voir tableau 4).
Leurs étiologies peuvent être multiples.
- Les manifestations cutanées sont essentiellement liées à des infections virales
de type herpès ou zona. Le prurigo et la sécheresse cutanée sont des
manifestations extrêmement fréquentes. Les dermites séborrhéiques sont
également d'une prévalence augmentée. La lèpre n'apparaît pas plus fréquente,
à priori, chez les personnes infectées par le VIH. Rappelons que la peau non
excoriée n'est pas contagieuse.
- Les manifestations neurologiques sont complexes dans leur approche. Elles
peuvent être périphériques à type de neuropathies ou centrales. Les difficultés
diagnostiques sont importantes car seule une imagerie plus précise de type
scanner pourrait permettre de préciser les lésions. En cas d'atteinte neurologique
inexpliquée, il faut évoquer une méningite et pratiquer une ponction lombaire
pour ne pas laisser passer une éventuelle méningite bactérienne ou
tuberculeuse en évolution. L'autre diagnostic à évoquer est celui de localisation
intracérébrale, en particulier de toxoplasmose et un traitement d'épreuve pourrait
dans ce cadre également se discuter.
- D'autres manifestations peuvent également survenir sur un mode souvent plus
disséminé : cryptococcose, lésion tumorale liée au VIH, sarcome de Kaposi.
Rappelons également que le cancer du col utérin est beaucoup plus fréquent
chez les femmes infectées par le VIH.
IV. Conclusion
L'infection VIH/SIDA entraîne de nombreuses complications qui doivent et peuvent
souvent être prises en charge. Néanmoins la multiplication de ces infections et
surtout un certain nombre d'impasses thérapeutiques conduisent, hélas, souvent au
décès. Seule une approche couplée avec un traitement antirétroviral associé
permettra d'assurer des résultats satisfaisants à plus long terme. Il est important de
rappeler que certaines complications infectieuses peuvent être précoces et ne sont
donc pas nécessairement un élément de mauvais pronostic si elles sont prises en
charge correctement. Une bonne approche des principaux symptômes et des
principaux schémas thérapeutiques est donc utile. Enfin, il est indispensable de tenir
compte de l'impact de la maladie dans l'environnement familial, social, économique
et psychologique. Il faut s'assurer de la capacité de l'entourage à accompagner le
patient et le mettre en contact avec des associations de malades.
Remerciements au Pr. Papa Salif Sow (CHU de Fann, Dakar, Sénégal) pour sa
contribution.
Développement et Santé, n°162, décembre 2002
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