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Le vivant
I- Les enjeux de la notion une première définition
Le vivant peut être défini comme le règne des êtres qui possèdent les caractéristiques de
la vie. Mais qu’est-ce que la vie ? De manière sommaire, on dira que c’est l’ensemble des
fonctions d’un corps et des phénomènes qui s’y déroulent depuis la naissance jusqu’à la mort.
Cependant, comment rendre compte de la diversité des organismes vivants ? Comment
expliquer l’évolution des espèces ? Quelles sont les critères de distinction des être vivants et
des choses inanimées ? Ces questions exigent de nous que nous pénétrions plus en avant dans
les sciences du vivant. Nous pensons bien évidemment en premier lieu à la biologie, mais il
est indispensable de ne pas oublier que cette discipline est cente ; on peut en effet en situer
la date de naissance à la fin du 18ème siècle. Avant elle, se sont succédées de multiples
conceptions du vivant : finaliste, mécaniste et vitaliste. Ces conceptions, que certains jugeront
peut-être ascientifiques, n’en demeurent pas moins sources de riches enseignements. Il est
cependant exact d’affirmer que c’est à partir du 18ème siècle que le concept de vie va jouer un
rôle essentiel dans l’ordre du savoir, en dépassant le strict cadre des sciences naturelles ; se
développent alors ce qu’on a appelé les philosophies de la vie, dans lesquelles la vie se donne
comme fondement de l’expérience et de la connaissance, ébranlant les anciennes catégories
philosophiques.
II- La conception aristotélicienne du vivant
« Il faut donc nécessairement que l’âme soit substance comme forme d’un corps naturel
qui a potentiellement la vie. Or, cette substance est réalisation. Donc, elle est la réalisation
d’un tel corps. (…) Et si l’on a besoin d’une formule qui s’applique en commun à toute âme,
ce sera : la réalisation première d’un corps naturel pourvu d’organes. » Aristote, De l’âme.
Aristote a consacré une part très importante de son œuvre à la connaissance du vivant,
compilant les multiples observations relatives aux différents animaux et établissant un
système de classification des espèces qui demeure d’usage jusqu’au 18ème siècle. C’est dans
De l’âme qu’il rend compte de la nature du vivant. En effet, selon lui, tout vivant possède une
âme (anima) qui anime le corps. L’âme est la forme de cette matière qu’est le corps. En un
sens, a lieu quelque chose d’équivalent à ce qui se passe dans le travail du sculpteur imposant
une forme à la pierre dans la production d’une statue. Cependant, dans le cas de l’être vivant,
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la puissance de production et d’organisation est interne : l’organisme vivant se développe,
croît de lui-même. Aristote distingue cependant plusieurs âmes au sein des vivants. Il y a tout
d’abord l’âme végétative qui rend possible la génération, l’alimentation et la croissance ; vient
ensuite l’âme sensitive, condition de la sensation et du mouvement (en quoi elle est aussi âme
locomotrice) ; enfin, l’âme intellective qui préside à la pensée. Les plantes ne possèdent que
l’âme végétative ; les animaux possèdent cette dernière ainsi que l’âme sensitive ; l’homme
enfin possède les deux précédentes ainsi que l’âme intellective. Aristote défend une
conception finaliste des phénomènes du vivant. S’opposant à Empédocle, il nie toute présence
du hasard dans l’ordre naturel. Selon lui, aux origines de la vie animale, une multiplicité
d’organismes distincts dans leur forme seraient nées, certaines disparaissant presque
immédiatement, les autres survivant jusqu’à nos jours (du moins ceux d’Aristote). Cette
perpétuation des espèces ainsi que le fait que les animaux engendrent toujours des animaux de
la même espèce suffit à démontrer que la nature obéit à un plan, celui-ci permettant
notamment d’expliquer la hiérarchie des êtres en fonction de leur degré de complexité,
l’homme occupant le sommet de cette hiérarchie.
III- Penser le vivant à l’âge classique
« ce qui ne semblera nullement étrange à ceux qui, sachant combien de divers automates, ou
machines mouvantes, l'industrie des hommes peut faire, sans y employer que fort peu de pièces, à
comparaison de la grande multitude des os, des muscles, des nerfs, des artères, des veines, et de toutes
les autres parties qui sont dans le corps de chaque animal, considéreront ce corps comme une
machine, qui, ayant été faite des mains de Dieu, est incomparablement mieux ordonnée et a en soi des
mouvements plus admirables qu'aucune de celles qui peuvent être inventées par les hommes. »
Descartes, Discours de la méthode.
Au 17ème siècle, notamment avec les travaux de Galilée et Descartes, se développe la pensée
mécaniste, opposée au finalisme. Selon cette pensée, la nature s’explique en fonction de deux
données : la matière et le mouvement. De ceux-ci sont dégagées les lois mécaniques qui expliquent les
régularités des phénomènes naturels et rendent par conséquent compte de l’ordre du monde. La nature
est ainsi conçue comme une gigantesque machine. Descartes étend cette conception aux êtres vivants
l’exception de l’homme en tant qu’il n’est pas seulement substance matérielle, corps, mais aussi
substance pensante, âme). Il propose ainsi la théorie de l’animal-machine supposant par que les
animaux n’ont ni conscience, ni sensations. Certes, les animaux sont des machines particulièrement
complexes, mais il n’en demeure pas moins que ce qu’on interprète comme des douleurs de l’animal
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ne sont en réalité que des dysfonctionnements dans les rouages de l’automate. Pour illustrer cette idée,
dont il faut signaler qu’elle ne repose sur aucune expérimentation de la part de Descartes, on peut se
référer à cette anecdote concernant Malebranche : ce dernier battait son chien en affirmant que les cris
de celui-ci n’étaient que l’effet purement mécanique des coups sur la machine (Merleau-Ponty précise
pourtant avec humour que si Malebranche se réjouissait de ce spectacle, c’est qu’il savait que l’animal
éprouvait de la douleur). Le pas qui interdisait à Descartes d’étendre la théorie mécaniste à l’homme
est franchi par La Mettrie qui défend la thèse de l’homme-machine. Pour lui, il n’y a pas de différence
ontologique entre la substance matérielle et la substance pensante ; la seule différence est qualitative et
ce que l’on attribue à l’âme peut être ramené à des modifications de la matière.
La thèse mécaniste n’est pas sans poser des difficultés et cela, déjà Descartes. Outre le
fait qu’est réduite à néant l’opposition entre les êtres animés et inanimés, on peut se demander
ce qui a mis en marche cette immense machine. Descartes répond que c’est Dieu qui a créé le
monde, qui a voulu lui conférer cet ordre. Mais ainsi, il réintroduit une certaine forme de
finalisme dans la nature. Kant critiquera quant à lui le mécanisme affirmant que
l’entendement de l’homme ne peut concevoir les êtres vivants sans leur attribuer sans les
penser sous le concept de finalité, sans penser que le tout de l’organisme est le but de ses
parties.
IV- La naissance de la biologie
« Tous ces résultats (…) sont la conséquence de la lutte pour l’existence. C’est grâce à cette lutte
que les variations, si minimes qu’elles soient par ailleurs, et quelle qu’en soit la cause déterminante,
tendent à assurer la conservation des individus qui les présentent, et les transmettent à leurs
descendants, pour peu qu’elles soient à quelques degrés utiles et avantageuses à ces membres de
l’espèce, dans leur rapport si complexes avec les autres êtres organisés, et les conditions physiques
dans lesquelles ils se trouvent. Leur descendance aura ainsi plus de chances de réussite ; car, sur la
quantité d’individus d’une espèce quelconque qui naissent périodiquement, il n’en est qu’un petit
nombre qui puissent survivre. J’ai donné à ce principe, en vertu duquel toute variation avantageuse
tend à être conservée, le nom de sélection naturelle, pour indiquer ses rapports avec la sélection
appliquée à l’homme. » Darwin, L’origine des espèces.
Intéressons-nous à présent à la connaissance du vivant telle qu’elle se développe au 18ème siècle.
Linné propose une nomenclature binomiale permettant de nommer l’ensemble des espèces des règnes
animal et végétal. Le nom de chaque espèce, donné en latin, est composé d’un genre et d’une épithète
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spécifique exprimant une caractéristique spécifique de l’espèce. Carolus Linnaeus est un exemple d’un
tel binôme. Mais avec Linné, on est encore loin de la biologie telle que nous la connaissons dans la
mesure pour lui, la nature, création divine, n’évolue pas, ne varie pas. Le système de Linné est
fixiste. Buffon quant à lui ne s’intéresse pas tant à la classification des espèces qu’à l’observation, la
description, l’étude des évolutions et adaptations. Notons de plus qu’il essaie d’expliquer la vie à partir
de la chimie, en affirmant que les molécules organiques se forment à partir des molécules inorganiques
en fonction de certaines conditions de chaleur et de lumière. Lamarck enfin occupe une place
particulière en tant qu’il annonce les thèses évolutionnistes de Darwin. En effet, il pose que les espèces
animales les plus complexes sont le fruit de développements successifs à partir des espèces les plus
simples. De plus, il élabore une théorie de l’hérédité selon laquelle les adaptations d’un vivant
mobilisent plus ou moins ces fonctions organiques, ces dernières connaissant dès lors des
modifications qui seront héréditées par ses descendants.
Darwin, à la suite d’un voyage scientifique autour du monde de près de 5 ans, durant lequel il
recueille une quantité énorme d’observations sur le vivant, développe une théorie évolutionniste se
démarquant très nettement de celle de Lamarck. Pour Darwin, la nature est le lieu d’une lutte pour la
vie : ce n’est pas seulement que les espèces les plus « faibles » disparaissent mais aussi et surtout que
les plus « fortes », les plus adaptées, les plus aptes à assurer leur survie, sont par là même privilégiées
dans leur reproduction. Pour Darwin, le milieu est un facteur de sélection. Il exerce une sélection
naturelle (opposée à la sélection artificielle réalisée par les éleveurs) qui est fonction de l’aptitude d’un
être vivant à s’emparer de ses proies, à se défendre des prédateurs, à résister aux maladies, etc. Darwin
affirme de plus que l’évolution des espèces a pour cause l’apparition « hasardeuse » de différences au
niveau des individus, différences qui, si elles s’avèrent avantageuses, peuvent être transmises par
reproduction, hérédités, et intégrer les propriétés de l’espèce. À la différence de Lamarck, Darwin
pense donc que l’évolution n’est pas simplement le résultat d’une adaptation aux contraintes du milieu
mais le fruit du hasard, fruit qui ne se converse que s’il résiste à la sélection. Rappelons enfin que les
thèses darwiniennes qui rejettent toute forme de finalisme et de providence divine, qui nie la création
telle que révélée dans la Bible, suscita de nombreuses oppositions des théologiens. Notons également,
que sous le nom de darwinisme social, elle a inspiré une théorie posant que les sociétés et leur morale
sont elles aussi soumises à des processus de sélection, théorie qui, le plus souvent, s’est transformée en
légitimation de l’inégalité sociale.
La biologie ne se limite cependant pas à la théorie de l’évolution. La théorie cellulaire est à ce
titre essentielle comme facteur d’unification des connaissances du vivant en ce qu’elle découvre à la
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racine de l’existence de tous les êtres vivants, la présence d’un constituant ultime (la cellule). Elle
parfait également la connaissance de la relation qu’entretiennent les organismes avec leur milieu.
Quant à la génétique, cette discipline rend compte du principe de la transmission héréditaire, qui
demeurait encore obscure chez Darwin. De plus, elle offre la possibilité d’une maîtrise des facteurs de
la reproduction. C’est ici que ne sauraient manquer de se poser des questions éthiques. En effet, la
génétique laisse envisager la « création » par l’homme d’un individu dont on aurait choisi le
patrimoine génétique. La sélection naturelle pourrait alors devenir sélection humaine. Cette sélection
pourrait bien évidemment favoriser l’éradication de certains handicaps, de certaines inadaptations au
milieu. Mais qui aura le pouvoir d’établir la frontière de ce qu’il faut conserver et de ce qui doit
disparaître ? Ne risque-t-on pas de voir réapparaître certaines volontés d’ « amélioration » de l’espèce
humaine qui ne seraient rien d’autre qu’une sélection exercée par un groupe dominant.
V- La connaissance de la vie
« Voilà donc la grande différence qui distingue la mort de vieillesse d’avec celle qui est l’effet
d’un coup subit ; c’est que, dans l’une, la vie commence à s’éteindre dans toutes les parties, et cesse
ensuite dans le cœur : la mort exerce son empire de la circonférence au centre. Dans l’autre, la vie
s’éteint dans le cœur, et ensuite dans toutes les parties : c’est du centre à la circonférence que la mort
enchaîne ses phénomènes. » Bichat, Recherches physiologiques sur la vie et la mort.
Quoi qu’il en soit la vie devient un objet d’investigation fondamental. La vie, écrit Comte,
« suppose constamment la corrélation nécessaire de deux éléments indispensables, un organisme
approprié et un milieu convenable ». La vie se définit par un processus d’action-réaction selon lequel
le milieu modifie l’organisme, ce dernier modifiant à son tour le milieu. C’est la notion d’acte ou de
fonction qui doit constituer le cœur de la biologie positive, en ce sens qu’elle est le « médium » de la
réciprocité de l’organisme et du milieu. Cette corrélation ainsi que la fonction de reproduction
constitue les conditions de la vie.
Référons-nous à présent à Bernard, médecin-physiologiste du 19ème siècle et précurseur d’une
épistémologie des sciences du vivant. En effet, il s’est intéressé de très près à la méthode de la
connaissance du vivant, méthode qui n’est ni purement rationaliste, ni purement empiriste. La méthode
expérimentale de Bernard se divise en trois phases :
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