Asthme de l'enfant par Bernard Lagardère* * Pédiatre, Hôpital Ambroise Paré, Boulogne-sur-Seine. L'asthme est la plus fréquente des maladies chroniques pédiatriques. Il concerne 7 à 10 % des enfants de tous âges. Il est parfois plus difficile à reconnaître que chez l'adulte. Son traitement doit être adapté aux possibilités de l'enfant, mais ses buts, comme chez l'adulte, sont de permettre une vie normale et de restaurer sa fonction respiratoire. On distingue l'asthme du nourrisson dont les difficultés diagnostiques et les modalités de traitement sont particulières, et l'asthme du grand enfant, comparable à celui de l'adulte. De toute façon, il faut reconnaître l'asthme, identifier la sévérité des troubles et préciser les facteurs déclenchants et favorisants. I. Reconnaître l'asthme 1. Asthme du nourrisson Il survient avant l'âge de deux ans. a. Signes cliniques Il s'agit essentiellement de sifflements respiratoires perçus au temps expiratoire de la respiration. Le plus souvent c'est un tableau de « bronchite sifflante » marqué chez un nourrisson enrhumé et tousseur depuis quelques jours par une gêne respiratoire, freinant surtout le temps expiratoire, une accélération du rythme respiratoire (polypnée). Il peut y avoir de la fièvre. L'auscultation permet d'entendre des sifflements de timbres différents, mêlés à d'autres râles suggérant des bronches encombrées. Parfois ces sifflements sont perceptibles même à distance. Ailleurs, ces sifflements surviennent de façon isolée et durable pendant plusieurs semaines, renforcés à l'occasion des jeux, des repas, moins nets ou absents lors du sommeil. Plus rarement, c'est un tableau voisin de celui de l'enfant plus grand avec crise nocturne, sans fièvre, gêne respiratoire, sifflements et toux. b. Diagnostic L'aspect le plus fréquent est difficile à distinguer d'une " bronchiolite ", maladie infectieuse (due à un virus), marquée par l'inflammation des petites bronches (bronchioles). Le tableau est souvent superposable, d'autant qu'une maladie virale des bronches peut déclencher une crise d'asthme... Ailleurs, il n'y a pas de gêne respiratoire, les signes peuvent être considérés comme sans rapport avec une maladie. Or, ils traduisent une atteinte chronique des bronches et exposent à des complications avec crises sévères difficiles à traiter. c. Reconnaître l'asthme à cet âge est difficile On recherche " un terrain atopique " c'est-à-dire la notion chez l'enfant ou dans sa famille de maladies allergiques: urticaire, eczéma, laryngite allergique, "rhume des foins ", conjonctivite allergique, ou asthme. Mais on a pu appeler à tort " asthme " chez un adulte toute maladie respiratoire chronique et la présence ou l'absence d'antécédent allergique n'est qu'un argument, non une certitude. On recherche une " hyperréactivité bronchique " qui est reconnue sur l'amélioration rapide par un traitement spécifique de cette " sensibilité bronchique " : salbutamol (Ventoline®) en pulvérisation ou nébulisation. On recherche, pour l'éliminer, toute autre cause de bronchite sifflante. Chez le nourrisson avant un an, il s'agit essentiellement de bronchiolite virale. Après un an, il faut surtout craindre l'inhalation d'un corps étranger, qui imposerait un transfert rapide pour le retirer par une bronchoscopie. En fait, l'argument le plus fort est la répétition des bronchites sifflantes, et l'on admet qu'il suffit de trois " bronchiolites " avant l'âge de deux ans pour parler d'asthme, sans préjuger de son évolution. 2. Asthme de l'enfant Il se rapproche de celui de l'adulte. a. Signes cliniques La crise avec sa dyspnée nocturne, l'impression de thorax gonflé, distendu, ne pouvant que difficilement évacuer l'air inspiré, l'angoisse et l'obligation de se mettre en position assise, est en général aisée à reconnaître. Les sifflements sont audibles à l'auscultation ou à distance. Mais chez un asthmatique connu, il est important de pouvoir reconnaître les tout premiers signes qui annoncent la crise. Ce sont toujours les mêmes chez le même enfant : écoulement nasal clair, toux sèche quinteuse, parfois douleurs abdominales hautes. Le traitement adapté peut alors empêcher l'évolution naturelle vers l'aggravation. L'asthme d'effort peut aussi être prévu s'il est connu. La crise survient en règle à la fin de l'effort (souvent le sport), et l'enfant doit savoir dans quelles circonstances il se produit habituellement. b. Le diagnostic La seule difficulté est la méconnaissance des troubles et leur mauvaise évaluation. Une crise typique est aisée à reconnaître. Une toux traînante, si l'on n'a pas perçu les sifflements, faute d'ausculter l'enfant, peut être dite «toux irritative» à traiter par un sirop banal. C'est ainsi que peut se développer sournoisement une gêne respiratoire progressive longtemps minimisée qui pourra se révéler brutalement par une grande insuffisance respiratoire avec danger de mort. Plus facilement que chez le nourrisson, le diagnostic, si l'on y pense, est fait sur l'identification de la dyspnée expiratoire sans fièvre, avec sifflements évoluant par crises répétées. Il. Identifier la sévérité des Troubles Il faut envisager deux étapes: 1. Immédiatement L'enfant est-il en «détresse respiratoire» imposant des traitements particuliers en urgence ou un transfert? a. Examen clinique Trois types de signes, à des degrés divers, sont des indices de gravité: - les signes de «lutte», révélant que l'enfant met en jeu tous les moyens pour compenser la gêne respiratoire: c'est surtout la mise en tension des muscles du cou qui tirent sur les côtes et la clavicule, le creusement à l'inspiration des espaces intercostaux et de la région sous-sternale, un battement des ailes du nez chez le nourrisson, signe de grande valeur; - des signes de manque d'oxygène: accélération du rythme respiratoire et cyanose bien visible au niveau des lèvres, de la langue et des ongles ; - des signes d'excès de gaz carbonique: sueur, augmentation de la pression artérielle, troubles de la conscience. b. Examens complémentaires Ceux qui seraient utiles (gaz du sang, saturation en oxygène de l'hémoglobine) sont rarement disponibles. Le plus souvent, si le diagnostic est certain, la radiographie du thorax est sans intérêt, et il ne faut pas angoisser ou fatiguer davantage l'enfant par des examens inutiles qui retarderaient le traitement. 2. Après la crise Il reste à évaluer la gêne que fait peser la maladie asthmatique sur la vie quotidienne. a. L'interrogatoire doit permettre de classer l'asthme en: - bénin si les crises sont rares, peu intenses, courtes (moins d'une par mois), et que l'état respiratoire est parfait en dehors des crises ; - modéré si les crises surviennent au maximum une fois par semaine ou qu'il persiste entre elles des gênes modérées, avec épisodes de toux fréquents ; - sévère si les crises sont fréquentes (plus d'une par semaine) ou, même rares, sont graves, ayant nécessité l'emploi de corticoïdes par voie générale. b. L'examen clinique: doit permettre d'apprécier le retentissement de la maladie sur la vie quotidienne: l'enfant est-il gêné dans ses jeux, dans sa scolarité, manque-t'il souvent l'école, a-t'il été hospitalisé ? Il peut découvrir, alors que l'enfant ne se plaint de rien, quelques sifflements à l'auscultation révélant que la tolérance n'est pas aussi bonne que l'on pourrait le penser. c. Les examens complémentaires Pour évaluer cette gêne, ils se limitent, lorsque c'est possible, à des épreuves fonctionnelles respiratoires. La mesure du " débit expiratoire de pointe " avec des appareils simples, peu onéreux est sans doute le meilleur moyen accessible d'avoir une " mesure objective du souffle ". III. Préciser les facteurs déclenchants et favorisants Cela est nécessaire pour savoir comment s'y opposer et faire comprendre à l'enfant et à sa famille leurs rôles actifs dans la prévention des crises. 1. Le principal est le tabac et la fumée Quel que soit le caractère de l'asthme, sur des bronches sensibles la fumée de tabac ou d'autres produits (foyers non protégés) est nocive. Fumer à côté de l'enfant est presque aussi dangereux que le faire fumer lui-même. Les adultes doivent connaître ce danger auquel ils exposent l'enfant sans s'en rendre compte. 2. Très souvent les facteurs allergiques sont importants Il s'agit en général d'allergènes libérés dans l'air et auxquels les bronches réagissent brutalement par les mécanismes de la crise d'asthme. Une observation et un interrogatoire attentifs sont plus utiles que des tests biologiques plus ou moins compliqués. On observe essentiellement: - des allergies à la poussière de maison et aux acariens (minuscules araignées) ou à certaines moisissures qu'elles renferment. Ceci se voit lorsque les crises surviennent dans une vieille maison et disparaissent ailleurs; - des allergies au pollen: ceci se voit à la campagne aux mêmes saisons; selon les cas, il s'agit du pollen des arbres (printemps) ou des herbes (été); - des allergies au poil de certains animaux domestiques ou proches: chevaux, chiens, chats. Conclusion L'asthme du nourrisson et de l'enfant est une maladie parfois déconcertante, toujours angoissante. L'efficacité de sa prise en charge suppose une bonne coordination des différents intervenants. L'éducation de la famille joue un rôle majeur: elle doit viser à reconnaître les premiers signes d'une crise et savoir quand il faut recourir aux structures de santé. Elle doit réaliser une prévention utile en éliminant dans l'environnement proche de l'enfant ce qui peut provoquer des crises. Avec les enseignants, ils doivent aider à limiter au maximum et compenser l'absentéisme scolaire. Une grande rigueur, compétence et disponibilité des soignants (médecins, infirmiers) sont les conditions indispensables pour que la famille puisse jouer son rôle. Développement et Santé, n° 114, décembre 1994