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Economie et société : semestre 3 (Laurent Cordonnier)
Le nouveau consensus en macroéconomie
(le retour de la pensée classique)
Les questions qu’on se pose.
On cherche essentiellement à comprendre dans ce cours les fondements théoriques des
grandes orientations de politique économique qui sont prises aujourd’hui, dans la plupart des
pays de l’OCDE, en matière de croissance, d’emploi et de chômage.
Pourquoi « la bataille pour l’emploi et la croissance » prend-elle la forme de politiques
d’encouragement au travail (Prime pour l’emploi, mécanisme d’intéressement du RMI,
défiscalisation des heures supplémentaires,…), de lutte contre les « rigidités » du marché du
travail travers la recherche d’un modèle de « flex-sécurité » : contrat nouvelle embauche,
projet de contrat unique, réformes successives de l’indemnisation du chômage…), d’une
réorganisation des prélèvements fiscaux et sociaux (CSG, ristournes de cotisations sociales
sur les bas salaires, projet de TVA sociale,…) ? Plus concrètement encore : pourquoi les
appels à la réduction de la dette publique se font si pressants aujourd’hui, pourquoi la Banque
Centrale Européenne relève les taux d’intérêt dès qu’il se manifeste un peu de croissance dans
la zone euro, pourquoi les pays européens sont sommés de « réformer » leurs marchés du
travail, pourquoi les Allemands ont tant de mal à instituer un salaire minimum, etc. ?
On cherche en fin de compte à saisir ce qui gouverne « l’esprit de l’époque »
concernant sa manière d’aborder les grandes questions macroéconomiques que sont l’emploi,
le chômage, la croissance, la répartition des revenus.
On ne peut pas procéder autrement, pour ce faire, qu’en retraçant les grandes
controverses en macroéconomie qui ont amené, sur plus d’un demi siècle, les « esprits
éclairés » à penser ce qu’ils pensent aujourd’hui sur la manière de conduire les politiques
économiques. « Prendre du recul », comme disent souvent les étudiants de Sciences-Po, c’est
forcément revenir sur ses pas ! Et l’histoire qu’on raconte est celle d’un retour à la pensée
classique, sous une forme devenue certes très sophistiquée, qui prend anmoins les allures
clairement formalisable d’un « nouveau consensus ».
Plan du cours
1. La controverse entre Keynes et les classiques
Keynes a démontré la possibilité d’un chômage involontaire en substituant, au cœur de
l’analyse du fonctionnement d’une économie capitaliste de marché, le principe de la demande
effective à la loi de Say. Contre les classiques, il a soutenu qu’une baisse des salaires
(monétaires) ne permettait pas de rétablir le plein-emploi et il a montré l’efficacité des
politiques monétaires et budgétaires pour remédier à ce type de chômage.
2. La synthèse néoclassique
Sous sa forme IS-LM, la synthèse néoclassique apparaît comme une modélisation correcte, à
travers un équilibre « général » des marchés, des idées de Keynes. Le « bouclage » du marché
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de la monnaie sur le marché des biens et services vient toutefois limiter l’efficacité souhaitée
de la politique budgétaire. Celle-ci entraîne dans ce cadre des contre-effets en apparence
classiques (effet d’éviction) qui doivent être « compensés » par une politique monétaire
expansionniste. Mais les artisans de la tentative de synthèse entre Keynes et les classiques ont
cherché à réduire encore l’étrangeté de Keynes vis-à-vis des classiques, en montrant que le
« bouclage » en question faisait resurgir (par le chas de l’aiguille) la possibilité d’un auto-
ajustement de l’économie vers le plein-emploi, via la baisse des salaires monétaires. A l’issue
des travaux de la synthèse (sous sa forme AS-AD), il ne reste plus de Keynes que l’idée de
l’efficacité de la politique monétaire.
3. La révolution monétariste.
Les monétaristes vont se charger de liquider ce dernier héritage. Il s’appuient sur la courbe de
Phillips (la relation statistique, reconnue par les keynésiens, entre la hausse des prix et des
salaires, d’un côté, et la réduction du chômage, de l’autre) pour en faire une lecture
radicalement anti-keynésienne. Ils inversent la causalité supposée entre l’inflation et le
chômage. A court terme, disent-ils, les politiques monétaires « keynésiennes » sont efficaces
parce qu’elles augmentent l’inflation, et prennent ainsi par surprise les salariés qui ne se
rendent pas compte que cela fait baisser leur salaire réel : l’embauche est relancée. Mais à
long terme les salariés ne se font plus prendre, et la monnaie retrouve sa neutralité classique.
Le chômage s’établit alors toujours spontanément au niveau que déterminent les
imperfections du marché du travail. C’est la théorie du taux de chômage structurel. Pour lutter
contre le chômage, il faut réduire les « rigidités » du marché du travail.
4. Les nouveaux classiques et les nouveaux keynésiens
Les nouveaux classiques ont encore radicalisé le message du monétarisme en montrant que la
politique monétaire n’est pas seulement inefficace à long terme, mais qu’elle l’est également à
court terme… parce que les agents anticipent correctement les effets des politiques
économiques (les agents sont monétaristes !). C’est la révolution des anticipations
rationnelles. De leur côté, les néo-keynésiens, faisant leur deuil de la possibilité d’expliquer le
chômage par les insuffisances de la demande effective (puisque l’on ne peut y remédier par
des politiques de demande), ont cherché à établir la possibilité d’un chômage involontaire en
imputant les rigidités de prix et de salaire au comportement rationnel des agents. Ces deux
écoles ont contribué un peu plus la suite du monétarisme) à rabattre les questions d’emploi
et de chômage sur le fonctionnement du marché du travail.
5. Les contours d’un « nouveau consensus »
Au terme de ces controverses, il se dessine un nouveau consensus en macroéconomie, qui met
en avant la conception d’un chômage structurel déterminant le taux de croissance potentiel de
l’économie. Ce nouveau consensus prend cependant acte de l’impossibilité de contrôler
l’inflation en jouant sur la « quantité de monnaie offerte », impossibilité qui a signé l’échec
dans les faits du monétarisme. La monnaie est endogène et le contrôle de la masse monétaire
passe par la demande (la fixation des taux d’intérêt). Sur ce point théorique important, les
tenants du nouveau consensus font allégeance (sans le reconnaître) aux Post-keynésiens. Mais
leurs objectifs restent classiques : maîtriser l’inflation en provoquant la récession par la
hausse des taux d’intérêt. Le rôle de la politique monétaire consiste toujours à faire en sorte
que l’économie ne s’éloigne pas durablement de son taux de croissance potentiel. La lutte
contre le chômage se joue plus que jamais sur le marché du travail.
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