B – LA CRITIQUE DE LA THEORIE INTELLECTUALISTE
L’axe de cette critique repose sur le fait que la perception est une donnée globale immédiate. Quand
on perçoit, on saisit d’emblée et sans juger une organisation des formes. Aussi la perception n’est pas une
synthèse de la sensation, car on ne doit pas distinguer sensation (donné élémentaire des sens) et perception
(fonction psychologique plus élaborée).
Ils accusent aussi les cartésiens d’accorder trop de poids au jugement et de délaisser exagérément le
corps ; pour eux, les cartésiens font de la perception quelque chose de désincarné. Accusant les cartésiens
d’intellectualisme, ils affirment que ces derniers privilégient la pensée conceptuelle et discursive, faisant ainsi de
la perception un début de science (puisque celle-ci est une connaissance rationnelle obtenue par démonstration.)
Faut-il donc revenir aux choses elles-mêmes, au monde d’avant la connaissance ?
La perception serait-elle une relation vitale de notre corps avec les choses, avec le monde ?
1) La phénoménologie de la perception
La phénoménologie décrit ce qui apparaît : le donné réellement vécu. Ses philosophes veulent mettre de
côté toutes hypothèses et théories pour regarder ce qui est vécu par la conscience. On comprendra
facilement que la phénoménologie accuse les cartésiens de poser trop de postulats et d’hypothèses (telle la
sensation pure). Pour eux, il n’est pas démontré que la sensation doit-être transformée par un travail
intellectuel pour devenir une perception. Ils récusent donc la perception comme jugement
A ce sujet, Merleau-Ponty se montre catégorique : l’acte de sentir est une communication immédiate et
vitale avec le monde. C’est le rapport de mon corps avec le monde qui organise le champ perceptif. La
sensation pure n’est donc qu’un mythe pour lui (on appréhende toujours un système de relations). Aucune
expérience ne peut nous prouver son existence. Or, c’est précisément l’expérience corporelle qui est
fondamentale. Ainsi, la perception serait un commerce corporel avec le monde : une organisation des
formes.
2) La Gestalt théorie
Différente de la phénoménologie, cette position philosophique n’en est pas moins opposée à la tradition
cartésienne : il ne faut pas différencier perception et sensation.
La Gestalt théorie, encore appelée Gestalt Psychologie, ou psychologie de la forme enseigne la distinction
suivante : la perception n’est pas un ensemble de sensation, mais la perception est forcément perception
d’un ensemble ! Nous ne groupons pas par un travail intellectuel des sensations qui furent d’abord isolées.
Les objets se découpent d’eux-mêmes, je n’ouvre pas les yeux sur un monde de lignes et de points. Ces
objets sont d’emblée organisés : c’est ce qu’ils appellent la loi de la bonne forme. Ce qui est premier dans
l’organisation perceptive, ce sont des ensembles structurels et non des éléments. Ainsi, dans une mélodie
chaque note ne compte que par la fonction qu’elle exerce dans l’ensemble : si on la transposait, la structure
du tout étant respectée, la mélodie ne change pas.
Ainsi, la part du donné dans la perception du monde est plus importante que ce qu’affirme les
intellectualistes, et l’importance de ce qui est construit, les significations acquises ne sont pas à exagérer.
Forme et matière sont inséparables (ainsi, pour reprendre l’exemple de la honte perçue, la Gestalt
psychologie enseigne que celle-ci est immédiatement saisie). Une telle position s’oppose à l’optique
cartésienne et même kantienne pour qui la sensation est la matière de la connaissance, et la perception (qui
naît du jugement) en est la forme.
3) La perception à distance
Bien que nous n’ayons pas encore travaillé la notion d’espace, il convient de dire un rapide mot sur la
distance qui pour les opposants du cartésianisme est donnée et non construite.
En effet se pose la question : la perception de la distance est-elle la conclusion d’un jugement ? Faut-il
interpréter la grandeur apparente des objets ?
Pour les gestaltistes il existe une intuition immédiate de la distance - même si celle-ci est grossière - :
ainsi, nous ne voyons pas un objet petit et flou pour conclure après raisonnement qu’il est loin… Non !
d’après les gestaltistes cet objet est vu tout de suite en profondeur. D’ailleurs les enfants qui dessinent ne
savent pas rendre cette perspective, mais pour eux tel ou tel objet est quand même plus en profondeur qu’un
autre.
La perception n’est pas une attitude analytique séparée. Cf. l’illusion de Muller-Lyer qui nous apparaît telle
parce que considérée dans son ensemble : c’est la structure globale de la figure qui détermine l’illusion
perceptive. De même, l’exemple de deux morceaux de papier de même couleur, l’un éclairé, l’autre non ; le
premier semblera être d’une couleur différente.