La Thérapie communautaire : Une technique d`animation des

publicité
La Thérapie communautaire : Une technique d'animation des groupes
favorisant l'implication des patients addictifs dans le processus de changement.
Nicole HUGON, Médecin - [email protected] - tel. 0826 666 970
Clinique Saint Barnabé, 13014 MARSEILLE
Atelier N° 32 : Développer la dimension humaine des EPP médicales et paramédicales.
Résumé :
La prise en charge des patients addictifs dans un centre spécialisé pour sevrage et soins complexes demande à ces
derniers d'assumer une position active dans leur processus de changement. La faiblesse de la motivation constitue un
obstacle à la prise en charge. Il est donc souhaitable d'éviter d'hospitaliser des patients non motivés, mais aussi de faire
en sorte que cette motivation se maintienne ou se renforce en cours de séjour. Le sentiment d'impuissance, d'incapacité
personnelle éprouvé par des personnes dont la pathologie entraine des sentiments de honte et de culpabilité fait obstacle
au changement.
Dans le cadre du deuxième « tour de roue » de l'EPP Pertinence des hospitalisations, (le premier tour ayant été dédié au
respect des contre-indications), nous avons considéré que le nombre de sorties prématurées par décision personnelle ou
non respect du contrat de soins pouvait refléter l'adhésion des patients aux soins. Notre hypothèse était que l'instauration
d'un espace de parole réunissant soignants et patients, en renforçant les liens entre eux favoriserait leur implication dans
les soins, tout en réduisant la souffrance institutionnelle. Ce groupe de parole fonctionne depuis Janvier 2008. Nous
utilisons une technique inspirée de la Thérapie Communautaire, développée au Brésil depuis une vingtaine d'années,
et retenue en 2010 comme priorité nationale au Brésil par la conférence Nationale de Santé Mentale.
L'animation du groupe repose sur des règles rigoureuses qui organisent une communication horizontale. Les ressources
culturelles et les expériences de vie sont valorisées et mises en commun à partir d'une situation-problème proposée et
choisie par le groupe. L'évaluation repose sur un travail effectué après chaque séance, mais aussi sur des indicateurs
externes. Les résultats sont très encourageants : participation plus active des patients ; impact positif sur le programme
d'éducation thérapeutique et de psychothérapie ; promotion de relations institutionnelles plus faciles entre patients et
avec le personnel ; réduction significative des abandons de cure.
Ce modèle pourrait être étendu à d'autres domaines pour développer la dimension humaine dans l'accueil de la
souffrance liée aux soins.
SUMMARY :
Community Therapy: A technique for group animation enhancing the interest of addictive patients in their own
changing process.
Nicole HUGON, Médecin - [email protected] - tel. 0826 666 970
Clinique Saint Barnabé, 13014 MARSEILLE
Taking care of addictive patients in a hospital unit specialized in alcohol withdrawal and complex care, implies that they
will assume an active posture in their own changing process. A poor motivation hinders the treatment. It is to be hoped
indeed that un-motivated patients are NOT admited into such nursing homes, and to make sure that their motivation
keeps and grows stronger during the stay. Feelings of impotency, lack of personal competence felt by people whose
pathology generates guilt and shame hinders changes. As part of our Healthcare Practice Valuation about the pertinence
of hospitalizations, as a 2nd cycle (the first one regarding the contra-indications), we considered that the number of
untimely ends of stay either decided by the patient or following transgressions of the rules was a clue to the patients'
agreement to the program. Our starting hypothesis was that creating a common speaking space, putting together patients
and staff members would strengthen the links between them, thus enhancing the implication of the patients and
reducing the institutional suffering. This speaking group is running since January 2008. We work with a technique
drawn from the « Terapia Comunitaria » , evolved in Brasil during the last 20 years, and lately (June 2010) recognized
as a National Priority in Brasil by the National Mental Health Conference.
Leading the group is based upon clear rules, which ensure a horizontal communication. The cultural resources and
experiences of life are emphasized and shared, starting from a situation-problem suggested and chosen by the group
itself. The evaluation is based upon the staff-meeting occurring after each session, and also upon external indicators.
The results are quite encouraging: more effectiveness in the participation of the patients; positive results upon the
educational program and the psychotherapy; better relations between patients and with the staff; significant diminution
of untimely ends of stay.
This approach could be spread out in other fields, in order to welcome more humanely the suffering associated to
healthcare.
Mots-clés : Santé communautaire, Thérapie de groupe, thérapie institutionnelle, alcoolisme, qualité des soins.
Keywords: Community Healthcare, Group Therapy, Therapeutic Community, Alcoholism, Quality of Healthcare
I. INTRODUCTION
Le programme de traitement de l’alcoolisme et des addictions associées appliqué à la Clinique Saint Barnabé à
Marseille associe depuis 1997 une psychothérapie institutionnelle, un programme d'Education Thérapeutique et des
activités psychothérapeutiques (en groupe, individuelles et à médiation corporelle). Ce programme a été renforcé en
2008 par un groupe institutionnel hebdomadaire. Nous souhaitions ainsi renforcer les liens au sein de l'institution et
mettre l'accent sur les compétences des patients. Nous avons donc adopté une approche créée au Brésil par le Pr A.
Barreto, la « Thérapie Communautaire Systémique et Intégrative » (TC). Nous utilisions déjà cette méthode depuis
2005 dans un groupe mensuel regroupant patients et familles, avec des résultats satisfaisantsi,ii.
Notre travail s'inscrit dans le cadre de l'évaluation des pratiques professionnelles « Pertinence des hospitalisations »,
initié en 2006iii.
Lors de la visite de certification V2, nous avions réalisé une évaluation du respect des contre-indications à partir du
suivi du nombre des sorties précoces pour inadéquation. Avec l'amélioration de la pré-admission, et notamment des
relations avec nos correspondants les inadéquations sont devenues exceptionnelles.
Reste la question de l'indication optimale du séjour, qui réside en grande partie dans la motivation du patient au
changement. Indispensable à l'admission, elle doit se maintenir et se renforcer durant le séjour. Si la motivation
profonde du patient lui appartient évidemment, nous ne devons pas pour autant esquiver la question de notre rôle en tant
qu'institution pour la renforcer ou au contraire la laisser s'affaiblir. Le nombre de sorties prématurées par décision
personnelle ou non-respect du contrat de soins a été retenu comme un indicateur de ce rôle. Nous avons fait l'hypothèse
qu'une partie des abandons de traitement pouvaient être liés à un certain degré de souffrance institutionnelle, et aux
difficultés de certains patients de s'investir dans le programme de soins. Nous avions confiance dans la technique de la
TC dont nous avions pu apprécier la pertinence avec le groupe patients-familles, ce qui nous a incités à recourir à cette
pratique pour répondre à cette problématique.
Depuis Janvier 2008, un Grand Groupe hebdomadaire rassemble donc les patients, le personnel soignant et les
étudiants, éventuellement des professionnels extérieurs intéressés. Trois personnes ont été formées à cette technique
d'animation des groupes (médecins, IDE).
II. OBJECTIFS : Renforcer l'implication des patients et soulager la souffrance institutionnelle
Notre objectif principal a donc été d'améliorer l'adhésion des patients au programme de cure. Pour cela, nous avons jugé
nécessaire :
 De favoriser l'empowerment des patients, en stimulant leur capacité à retrouver leurs ressources personnelles et
leur estime de soi dans un dispositif de parole axé sur les facteurs de résilience plus que sur les problèmes, sur
les ressources des patients plus que sur leurs manques, constituant ainsi un espace de parole différent de ceux
qui existaient déjà dans l'institution. Cette manière d'orienter le travail renforce l'estime de soi et les liens
solidairesiv,v.
 De parvenir ainsi à une participation plus active des patients à toutes les activités, considérant que cette
mobilisation aurait probablement un effet positif de renforcement de la motivation.
 Pour cela, il fallait faciliter la rencontre des représentations de populations hétérogènes (patients, soignants,
nouveaux/anciens) autour de situations concrètes et des solutions nées de l'expérience de vie des participants et
favoriser la construction de liens solidaires entre ces différents sous-groupes réduisant ainsi la souffrance
institutionnelle.
 Et ainsi... Réduire le nombre des abandons de cure (Indicateur suivi en routine depuis 2006) liés à une
décision personnelle du patient ou à une transgression du contrat de soins.
 Le choix de la Thérapie Communautaire comme outil d'animation des groupes s'est imposé de lui-même, à la
fois parce que ce dispositif est particulièrement bien adapté à la gestion de grands groupes, et parce que cette
méthode a fait ses preuves comme outil d'empowerment pour des personnes et des groupes en souffrance, et
comme thérapie de recréation du lien socialvi,vii.
III - MÉTHODOLOGIE :
 Bases théoriques de la Thérapie Communautaire Systémique et Intégrative
Il s'agit à l'origine d'une pratique qui s'est enracinée dans la réalité Brésilienne de populations chassées des terres arides
de l'intérieur du Nordeste Brésilien vers les grandes villes : Ces migrants de l'intérieur ont été confrontés à la misère, à
la perte de leurs repères culturels et à la rupture des liens traditionnels familiaux et villageois. Ces ruptures, conjuguées
à l'extrême misère, sont à l'origine du syndrome de précarité psychique et de nombreux troubles somatiques et
psychiques. L'importance de ces problèmes ont conduit à l'élaboration d'un paradigme nouveau, fondé sur une idée
simple : là où sont les problèmes, sont aussi les solutions. Il s'agit alors de stimuler les ressources propres des individus,
des familles et des groupes, de favoriser la reconstruction du lien social et de redonner vie aux ressources culturelles,
tout en rendant possible la rencontre entre savoir universitaire et savoirs populaires. Au modèle vertical du spécialiste
qui possède la connaissance et l'impose aux gens, s'oppose ainsi un modèle horizontal où tous sont coresponsables de
la définition des problèmes, de l'élaboration des réponses et de la mise en œuvre des solutions. Il ne s'agit donc pas de
rejeter les connaissances spécialisées, mais de provoquer leur rencontre avec les savoirs traditionnels et les expériences
de vie. Les idées fondamentales de la pensée systémique, de la théorie de la communication, de l'anthropologie
culturelle, de la théorie de la résilience, ainsi que la pédagogie active de Paulo Freire viii ont présidé à l'élaboration de ce
modèle d'intervention psycho-socialeix dont l'efficience lui a valu d'être adopté comme politique prioritaire pour les
soins primaires en santé mentale dans tout le Brésil en Juin 2010.
 Déroulement de la séance
La formation des animateurs comporte à la fois l'acquisition de la technique de l'animation, et un travail sur soi destiné à
assumer le positionnement horizontal dans la relation avec les participants. Le groupe est en principe animé par un
« thérapeute » et un « co-thérapeute ». Ce dernier anime les phases d'accueil et de clôture, et soutient le travail du
thérapeute durant le reste de la séance, notamment en veillant au respect des règles. Les rôles de l'un et de l'autre ne sont
pas fixés, et il est bon d'alterner, et si besoin d'inverser les rôles, par exemple dans le cas où le thérapeute se sente trop
impliqué personnellement dans le thème choisi. La conduite du groupe respecte une technique rigoureuse, selon des
étapes bien délimitées. Dans notre expérience, mieux elles sont respectées et plus la circulation de la parole est riche :

Accueil: 10 minutes. Il s'agit de mettre à l'aise les participants, en ayant recours à une dynamique
corporelle qui permet d'installer une ambiance agréable. En l'espèce nous demandons au groupe-personnel et
aux groupes de semaine de se lever tour à tour, et nous en profitons pour évoquer ce qui se passe dans le
programme de soins. L'énonciation des règles est faite de préférence par les participants : parler en JE, pas de
conseils, ni jugement ni interprétation, respect de l'autre, faire silence, pas de grands discours, utilisation de
tous les moyens d'expression culturels (chant, danse, proverbes poèmes, histoires), on ne parle pas des grands
secrets, mais les soucis du quotidien. Le partage des anniversaires ou des succès clôture cette étape.

Choix du thème: 15 minutes. Après avoir rappelé l'utilité de la parole (mettre des mots sur les maux)
l'animateur demande aux participants de proposer en quelques mots une situation-problème avec l'émotion qui
s'y rattache. En général 3 à 8 sujets sont proposés, et après un rapide temps de parole où chacun est invité à
soutenir celui qui le sensibilise le plus, l'assemblée vote pour choisir le thème de réflexion.

Contextualisation: 15 minutes. La personne choisie est invitée à exposer son problème. L'animateur pose
des questions pour éclairer le contexte de la situation proposée, les tentatives de solution, le vécu émotionnel,
etc. Il encourage le groupe à poser aussi des questions pour bien clarifier la situation. Ce travail permet de
suggérer la multiplicité des points de vue possibles dans une perspective systémique. L'animateur note les mots
clés et les utilisera pour proposer dans la phase suivante le thème de réflexion, soit sous un mode direct : « qui
de vous a déjà vécu la même chose et qu'avez vous fait pour vous en sortir ? », soit sur un mode symbolique,
en élargissant le thème ou en focalisant sur un aspect du thème, en fonction de ce qui semble pouvoir intéresser
le plus grand nombre de personnes.

Problématisation et partage: 45 minutes. L'animateur fait appel au partage d'expériences à partir des
mots clé retenus de la phase précédente : qui de vous a déjà vécu quelque chose de semblable, et qu'avez vous
fait pour le dépasser, pour vous en sortir, pour vivre avec ? Question qu'il reformulera autant de fois que
nécessaire pour maintenir le centrage des échanges sur le thème retenu. Les solutions généralement évoquées
sont l'appel aux facteurs personnels de résilience, à l'appui social et familial, aux ressources culturelles, le
recours aux spécialistes... La variété des propositions est généralement grande et on ne recherche ni consensus,
ni conclusion, l'éventail des possibles reste ouvert et appelle à la réflexion.

Conclusion et rituel d’agrégation: 10' minutes. Chacun est invité à dire ce qu'il retient comme sagesse
ou réflexion de ce qu'il a entendu. Il s'agit de renforcer le sentiment d'appartenance au groupe. Au Brésil ce
rituel prend souvent la forme d'une ronde, les gens se tenant par les épaules, avec un chant approprié au
contenu des échanges, ou même parfois une prière. Sous nos climats, ce rituel doit être adapté en fonction de
nos sensibilités culturelles propres (contact corporel, attitudes culturelles vis à vis du chant, de la religion, etc.).
Dans notre établissement, par exemple, les sortants donnent souvent un mini-spectacle, préparé entre eux,
parfois en grand secret, et qui marque la résolution du transfert institutionnel.
 Evaluation :

Evaluation de processus : Chaque séance est suivie d'une réflexion entre soignants : technique
d'animation, circulation de la parole, thèmes proposés et solutions évoquées, ressenti des soignants, impact
institutionnel... Dans certains cas des patients peuvent être invités à participer à cette évaluation.
 Evaluation de résultats : Elle porte sur
◦ La statistique des participants (Nombre, nouveaux, visiteurs), des thèmes proposés et choisis, des solutions
évoquées. Ceci permet de connaître les préoccupations effectives des patients, et de constituer par exemple un
répertoire des solutions qui peut être exploité au profit de personnes ne participant pas au groupe (par exemple
: les membres d'association d'entraide qui participent au groupe patients/familles en font usage dans leurs
associations respectives). Dans notre établissement, lorsque le thème choisi relève de la vie institutionnelle, la
séance permet de repérer et de traiter de façon élégante, en temps réel, la souffrance institutionnelle.
◦ Le nombre de sorties prématurées sur décision personnelle du patient, ou pour manquement au contrat de
soins. Le choix de cet indicateur s'est imposé en raison de sa simplicité et de l'automaticité du recueil, effectué
en routine par la Secrétaire Médicale à la clôture du dossier. Sont notés : Identification du patient, date d'entrée,
date de sortie, cause de la sortie prématurée. Ce recueil permet l'analyse de l'évolution dans le temps de
l'ensemble de ces éléments. Pour la présente étude, nous avons, sur une base trimestrielle, retenu l'ensemble
des abandons de soins qui nous paraissaient liés à une motivation insuffisante : la décision personnelle, les
consommations d'alcool, de cannabis ou d'autres substances psycho-actives, les transgressions diverses du
contrat de soins. Une étude préliminaire sur les corrélations entre les causes de sortie prématurée et différents
facteurs a été réalisée en Juin 2008, pour rechercher un lien statistique entre les sorties par décision personnelle
et divers facteurs comme le taux d'occupation, le nombre de sorties par transgression du contrat de soins, la
durée de séjour, etc. La comparaison au nombre de sorties pour transfert dans une autre structure en raison
d'une pathologie intercurrente sert de point de comparaison, en raison de sa stabilité dans le temps. Les
données ont été analysées avec le test U de Mann & Whitney.
◦ Une appréciation qualitative de l'impact du Grand Groupe et de ses règles dans les séances de psychothérapie
de groupe ou d'éducation thérapeutique, et de l'impact institutionnel, en termes de bien-traitance des patients
entre eux, envers le personnel, et du personnel vis à vis des patients. Notre seul regret est la non-participation
des psychologues, qui disent redouter le mélange des genres. Pour autant, elles s'informent régulièrement de ce
qui s'est passé dans la séance.
IV - RÉSULTATS
 Impact qualitatif :

Le point le plus frappant est la diffusion des règles de communication aux autres activités et aux relations
entre patients, avec le personnel et l'entourage. Il en résulte une amélioration claire des styles relationnels et
donc une réduction des agressions verbales et de l'anxiété.

Le choix des situations problème renseigne sur les préoccupations réelles des patients, y compris lorsqu'il
y a souffrance institutionnelle. Soignants et étudiants y gagnent une meilleure ouverture aux patients, un autre
regard sur leur parcours.

Empowerment des patients : La valorisation de leurs expériences de vie et de leurs ressources culturelles
augmente le sentiment de compétence personnelle et l’estime de soi, et favorise la construction de liens
solidaires : après les séances, on voit les personnes qui partagent les mêmes problématiques se regrouper pour
en parler. L’attention et le respect porté aux solutions amenées par les patients favorisent le dialogue, l’échange
des savoirs, et améliorent l'adhésion à l'ensemble du programme de soins, qui apparaît désormais comme objet
de réflexion plus que comme savoir imposé de l'extérieur. Se sentant écoutés et entendus, ils sont sans doute
mieux disposés à écouter et à entendre.

Empowerment des soignants : La participation aux groupes, l'adaptation de cette méthodologie et de cet
esprit dans les formations internes encourage les soignants à développer leurs talents et ressources propres, à
oser proposer innovations et initiatives, avec une diminution corrélative de la souffrance au travail malgré une
charge très lourde. L'évaluation qui suit chaque séance semble particulièrement formatrice : chacun est sollicité
à réfléchir à la façon dont il aurait procédé, en lien avec son expérience de vie, à exprimer ce que l'écoute des
patients lui a appris, etc... Peu à peu, certains contribuent à l'animation du groupe. Progressivement, l'attention
des professionnels aux compétences et aux ressources des patients s'affine. Les savoir-faire discrets des
personnels sont valorisés et développés. Enfin, la charge de travail des médecins en rappels au cadre et
consultations de sortie inopinées a été nettement réduite.
 Résultats quantitatifs :

Grand groupe hebdomadaire : l'étude a porté sur 60 séances hebdomadaires consécutives (2008-2009). Le
nombre moyen de participants était de 82,4 ± 8,45, comprenant : patients hospitalisés, infirmiers, médecins,
personnel de secrétariat, personnel de ménage et d'entretien, EIDE. La participation des psychologues été
ponctuelle. Lorsque des équipes d'addictologie venaient visiter le centre, elles étaient conviées à participer.

Thèmes proposés et choisis : en moyenne 5,08 ± 1.60 thèmes ont été proposés par les patients, ce qui
reflète assez bien leur investissement. Le classement par grandes catégories donne une bonne idée de leurs
sujets de préoccupation. (Fig. 1)
Figure 1

Impact quantitatif du Grand Groupe sur l'adhésion globale au programme : La figure 2 montre
l'impact significatif (p<0,05) de l'introduction du grand groupe sur le nombre d'abandons, impact qui se
prolonge dans le temps. L'efficacité a été immédiatement perceptible, et confirmée par l'analyse de
l'indicateur retenu.
Figure 2
La comparaison avec le nombre de sorties prématurées liées à un transfert pour une pathologie intercurrente,
qui n'est pas en principe influencée par l'ambiance institutionnelle renforce la validité de l'indicateur choisi, qui
semble bien refléter l'impact spécifique de ce changement dans la prise en charge.
V – DISCUSSION
 Sur la validité de l'indicateur de résultat :

L'indicateur choisi a l'avantage de la simplicité et d'un recueil en routine, permettant le suivi sur une
longue période. Le codage simple des causes de sortie prématurée a été défini à la suite d'un travail
préliminaire d'analyse. Il permet en outre de choisir le « grain » temporel de l'évaluation. Le choix d'une
statistique trimestrielle nous a permis de mettre en évidence rapidement la validité de notre hypothèse de
départ, avec un indicateur de résultat effectif, ce qui a conduit à poursuivre l'expérience.

Le regroupement des sorties prématurées par décision personnelle et par transgressions du contrat de soins
ou consommations est justifié par le fait que nous avons mis en évidence une corrélation positive entre d'une
part les sorties sur décision personnelle et d'autre part les consommations et transgressions diverses (r =
0,531) sur la période 2007-2008, alors qu'on ne trouvait pas de corrélation avec le taux d'occupation, ou la
durée du séjour, autres facteurs en lien plausible avec la souffrance institutionnelle. D'un point de vue clinique,
on peut supposer, notamment à partir des plaintes exprimées, que la multiplication des transgressions peut
avoir un effet d'entraînement négatif notamment chez des patients peu motivés, en affaiblissant notamment leur
confiance dans les soignants.

Il paraît légitime d'attribuer à l'instauration du grand groupe les résultats observés pour plusieurs raisons.
La première est que sa mise en place s'est faite dans une période de stabilité institutionnelle, sans autre
modification de la prise en charge ni changement dans l'équipe soignante. La stabilité du nombre de sorties par
transfert dans une autres structure semble confirmer cette impression. La deuxième est l'abondance des effets
qualitatifs observés de façon globale sur le plan institutionnel. La troisième est l'investissement très clair des
patients dans cette activité, dont témoigne la fréquence de leurs productions artistiques, parfois travaillées entre
eux depuis plusieurs semaines, pour marquer la fin de leur séjour. L'existence de ces éléments qualitatifs
perceptibles au quotidien dans la vie de l'établissement vient valider la signification de l'évolution de
l'indicateur de résultat.
 Sur la démarche d'EPP

Cette démarche continue de l'établissement relève de questionnements stratégiques : A quelles conditions,
dans quels cas l'hospitalisation pour sevrage et soins complexes est-elle pertinente ? Quelles sont les limites
d'un modèle à très haut seuil lorsqu'il s'adresse à des patients poly-addictifs ? A quelles conditions un
établissement SSR addictologique peut-il recevoir des patients présentant une co-morbidité psychiatrique ? Ces
questions n'ont rien de trivial. Elles conduisent en effet à réviser les indications et contre-indications du séjour,
inscrites a priori dans le projet d'établissement, pour les valider et les nuancer à partir de l'expérience clinique.

La question de la pertinence de l'hospitalisation revient à se demander si elle respecte bien les indications
et les contre-indications, et si elle apporte un bénéfice au patient à court et à long terme. En l'espèce le présent
travail se focalise sur la question cruciale dans notre domaine, bien que difficile à cerner, de la motivation au
changement. Cette dernière est indispensable, et le rôle des soignants est d'aider à sa construction et à son
renforcement, jusqu'à la prise de décision. L'hospitalisation est indiquée chez les patients pour lesquels la prise
en charge ambulatoire est inopérante ou contre-indiquée. Elle permet au patient, au delà des sevrages
médicalisés des produits, d'acquérir un certain nombre de savoirs et de savoir-faire pour aborder sa vie sans ces
psychotropes, et pour maintenir le changement dans la durée. Elle permet aussi, dans un contexte protégé,
d'amorcer un travail psychothérapeutique qui devra se prolonger après la sortie. Connaissance de soi,
connaissance de son rapport aux produits, connaissance de la dynamique propre des dépendances. Il y a
donc un grand intérêt à stimuler durant le séjour cette motivation au changement et l'intérêt pour l'acquisition
de ces connaissances, d'autant plus que certaines découvertes faites au détour de telle ou telle activité, ou
certaines réactions de l'entourage peuvent à l'inverse renforcer les résistances.

Notre démarche se structure dans la durée, et aborde ces différents éléments. Dans un premier temps, nous
avions travaillé sur le respect des contre-indications par le suivi du nombre de patients en inadéquation à
l'entrée, ce qui a permis d'améliorer la fonction de pré-admission, notamment par un renforcement des liens
avec nos correspondants. La suite logique, qui fait l'objet du présent travail, est d'aborder la question de la
motivation, non pas à l'entrée, où le minimum requis est par définition présent, mais en cours de séjour, en
centrant l'intérêt sur un autre indicateur. Nous envisageons maintenant un travail sur la pertinence de la prise en
charge des poly-addictifs et des co-morbidités psychiatriques. Enfin, une étude de suivi en cours de
dépouillement nous renseignera sur les résultats en termes de consommation, de qualité de vie et d'observance
complétera ce travail de longue haleine.
 Sur l'intérêt du choix de la Thérapie communautaire :

Il s'agit d'une méthode d'animation des groupes encore peu connue en Europe, même si la jeune
Association Européenne de Thérapie Communautaire – Amis de Quatro Varas compte actuellement une
quarantaine de groupes en fonctionnement, notamment en Suisse, dans la région Rhône Alpes et en PACA x.
Depuis sa naissance il y a plus de 20 ans à Fortalezaxi(Brésil) au sein des populations les plus défavorisées, elle
s'est progressivement imposée comme une approche robuste, adaptée à tous les contextes jusqu'à devenir un
outil de base dans l'accueil de la souffrance psycho-sociale, la prévention de l'alcoolisme et des toxicomanies,
les soins primaires en santé mentale, l'humanisation des soins hospitaliers, la justice, les relations humaines en
entreprise, etcxii.
 Elle présente de multiples avantages :
 Il s'agit d'une technique d'animation des groupes très structurée.
 Pour laquelle des formations régulières sont organisées, comprenant deux modules de formation initiale


théoriques et pratiques séparés par une année de pratique, et un programme d'inter-visions régulières
(http://aetc.romandie.com ). La formation porte tout à la fois sur la technique d'animation, sur la
compréhension du paradigme théorique et sur un travail sur soi des futurs thérapeutes. Pour autant, la
simplicité de cette méthode et son cadrage précis font qu'elle n'est pas réservée aux spécialistes du « psy ».
Elle est évaluable et évaluée : grilles d'évaluation de séances, pratique de l'appréciation de la séance
systématisée, intervisions régulières selon une méthodologie particulièrement intéressante. Cette dimension
nous la rend particulièrement utile, dans la mesure où l'évaluation des thérapies de groupe reste un défi.
Elle ne vient pas remplacer les autres pratiques, mais les potentialise en favorisant l'adhésion des participants,
en offrant un espace d'accueil de la souffrance.
VI - CONCLUSION :
L'introduction d'un groupe de parole hebdomadaire adoptant la technique de la Thérapie Communautaire, et regroupant
les patients et le personnel de l'établissement a répondu à nous attentes, en réduisant significativement le nombre
d'abandons de cure.
Nous penons avoir obtenu un meilleur maintien de la motivation au changement en cours de séjour, lié à l'attention
portée aux représentations des patients et à leurs solutions, et à une diminution globale de la souffrance institutionnelle.
Au delà de l'impact quantitatif, nous avons perçu de nombreux effets qualitatifs, qui s'étendent aux autres activités :
l'habitude du respect des divers points de vue semble s'être diffusé à l'équipe tout entière est sensible dans les séances
d'éducation thérapeutique, dans la créativité des personnels, dans les relations entre métiers dans les réunions d'équipe.
Les situations institutionnelles difficiles avec rumeurs, conflits inter-groupes, ou avec certains membres de l'équipe,
exclusion de certains patients, phénomènes de bouc émissaire, épidémies de consommations de produits etc. sont
devenues plus rares, semblent plus vite repérables et donc corrigées plus rapidement.
L'approche théorique et éthique de la Thérapie Communautaire a en outre modifié progressivement le regard des
soignants, qui font de plus en plus confiance dans les ressources et les compétences des patients. Enfin, nous entendons
étendre cet esprit dans le cadre de l'amélioration de nos pratiques pédagogiques dans l'Éducation Thérapeutique sous la
forme d'une formation interne inspirée des techniques d'intervision développées pour la Thérapie Communautaire.
Nous pensons disposer avec la TC d'un outil particulièrement intéressant et généralisable pour l'amélioration de l'accueil
des patients dans les structures de soins. Il ne s'agit bien entendu pas de substituer cette approche aux soins habituels,
mais plutôt d'offrir aux patients et à leur entourage, aussi bien qu'aux soignants un espace d'accueil de leur souffrance,
de partage de solutions, qui répond à des questions simples : Qu'est-ce que ça me fait de vivre (en tant que patient, que
soignant, que famille) cette situation de maladie ? Comment puis-je y faire face ? Sur quelles ressources personnelles,
familiales, sociales puis-je compter ? Comment puis-je m'approprier les informations données par les soignants ?
Comment les intégrer à mon expérience ? Elle peut donc offrir aussi une méthode très élégante pour développer les
compétences psycho-sociales des patients dans les programmes d'Education Thérapeutique.
Dans sa rigoureuse simplicité, cet outil révolutionne en douceur les relations entre soignants et soignés.
De toute évidence, l'addictologie n'est pas le seul domaine où cette approche pourrait être féconde.
i
- Nicole Hugon: Community Therapy » as a mean to help alcoholic patients and their families to resume dialog in a specialized
nursing home for alcoholic inpatients.International Conference “Working with marginalized families and communities :
professionals in the trenches », 3-6 August 2006, Oaxaca, Mexico.
ii - Nicole Hugon : Thérapie communautaire et Prise en charge des familles au Centre Saint Barnabé; Congrès THS7 Arles, 2005
iii - http://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_260570/centre-medical-specialise-saint-barnabe
iv - Relatório SENAD/UFC/MISMEC-CE 2007
v - Fernanda Jorge Guimarães, Maria de Oliveira Ferreira Filha - REPERCUSSÕES DA TERAPIA COMUNITÁRIA NO
COTIDIANO DE SEUS PARTICIPANTES*, Revista Eletrônica de Enfermagem, v. 08, n. 03, p. 404 - 414, 2006 - Disponível em
http://www.fen.ufg.br/revista/revista8_3/v8n3a11.htm
vi - Adalberto Barreto: Terapia comunitaria passo a passo, Fortaleza, Grafica LCR, 2007 (traduction en cours en ligne sur le site de
l'AETC – Chap. 12
vii - Eliane Contini : Un psychiatre dans la favela, Synthélabo : collection "Les empêcheurs de penser en rond"; Septembre 1995
viii - Paulo Freire, Pédagogie de l'autonomie - Savoirs nécessaires à la pratique éducative (Trad. J-C Régnier) Editions érès. ISBN:
2-7492-0357-0 (2006)
ix - Marie Laure Durand : SUPPLEMENT SPECIAL DU JOURNAL DE l’ACTION SOCIALE - le Journal de l’Action Sociale numéro 146 d’avril 2010 : THERAPIE COMMUNAUTAIRE - Des espaces d’écoute, de paroles et de liens… Une pratique
systémique et intégrative de santé et de travail social communautaires.
x - http://aetc.romandie.com/ Site de l'association Européenne de Thérapie Communautaire Systémique et Intégrrative / Amis de
Quatro Varas
xi - Adalberto Barreto et Jean-Pierre Boyer : L’indien qui est en moi, Descartes, Paris, 1996
xii - Anais II Congresso Brasileiro de Terapia Comunitaria, Brasillia-DF, Maio 2004 – MISMEC - DF
Téléchargement