Le mythe de l’administrateur indépendant
David THESMAR
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Au cours de la période récente, une série de scandales financiers, en Europe et aux Etats-
Unis, a ébranlé la confiance des investisseurs dans les marchés financiers. Des fleurons du
capitalisme mondial d’apparence solide et rentable se sont effondrés brutalement, criblés de
dettes et autres engagements hors-bilan, ruinant employés et investisseurs. De quelques
catastrophes sur-médiatisées, la méfiance s’est étendue à l’ensemble du capitalisme. Alors
la question habituelle est revenue sur le devant de la scène : est-il possible de s’assurer que
les grandes entreprises cotées agissent dans l’intérêt de leurs investisseurs ? Si oui,
comment faire ?
Une solution, mise en avant en France par les rapports publiés en 1995, 1999 et 2003 par le
grand patronat français, consiste à renforcer le rôle du conseil d’administration dans le
gouvernement d’entreprise. Pour ce faire, chacun de ces rapports a visé à augmenter au
conseil la part d’administrateurs dits « indépendants » du management de l’entreprise. Ces
professionnels ne doivent pas avoir avec l’entreprise d’autre lien que leur mandat
d’administrateur : il ne peuvent en être ni les fournisseurs, ni les clients, ni les employés.
Selon la théorie, indépendant, l’administrateur ne craint pas de critiquer ouvertement
certaines orientations ou décisions prises par la direction de l’entreprise. Les catastrophes
sont ainsi évitées, et la confiance dans le capitalisme est rétablie.
La notion d’administrateur indépendant n’est pas neuve : elle émerge dans le débat
américain pendant les années 1980. Il est vrai qu’à cette époque, nombre de sociétés
américaines n’ont à leur conseil que des employés de la société, actuels ou passés, mais
toujours inféodés au patron. L’indépendance n’est donc pas toujours de mise et les
actionnaires commencent à cette époque à s’en offusquer. Sous la pression des
investisseurs, les entreprises garnissent progressivement leurs conseils d’administrateurs
indépendants. Et c’est bientôt l’occasion, pour les économistes universitaires, de vérifier leur
effet réel.
Pour les chercheurs, c’est la surprise: il n’y a aucune relation statistique entre
l’indépendance des administrateurs et la profitabilité ou la valorisation des entreprises. Bien
plus que l’indépendance du conseil, ce qui semble compter, c’est le degré de protection de
l’entreprise contre les OPA hostiles. Lorsque l’équipe dirigeante est réellement menacée de
perdre son indépendance, l’entreprise qu’elle gère est plus productive, plus profitable, plus
rentable et a plus de valeur aux yeux de ses investisseurs. Plus que les transactions
hostiles, au demeurant assez rares, c’est la contestabilité du pouvoir dans les sociétés
cotées qui garantit leur efficacité.
Cela signifie-t-il que les instances internes de l’entreprise ne jouent aucun rôle dans sa
gouvernance, et qu’il faut tout attendre du marché du contrôle externe des entreprises ? Pas
tout à fait. Aujourd’hui, la plupart des grandes entreprises se vantent d’avoir une majorité
d’administrateurs indépendants, si bien que du point de vue formel, toutes sont bien
gouvernées ! Si la notion d’indépendance a pu émerger dans le contexte pathologique des
années 1980, elle est aujourd’hui vide de sens car facile à contourner. C’est pourquoi une
nouvelle génération d’études sur le gouvernement d’entreprise se concentre sur des
mesures moins formelles de la qualité de la gouvernance. Deux de mes projets de recherche
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David THESMAR est professeur associé au département de finance et économie à HEC. Il est également
chercheur affilié au CEPR.
actuels sont des exemples de cette recherche contemporaine : l’un dans le cas français,
l’autre dans le cas américain.
Dans le contexte français, il arrive fréquemment qu’administrateurs et dirigeants
entretiennent hors de l’entreprise des relations sociales. Des travaux menés par des
sociologues soulignent que certaines de ces relations s’appuient sur une formation initiale
commune (passage par telle ou telle Grande Ecole) ou une carrière commune (passage par
le Trésor, le cabinet du ministre de l’industrie etc.). Dans un article co-écrit avec Francis
Kramarz,
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nous étudions l’impact de ces réseaux sur la qualité du gouvernement des
grandes entreprises françaises. Les réseaux d’anciens fonctionnaires paraissent
particulièrement actifs : un patron issu de ce type de réseau a, en moyenne, une grande
probabilité d’embaucher des administrateurs similaires, ce qui jette un doute sur la notion
d’indépendance dans le cas français (alors que du point de vue strictement formel, presque
toutes les grandes entreprises cotées ont un grande nombre d’administrateurs
indépendants). Et de fait, nous montrons que les entreprises dirigées par d’anciens
fonctionnaires montrent tous les symptômes d’une mauvaise gouvernance, et qu’elles sont
en moyenne moins profitables.
Dans deux articles co-écrits avec Augustin Landier et David Sraer
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, nous déplaçons
l’attention du conseil proprement dit vers les subordonnés directs du dirigeant. S’ils lui sont
techniquement subordonnés, les directeurs généraux font partie de la chaîne hiérarchique et
sont impliqués de manière opérationnelle dans le fonctionnement de l’entreprise. Nous
suggérons que, plus ces subordonnés sont indépendants, plus le patron doit faire d’effort
pour susciter leur adhésion et les convaincre du bien fondé de ses décisions. Une sorte de
démocratie, de gouvernance par le bas, est à l’œuvre. Le coût de ce mode de gouvernance
est une potentielle paralysie de la chaîne de commande, mais le gain est d’éviter aux
mauvaises décision d’être prises sans contestation. Nous vérifions cette conjecture sur
données américaines : nous trouvons que, toute chose égale par ailleurs, les entreprises
dont une grande fraction des directeurs généraux sont plus anciens que le patron, sont en
moyenne plus profitables. De plus, les grandes acquisitions faites par ces entreprises sont à
long terme plus profitables et créent davantage de richesse pour les actionnaires.
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« Social Networks in The Board Room », mimeo CREST et HEC
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« Optimal Dissent in Organizations » et « Bottom-Up Corporate Governance », mimeo CREST, HEC et NYU-
Stern
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