Constitution de l’Objectivité Constitution de l’Objectivité (Philosophie et Histoire de la Philosophie) HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE. [...] Notre lecture de Spinoza nous a d’abord permis de mettre en valeur certaines lignes de cohésion nouvelles, dans l’ensemble comme dans le détail de la doctrine. Le couple de notions « qualité/quantité » s’est révélé en effet, à l’épreuve, une remarquable pierre de touche. Nous avons ainsi pu mettre en évidence, d’œuvre en œuvre, la détermination de plus en plus nette, chez Spinoza, de la « nature naturante » par la qualité, et, symétriquement, de la « nature naturée » par la quantité -n’y ayant là que deux expressions complémentaires d’un geste unique d’expulsion de la « qualité occulte ». Nous pouvions alors rendre compte de la dévalorisation que Spinoza fait subir au nombre dans la « nature naturante », mais aussi de sa mathématisation stricte des essences de « choses singulières » ; de la présence des « degrés de réalité » dans tel ou tel passage de l’Éthique, mais aussi de leur absence complète de la chaîne des démonstrations ; de la position constante d’un infini en acte, mais aussi de l’étonnante fin de la Lettre XII « sur l’infini », où l’infini en puissance se voit réadmis ; de l’indulgence spinozienne devant le vieux rêve de la transmutation du plomb en or, mais aussi de sa sévérité devant la croyance à d’autres personnages des rêves, comme les spectres, ou les chimères ; de la fidélité initiale que voue Spinoza à Descartes, mais aussi de l’impitoyable sentence qu’il porte sur lui dans la préface de la Cinquième Partie de l’Éthique ; des aspects nominalistes de la théorie 1 1 Ce texte, inédit, est un extrait de la « Synthèse » de nos travaux, présentée en Janvier 1997 pour l’habilitation à diriger des recherches, à l’Université Michel de Montaigne Bordeaux III (soutenue devant Mmes et MM. Les Professeurs Geneviève BRYKMAN, Catherine LARRERE [Directeur de recherches], Pierre MAGNARD, Pierre-François MOREAU [Président du Jury] et Jean TERREL). Il reprend, explicite et développe des principes déjà posés lors de notre soutenance de thèse (mars 1992, Université de Paris-IV Sorbonne, devant Mme et MM. Les Professeurs Geneviève BRYKMAN, Alain BADIOU, Jean-Marie BEYSSADE [Directeur de recherches] et Pierre MAGNARD [Président du Jury]) dans un discours intitulé « la donation de sens », et qui ont constamment guidé notre travail, tant en philosophie qu’en histoire de la philosophie. 1 Constitution de l’Objectivité spinoziste de la connaissance, mais aussi de ses aspects réalistes ; de la certitude spinoziste d’une unité de la nature humaine, mais aussi de ses incertitudes sur les femmes, les enfants, et les ignorants ; de l’inachèvement du Traité de la Réforme de l’Entendement sur la question de la quantité, mais aussi de l’inachèvement du Traité Politique sur la question de la qualité ; des lectures, enfin, faisant de Spinoza un sage oriental « ivre de Dieu », mais aussi de celles le tirant vers le matérialisme et la modernité2. METHODE ET INTERPRETATION. On se méprendrait cependant grandement sur notre but, si l’on concluait de ce qui précède que nous avons voulu montrer que, par Spinoza, on a réponse à tout, ou que, d’un certain point de vue, tout s’y concilie, ou encore, que l’on pourrait réconcilier, de gré ou de force, ses interprètes. Tout au contraire : d’une part, les interprétations visant à reconstituer la cohérence complète du point de vue spinoziste avaient donné lieu à des ouvrages indépassables en leur genre, comme ceux de Gueroult, de Matheron, ou de Deleuze, dont nous nous sommes constamment nourri dans nos travaux sur Spinoza et sur la philosophie moderne. D’autre part et surtout, nous partions de principes différents en matière d’histoire de la philosophie et d’interprétation des textes. Le commentaire de Martial Gueroult, par exemple, repose sur deux principes clairement explicités : d’une part, ne pas chercher à découvrir la « signification profonde » d’une philosophie avant d’en avoir établi la « signification exacte3 » ; et d’autre part, pour éviter les « interprétations gratuites », étudier une œuvre (qu’il s’agisse des Méditations ou de l’Éthique) « selon ses articulations propres4 ». S’il nous a paru nécessaire de lire Spinoza selon des principes opposés, ce n’est pas (autant que nous puissions en juger) par souci d’originalité, mais c’est parce que ces principes nous semblaient reposer sur des distinctions ou des présuppositions également inexactes. Nous ne croyons pas, d’abord, qu’on puisse dégager la « signification exacte » d’une philosophie indépendamment de sa « signification profonde ». Pour Martial Gueroult, cette distinction recouvre (cela ne fait selon nous aucun doute à la lecture de ses ouvrages) une distinction entre 2 Nous donnons quelques références significatives de ces interprétations, dans Qualité et Quantité, 306-307 et notes. 3 Martial Gueroult, Descartes selon l’Ordre des Raisons, vol 1, « avant-propos », premières lignes : « ‘Se défier de ces jeux de réflexion qui, sous prétexte de découvrir la signification profonde d’une philosophie, commencent par en négliger la signification exacte’ : cette maxime de Victor Delbos a été constamment la nôtre pendant que nous écrivions le présent ouvrage. » Nous soulignons les deux expressions. 4 Martial Gueroult, Spinoza, Dieu (Éthique, 1), Introduction, p. 14 : « On suivra donc l’auteur dans la marche génétique de ses pensées, selon l’ordre déductif imposé à elles par les exigences intimes de la raison. De même que Descartes, avec les Méditations, Spinoza, avec l’Éthique, offre cet avantage de renfermer toute sa philosophie en une œuvre fondamentale. Analyser cette œuvre dans son détail, selon ses articulations propres, Livre par Livre et Proposition par Proposition, en dégager la structure, sans négliger, bien entendu, ni les tâtonnements, ni les évolutions préliminaires, ni les rapprochements qui s’imposent avec les écrits antérieurs et avec les philosophes dont l’auteur a pu s’inspirer, telle est la tâche à laquelle nous avons décidé de nous astreindre ; tâche assujettissante et austère sans doute, mais qui, contraignant à la rigueur et à la précision, prévient ces vues cavalières qui, dans l’éloignement du texte, risquent de laisser licence aux interprétations gratuites ». Nous soulignons deux fois. 2 Constitution de l’Objectivité « cohérence interne » d’un texte et « portée philosophique » de ses thèses : il y aurait ainsi, selon lui, à distinguer, dans l’étude d’un philosophe, le degré d’intégration et de systématicité qu’il est parvenu à introduire entre ses divers énoncés, et la vérité générale (ou de détail) de ce qu’il avance. Appliquée à l’étude de Spinoza, cette distinction sous-tend la conclusion de Martial Gueroult : « on peut donc estimer que, dans le cadre du système, les difficultés sont surmontées pour l’essentiel » [voilà pour la « signification exacte »]. Gueroult poursuit alors : « Certes, on peut rejeter ce cadre, et avec lui le spinozisme tout entier [nous soulignons]. Notre propos, toutefois, n’était pas, ici, d’instaurer un tel procès, mais seulement de déterminer exactement la doctrine du De Deo, et dans quelle mesure elle répond aux problèmes internes qui surgissent de sa structure5 ». La recherche de la « signification profonde » du spinozisme est donc remise à plus tard. Gueroult, cependant, a laissé entrevoir ce que pourrait être le résultat d’un tel « procès » : « Certes, on peut rejeter ce cadre, et avec lui le spinozisme tout entier ». La « signification profonde » du spinozisme pourrait donc être « rejetée », alors même qu’on aurait vérifié la validité de sa « signification exacte ». Mais qui ne voit que, à propos de Spinoza tout particulièrement (c’est-à-dire à propos d’une philosophie démontrée more geometrico), une telle assertion est absurde ? Et que, vérifier la cohérence du spinozisme, c’est toujours aussi vérifier sa vérité ? PHILOSOPHIE ET HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE. Notre principe de lecture a donc été au contraire que la « signification exacte » d’une philosophie ne se découvrait pas à qui n’en cherche pas la « signification profonde6 ». Nous avons donc subordonné la cohérence à la vérité, et non la vérité à la cohérence. On ne progresserait dans l’histoire de la philosophie qu’à condition d’avancer dans la philosophie. Ainsi, l’évolution de Spinoza sur la question des « degrés de réalité » ne nous apparaît qu’autant que la notion elle-même nous retient et nous arrête : et nous comprenons d’autant mieux son rejet progressif de l’Éthique après l’accueil initial dans les premiers traités, que, peu à peu, nous apparaît le côté contradictoire de cette notion ; de même pour la notion d’« éminence » ; de même, question liée, pour l’univocité de l’être ; de même également pour la « distinction formelle » dans la « nature naturante », etc : si donc certains aspects particuliers nous apparaissent dans la philosophie de Spinoza, puis, plus généralement, chez les philosophes de l’âge classique que nous étudions, c’est seulement parce que nous les abordons avec des questions et des positions qui nous sont propres, sans pour autant constituer le moins du monde des « options » philosophiques que nous aurions (par caprice ?) « choisies », mais qui se lient à nos yeux en vérité : à savoir, à partir de l’assomption de l’univocité de l’être, la mise à 5 Ibid, p. 412, derniers mots de la conclusion. La question de ce qui fait la « profondeur » d’une philosophie ne nous semble d’ailleurs pas pouvoir être évitée par l’historien de la philosophie. Nous avons élaboré ce problème à l’occasion d’un compte rendu très critique d’un commentaire « analytique » de Spinoza (R J DELAHUNTY, Spinoza. Londres : Routledge and Kegan Paul, 1985 ; C R paru in Archives de Philosophie, 49-4 (1986), Bulletin de Bibliographie Spinoziste VIII, 17-20), dans lequel l’auteur, après avoir expliqué sur plusieurs centaines de pages à quel point Spinoza respectait mal les règles élémentaires de la logique formelle, continuait à soutenir (de façon absurde de son propre point de vue) que Spinoza était un « grand philosophe ». 6 3 Constitution de l’Objectivité l’écart des notions de « degrés de réalité », « degrés d’intensité », « degrés de complexité », mais aussi de « possibilité », et de « nature », c’est-à-dire, plus généralement, de « similitudes » ou de « qualités » objectives, et inversement, la position de la thèse selon laquelle qualités, objectivité et rationalité, en philosophie comme en histoire de la philosophie, résultent toujours d’une décision, d’une donation, d’une définition, et jamais simplement d’un accueil du sens. Telle est la raison pour laquelle nous ne pouvions pas plus accepter le second principe de lecture posé par Martial Gueroult que le premier. Pas plus, en effet, qu’il ne nous semble possible de distinguer « cohérence » et « vérité », donc histoire de la philosophie et philosophie, pas plus, nous semble-t-il, il n’est possible d’étudier une œuvre, comme le voudrait Gueroult, « selon ses articulations propres ». C’est croire toujours, en effet, à l’existence de « qualités objectives » (ici, à propos d’une œuvre philosophique). Comme nous l’avons dit, nous ne croyons en rien à l’existence de telles « qualités objectives » ou « articulations propres », pas plus dans un texte que dans la réalité physique, ou sociale. De plus, il est très facile de fournir des exemples en notre faveur. Quelles sont, en effet, les « articulations propres » de l’Éthique ? On ne peut guère se fonder sur la division de l’ouvrage en « parties » (que Gueroult, bizarrement, malgré son souci de « l’exactitude » et des « articulations propres », appelle toujours des « livres ») : d’abord, parce que bien des thèmes s’enchevêtrent d’une partie à l’autre (ce qui amène Gueroult, par exemple, à « anticiper » le commentaire de la Cinquième Partie pour compléter celui qu’il donne de la « science intuitive » dans la Deuxième) ; et ensuite, parce que les démonstrations de l’Éthique, précisément, ignorent les frontières entre parties, et les enjambent sans cesse, dans une démarche régressive continue. Parler donc des « articulations propres » de l’Éthique, c’est donc parler sans doute d’autres « articulations », qui seraient « objectivement » importantes. Sans nier bien évidemment la possibilité de l’existence de propositions à fonction « articulante », nous ne pouvons que constater le désaccord des interprètes au sujet de celles qui pourraient sembler les plus incontestables. Par exemple, comme nous l’avons montré dans notre « commentaire de la Cinquième Partie de l’Éthique7 », les meilleurs interprètes sont en désaccord sur la présence (ou l’absence), dans cette Partie, d’une « rupture », ou d’un « passage », du « second » au « troisième » des « genres de connaissance » ; et ceux qui s’accordent sur la présence d’une telle « rupture » ne la placent pas au même endroit... : or, que devrait-il y avoir de plus manifeste, de plus « objectif », dans l’Éthique, que le passage au « troisième genre de connaissance », c’est-à-dire à la libération de la servitude des passions, par la puissance supérieure de l’entendement8 ? 7 Voir supra 205-277 Nous avons choisi l’exemple le plus remarquable ; mais il y en aurait bien d’autres. Par exemple, nous avons souligné dans Qualité et Quantité que Éthique I 9 ne joue aucun rôle dans l’Éthique -absolument aucun. Or, Martial Gueroult lui accorde une place centrale, comme si « objectivement », cette proposition était partout citée par Spinoza dans les démonstrations ultérieures. On se reportera également à la critique qu’adresse Gueroult à Wolfson (critique qui nous semble pour l’essentiel parfaitement justifiée), et tout particulièrement dans le Spinoza 2, 587-589, où l’on voit Gueroult lire le même tableau que Wolfson d’une façon complètement opposée (voir Qualité et Quantité 261 et n). 8 4 Constitution de l’Objectivité « SIMILITUDES OBJECTIVES » ET « INFLUENCES ». Nos analyses des rapports entre « réalité objective » et « réalité formelle », dans les preuves « par les effets » aussi bien chez Descartes que chez Spinoza, nous avaient peu à peu convaincu du fait qu’il n’existe pas plus de « ressemblances objectives » que de « qualités objectives » expressions, sur des plans différents, d’une même idée-, allant jusqu’à montrer, pour étayer cette thèse, que, même dans le cas d’un reflet ou d’un auto-portrait, on ne pouvait, en toute rigueur, parler de « ressemblances objectives », et que toute « similitude » ou « ressemblance », disparaissant avec le jugement qui la constate ou la décide, n’était rien sans lui. Or cette thèse, ontologique et épistémologique à l’origine, trouvait dans l’histoire de la philosophie un nouveau champ d’application. On rencontre en effet inévitablement, lorsqu’on lit ou pratique l’histoire de la philosophie, la notion « d’influence » ou de « source ». Et, dans la mesure où l’histoire de la philosophie, précisément, se donne pour tâche de montrer les liens entre les philosophies, on voit d’ailleurs mal comment on pourrait s’y passer de tels outils d’analyse. En outre, le renouvellement et l’amélioration des éditions, l’institutionnalisation, et, parfois, la rationalisation de la recherche, les facilités grandissantes de communication, la production et l’accessibilité à des index de plus en plus nombreux et complets, bref, l’aspect de plus en plus « scientifique » de la recherche philosophique, tout cela pousse naturellement l’historien de la philosophie à l’établissement de rapprochements, à la découverte de citations cachées, et peut le conforter d’abord dans l’idée d’une « ressemblance objective » entre deux philosophies (ou entre tel ou tel passage d’un philosophe, et tel ou tel passage d’un autre), et, de là, l’amener à l’idée d’une « influence » objective de l’un sur l’autre. Sans nier l’intérêt de telles démarches (les nombreux index, informatisés ou non, dont nous disposons à propos de Spinoza, nous ont en effet toujours été très précieux, pour vérifier ou infirmer telle hypothèse, ou pour gagner du temps), sans nier, donc, l’intérêt de telles démarches, nous estimons que, malgré les apparences, elles ne peuvent en aucune façon faire des notions « d’influence » ou de « ressemblance » des notions objectives. Nous donnerons ici deux exemples pour illustrer notre position. Ayant eu à rédiger, pour les Études Philosophiques, un Compte Rendu critique du Volume 3 des Studia Spinozana (consacré à « Spinoza et Hobbes »)9, nous avons été frappé, article après article, de l’incertitude des commentateurs les plus précis quant à la validité du concept même « d’influence », au moment même de la plus grande proximité des textes. Karl Schuhmann, par exemple, dans un article justement intitulé « Methodenfragen bei Spinoza und Hobbes : zum Problem des Einflusses », montrait que la présence d’expressions ou de définitions identiques, chez Hobbes comme chez Spinoza, ne peut prouver une « influence » de l’un sur l’autre, mais seulement un fonds semblable de culture littéraire, philosophique et scientifique, exploité différemment10. Aurions-nous été plus heureux avec la notion d’influence « directe », à supposer qu’il soit possible de distinguer rigoureusement influence « directe » et influence « indirecte » ? Ce n’est même pas certain. Même lorsqu’un auteur déclare expressément avoir subi l’influence d’un autre, comme Kant vis à vis de Hume, la 9 Études Philosophiques 1993-1, 93-99. Ibid, 256-257. 10 5 Constitution de l’Objectivité notion « d’influence » demeure équivoque : subir l’influence d’un auteur peut en effet conduire à adopter ses thèses, mais aussi à les rejeter pour en élaborer d’autres, etc. Pas plus, par conséquent, que des « similitudes objectives » (c’est-à-dire des ressemblances ou des identités de formulations) ne permettent de conclure à une « influence », pas plus, inversement, l’objectivité d’une « influence » ne conduit nécessairement à des « similitudes ». Influence et similitude restent donc, dans tous les cas, entièrement soumises à un travail d’appréciation et d’interprétation. Nous avons mis en avant cette thèse, dans notre « présentation » des actes des « journées d’études » sur Kant, tenues à l’Université Bordeaux-III en janvier 1996, dans la mesure où la question de la détermination réciproque des philosophies les unes par les autres était au cœur de ces « journées ». Qu’il s’agît en effet de la scolastique, de Descartes, de Burke, de Hume ou de Berkeley, les communications revenaient toujours à la question de l’objectivité ou de la subjectivité de telle ou telle lecture de Kant, de telle ou telle influence, ou tradition, qu’il aurait acceptée, prolongée, rejetée, ou anticipée. Et toujours on voyait les prétendues similitudes objectives disparaître devant un examen ou une appréciations plus attentifs. Geneviève Brykman, ainsi, tout en soulignant la proximité de certains passages, chez Berkeley et chez Kant, et en montrant dans la Clavis de Collier un chemin probable de l’un à l’autre, ajoutait que « la Critique de la Raison Pure est à la Clavis ce qu’un drame de Shakespeare est à la source littéraire dans laquelle le poète a puisé son sujet »11 ; et Jocelyn Benoist, retrouvant, à la formule près, des similitudes d’énoncés entre la « néo-scolastique » et ce que l’on voudrait parfois appeler en conséquence une « ontologie » kantienne, rejetait néanmoins toute vision « continuiste » du kantisme qui se serait prévalu de telles « preuves » philologiques12. Plutôt que de déplorer un tel état de fait, plutôt que de regretter et d’essayer de minorer la part d’appréciation qu’apporte avec lui l’historien de la philosophie, nous sommes ainsi, au contraire, parvenus à la certitude que l’exactitude et la pertinence en histoire de la philosophie, c’est-à-dire, l’histoire de la philosophie elle-même, devaient assumer et revendiquer cette part d’hypothèse et de créativité par laquelle seule peut advenir du sens à et par une philosophie. Pour en revenir à notre cas, jamais nous n’aurions eu l’idée de notre thèse, si nous étions partis de la consultation d’index spinoziens, en y cherchant les notions ou les termes « objectivement » les plus fréquents. Les termes de « qualité » et de « quantité », en effet, sont très rares chez Spinoza. Mais, notre analyse une fois engagée dans cette direction, nous avons vu les autres concepts de la philosophie de Spinoza se mettre à l’indiquer avec insistance, comme en tout lieu les différentes boussoles se mirent un jour à indiquer au voyageur un même champ magnétique jusque là invisible. ____________ 11 Kant et la Pensée Moderne : Alternatives Critiques ; textes réunis et présentés par Charles Ramond. Bordeaux : Presses Universitaires de Bordeaux, 1996. Voir notre « présentation générale », p. 14 ; et la communication de Geneviève Brykman : « Kant, Berkeley, et la ‘méthode sceptique’ », pp. 113-136. 12 Ibid, « présentation générale », p. 15 ; on se reportera à la communication de Jocelyn Benoist : « Sur une prétendue ontologie kantienne : Kant et la néo-scolastique », pp. 137-163. 6