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INTRODUCTION
Pour bien comprendre le contexte dans lequel s’est développé le Candomblé, il est
nécessaire de faire un petit récapitulatif de l’histoire du Brésil.
Le Brésil a été découvert le 22 avril 1500 par le Portugais Pedro Alvares Cabral. A partir
de 1543, on commence à exploiter les Indiens autochtones dans les plantations de canne à sucre.
N’ayant pas assez de main d’œuvre, les colons se dirigent vers l’Afrique pour arriver à leurs fins
économiques. A la fin du XVI e siècle, 20 000 esclaves Africains sont amenés dans les
principales raffineries de Bahia pour travailler. A partir de 1600, ce sont 1 500 esclaves que l’on
vient chercher chaque année en Afrique. Entre 1550 et 1850 ce sont 3.5 millions d’esclaves noirs
qui sont importés au Brésil. En 1821, le roi Juan VI, rentre à Lisbonne en laissant à Rio son fils
aîné Pedro comme régent du Brésil. En 1822, Pedro I proclame l’indépendance, ce qui crée une
histoire particulière par rapport aux autres pays d’Amérique Latine l’indépendance
s’accompagne de la république, et d’une rupture totale avec le colonisateur. Puis en 1831 Pedro I
décide de rentrer au Portugal. Entre 1840 et 1889, Pedro II (fils de Pedro I) règne sur le Brésil. En
1888, Pedro II abolit l’esclavage. Au Brésil la république arrive en 1889 par l’armée qui renverse
l’empereur. Le Brésil passe par différentes formes de régimes politiques : la colonisation, le
nationalisme et la dictature militaire. De 1937 à 1945, il y a l’Estado Novo, régime nationaliste,
dont le président est Vargas. De 1964 à 1979 le Brésil est sous un régime dictatorial aux mains
des militaires. C’est en 1950 que se met en route un processus d’industrialisation et qu’augmente
la population urbaine. Le Brésil devient la deuxième économie capitaliste mondiale, mais
redistribue mal les richesses ce qui entraîne de graves déséquilibres sociaux. C’est à ce moment
que des mouvements ethniques se mettent en marche. A partir de 1980, le Brésil se transforme
de plus en plus. Il s’ouvre politiquement, après vingt ans de dictature militaire. C’est seulement
en 1986 que se déroulent les premières élections démocratiques. En 1990, le secteur tertiaire
augmente, et les moins instruits sont contraints à faire de menus travaux pour survivre.
Le terme de Candomblé apparaît tard. Une première esquisse du candomblé arrive avec
les Noirs. Au départ sous la forme des « batuques », puis on parlera de candomblé à partir de
1888 après l’abolition de l’esclavage. Les cérémonies du candomblé se passent en plusieurs
temps. La cérémonie d’initiation : Le « babalorixa », re de saint, prépare le fétiche et le baigne
dans un liquide approprié en l’accompagnant de gestes et de paroles liturgiques. En même temps
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le candidat se déshabille, dépouillement de la personnalité profane, et se baigne à l’air libre dans
l’eau lustrale. Puis, les deux cérémonies s’unissent, le sang des animaux consacrés est versé sur le
fétiche et le crâne du candidat. Le crâne est rasé en totalité ou en partie, ensuite c’est le rituel de
l’ « effun ». La tête est peinte par des pierres de couleur spéciales puis ces peintures sont effacées
par une infusion d’herbe du dieu. Après, c’est le rituel de l’ « obi » et du « bari » : un vase avec
de l’eau et plusieurs ingrédients est posé sur la tête. On peut dire que ce sont des rites d’entrée qui
ont pour but d’ouvrir la tête, pour que l’ « orixa » puisse pénétrer. Les objets, colliers et fétiches,
comme les personnes, passent du monde profane au monde sacré. Ensuite, viennent les rites de
passage qui peuvent durer de trois semaines à six mois. Pendant tout ce temps le candidat reste
dans le sanctuaire, il sort à cinq heures du matin pour le bain avec la petite mère qui s’appelle
« keoli », le « babalorixa » pour les garçons. On lui apprend les obligations, les cantiques, les
danses des dieux et la langue africaine. Ca implique des interdictions provisoires ou définitives,
comme le tabou de certains aliments. Un nouveau moi va naître dans ce sanctuaire pour devenir
fils ou filles des dieux. Mais, avant le départ du sanctuaire, les pieds, les épaules ou les bras sont
marqués avec un couteau vierge, et la cicatrice est recouverte d’une poudre talisman. Cette
marque représente la nation à laquelle ils appartiennent. La poudre talisman est appelée « i »,
elle a pour but de protéger le corps des morsures de serpents et de chiens enragés. Ensuite, vient
le rite de sortie en trois étapes. Les filles de saints sont vêtues d’un grand voile blanc avec la tête
rasée à découvert et le corps peint avec l’insigne de son « orixa ». Elles sont soutenues par deux
« kedis », sept jours après elles font une deuxième sortie vêtues de toile de coton ornée. Puis, il y
a la troisième sortie appelée « don du nom » : la petite mère est la seule à connaître ce nom qui
doit rester secret, ce nom est triple pour désigner de quel « ogum » l’initié est issu, de quel ange
gardien lié à cet « ogum » il est issu et de quelle nation. Aujourd’hui, dans la plupart des
« terreiros » le rite de sortie se limite à cette étape. A partir de maintenant l’initié est « yauô », ce
qui signifie « la jeune épouse du dieu », elle doit être reconduite au nom de profane. C’est ce
qu’on appelle la cérémonie de la « quidanda ». Tout ce qui a servi à l’initiation doit disparaître,
c’est donc jeté dans la « Boca do Rio » car ce sont des objets dangereux. Le dieu descendra sur
linitié pour la première fois après l’initiation. Le candomblé se compose de deux mondes : le
sacré « orum », le ciel, et le concret « a », la terre. Il y a un mouvement constant entre la terre et
l’au-delà par les offrandes et aussi par la transe, ce qui représente un système d’échanges.
L’ « orixa » est un personnage métaphorique auquel on associe une couleur, un animal sacré et un
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archétype de comportement et de caractère. L’initiation a pour but de fixer le dieu dans
l’individu.
Nous verrons quelle a été l’approche du candomblé par le courant évolutionniste, puis par
Roger Bastide. Ensuite, nous présenterons de quelle manière Stéfania Capone détonne des autres
études effectuées. Pour finir, on étudiera la façon dont le candomblé participe à la création d’une
identité ou de plusieurs identités. En quoi la recherche d’une identité est-elle si importante pour
les initiés ?
I. ROGER BASTIDE ET LES PRECURSEURS DES TRAVAUX SUR LE
CANDOMBLE
Dans cette première partie, nous allons voir, à partir de deux de ses ouvrages, comment le
sociologue R. Bastide aborde la question du candomblé au Brésil. L’une de ces parutions est
centrale dans ses propres recherches comme pour celles des futurs ethnologues et sociologues ; il
s’agit des Religions africaines au Brésil. L’autre est un ouvrage secondaire et plus descriptif,
Images du Nordeste en Noir et Blanc.
Avant tout, nous nous devons de présenter son terrain d’investigation ainsi que son
implication dans celui-ci. R. Bastide a fait son enquête dans le Nordeste brésilien et plus
particulièrement à Salvador de Bahia. Comme il le reconnaît lui-même, c’est dans cette région
que la plupart des recherches ont é faites. D’une part, il constate une différence entre les
religions africaines de Recife (les « xangôs ») et celles de Bahia (les candomblés). Les premiers
seraient économiquement plus pauvres que les seconds. Mais, ces deux expressions d’une même
religion ont aussi des points communs, par exemple, elles se divisent toutes deux en nations. Il
s’intéresse essentiellement aux « terreiros nagô » de Bahia et plus particulièrement à l’ « Axê
Opô Afonja », maison de culte qui avait déjà accueilli Edison Carneiro et Pierre Verger. D’autre
part, s’il étudie le candomblé dans les grandes villes c’est parce qu’il oppose le candomblé rural
au candomblé urbain. Pour lui, le candomblé rural ne serait qu’ « une désagrégation des religions
africaines » alors qu’en ville il serait plus « pur » (p.400). De la même manière, il situe un lieu
intermédiaire, les petites villes de l’intérieur, dans lequel le candomblé n’a jamais été étudié car il
n’y aurait que « des survivances impures », et donc moins intéressantes pour les chercheurs !
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S’il ne se pose pas la question de savoir pourquoi les ethnologues, dont il fait partie, s’intéressent
plus aux cultes « purement » africains qu’aux autres, il s’interroge en revanche sur la méthode à
adopter sur le terrain. Il cite alors Lévy-Bruhl : « comment un ethnologue peut se placer dans les
attitudes mentales des « primitifs » au lieu de leur prêter les siennes ? » (p.10). A R. Bastide de
lui répondre : « il faut juger ce culte non à travers nos concepts de Blancs, mais en essayant de
pénétrer dans l’âme des fidèles, en cherchant à penser comme ils pensent. Sans aucun doute, le
candomblé a ses aspects esthétiques mais l’art se confond avec le culte, on ne peut les dissocier ;
la dissociation ne se produit que lorsque la foi a déjà commencé à disparaître » (p.113).
Après un aperçu des premières approches du candomblé nous verrons comment R.
Bastide s’en inspire tout en rompant avec certaines de leurs idéologies. Puis, nous allons voir
d’un côté son explication des religions africaines par leur relation avec le social et, d’un autre,
l’importance de l’histoire dans ses analyses.
a. Les premières théories, un positionnement de R. Bastide
Les chercheurs n’ont commencé à s’intéresser au candomblé qu’à la fin du XIX e siècle
avec la suppression de l’esclavage qui pose le problème de l’intégration des Noirs. R. Nina
Rodrigues est le premier, en 1900, à étudier les religions africaines au Brésil. En tant que
médecin légiste, il s’interroge d’abord sur les phénomènes de possession qu’il justifie de la
manière suivante : « le faible développement intellectuel du nègre primitif permet de provoquer
des états de neurasthénie » (p.27). Beaucoup d’autres scientifiques, tels que des psychiatres, se
sont passionnés pour cette expression extatique qu’ils percevaient comme pathologique. De façon
plus générale, il place la notion de « race » au centre de ses recherches. Il perçoit ainsi les Noirs
comme une « race inférieure » qui diminue la valeur du peuple brésilien. Si l’on met sa position
évolutionniste de côté, on peut dire que son ouvrage, Les Africains au Brésil, constitue une des
premières sources utilisées par les futurs chercheurs. Ainsi, R. Bastide y voit un apport
indispensable sur le syncrétisme entre les dieux africains et les saints catholiques. C’est A.
Ramos, disciple de R. Nina Rodrigues, qui poursuivra ses recherches dans une approche tout
aussi évolutionniste et « raciale ».
Puis, les études d’Herskovitz vont se substituer à celles d’A. Ramos. Il faudra en effet
attendre la thèse d’Herskovitz pour percevoir la transe comme un phénomène culturel normal. Il
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sera soutenu par les récentes recherches psychiatriques. Celles-ci montrent que ces cultes ont une
fonction d’ajustement social pour une population mal intégrée à la société globale. La transe
devient alors un facteur d’équilibre psychique, c'est-à-dire de santé mentale. Unes des preuves en
sont la discipline et la régularité de ces possessions. Herskovitz y voit une explication
psychologique, celle du « réflexe conditionné » : à l’expérimentation d’un stimulant spécifique
s’ensuit une réaction correspondante car l’individu a été habitué à répondre de cette façon au
signal conventionnel. De plus, son approche des religions africaines s’appuie sur une conception
fonctionnaliste, proche de celle de Malinowski. Ainsi, il énumère les principales fonctions
remplies par le candomblé : assurer la sécurité des individus à la fois par une solidarité dans le
groupe et une identification avec les dieux ; permettre la satisfaction des désirs personnels de
prestige et d’amélioration du statut social ; assurer la satisfaction des besoins esthétiques ou
récréationnels. Mais, pour R. Bastide cette explication n’est pas suffisante car ces besoins
pourraient être satisfaits par d’autres types de groupement.
A noter également, en 1933, la publication de Maîtres et esclaves par G. Freyre, dans
lequel une idée nouvelle apparaît, celle d’un Brésil pluriracial. Cette rupture idéologique avec les
évolutionnistes permet d’envisager une fraternité métisse nationale. C’est parce qu’il montre les
apports de la culture africaine sur celle des Blancs que ce livre a beaucoup choqué lors de sa
parution.
Enfin, c’est avec G. Balaud et R. Bastide que l’ethnologie commence à s’intéresser aux
processus de rencontre et de transformation des sociétés. Dans l’introduction des Religions
africaines au brésil, R. Bastide prend soin de se situer théoriquement par rapport aux autres
sociologues des religions. Il reprend K. Marx : « La misère religieuse est d’une part l’expression
de la misère réelle et d’autre part, la protestation contre la misère elle. La religion est le soupir
de la créature accablée par le malheur » (p.1), et en montre les limites. Alors que K. Marx
privilégie les relations entre faits économiques et faits religieux, Durkheim élargie la relation du
religieux aux structures sociales dans leur ensemble. Puis, R. Bastide constate que la relation se
fait dans les deux sens. Il cite l’exemple de M. Weber montrant l’influence de la religion
protestante sur l’économie grâce à l’éthique sociale du calvinisme.
A ces explications purement causales de K. Marx, de Durkheim ou encore de M. Weber,
R. Bastide privilégie une explication « situationnelle », c'est-à-dire contextuelle. On verra
cependant qu’il reste fortement attaché à une approche fonctionnaliste du candomblé : « tout
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