Le rôle de l`entrepreneur dans l`économie

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Cécile Abraham-Pasquier
Le rôle de l’entrepreneur dans l’économie
Le concept d’entrepreneur apparaît au XVII avec Cantillon, un économiste à la charnière entre mercantilistes
et physiocrates : selon lui, l’entrepreneur est un individu dont l’économie ne peut pas se passer mais que la société
rejette. Deux siècles plus tard, Marshall définit l’entrepreneur par son rôle : « l’entrepreneur est entrepreneur parce
qu’il arrive à faire des choses nobles et difficiles ». Cette définition approximative illustre les lacunes de théories
marginalistes qui s’intéressent peu à cet agent économique. De fait, il peine à trouver sa place dans une économie
statique et équilibrée, lui qui propulse la dynamique économique par son esprit d’entreprise et une « capacité de
jugement » hors normes. Réhabilité par Schumpeter, ce « révolutionnaire de l’économie » possède plusieurs
facettes : entrepreneur innovateur ou routinier, propriétaire ou simple manager d’entreprise, spéculateur hors pair, il
semble multiplier les rôles. Cependant, on évoque depuis les années 1980 l’apparition d’un véritable paradigme de
l’entrepreneur. Or, c’est bien en raison d’un consensus général des économistes sur le rôle de l’entrepreneur dans
l’économie qu’on emploie le terme de paradigme : tous s’accordent sur le fait que, « prenant des paris sur l’avenir,
l’entrepreneur va à l’encontre des pratiques productives établies ».
I. Le rôle économique réduit de l’entrepreneur dans la théorie classique et marginaliste
 Un entrepreneur identifié au producteur (propriétaire) :
Il combine des facteurs de productions (Capital / Travail) qu’il fournit en tant que propriétaire (d’après Marshall)
Say souligne le premier que le travail de l’entrepreneur est productif : les physiocrates le rangeaient auparavant
dans la catégorie des individus improductifs. La théorie marginaliste de l’entrepreneur correspond à celle du
producteur : en tant qu’homo oeconomicus, l’entrepreneur cherche à maximiser son profit (à court terme du moins,
puisqu’à long terme la CPP le prive de surprofit) sous contrainte de ressources et du marché, dont il dépend.
 Un entrepreneur réduit à son rôle de gestionnaire routinier :
L’entrepreneur organise et planifie une production dont il supporte tous les risques, d’après Say : il la dirige « de
façon à ce qu’un effort donné puisse fournir le plus d’effets possibles pour satisfaire les besoins humains ». Cette
action s’apparente à une recherche d’efficacité pareto-optimale comme l’explicitera Casson au XXème siècle :
l’entrepreneur s’avère responsable, au niveau microéconomique, de la coordination de la production (qui consiste à
réallouer de manière plus efficace les ressources qu’il possède pour produire)
 Un entrepreneur désigné comme intermédiaire :
Chargé de relier production et consommation par son action, d’après Marshall, l’entrepreneur assure « la liaison
entre les marchés de facteurs de production et les marchés de produits finis » puisqu’il est « acheteur sur le marché
des facteurs de production puis vendeur sur celui des produits finis » (idée de Pareto reformulée par AbrahamFrois). Ce rôle d’intermédiaire réapparaît avec Casson : La boîte d’Edgeworth montre que deux individus peuvent
atteindre une courbe d’indifférence supérieure grâce à un intermédiaire (par exemple l’entrepreneur, qui connaît
leurs préférences respectives et facilite donc le processus de négociation qui peut naître lors d’un échange)
De même, l’entrepreneur schumpétérien relie le monde de la technique à celui de l’économie : il valorise une
invention qui devient par là même une innovation. (Schumpeter souligne que « la fonction d’inventeur et celle
d’entrepreneur ne coïncident pas »)
II. Le rôle primordial de l’entrepreneur Schumpétérien dans la dynamique économique :
L’entrepreneur révolutionnaire crée le déséquilibre à l’œuvre dans toute économie par sa propension à innover :
Schumpeter, économiste hétérodoxe du XIXème-XXème siècle, rejette l’économie statique irréaliste des
marginalistes et résout le mystère du Progrès technique « tombé du ciel » : il explique la croissance endogène d’une
économie par l’action d’un individu hors du commun : l’entrepreneur- innovateur. De fait, Gilder souligne que
l’esprit d’entreprise consiste à agir le premier (et non réagir), ce qui caractérise l’entrepreneur révolutionnaire,
qualifié par l’OCDE de « proactif » (par opposition à l’entrepreneur « réactif ») Constamment à l’affût de nouveaux
marchés, cet entrepreneur introduit des innovations dans l’économie pour bénéficier d’un monopole temporaire :
aucun producteur n’offre ou ne bénéficie d’équivalents de ces innovations et ne peut donc le concurrencer. Il
détient un avantage comparatif. D’après Schumpeter, les innovations prennent 5 formes :
* Un bien nouveau
* L’ouverture de nouveaux débouchés (comme le marché asiatique)
* Une nouvelle organisation (la formation de cartels)
* Une nouvelle source de matières premières ou produits semi-ouvrés
* Une méthode de production nouvelle (le fordisme, le toyotisme)
 L’entrepreneur routinier qui l’imite accélère le processus de destruction créatrice à l’origine des cycles
économiques :
Cet entrepreneur « réactif » n’innove pas mais réagit face au déséquilibre initié par l’entrepreneur
révolutionnaire (si son entreprise ne fait pas faillite). De fait, l’entrepreneur -innovateur engendre l’inflation : il
suscite une création de monnaie ex-nihilo en empruntant pour investir et, de plus, cet investissement se traduit par
une demande accrue de facteurs de productions donc par une hausse des prix sur les marchés de facteurs de
production. Cette hausse des prix est fatale à certaines entreprises ; les autres doivent réagir : soit par l’imitation,
soit en initiant une autre innovation. Cet instinct de survie, ajouté au fait qu’une innovation en entraîne d’autres
puisqu’elle ouvre de nouvelles possibilités, explique le phénomène des « grappes d’innovation » qui apparaissent
pendant la phase de prospérité d’un cycle économique.
Elle précède une phase de récession marquée par la déflation : les entrepreneurs innovateurs qui prospèrent
peuvent désormais rembourser leurs crédits (sans que ceux-ci soient repris par d’autres agents) et leurs innovations
entrent dans la routine puisque l’économie s’est rééquilibrée. C’est la phase de « destruction créatrice » : les taux
d’intérêts qui sont retombés grâce à la déflation incitent de nouveaux entrepreneurs à emprunter pour innover ; la
création naît d’une période de récession. L’action des entrepreneurs façonne ainsi les cycles long de l’économie
(d’une durée d’environ 30 ans), appelés «Cycles de Kondratiev ».
Cependant, le système économique agit également sur l’entrepreneur : le système capitaliste sélectionne les
entrepreneurs dotés des qualités nécessaires (selon Schumpeter). Il semble même de nos jours conditionner
réellement leurs actions.
III. Le rôle restreint d’un entrepreneur moderne auquel les économistes s’intéressent :
Le rôle « proactif » de l’entrepreneur initiateur du changement est mis à mal par la prééminence du rôle de l’état :
L’action de l’entrepreneur est liée à celle de l’état : Freeman montre ainsi que l’état doit créer un climat
propice à l’innovation (cf. Thèse de Keynes qui impute aux entrepreneurs le manque d’investissements observé lors
de la crise de 1929). De fait, depuis les années 1980, l’état agit pour favoriser l’esprit d’entreprise : création de
parcs scientifiques, aides à la création d’entreprises (CPME crédit d’équipement des PME), liens renforcés entre
entreprises et universités. L’intervention étatique en matière de concurrence permet par ailleurs aux entrepreneurs
routiniers d’exister puisqu’elle démantèle les monopoles (tout en incitant parallèlement les entrepreneurs
révolutionnaires à innover puisque l’état délivre des brevets justifiant l’existence de monopôles légitimes)
L’entrepreneur, dissocié du producteur, se contente d’un rôle décisionnel fondé sur la spéculation :
L’entrepreneur devient un « fonctionnaire du capital » : l’entrepreneur-salarié remplace l’entrepreneurpropriétaire dans les grandes firmes. La fonction principale de ce nouveau manager est la direction : Galbraith
l’insère même dans une technostructure, un « staff » formé pour gérer (cf. .Détenteurs de MBA Masters of public
Administration). Son action est du reste souvent limitée par le pouvoir des actionnaires. Si tout homme en tant
qu’acteur spécule, l’entrepreneur en fait son métier (d’après Von Mises). De fait, Casson confirme que
l’entrepreneur « se spécialise dans la prise de décision en avenir un incertain » (cf. théorie des jeux), il spécule et
coordonne des ressources rares pour produire le plus efficacement possible.
L’entrepreneur individuel ne détient plus le monopole de l’innovation :
L’économiste américain Young soutient que l’hypothèse de Smith se vérifie : la grande entreprise met en
œuvre une division du travail qui conduit à l’innovation (sans avoir recours à l’entrepreneur). De plus, les
entreprises qui ont su s’octroyer un monopole temporaire ont pris de l’avance sur leurs concurrents : disposant d’un
capital conséquent pour investir, elles maintiennent leur avantage comparatif (l’innovation) dans le temps. Ainsi les
grandes firmes produisent du progrès technique sur commande puisque l’innovation est devenue routinière et
incrémentale (consistant davantage en l’amélioration d’une innovation précédente qu’en une invention inédite).
Gordon souligne une interdépendance croissante : l’entrepreneur ne peut innover seul puisque les innovation
deviennent une fin en soi pour des groupes industriels qui les amortissent au niveau international, développent des
stratégies globales et réalisent des économies externes (en rachetant des brevets, construisant des oligopoles). Son
budget de R&D ne fait souvent pas le poids, il ne peut innover, faute de capital. Pourtant, dans un contexte de sous
emploi croissant, certains (comme R.Barre) incitent les chômeurs à devenir entrepreneurs : « l’esprit d’entreprise se
réduit alors à un comportement utilitariste sans remise en cause radicale des façons de produire. » (S.Boutilier)
Bibliographie : M.Casson : L’entrepreneur, Economica 1982
S.Boutilier, D.Uzunidis : Une analyse socio-économique de l’entrepreneur,Economica 1995
G. Abraham-frois : Economie politique, 7ème édition, Economica 2001 / J.Schumpeter : Capitalisme, Socialisme et
démocratie 1961 (Textes fondamentaux), Théorie de l’évolution économique, Dalloz 1935 (extraits)
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