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DGIII/DCS (2005)
SEMINAR / PIATTAFORMA
ETHICAL AND SOLIDARITY-BASED FINANCE AND RESPONSIBLE
CONSUMPTION: INVOLVING CITIZENS IN COMBATING POVERTY AND
EXLUSION
FINANZA ETICA E SOLIDALE CONSUMI RESPONSABILI : IMPEGNARE LE
CITTADINA NELLA LOTTA CONTRO LA POVERTA E L’ESCLUSIONE
30 November 2 December 2005
30 novembre 2 dicembre 2005
Palace of the Trento Autonomous Province
Palazzo della Provincia autonoma di Trento
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SESSION II / SESSIONE II
Why involve citizens in combating poverty and exclusion?
Perché coinvolgere la cittadinanza nella lotta contro la povertà e
l’esclusione?
Nouvelles tendances en ce qui concerne la participation des
citoyens : l’importance croissante de comportements
socialement responsables en termes de consommation,
d’épargne et de production
Carlo Borzaga
Professeur et doyen de la Faculté d’économie, Université de Trento (Italie)
1. Introduction
On a constaté au cours des dernières années un intérêt croissant pour le rôle que pouvait jouer
la société civile dans l’économie. La conscience et la sensibilité accrues des citoyens à l’égard
de préoccupations comme la préservation de l’environnement, la pauvreté dans les pays
moins développés (Becchetti, Solforino, 2003), et le bien-être de leur communauté locale ont
effectivement contribué au développement de nouvelles initiatives partant de la base.
La revitalisation du rôle joué par les citoyens dans les économies avancées pour influencer et
réguler l’économie se remarque à différents niveaux géographiques (local, régional, national
ou international), encouragée par ce qu’il est convenu d’appeler une « responsabilité
partagée » ou « co-responsabilité » (Urban, 2004). Cette réaction a notamment été favorisée
par trois phénomènes principaux : le démantèlement de l’Etat- providence traditionnel, le
processus de dérégulation des marchés et le processus de mondialisation.
2
De manière générale, la mobilisation des citoyens remonte à la crise du paradigme de la
modernité qui a ses racines bien au-delà de ces phénomènes. Les demandes pour que les
initiatives individuelles puissent davantage s’inscrire dans l’espace public ont en effet
commencé à se faire entendre à la fin des années 1960, générées par les contradictions
internes du modèle sociétal mis en œuvre. Les demandes pour plus d’autonomie et de
créativité étaient de moins en moins satisfaites par les organismes existants, d’où
l’insatisfaction croissante d’un nombre de plus en plus important de citoyens à l’égard des
institutions et la volonté de prendre leur avenir en mains au moyen d’initiatives actives
(Magatti, 2005).
L’efficacité globale de l’action des citoyens, tant individuelle que collective, est une évidence,
si l’on considère que les gouvernements et les entreprises ont été contraints à de nombreuses
reprises de réviser ou de modifier leurs politiques suites aux pressions exercées par des
mouvements de citoyens ordinaires et par la société civile (Annan, 2002). Ce qui a également
eu pour effet d’accroître la sensibilité des institutions internationales à l’égard de la
responsabilité sociale et du commerce équitable au cours des dernières années
1
. Par ailleurs,
plusieurs hypothèses et théories ont été suggérées pour expliquer les divers mécanismes des
comportements socialement responsables que l’on a vu apparaître récemment.
Les capacités réelles des citoyens à tirer parti des processus économiques restent toutefois
encore mal comprises, et c’est encore plus vrai pour ce qui est des potentiels latents de leurs
actions au service du bien commun. Le nouveau rôle joué par les groupes et les organisations
de citoyens reste insuffisamment connu, de même pour ce qui des potentiels de ces
organisations de citoyens.
Les réactions des citoyens peuvent être vues dans quatre perspectives : les actions des groupes
de pression (défense d’intérêts), la consommation et l’épargne (souvent interprétée en tant que
« défense active ») et, enfin, la production directe de biens et services, visant particulièrement
à satisfaire l’intérêt général, au moyen de formes organisationnelles qui ne sont ni publiques
ni lucratives. Si les trois premières réactions sont de plus en plus connues, la dernière qui est
la plus innovante et la plus complexe de par sa dimension collective - est la moins bien
comprise.
En règle générale, si l’impact des mutations économiques et sociales qui se sont produites au
cours des dernières décennies sur le rôle joué par le citoyens a tendance à être peu pris en
compte par les décideurs politiques et les commentateurs, le rôle économique joué par les
organisations de citoyens est largement négligé. Les études menées dans ce domaine sont
fragmentées et portent essentiellement sur des actions individuelles plutôt que sur leur
dimension collective.
Le fossé qui sépare le véritable impact des comportements de citoyens dont la motivation
première n’est pas leur intérêt personnel et la capacité de les théoriser et de les
institutionnaliser (avec des politiques appropriées) est dû à plusieurs facteurs, dont deux
semblent particulièrement importants.
1
Juste pour mentionner quelques initiatives pertinentes : la Commission européenne a présenté une
communication sur le Commerce équitable COM (1999) 619) et le livre vert sur la responsabilité sociale COM
(2001) 366) ; l’OCDE a publié en 2000 les Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises
multinationales, qui sont des recommandations sur les attitudes responsables des entreprises formulées par les
gouvernements à l’intention des entreprises multinationales des pays membres ou dans les pays membres.
3
Tout d’abord, le caractère incomplet et fragmenté des analyses développées jusqu’à ce jour et
leur incapacité à intégrer pleinement la pluralité de ces nouvelles formes d’expression
citoyennes, qu’il s’agisse de la consommation responsable, de l’épargne responsable ou de
formes innovantes de production de biens et de services, regroupées sous le terme
d’« entreprises sociales ». Les analyses récentes n’ont notamment pas réussi à saisir le lien
entre les choix individuels et le développement de nouvelles institutions intégrant de manière
intrinsèque un engagement social à même de canaliser les comportements responsables. A cet
égard, le choix des mots utilisés (économie sociale, économie solidaire, secteur non lucratif,
etc.) semble inadéquat en ce sens qu’il suggère un « phénomène contingent » ne pouvant être
généralisé et voué à rester marginal. Dans ce contexte, ce document souligne à la fois
l’importance des nouvelles formes d’expression citoyennes et l’interdépendance entre les
initiatives individuelles et collectives, ainsi que la nécessité d’appréhender le phénomène de
mobilisation des citoyens dans son ensemble.
Le deuxième facteur qui contribue à une méconnaissance du phénomène en question est la
prévalence, dans l’analyse économique, d’une approche reposant en grande partie sur une
description stylisée des motivations d’intérêt personnel qui seraient exclusivement ou au
moins largement dominantes chez les agents (consommateurs, producteurs, etc.), qui se heurte
clairement aux nouvelles tendances comportementales d’un nombre croissant de citoyens. Ce
document a pour objet d’identifier de nouvelles pistes de recherche susceptibles de contribuer
à dépasser cette limite, en démontrant l’importance des motivations non centrées sur l’intérêt
personnel dans la conception des relations interpersonnelles et des interactions économiques.
L’analyse part du fait que l’engagement de plus en plus actif des citoyens a conduit à une
remise en question du système institutionnel de l’après-guerre reposant sur deux pôles l’Etat
et le marché -, qui avait été conçu au cours du siècle dernier. D’où la recherche d’un nouveau
paradigme tenant compte de l’évolution causée par la mobilisation des citoyens, et la
nécessité de concevoir des politiques visant spécifiquement à soutenir le développement
d’organisations de citoyens poursuivant explicitement des objectifs d’intérêt général.
L’attention sera d’abord portée sur les changements intervenus, puis sur leur impact sur le
rôle que les citoyens peuvent jouer. En outre, l’accent sera mis sur toutes les modalités au
moyen desquelles les citoyens affectent les économies de leur pays, par un nouveau type
d’activisme et l’adoption de nouveaux comportements socialement responsables en termes de
consommation, dépargne et de production de services d’intérêt général. Afin de comprendre
et de mieux situer les comportements socialement responsables des citoyens sous leurs
multiples aspects, l’attention sera portée dans un premier temps sur les nouvelles perspectives
théoriques qui contribuent à expliquer la forte progression d’organisations productives à
finalités sociales. Dans un deuxième temps, ce document portera son attention sur l’impact de
l’action des citoyens sur les entreprises et les institutions, ainsi que sur les interconnexions
entre les nombreuses expressions de comportements responsables, notamment en ce qui
concerne le lien entre la production et l’épargne et la production et la consommation.
Ce document montrera que parallèlement aux initiatives de la société civile, des institutions
destinées à faciliter leur action ont été mises en place. Enfin, ce document s’intéressera aux
changements institutionnels cessaires pour soutenir le plein développement d’activités
citoyennes animées par un « intérêt personnel qui voit loin »
2
(Becchetti, 2005).
2
Ce terme est utilisé par Becchetti pour décrire les choix de citoyens qui sont conscients de l’interdépendance
croissante entre des phénomènes apparemment éloignés.
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2. Le caractère inadéquat du paradigme bipolaire
Le modèle économico-institutionnel créé au cours du dernier siècle dans tous les pays
développés et particulièrement en Europe était de nature dichotomique, à savoir qu’il était
caractérisé par la présence de deux acteurs principaux : le marché et l’Etat.
Le marché s’est vu attribuer le rôle de production et de répartition des biens privés et de
distribution des ressources qui en résulte, selon la règle de la contribution individuelle. Le
fonctionnement efficace des marchés devait être garanti par l’action des entreprises et des
agents (consommateurs, épargnants et salariés) en faveur de leur intérêt exclusif. Cette vision
du marché a été exacerbée au cours des dernières années suite au phénomène de dérégulation
et de mondialisation.
L’Etat s’est vu confier la tâche de produire les biens publics et les biens caractérisés par les
défaillances du marché, en plus de celle de réguler les marchés pour réduire le nombre
d’insuffisances. L’administration publique était considérée comme le seul acteur autorisé à
produire des biens et services d’intérêt général.
Trois modèles ont été développés dans ce cadre bipolaire qui reposent à des degrés divers sur
ces deux acteurs
3
: un modèle caractérisé par une forte présence de l’Etat, prenant en charge
l’offre de services publics et les prestations en espèces (mis en œuvre en Suède, au Danemark
et en Finlande) ; un modèle plus mixte dans lequel l’Etat a pour tâche essentielle de fournir
des prestations en espèces (par exemple en Allemagne, en Autriche, en France, en Belgique et
en Italie) ; et enfin le modèle principalement mis en œuvre aux Etats-Unis, reposant fortement
sur le marché, où l’Etat ne joue qu’un rôle secondaire (Borzaga, Defourny, 2001).
Le fonctionnement de ce modèle économico-institutionnel bipolaire dépendait de la validité
de plusieurs hypothèses :
a) La possibilité de distinguer clairement les biens privés des biens publics, la production
des biens privés étant assumée par le marché et celle des biens publics exclusivement
par l’Etat, sans éléments communs ;
b) La possibilité de réguler le marché afin de permettre la production de services privés
aussi efficacement que possible, en s’appuyant exclusivement sur l’intérêt personnel
des agents concernés ;
c) La capacité de l’Etat à synthétiser les préférences des citoyens en ce qui concerne la
production de biens publics et privés caractérisés par les défaillances du marché.
Le cadre institutionnel du modèle socio-économique conçu dans la période de l’après-guerre
présupposait que le rôle individuel des citoyens, centrés sur leur intérêt personnel, se limitait à
la consommation, à la production et à la participation politique à des fins électorales, tandis
que la dimension collective de l’action citoyenne n’était quasiment pas prise en compte. Le
lobbying était considéré uniquement comme une forme complémentaire et non nécessaire de
la participation politique et il se limitait aux demandes adressées par les citoyens aux pouvoirs
publics pour défendre les droits et les intérêts de groupes spécifiques de citoyens ou de la
collectivité. Certaines initiatives de lobbying ont en définitive conduit à la reconnaissance de
nouveaux droits fondamentaux qui reflètent l’évolution sociétale (parmi les nouveaux droits
fondamentaux reconnus au niveau de l’UE, on notera : les droits des consommateurs, la
3
Le rôle assigné à la famille était secondaire (intégrer la production de services sociaux et de proximité), mais il
était compatible à des degrés divers avec le modèle de protection sociale mis en œuvre dans les différents pays
de l’UE.
5
protection de l’environnement, etc.). Mais cette évolution a été associée à une dimension
abstraite celle de la citoyenneté, impliquant une pleine reconnaissance des droits
fondamentaux et l’appartenance à un même Etat-nation qui était indépendante de sa
composante relationnelle (Magatti, 2005).
Dans ce cadre, les réactions des citoyens devaient théoriquement rester marginales et perdre
de l’importance, dès lors que les droits de citoyenneté sont pleinement atteints (droits
civiques, politiques et sociaux).
A compter des années 1970, ce contexte été affecté par une série de changements qui peuvent
être synthétisés en deux principaux. Le premier tient à l’incapacité croissante de l’Etat à faire
la synthèse et à satisfaire les préférences des citoyens. Malgré une hausse importante des
dépenses publiques, les pouvoirs publics n’ont pas réussi à satisfaire une demande sociale
croissante et diversifiée. Entre autres besoins non couverts, on notera l’absence et la qualité
insuffisante des services sanitaires et sociaux ; la hausse de l’insécurité ; l’incapacité à
prendre en compte les préoccupations au sujet de l’environnement et les questions liées aux
carences de développement dans certaines régions et certains pays. Ces phénomènes ont
empiré suite à la crise de l’Etat-nation et des outils de surveillance mis en œuvre, et à
l’incapacité croissante des familles à auto-produire des services d’utilité sociale, ce qui a
affecté en particulier les familles les plus fragilisées qui n’ont pas les moyens de se tourner
vers le marché pour satisfaire des besoins qui étaient auparavant internalisés (comme les
services aux personnes âgées et l’accueil de la petite enfance).
Une deuxième série de changements a été provoquée par le phénomène de dérégulation et de
mondialisation. La fonction régulatrice et productive de l’Etat a notamment été revue à la
baisse par le modèle néo-libéral qui s’est affirmé dans les pays anglo-saxons au début des
années 1980. Le processus de dérégulation est parti d’une croyance fermement ancrée selon
laquelle le système est intrinsèquement incapable de faire face à bon nombre de problèmes
modernes. D’où la soi-disant cessité de réduire l’intervention des pouvoirs publics et
d’éliminer les obstacles au libre développement des marchés. Le néolibéralisme a permis de
libérer les forces sociales des contraintes considérables qui pesaient sur elles suite aux excès
institutionnels des années 1960 et 1970 (Magatti, 2005). A cet égard, la dérégulation des
marchés a été une composante cruciale du processus de suppression des obstacles à la pleine
jouissance des libertés des citoyens (la différence entre « être dégagé de » et « être libre de »)
et elle a contribué au développement technologique, à une utilisation rationnelle des
ressources, à la croissance économique ainsi qu’à une différentiation accrue de l’offre de
services et à l’émergence de nouvelles initiatives favorables aux citoyens (par exemple les
fonds de pension). La dérégulation a toutefois contribué à la puissance accrue des marchés et
à l’adoption par les entreprises de comportements recherchant la maximisation des profits.
Ces comportements ont notamment affecté les personnes les plus vulnérables et les pays les
plus pauvres. Ce processus a été exacerbé par la mondialisation, qui a clairement produit des
résultats déséquilibrés. Si elle a augmenté les possibilités de développement économique et
renforcé le niveau de compétitivité, elle a également généré un affaiblissement accru des
valeurs cotées en Bourse, ce qui a conduit certains auteurs à parler d’une société à risque
économique global. La baisse des titres a ainsi été au centre de l’attention suite à la
libéralisation des flux financiers dans des contextes d’échec du marché, la crise asiatique en
étant un bon exemple. En outre, le processus de délocalisation a mis en lumière l’insécurité
accrue qui affecte les travailleurs non qualifiés des économies avancées, incapables de
concurrencer les travailleurs des pays en développement qui sont prêts à accepter des salaires
beaucoup plus bas.
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