DGIII/DCS (2005) SEMINAR / PIATTAFORMA ETHICAL AND SOLIDARITY-BASED FINANCE AND RESPONSIBLE CONSUMPTION: INVOLVING CITIZENS IN COMBATING POVERTY AND EXLUSION FINANZA ETICA E SOLIDALE CONSUMI RESPONSABILI : IMPEGNARE LE CITTADINA NELLA LOTTA CONTRO LA POVERTA E L’ESCLUSIONE 30 November – 2 December 2005 30 novembre – 2 dicembre 2005 Palace of the Trento Autonomous Province Palazzo della Provincia autonoma di Trento ___________________________________________________ SESSION II / SESSIONE II Why involve citizens in combating poverty and exclusion? Perché coinvolgere la cittadinanza nella lotta contro la povertà e l’esclusione? Nouvelles tendances en ce qui concerne la participation des citoyens : l’importance croissante de comportements socialement responsables en termes de consommation, d’épargne et de production Carlo Borzaga Professeur et doyen de la Faculté d’économie, Université de Trento (Italie) 1. Introduction On a constaté au cours des dernières années un intérêt croissant pour le rôle que pouvait jouer la société civile dans l’économie. La conscience et la sensibilité accrues des citoyens à l’égard de préoccupations comme la préservation de l’environnement, la pauvreté dans les pays moins développés (Becchetti, Solforino, 2003), et le bien-être de leur communauté locale ont effectivement contribué au développement de nouvelles initiatives partant de la base. La revitalisation du rôle joué par les citoyens dans les économies avancées pour influencer et réguler l’économie se remarque à différents niveaux géographiques (local, régional, national ou international), encouragée par ce qu’il est convenu d’appeler une « responsabilité partagée » ou « co-responsabilité » (Urban, 2004). Cette réaction a notamment été favorisée par trois phénomènes principaux : le démantèlement de l’Etat- providence traditionnel, le processus de dérégulation des marchés et le processus de mondialisation. 1 De manière générale, la mobilisation des citoyens remonte à la crise du paradigme de la modernité qui a ses racines bien au-delà de ces phénomènes. Les demandes pour que les initiatives individuelles puissent davantage s’inscrire dans l’espace public ont en effet commencé à se faire entendre à la fin des années 1960, générées par les contradictions internes du modèle sociétal mis en œuvre. Les demandes pour plus d’autonomie et de créativité étaient de moins en moins satisfaites par les organismes existants, d’où l’insatisfaction croissante d’un nombre de plus en plus important de citoyens à l’égard des institutions et la volonté de prendre leur avenir en mains au moyen d’initiatives actives (Magatti, 2005). L’efficacité globale de l’action des citoyens, tant individuelle que collective, est une évidence, si l’on considère que les gouvernements et les entreprises ont été contraints à de nombreuses reprises de réviser ou de modifier leurs politiques suites aux pressions exercées par des mouvements de citoyens ordinaires et par la société civile (Annan, 2002). Ce qui a également eu pour effet d’accroître la sensibilité des institutions internationales à l’égard de la responsabilité sociale et du commerce équitable au cours des dernières années1. Par ailleurs, plusieurs hypothèses et théories ont été suggérées pour expliquer les divers mécanismes des comportements socialement responsables que l’on a vu apparaître récemment. Les capacités réelles des citoyens à tirer parti des processus économiques restent toutefois encore mal comprises, et c’est encore plus vrai pour ce qui est des potentiels latents de leurs actions au service du bien commun. Le nouveau rôle joué par les groupes et les organisations de citoyens reste insuffisamment connu, de même pour ce qui des potentiels de ces organisations de citoyens. Les réactions des citoyens peuvent être vues dans quatre perspectives : les actions des groupes de pression (défense d’intérêts), la consommation et l’épargne (souvent interprétée en tant que « défense active ») et, enfin, la production directe de biens et services, visant particulièrement à satisfaire l’intérêt général, au moyen de formes organisationnelles qui ne sont ni publiques ni lucratives. Si les trois premières réactions sont de plus en plus connues, la dernière – qui est la plus innovante et la plus complexe de par sa dimension collective - est la moins bien comprise. En règle générale, si l’impact des mutations économiques et sociales qui se sont produites au cours des dernières décennies sur le rôle joué par le citoyens a tendance à être peu pris en compte par les décideurs politiques et les commentateurs, le rôle économique joué par les organisations de citoyens est largement négligé. Les études menées dans ce domaine sont fragmentées et portent essentiellement sur des actions individuelles plutôt que sur leur dimension collective. Le fossé qui sépare le véritable impact des comportements de citoyens dont la motivation première n’est pas leur intérêt personnel et la capacité de les théoriser et de les institutionnaliser (avec des politiques appropriées) est dû à plusieurs facteurs, dont deux semblent particulièrement importants. 1 Juste pour mentionner quelques initiatives pertinentes : la Commission européenne a présenté une communication sur le Commerce équitable COM (1999) 619) et le livre vert sur la responsabilité sociale COM (2001) 366) ; l’OCDE a publié en 2000 les Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales, qui sont des recommandations sur les attitudes responsables des entreprises formulées par les gouvernements à l’intention des entreprises multinationales des pays membres ou dans les pays membres. 2 Tout d’abord, le caractère incomplet et fragmenté des analyses développées jusqu’à ce jour et leur incapacité à intégrer pleinement la pluralité de ces nouvelles formes d’expression citoyennes, qu’il s’agisse de la consommation responsable, de l’épargne responsable ou de formes innovantes de production de biens et de services, regroupées sous le terme d’« entreprises sociales ». Les analyses récentes n’ont notamment pas réussi à saisir le lien entre les choix individuels et le développement de nouvelles institutions intégrant de manière intrinsèque un engagement social à même de canaliser les comportements responsables. A cet égard, le choix des mots utilisés (économie sociale, économie solidaire, secteur non lucratif, etc.) semble inadéquat en ce sens qu’il suggère un « phénomène contingent » ne pouvant être généralisé et voué à rester marginal. Dans ce contexte, ce document souligne à la fois l’importance des nouvelles formes d’expression citoyennes et l’interdépendance entre les initiatives individuelles et collectives, ainsi que la nécessité d’appréhender le phénomène de mobilisation des citoyens dans son ensemble. Le deuxième facteur qui contribue à une méconnaissance du phénomène en question est la prévalence, dans l’analyse économique, d’une approche reposant en grande partie sur une description stylisée des motivations d’intérêt personnel qui seraient exclusivement ou au moins largement dominantes chez les agents (consommateurs, producteurs, etc.), qui se heurte clairement aux nouvelles tendances comportementales d’un nombre croissant de citoyens. Ce document a pour objet d’identifier de nouvelles pistes de recherche susceptibles de contribuer à dépasser cette limite, en démontrant l’importance des motivations non centrées sur l’intérêt personnel dans la conception des relations interpersonnelles et des interactions économiques. L’analyse part du fait que l’engagement de plus en plus actif des citoyens a conduit à une remise en question du système institutionnel de l’après-guerre reposant sur deux pôles – l’Etat et le marché -, qui avait été conçu au cours du siècle dernier. D’où la recherche d’un nouveau paradigme tenant compte de l’évolution causée par la mobilisation des citoyens, et la nécessité de concevoir des politiques visant spécifiquement à soutenir le développement d’organisations de citoyens poursuivant explicitement des objectifs d’intérêt général. L’attention sera d’abord portée sur les changements intervenus, puis sur leur impact sur le rôle que les citoyens peuvent jouer. En outre, l’accent sera mis sur toutes les modalités au moyen desquelles les citoyens affectent les économies de leur pays, par un nouveau type d’activisme et l’adoption de nouveaux comportements socialement responsables en termes de consommation, d’épargne et de production de services d’intérêt général. Afin de comprendre et de mieux situer les comportements socialement responsables des citoyens sous leurs multiples aspects, l’attention sera portée dans un premier temps sur les nouvelles perspectives théoriques qui contribuent à expliquer la forte progression d’organisations productives à finalités sociales. Dans un deuxième temps, ce document portera son attention sur l’impact de l’action des citoyens sur les entreprises et les institutions, ainsi que sur les interconnexions entre les nombreuses expressions de comportements responsables, notamment en ce qui concerne le lien entre la production et l’épargne et la production et la consommation. Ce document montrera que parallèlement aux initiatives de la société civile, des institutions destinées à faciliter leur action ont été mises en place. Enfin, ce document s’intéressera aux changements institutionnels nécessaires pour soutenir le plein développement d’activités citoyennes animées par un « intérêt personnel qui voit loin »2 (Becchetti, 2005). Ce terme est utilisé par Becchetti pour décrire les choix de citoyens qui sont conscients de l’interdépendance croissante entre des phénomènes apparemment éloignés. 2 3 2. Le caractère inadéquat du paradigme bipolaire Le modèle économico-institutionnel créé au cours du dernier siècle dans tous les pays développés et particulièrement en Europe était de nature dichotomique, à savoir qu’il était caractérisé par la présence de deux acteurs principaux : le marché et l’Etat. Le marché s’est vu attribuer le rôle de production et de répartition des biens privés et de distribution des ressources qui en résulte, selon la règle de la contribution individuelle. Le fonctionnement efficace des marchés devait être garanti par l’action des entreprises et des agents (consommateurs, épargnants et salariés) en faveur de leur intérêt exclusif. Cette vision du marché a été exacerbée au cours des dernières années suite au phénomène de dérégulation et de mondialisation. L’Etat s’est vu confier la tâche de produire les biens publics et les biens caractérisés par les défaillances du marché, en plus de celle de réguler les marchés pour réduire le nombre d’insuffisances. L’administration publique était considérée comme le seul acteur autorisé à produire des biens et services d’intérêt général. Trois modèles ont été développés dans ce cadre bipolaire qui reposent à des degrés divers sur ces deux acteurs3 : un modèle caractérisé par une forte présence de l’Etat, prenant en charge l’offre de services publics et les prestations en espèces (mis en œuvre en Suède, au Danemark et en Finlande) ; un modèle plus mixte dans lequel l’Etat a pour tâche essentielle de fournir des prestations en espèces (par exemple en Allemagne, en Autriche, en France, en Belgique et en Italie) ; et enfin le modèle principalement mis en œuvre aux Etats-Unis, reposant fortement sur le marché, où l’Etat ne joue qu’un rôle secondaire (Borzaga, Defourny, 2001). Le fonctionnement de ce modèle économico-institutionnel bipolaire dépendait de la validité de plusieurs hypothèses : a) La possibilité de distinguer clairement les biens privés des biens publics, la production des biens privés étant assumée par le marché et celle des biens publics exclusivement par l’Etat, sans éléments communs ; b) La possibilité de réguler le marché afin de permettre la production de services privés aussi efficacement que possible, en s’appuyant exclusivement sur l’intérêt personnel des agents concernés ; c) La capacité de l’Etat à synthétiser les préférences des citoyens en ce qui concerne la production de biens publics et privés caractérisés par les défaillances du marché. Le cadre institutionnel du modèle socio-économique conçu dans la période de l’après-guerre présupposait que le rôle individuel des citoyens, centrés sur leur intérêt personnel, se limitait à la consommation, à la production et à la participation politique à des fins électorales, tandis que la dimension collective de l’action citoyenne n’était quasiment pas prise en compte. Le lobbying était considéré uniquement comme une forme complémentaire et non nécessaire de la participation politique et il se limitait aux demandes adressées par les citoyens aux pouvoirs publics pour défendre les droits et les intérêts de groupes spécifiques de citoyens ou de la collectivité. Certaines initiatives de lobbying ont en définitive conduit à la reconnaissance de nouveaux droits fondamentaux qui reflètent l’évolution sociétale (parmi les nouveaux droits fondamentaux reconnus au niveau de l’UE, on notera : les droits des consommateurs, la 3 Le rôle assigné à la famille était secondaire (intégrer la production de services sociaux et de proximité), mais il était compatible à des degrés divers avec le modèle de protection sociale mis en œuvre dans les différents pays de l’UE. 4 protection de l’environnement, etc.). Mais cette évolution a été associée à une dimension abstraite – celle de la citoyenneté, impliquant une pleine reconnaissance des droits fondamentaux et l’appartenance à un même Etat-nation – qui était indépendante de sa composante relationnelle (Magatti, 2005). Dans ce cadre, les réactions des citoyens devaient théoriquement rester marginales et perdre de l’importance, dès lors que les droits de citoyenneté sont pleinement atteints (droits civiques, politiques et sociaux). A compter des années 1970, ce contexte été affecté par une série de changements qui peuvent être synthétisés en deux principaux. Le premier tient à l’incapacité croissante de l’Etat à faire la synthèse et à satisfaire les préférences des citoyens. Malgré une hausse importante des dépenses publiques, les pouvoirs publics n’ont pas réussi à satisfaire une demande sociale croissante et diversifiée. Entre autres besoins non couverts, on notera l’absence et la qualité insuffisante des services sanitaires et sociaux ; la hausse de l’insécurité ; l’incapacité à prendre en compte les préoccupations au sujet de l’environnement et les questions liées aux carences de développement dans certaines régions et certains pays. Ces phénomènes ont empiré suite à la crise de l’Etat-nation et des outils de surveillance mis en œuvre, et à l’incapacité croissante des familles à auto-produire des services d’utilité sociale, ce qui a affecté en particulier les familles les plus fragilisées qui n’ont pas les moyens de se tourner vers le marché pour satisfaire des besoins qui étaient auparavant internalisés (comme les services aux personnes âgées et l’accueil de la petite enfance). Une deuxième série de changements a été provoquée par le phénomène de dérégulation et de mondialisation. La fonction régulatrice et productive de l’Etat a notamment été revue à la baisse par le modèle néo-libéral qui s’est affirmé dans les pays anglo-saxons au début des années 1980. Le processus de dérégulation est parti d’une croyance fermement ancrée selon laquelle le système est intrinsèquement incapable de faire face à bon nombre de problèmes modernes. D’où la soi-disant nécessité de réduire l’intervention des pouvoirs publics et d’éliminer les obstacles au libre développement des marchés. Le néolibéralisme a permis de libérer les forces sociales des contraintes considérables qui pesaient sur elles suite aux excès institutionnels des années 1960 et 1970 (Magatti, 2005). A cet égard, la dérégulation des marchés a été une composante cruciale du processus de suppression des obstacles à la pleine jouissance des libertés des citoyens (la différence entre « être dégagé de » et « être libre de ») et elle a contribué au développement technologique, à une utilisation rationnelle des ressources, à la croissance économique ainsi qu’à une différentiation accrue de l’offre de services et à l’émergence de nouvelles initiatives favorables aux citoyens (par exemple les fonds de pension). La dérégulation a toutefois contribué à la puissance accrue des marchés et à l’adoption par les entreprises de comportements recherchant la maximisation des profits. Ces comportements ont notamment affecté les personnes les plus vulnérables et les pays les plus pauvres. Ce processus a été exacerbé par la mondialisation, qui a clairement produit des résultats déséquilibrés. Si elle a augmenté les possibilités de développement économique et renforcé le niveau de compétitivité, elle a également généré un affaiblissement accru des valeurs cotées en Bourse, ce qui a conduit certains auteurs à parler d’une société à risque économique global. La baisse des titres a ainsi été au centre de l’attention suite à la libéralisation des flux financiers dans des contextes d’échec du marché, la crise asiatique en étant un bon exemple. En outre, le processus de délocalisation a mis en lumière l’insécurité accrue qui affecte les travailleurs non qualifiés des économies avancées, incapables de concurrencer les travailleurs des pays en développement qui sont prêts à accepter des salaires beaucoup plus bas. 5 L’expansion du marché dans de nouveaux domaines et de nouveaux secteurs s’est faite sans que l’on s’attaque au problème des défaillances du marché en tant que telles. Les développements du marché en dehors de ses frontières traditionnelles ont ainsi donné lieu à une hausse injustifiée des profits, des rentes et des salaires des dirigeants, tandis que plusieurs scandales ont éclaté suite aux comportements opportunistes de certains dirigeants. Cela s’est traduit par une réduction du volume des salaires par rapport au PIB et une inégalité croissante. En outre, les graves scandales qui ont frappé les marchés financiers (Enron et Parmalat) ont montré que les réglementations sont incapables, à elles seules, de garantir un fonctionnement correct de l’économie si l’on n’y associe pas un degré suffisant d’éthique des acteurs concernés (Becchetti, 2005). Pour résumer, la situation qui prévalait, caractérisée par un excès institutionnel, a été suivie par un déficit institutionnel et un sentiment croissant d’insécurité et d’instabilité, avec une hausse du niveau des inégalités qui a contribué, à son tour, à faire baisser les indicateurs de bien-être. Ce processus a conduit à rechercher une nouvelle architecture institutionnelle pour faire face à ces questions globales et à ces nouvelles actions citoyennes. Pour réussir, cette nouvelle architecture devrait s’appuyer sur une pluralité d’acteurs, de territorialités et de logiques de régulation, dont les nombreux acteurs de la société civile (Magatti, 2005). D’où la nécessité d’une connaissance plus précise du phénomène en cours. 3. Les réactions individuelles et collectives des citoyens Comment les citoyens ont-ils réagi à ces changements ? Il n’y a pas encore eu d’analyse complète et exhaustive des réactions des citoyens et cela nécessitera beaucoup de travail. On peut néanmoins identifier quatre catégories concrètes de réactions qui sont apparues au cours des dernières années : des actions de lobbying plus nombreuses ; le développement d’une consommation responsable ; le développement d’une épargne responsable ; l’émergence et la diffusion d’initiatives d’autoproduction de services d’intérêt général. 3.1. Des actions de lobbying plus nombreuses La première réaction est fournie par le renforcement des organisations traditionnelles de défense d’intérêts et le développement d’une nouvelle vague de mouvements défendant des causes modernes et mondialisées (environnement, droits des animaux, féminisme, antimondialisation). Philippe Schmitter souligne l’augmentation des actions collectives « non conventionnelles » lancées par ces mouvements (protestations, pétitions, boycotts et manifestations) qui ont transcendé les frontières des politiques nationales (Schmitter, 2004) et qui obligent de plus en plus les entreprises à respecter les normes sociales et environnementales internationales. L’action des groupes de pression qui opèrent à l’échelle internationale a cessé d’être exclusivement complémentaire par rapport au mécanisme bipolaire ; elle vise désormais à exercer une fonction de régulation à la place de l’action de l’Etat et celle des institutions gouvernementales internationales qui n’ont pas assumé cette tâche. D’où l’apparition de ces organisations pour évaluer les procédures de protection des droits humains. Par voie de conséquence, les entreprises sont de plus en plus tenues de rendre des comptes à leurs employés et à l’environnement sur le plan du droit international, ce qui était auparavant une tâche des Etats. Dans ces conditions, le cadre de référence à même de réguler les comportements des entreprises est devenu de plus en plus intense et complexe - il est en effet de plus en plus influencé par les conventions et les décisions d’organisations 6 internationales (Musumeci, 2001) et par la pression exercée par des organisations privées internationales, et il a cessé d’être une prérogative du droit national. L’efficacité des nouvelles organisations de lobbying a été favorisée par la réduction des coûts technologiques, la révolution des médias et l’usage intensif d’Internet. Ces derniers, tout en exacerbant les effets négatifs de la mondialisation, ont également facilité la coopération entre les associations de consommateurs et les organisations de lobbying dans le monde, les questions traitées étant effectivement de nature transnationale. 3.2. Consommation responsable Une tendance croissante en matière de consommation responsable a été recensée dans les pays de l’OCDE au cours des dix dernières années. Acheter de manière responsable peut relever d’une consommation « verte » (éco-labels) ; d’une « consommation durable » (le mouvement de l’alimentation bio) ou de l’intérêt actuel pour les questions d’« éthique et de responsabilité » (commerce équitable, produits et services éthiques) (Fielder, 2005)4. La croissance rapide des ventes de produits dotés du label « commerce équitable » ou « commerce solidaire », alors même qu’ils constituent une faible part du marché, constitue un indicateur clair de la préoccupation croissante des consommateurs au sujet des questions sociales et environnementales. Selon des données plus récentes fournies par l’organisation internationale de labellisation du commerce équitable (FLO), 315 organisations sont certifiées, ce qui représentait, en 2003, au moins 500 structures de producteurs directs et environ 1.300.000 familles d’employés dans 40 pays. La même année, des produits issus du commerce équitable étaient vendus dans 2.700 Magasins du Monde et environ 4.300 supermarchés en Europe et 7.000 aux Etats-Unis. En 2000, les ventes mondiales de produits issus du commerce équitable ont atteint un montant de 400 millions de dollars avec des tendances à la hausse. De même, au niveau européen, l’Association européenne de commerce équitable, l’EFTA, montre que le commerce équitable se développe de manière significative et qu’il gagne des parts de marché importantes pour plusieurs produits (FLO, 2005). Une telle réaction proactive des citoyens peut être décrite comme une défense active car elle ne se limite pas aux formes traditionnelles du lobbying à l’égard de l’Etat-nation et concerne les comportements et les choix quotidiens de chacun (de la consommation au tourisme responsable). Cette définition tend toutefois à sous-estimer l’importance de ce phénomène : elle continue à ignorer son importance économique et la possibilité de généraliser ces comportements, et le considère plutôt comme un phénomène marginal. La principale innovation réside dans le fait que les comportements qui relèvent de la consommation responsable prennent en compte non seulement les caractéristiques quantitatives et qualitatives des produits (comme l’exige la théorie économique traditionnelle), mais aussi le processus et les méthodes de production, c’est-à-dire comment les produits sont fabriqués et les prix reconnus aux producteurs. La consommation responsable, c’est aussi le choix explicite de contribuer à une distribution plus égale des ressources entre consommateurs et producteurs. D’où le rejet de produits fabriqués, par exemple, en ayant recours au travail des enfants ou en violation des normes environnementales et éthiques internationales. Outre une sélection négative de produits de consommation, de plus en plus de consommateurs ont par ailleurs commencé à orienter leurs 7 décisions de consommation sur des produits qui on une valeur ajoutée environnementale et sociale, à la lumière du respect des normes respectueuses de l’environnement ou de l’intégration de travailleurs marginalisés dans la production (qu’il s’agisse des producteurs défavorisés du Sud ou des salariés défavorisés du Nord). Selon Becchetti, l’achat de produits par des consommateurs responsables se transforme en outil efficace qui permet aux citoyens de compenser l’absence de cadres et d’institutions de régulation à même de gérer la mondialisation. Des travaux de recherche menés par le Centre d’études international de l’Université Tor Vergata à Rome ont identifié neuf effets positifs potentiels du commerce équitable pour compenser les insuffisances du marché : cela va de verser une rémunération juste dans le contexte local quand les prix des produits de base s’effondrent, à produire des biens publics pour la communauté locale, en passant par la constitution d’un « capital social international » (Becchetti, 2005). Cette nouvelle sensibilité permet de dépasser la schizophrénie à laquelle sont confrontés les individus, qui sont en même temps exaltés en tant que consommateurs par la gamme de plus en plus étendue de produits mis à leur disposition à des prix en baisse, tout en vivant de plus en plus dans l’insécurité en tant que travailleurs. Ce phénomène a été accentué par la mondialisation qui a réduit la distance entre les pays et les cultures et aboli les barrières entre les mains d’œuvres nationales et les marchés de produits (Becchetti, 2005). 3.3. Epargne responsable A l’instar de la consommation responsable, l’épargne responsable a également gagné du terrain ces dernières années, de plus en plus de gens commençant à défendre leur droit de savoir comment sont placées leurs économies. Les investissements socialement responsables reconnaissent l’importance de l’éthique dans le fonctionnement des économies de marché modernes. On peut distinguer trois conceptions de la finance éthique ou socialement responsable. La première – qui est la plus traditionnelle – inclut l’action des intermédiaires financiers qui investissent une partie de leurs profits dans des œuvres sociales et de bienfaisance (investissement solidaire). La deuxième se réfère au rôle actif joué par les intermédiaires financiers au sein des conseils d’administration des entreprises afin qu’elles adoptent des comportements plus responsables socialement (défense des intérêts des actionnaires). Enfin, le troisième type de finance socialement responsable inclut tous les intermédiaires financiers qui sélectionnent les placements en décidant de ne pas investir dans des sociétés qui ne respectent pas les critères éthiques sélectionnés par les consommateurs (filtrage). On peut ainsi identifier deux comportements responsables : celui des épargnants et des investisseurs qui décident de ne pas investir dans des entreprises qui ne respectent pas les droits humains et environnementaux, et celui des investisseurs soucieux d’un « investissement solidaire », qui consiste notamment à soutenir les entreprises respectueuses de valeurs éthiques (investissements socialement responsables). Ce comportement permet d’associer l’efficacité à la responsabilité sociale, par le développement, par exemple, de fonds éthiques. La finance socialement responsable s’est développée initialement aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, grâce à l’engagement de fondations et de fonds de pension (Becchetti, 2005). Le mouvement de l’investissement socialement responsable a vu le jour au début des années 8 1920 au Royaume-Uni quand l’Eglise méthodiste a commencé à éviter les « actions du péché » (c’est-à-dire les actions investies dans le tabac, l’alcool, l’énergie nucléaire, l’armement, etc.) dans sa politique d’investissement. Ce mouvement s’est développé par la suite dans les années 1960, mais il est resté un exemple peu répandu d’ISR. L’ISR a connu une nouvelle phase de développement dans les années 1990, suite à une perception croissante de la responsabilité sociale par les gouvernements, les entreprises et les institutions de placement. Les fonds éthiques jouent un rôle important dans le monde financier américain. Aujourd’hui, plus d’un dollar sur neuf géré professionnellement aux Etats-Unis est placé dans un investissement socialement responsable, et plus de 11 pour cent de tous les actifs gérés professionnellement aux Etats-Unis sont placés dans des portefeuilles d’actions ayant recours au filtrage, à la défense des intérêts des actionnaires et à l’investissement solidaire (Forum pour l’investissement responsable, 2003). En 2001, il y avait 230 fonds éthiques aux EtatsUnis gérant un montant total d’épargne de 2.324 milliards d’euros, soit près d’un/huitième du montant total de l’épargne gérée aux Etats-Unis. De même, on a constaté au Royaume-Uni un intérêt croissant au cours des dernières années pour les produits financiers éthiques. En avril 2001, ils étaient au nombre de 55, gérant un montant total d’épargne de 17 milliards d’euros. Sur le plan mondial, la finance éthique est très développée aux Etats-Unis et au Royaume-Uni ; on note une tendance croissante en Europe, bien qu’elle parte de niveaux très bas ; et, enfin, les marchés asiatiques font preuve d’un développement prometteur. Il y a effectivement un intérêt élevé et croissant pour ces produits. S’agissant de l’Italie, à la fin de du mois de février 2003, il existait 21 fonds italiens socialement responsables, dont 14 créés entre les années 2000 et 2001. A la fin de janvier 2002, par rapport aux années précédentes, on a relevé une hausse considérable de l’offre de produits éthiques et environnementaux, pour un montant total de capitalisation de 2.478 millions d’euros. Les rendements des placements éthiques sont alignés sur ceux du marché et affichent même de meilleures performances. Selon une étude menée par l’Osservatorio Finetica, les produits financiers socialement responsables ont une meilleure performance que les produits traditionnels, surtout sur le long terme. Cela peut s’expliquer par la meilleure réputation dont jouissent les entreprises socialement responsables sur le marché et aux yeux des actionnaires, grâce à plusieurs facteurs, dont une intensité moindre de conflits sociaux internes et externes et la prévalence d’un environnement de confiance (Becchetti, 2005). En dehors des investissements socialement responsables, il convient de noter le développement d’institutions de crédit qui ont un engagement social explicite dans leurs statuts et qui favorisent la rencontre de la microfinance avec les épargnants socialement responsables. C’est le cas d’institutions qui octroient des crédits à des clients exclus du système bancaire, comme la Grameen Bank qui accorde des crédits à la population la plus pauvre du Bangladesh depuis les années 1970 ; la Bank Rakyat en Indonésie et BancoSol en Bolivie (Otero, Rhyne, 1994). On place aussi dans ce groupe les banques alternatives qui se sont développées en Europe au cours des vingt dernières années (Triodos Bank, ÖkoBank, Banca Etica, etc.). Le rôle de ces institutions est particulièrement important pour surmonter les défaillances du marché du crédit et quand les gens n’ont pas de garanties à offrir. La configuration actuelle du système bancaire empêche effectivement les pauvres qui ont des projets viables d’accéder à des ressources financières qui leur permettraient d’améliorer également le bien-être de la collectivité, en termes d’utilisation efficace des ressources et de croissance économique en général (Becchetti, 2005). 3.4. Autoproduction de services d’intérêt général 9 Au cours des 20-25 dernières années, les citoyens ont été également de plus en plus nombreux à créer des entreprises sociales ayant pour objectif la production de services sociaux, de soins de santé, d’éducation et de culture, face à l’insuffisance de l’offre de l’Etat et du marché. A partir des années 1970, la société civile de plusieurs pays a commencé à réagir, à la fois à la production insuffisante de services sociaux et à l’incapacité de l’Etat-providence à garantir l’emploi – particulièrement des personnes les plus difficiles à placer – en créant bénévolement des formes organisées de production. A noter que ces organisations se sont appuyées sur le travail bénévole d’un nombre important de citoyens, particulièrement dans les premières phases du développement. Ce processus a eu pour effet que des associations et des fondations - qui s’occupaient traditionnellement de défendre des intérêts particuliers – ont pris une orientation plus productive en se lançant dans la production directe de services. Par ailleurs, on a constaté une tendance évolutive parallèle pour les coopératives – dont l’objectif traditionnel est la promotion des intérêts de leurs membres (consommateurs, producteurs, agriculteurs, etc.). L’expansion des coopératives dans la production de services d’intérêt général destinés à l’ensemble de la collectivité a stimulé le développement d’un nouveau modèle de coopérative caractérisé par la nature mixe de ses membres, plus adapté à la production de services d’utilité sociale (Borzaga, Mittone, 1997). Ce changement d’orientation a pris des formes diverses selon les pays, selon le rôle que jouait auparavant le secteur, sa taille et sa relation avec le secteur public (Bacchiega, Borzaga, 2003). D’où le regroupement de modèles de forme associative et coopérative et l’émergence d’un nouveau secteur d’organisations productives sans but lucratif. L’activité de ces nouvelles organisations véhicule les principes suivants : a) l’objectif de financement (principe qui explique la création de ces initiatives) est la réponse à un besoin émergeant dans la société. On citera, à titre d’exemple, les entreprises françaises spécialisées dans la réinsertion sur le marché de l’emploi, les associations défendant des intérêts spécifiques et les conseils de quartier locaux ; les coopératives sociales en Italie ; les organisations actives dans le domaine de l’emploi et de la formation en Allemagne ; les entreprises et ateliers de formation sur le travail en Belgique ; les entreprises communautaires au Royaume-Uni et les entreprises de développement communautaire au Canada (Defourny, Develtere, 1999); b) les règles de distribution sont fondées sur la solidarité et la réciprocité. Les échanges entre les différents agents se font également quand ils ne respectent pas la relation d’équivalence, qui caractérise les relations du marché. Cet aspect est une spécificité de l’entrepreneuriat social par rapport aux initiatives lancées par des entreprises à but lucratif qui sont, à l’inverse, structurées de manière à empêcher des tiers de réaliser des bénéfices nets et à garantir la distribution des excédents dégagés aux propriétaires. Il y a ainsi une fonction distributive (Bacchiega, Borzaga, 2003) ; c) elles préconisent des modalités de participation et des processus décisionnels démocratiques. La démocratie dans le processus de décision se réfère théoriquement à la règle d’« une personne, une voix » opposée à « une action, une voix », ou au moins à une limitation stricte du nombre de voix par membre de ces organisations autonomes ; d) elles s’appuient sur une pluralité de ressources, du marché, de l’économie non marchande et de l’économie non monétaire. 10 Plusieurs indicateurs apportent la preuve de l’orientation productive que prennent de plus en plus d’entreprises sociales aux Etats-Unis et dans tous les pays de l’UE (la croissance dimensionnelle de nombreuses organisations ; la hausse du nombre d’employés, la hausse de la part de PIB,5) (Anheier, 2005) et confirment le rôle majeur joué par les entreprises sociales dans la production de tout un éventail de services d’intérêt général visant à améliorer la qualité de vie des citoyens dans leur ensemble. L’engagement actif des citoyens dans ces entreprises sociales compense à la fois l’incapacité du marché du travail traditionnel à intégrer les travailleurs défavorisés et l’incapacité des prestataires de services publics à faire face à une demande sociale croissante et de plus en plus diversifiée. La particularité de leurs objectifs sociaux et de leur structure institutionnelle contribue à générer des effets extérieurs positifs, sous la forme de soutien à des groupes sociaux défavorisés et à des communautés locales ; de constitution d’un capital social par le biais de relations et de réseaux de confiance composés d’une pluralité d’acteurs sociaux ; la distribution des ressources à des groupes qui ne pourraient pas acquérir les produits et les services dont ils ont besoin. On notera également que les entreprises sociales proposent de nouveaux types d’activités, une offre innovante de services ainsi que de nouvelles formes de participation et de renforcement de la démocratie locale, de par leur capacité à contribuer à une démocratie participative dans laquelle les citoyens peuvent s’engager concrètement en faveur du développement économique et social et de la vie civique de leur pays. On a assisté au cours des vingt dernières années à un développement significatif des entreprises sociales dans toute l’Europe, principalement dans deux champs d’activité : l’insertion par le travail et l’offre de services aux personnes. On notera que les entreprises sociales étendent leurs activités à d’autres services - par exemple les services culturels et environnementaux - conformément à leur nature dynamique à même de saisir les nouveaux besoins qui apparaissent dans la société (Borzaga, Defourny, 2001). La reconnaissance croissante du phénomène des entreprises sociales est confirmé par l’introduction de nouvelles formes juridiques visant à encourager les dynamiques entrepreneuriales qui s’inscrivent dans un projet social dans plusieurs pays européens, comme par exemple la nouvelle loi sur les entreprises sociales en Italie et les projets d’« entreprises d’intérêt communautaire » (Community Interest Company) au Royaume-Uni. Pour ce qui est des aspects dimensionnels, on notera les cas de l’Italie et du Royaume-Uni. En décembre 2001, 5.515 entreprises sociales ont été recensées au titre des coopératives sociales, dont 60% créées au cours de la dernière décennie. Par rapport aux données de 1999, une hausse de 18,6% a été enregistrée en 2001. Les coopératives sociales emploient 173.000 salariés et 28.000 bénévoles. D’un point de vue économique, la valeur totale de la production des coopératives sociales italiennes s’élève à 4 milliards d’euros. La majorité des coopératives sociales sont financées par des fonds publics (63,9%) ; 36,1% par des sources privées, les coopératives prestataires de services sociaux étant les plus nombreuses à être financées par Le secteur sans but lucratif emploie environ 11 millions de personnes, soit 7,1 pourcent de l’emploi total aux Etats-Unis. La part de l’emploi dans ce secteur est trois fois plus élevée que dans l’agriculture. A noter que les apports privés (dons, subventions, etc.) constituent la source la moins importante des recettes non lucratives ; plus de la moitié (54 pour cent) de la totalité des revenus non lucratifs provient des droits et des ventes ; 36 pour cent des revenus non lucratifs proviennent du gouvernement. Les dons privés constituent la recette la moins importante dans le champ le plus central économiquement, les services de soins de santé, où ils ne représentent que 5 pour cent des recettes. Le dépenses de ce secteur s’élevaient à près de 500 milliards de dollars à la fin des années 1990, soit près de / pourcent du revenu national. En comparaison, le secteur à but lucratif représente 80 pour cent du revenu national, et le secteur public plus de 13 pourcent (Anheier, 2005). 5 11 des fonds publics6 (ISTAT, 2003). En ce qui concerne le cas britannique, selon une enquête récente portant sur les entreprises sociales au Royaume-Uni, il y a actuellement environ 15.000 entreprises sociales enregistrées en tant que « sociétés à responsabilité limitée par garanties » (Companies Limited by Guarantee) et d’« entreprises sociales de secours mutuel » (Industrial & Provident Societies), qui représentent environ 1,2 pour cent de l’ensemble des entreprises au RU. Elles emploient 475.000 salariés et 300.000 bénévoles et génèrent environ 18 milliards de livres de chiffre d’affaires annuel. Fait intéressant, les emplois et le chiffre d’affaires (82%) des entreprises sociales au RU sont la plupart du temps générés par leurs propres activités commerciales (IFF Research Ltd, 2000). 4. La nécessité d’un nouveau paradigme Bien que suscitant un intérêt croissant, ces phénomènes restent encore mal compris et les interrelations entre les différentes initiatives sont rarement prises en compte. La fonction productive des organisations sans but lucratif est certainement la moins bien comprise. En d’autres termes, les études et les travaux de recherche portant sur les différentes typologies de comportements socialement responsables font rarement le lien entre elles, alors que ces liens sont évidents. Il est clair par exemple que le développement d’initiatives en matière de commerce équitable et d’épargne éthique a été rendu possible par la consolidation progressive de formes d’entreprises et d’organisations soucieuses de gérer ces activités selon des logiques autres que l’objectif de faire des profits. Or, l’incapacité d’adopter un cadre unitaire a empêché de prendre pleinement conscience de ces phénomènes. Prises ensemble, ces initiatives ont toutefois gagné une importance considérable à la lumière de leur impact direct sur les entreprises à but lucratif, sur les changements induits dans la composition de la production et sur les innovations institutionnelles qu’elles ont commencé à générer. Cette responsabilité sociale croissante est une avancée importante pour la promotion d’une démocratie économique et l’équilibre entre les citoyens, les institutions et les entreprises. En outre, il apparaît clairement que l’engagement actif croissant des citoyens, au moyen de leurs décisions en matière de consommation et d’épargne ou par le biais de leur tissu associatif, a conduit à une remise en question de la validité du cadre bipolaire. En même temps, les théories ordinaires fondées sur l’intérêt personnel des agents économiques et le paradigme bipolaire ont été largement remis en cause et des lectures alternatives ont été proposées. Il n’empêche que la sous-estimation générale de l’interaction collective continue de prévaloir, et paradoxalement parmi ceux qui souhaitent que se développe cette mobilisation des citoyens. Il faudrait donc un nouveau paradigme dans lequel les activités d’intérêt général des citoyens auraient leur place à côté de l’Etat, du marché et de la famille. De même, il faudrait des politiques publiques capables de reconnaître la fonction productive de ces organisations pour mieux comprendre et situer les potentiels des comportements socialement responsables des citoyens. A cette fin, il convient de développer un cadre d’interactions incontestablement plus complexe que celui présenté par le paradigme bipolaire et les théories économiques et politiques qui le sous-tendent, ceci à la lumière de la dimension mondiale des questions abordées et de l’importance croissante de la dimension locale sur le plan économique et politique. Les financements publics des coopératives dites de type A s’élèvent à 70,5%, et celles dites de type B à 52,4% (ISTAT, 2003). 6 12 Le développement de ce nouveau paradigme exige de se pencher sur deux questions précises. Il s’agira dans un premier temps de tenter d’expliquer ce phénomène à partir d’une nouvelle base théorique, selon laquelle les comportements constatés ne sont pas fortuits mais stables et répandus. Ce raisonnement présuppose d’avancer sur deux points, premièrement les comportements individuels, qui passent d’une approche centrée sur l’intérêt personnel à une nouvelle approche plus complexe, prenant en compte l’existence de comportements non centrés sur soi mais caractérisés par l’attention accordée à l’équité et à la réciprocité, deuxièmement la vision de l’entreprise, qui devrait être considérée comme un acteur économique complexe à même de trouver des solutions aux problèmes qui se posent. C’est-àdire un acteur capable de s’adapter aux conditions locales, de survivre et de maintenir son potentiel de croissance en s’appuyant sur sa connaissance du terrain et sur les motivations qui se traduisent par les contributions des parties prenantes de l’entreprise. Dans un deuxième temps, nous tenterons d’examiner l’impact de ces nouveaux types de réactions sur le système économique, en termes de hausse de la production de certains services et produits de base (produits du commerce équitable, services d’intérêt général, etc.) et l’expansion consécutive de nouveaux champs d’activité (marché du commerce équitable, secteur des services sociaux), par le développement d’organisations dont les activités visent à satisfaire l’intérêt commun. Cette réflexion devra porter également sur l’effet indirect de l’action des citoyens, à la fois sur les institutions publiques et les entreprises privées. 5. Nouvelles perspectives théoriques Les explications économiques traditionnelles avancées jusqu’à présent au sujet de ces organisations économiques ont deux principaux points faibles : elles partent du postulat selon lequel les individus et les organisations ne recherchent que leur intérêt propre, l’entreprise n’étant dès lors qu’un moyen de minimiser les coûts. Ces théories sont de ce fait incapables d’expliquer la pluralité des organisations, leur complexité et la variété des interactions entre les organisations et les différentes parties prenantes. La théorie économique7 a néanmoins développé un nombre considérable de modèles qui ont contribué à expliquer l’émergence de différents types d’organisations productives dans les économies de marché, en commençant par reconnaître que la somme des coûts de transaction définit l’émergence et le taux de survie relatif des différentes formes organisationnelles. Selon ces théories, la pluralité des formes organisationnelles est essentiellement justifiée par la présence des défaillances du marché. Mais ces modèles n’ont réussi à expliquer que partiellement le développement d’organisations ayant à la fois des activités économiques et une finalité sociale. On pourrait dépasser cette limitation en s’appuyant sur d’autres développements dans l’analyse économique qui montrent que les postulats de la théorie économique traditionnelle sont mal conçus ou pour le moins trop restrictifs. Le postulat traditionnel d’individus centrés sur leur intérêt personnel a été remis en cause par de nouvelles approches théoriques, soutenues par des expérimentations récentes et des données empiriques croissantes (Fehr E. et Gächter S., 2000; Fehr E. et Schmidt K., 2001). Selon ces observations récentes, les règles exercent une influence cruciale sur les résultats et un pourcentage élevé d’acteurs est très attaché à l’équité des résultats. Les comportements égoïstes semblent plutôt l’exception que la règle suivie par la plupart des individus. Les 7 Ces théories sont très bien synthétisées dans le livre de Hansmann : Ownership of Enterprise 13 différentes conceptions de la justice distributive et des règles de procédure peuvent effectivement donner lieu à des résultats très différents. Cette littérature démontre que le comportement individuel est guidé par plusieurs types de préférences : tournée vers soi-même, tournée vers autrui et tournée vers le processus. Les préférences tournées vers soi-même caractérisent l’homo oeconomicus et son comportement soucieux de son intérêt personnel. Elles concernent la consommation personnelle et d’autres résultats. Les préférences tournées vers autrui concernent l’altruisme et l’identification entre les motivations et les objectifs individuels et les objectifs collectifs ou sociaux. Les préférences tournées vers le processus concernent la manière dont l’individu en question et les autres se comportent, y compris la manière dont ils obtiennent des résultats intéressants. Les préférences tournées vers le processus peuvent être considérées comme des valeurs ou des codes de conduite. Les études portant sur les attitudes des employés dans des entreprises à vocation d’intérêt général ont montré, ce qui est particulièrement intéressant, que leur satisfaction est également influencée par des éléments autres que des rétributions monétaires, comme le processus décisionnel et l’épanouissement individuel. D’où l’importance de la motivation qui est un facteur crucial pour définir la relation entre les salariés et les organisations, et le degré de satisfaction plus élevé des travailleurs qui sont plus motivés sur le plan intrinsèque et relationnel (Borzaga, 2000). Cette manière d’interpréter les comportements peut expliquer l’émergence et la stabilisation de formes de consommation socialement responsables et de l’épargne éthique. Elle explique en outre l’émergence et le renforcement des entreprises sociales, dont l’objectif est de satisfaire non seulement les intérêts des propriétaires mais avant tout ceux de la collectivité dans son ensemble. Par ailleurs, elle se réfère non pas à la théorie traditionnelle mais à la théorie évolutionniste de l’entreprise, qui est jugée capable de résoudre les problèmes en s’adaptant à l’environnement afin d’augmenter ses potentiels de survie. Le fait que ces entreprises soient implantées dans la communauté et qu’elles aient une connaissance du terrain sont des éléments clés pour comprendre l’apparition et le développement de ces nouvelles formes organisationnelles, alors même qu’elles subissent une forte concurrence des formes traditionnelles. D’après cette vision, les préférences et les comportements individuels co-évoluent avec les processus organisationnels : les organisations ne peuvent exister sans l’initiative individuelle, les actions, la participation, le respect des règles, etc. D’un autre côté, les valeurs organisationnelles façonnent les comportements individuels et influencent les préférences. L’émergence d’institutions et leur maintien dans la durée augmentent avec le degré de cohérence entre les motivations individuelles et le comportement et les objectifs organisationnels. Cette nouvelle hypothèse au sujet des comportements individuels et organisationnels ainsi que la description plus riche des motivations personnelles peuvent favoriser une nouvelle conception de l’entreprise, en tant structure incitative. Une structure incitative peut être définie comme un mélange de contraintes et de récompenses offertes aux parties prenantes de l’organisation8, au sein de laquelle des structures de propriété et des objectifs organisationnels 8 Les diverses formes organisationnelles sont caractérisées par la variété de leurs objectifs et, partant, par diverses gratifications matérielles et immatérielles (incentive mix). Les entreprises à but lucratif tendent à mettre en avant l’importance de la hiérarchie et des gains financiers, tandis que les coopératives et les organisations 14 variés tendent à attirer des agents dont les motivations sont en cohérence avec les objectifs organisationnels. Dans ce contexte, les entreprises sociales sont caractérisées par leur faculté à attirer des agents dont les motivations sont aussi tournées vers autrui et le processus. L’image globale qui émerge de ces développements théoriques et empiriques est la nécessité de restructurer en profondeur la théorie de l’entreprise de manière à la rendre plus générale, plus réaliste et davantage en cohérence avec les comportements des individus et des entreprises. 6. L’impact de l’action des citoyens L’impact des nouvelles actions citoyennes peut être identifié à différents niveaux : sur le fonctionnement du système dans son ensemble ; sur les institutions publiques et sur les entreprises à but lucratif. Concernant l’impact général, l’activité des organisations oeuvrant pour l’intérêt général permet d’utiliser des ressources inexploitées, monétaires et non monétaires, des compétences, des idées et d’autres initiatives au service de l’intérêt général. Par ailleurs, suite à la mobilisation collective des citoyens, l’offre et la gestion de services d’intérêt général ont progressivement cessé d’être une tâche typique de l’administration publique, ceux-ci étant souvent sous-traités à des prestataires de services sociaux privés. Enfin, le recours à des procédures de passation de marchés publics contribue à améliorer l’efficacité de la production de services d’intérêt général. Cette évolution modifie la composition des produits en faveur de services et de biens d’intérêt général, elle contribue à réduire la pauvreté et le niveau des inégalités. Ce processus permet de répondre d’une manière plus efficace aux attentes et aux préférences individuelles, d’une part, et aux possibilités d’emploi, d’autre part, contribuant ainsi à accroître le bien-être. Il y a en effet, ce qui n’est pas surprenant, une corrélation entre la responsabilité sociale de l’entreprise et le niveau de satisfaction des travailleurs. (Borzaga, 2000). Au niveau de l’Etat, le développement des entreprises sociales a stimulé le recours à des procédures d’appels d’offre et contribué à axer l’action publique sur la satisfaction des besoins non couverts, ce qui a permis de réduire les situations de pauvreté et d’inégalités, que ce soit par des actions à l’initiative de groupes de citoyens ou par la production directe de services. De plus, la participation des citoyens par le biais d’organisations implantées localement simplifie le processus décisionnel des organismes publics, améliorant ainsi sa capacité à synthétiser les préférences de l’électorat. Le modèle actuellement émergeant est d’une part, le fait que les administrations publiques assument un nouveau rôle, qui relève plus du régulateur que du prestataire, et, d’autre part, que les entreprises sociales jouent un rôle de plus en plus important à la fois dans la restructuration du système d’aide sociale et dans la réforme des marchés de l’emploi, tout en se développant dans un nombre croissant de nouveaux domaines. Le résultat global est une modification progressive de la composition des revenus en faveur de biens d’intérêt général, du niveau et de la composition de l’emploi et de la distribution des revenus, en faveur des groupes les plus vulnérables. sans but lucratif tirent leur force de l’inclusivité, du caractère démocratique de la structure de gouvernance et d’autres composantes relationnelles et intrinsèques de l’ incentive mix. 15 L’impact de l’action des citoyens sur les entreprises peut se voir à l’effet d’imitation exercé sur les entreprises ordinaires qui deviennent des entreprises socialement responsables (d’où le développement de la responsabilité sociale des entreprises, à la fois comme concept et dans la pratique). Malgré le nombre relativement peu élevé de consommateurs et d’épargnants responsables, l’impact de la mobilisation des citoyens sur les comportements des producteurs traditionnels est intense, compte tenu de l’importance croissante de la finance dans l’économie, qui a renforcé récemment la dépendance des entreprises à l’égard des consommateurs. Si la Bourse aide les entreprises à lever les capitaux-risques nécessaires pour financer leurs investissements, elles se retrouvent à la merci des humeurs changeantes des épargnants et de la performance à court terme des placements. Chaque fois que l’entreprise déçoit les attentes et affiche un résultat négatif, suite à la perte d’un petit nombre de consommateurs et de parts de marché, la réaction du marché est normalement celle d’une prévision à la baisse des bénéfices futurs de l’entreprise. L’extrême sensibilité des entreprises aux moindres changements affectant les parts de marché montre bien l’efficacité des actions menées par des citoyens-consommateurs socialement responsables (Becchetti, 2005). On notera qu’un nombre important d’entreprises traditionnelles ont commencé à imiter partiellement les pionniers de la responsabilité sociale9, en se fixant un objectif plus vaste de maximisation du bien-être commun ou en incluant les questions de distribution dans leurs phases de production. En devant rendre des compte non seulement aux actionnaires mais également aux différentes parties prenantes concernées, et plus généralement à la collectivité toute entière, les entreprises socialement responsables ont réussi à minimiser à la fois les coûts de transaction et les conflits potentiels entre les différentes parties prenantes. L’adoption de critères de responsabilité sociale au sein de l’entreprise implique nécessairement une hausse des coûts ou plus spécifiquement un transfert des actifs des actionnaires aux parties prenantes (les salariés, les prestataires et la communauté locale) (Becchetti, 2005). En intégrant des pratiques de responsabilité sociale, les entreprises traditionnelles sont parvenues à dépasser la dichotomie entre la phase de production et celle de distribution, qui est traditionnellement une prérogative des organisations à vocation sociale (comme les organisations de commerce équitable et les entreprises de réinsertion, des organisations sans but lucratif oeuvrant à l’intégration des travailleurs défavorisés). La responsabilité sociale va au-delà des obligations juridiques. C’est un choix volontaire d’entreprises qui ont décidé d’intégrer les problématiques de la responsabilité sociale et de l’environnement dans leurs activités commerciales. Par l’adoption de pratiques relevant de la responsabilité sociale des entreprises, la solidarité devient un outil de concurrence à même de s’emparer d’importantes parts de marché de consommateurs (COM (2002) 347). Les entreprises socialement responsables contribuent à créer un nouveau marché dans lequel la vente de produits est associée à des valeurs éthiques (Becchetti, Solforino, 2003). En outre, elles réussissent à maintenir et à développer leur réputation, à renforcer la confiance des agents, et donc de la compétitivité. L’effet d’imitation a été exacerbé récemment par le lancement de cafés provenant du « commerce équitable » produits par les quatre plus grandes sociétés de café au monde (Kraft, Sara Lee, Procter & Gamble et plus récemment Nestlé). Ces initiatives ont suscité des controverses dans les milieux de l’aide et du développement, suite à l’utilisation du label « commerce équitable » par des entreprises ayant des finalités autres que celles des organisations de commerce équitable. 9 16 7. Prospectives de développement et de politiques Des études récentes ont montré que la consommation responsable, l’épargne responsable et les entreprises sociales connaissent un taux de croissance élevé10. La hausse des ventes des produits issus du commerce équitable, le développement des fonds éthiques, la croissance dimensionnelle rapide des entreprises socialement responsables et la croissance du nombre de personnes qu’elles emploient, sont autant d’indicateurs de l’importance du phénomène en question. Elles confirment en outre les potentiels latents d’une expansion continue de ces champs d’activité économique en termes d’amélioration du bien-être de la collectivité. La tâche des politiques devrait être de soutenir et de stimuler cette évolution, à la lumière de l’engagement de ces initiatives au service de l’intérêt général. La compréhension insuffisante de ce phénomène continue d’empêcher les pouvoirs publics d’exploiter pleinement les résultats de ces initiatives citoyennes. Ce phénomène mériterait d’être mieux compris si l’on veut avoir une conscience accrue du potentiel inhérent aux évolutions constatées. Le cadre de référence a en effet considérablement changé suite à l’évolution de l’approche entrepreneuriale sans caractère spéculatif dans le secteur des services sociaux. Les activités dans le cadre de cette approche sont gérées de manière à générer des retours qui servent à rémunérer les facteurs de production d’une manière non spéculative. La maximisation des profits n’est plus considérée comme une exigence et elle est remplacée par une rémunération juste. Le fait qu’un certain nombre d’activités privées d’intérêt général soient normalement gérées selon une logique caritative (par exemple, le financement de la recherche) a empêché jusqu’à ce jour l’utilisation de ressources publiques (comme les fonds de pension) pour soutenir des activités d’intérêt public. L’absence de rendements a également réduit les possibilités de financement, de sorte que le développement des activités sociales a été limité et qu’il est resté public. Il faudrait par conséquent favoriser le développement d’un cadre théorique complet pour expliquer ces phénomènes et justifier des mesures d’appui publiques. Lorsqu’on parle d’interventions des pouvoirs publics pour renforcer l’émergence et le développement des organisations de citoyens, il faudrait d’abord se pencher sur la mise en place d’institutions, au niveau national et international, visant à promouvoir le développement de formes organisationnelles généralisées et stables, ce qui permettrait de dépasser la spécificité propre à chaque pays qui prévaut actuellement. De même que les sociétés par actions sont reconnues à l’échelle mondiale, il serait logique de concevoir et de reconnaître, tant sur le plan national que sur le plan international, ces nouvelles institutions ayant pour finalité l’intérêt général. Un certain nombre d’obstacles continuent de mettre en danger l’émergence et le développement à l’échelle mondiale de ce type de comportements et de tendances. A commencer par l’absence d’une reconnaissance, par les autorités publiques, de la fonction publique exercée par les organisations d’intérêt général, par exemple les entreprises sociales produisant des biens d’utilité sociale ou les entreprises sociales d’insertion par le travail. Ces dernières ont effectivement réussi à promouvoir des politiques actives de l’emploi destinées 10 Au Royaume-Uni, la part de marché totale de la consommation éthique a augmenté de près de 40 pour cent en cinq ans. Selon le rapport de 2003 sur la consommation éthique, publié conjointement par la Co-operative Bank et la New Economics Foundation, « il est clair que de plus en plus de consommateurs au Royaume-Uni décident d’investir leur argent uniquement dans des sociétés qui respectent des critères éthiques. Notre rapport suggère que nous sommes peut-être à un point crucial dans le développement de produits et services éthiques. Il serait peut-être temps pour le gouvernement de reconnaître toute leur importance dans l’économie britannique et d’intervenir pour faire en sorte que leur croissance continue » par Simon Williams, Directeur « entreprises », services financiers coopératifs. Voir : http://www.cooperativebank.co.uk 17 aux personnes qui courent un risque d’exclusion sociale et professionnelle, mais leurs actions n’ont pas encore réussi à se faire légitimement reconnaître en tant qu’outils efficaces des politiques de l’emploi. La reconnaissance de leur objectif d’intérêt général est considérée comme une condition préalable au soutien et à la stimulation du développement de ces organisations. En outre, le cadre régulateur devrait également reconnaître la dynamique entrepreneuriale dont font preuve ces organisations oeuvrant pour l’intérêt général. De même, il devrait y avoir des politiques industrielles adaptées pour promouvoir la mise en œuvre d’outils visant à soutenir la création d’initiatives socialement responsables et la formation des salariés. Dans l’ensemble, il n’y a pas encore d’architecture adaptée capable d’exploiter et de canaliser de façon satisfaisante les initiatives des citoyens au service de ’intérêt général. Pour réussir, une telle architecture devrait envisager des mesures de soutien publiques capables d’exploiter, d’une part, les liens entre les différentes composantes de l’entrepreneuriat social et, d’autre part, les comportements individuels socialement responsables. Par exemple, les fonds de pension choisissant des placements éthiques devraient être favorisés, et pour ce qui est de la typologie de ces mesures incitatives, la consommation et les investissements responsables devraient être aidés par un dispositif en matière de fiscalité et de labellisation visant à informer correctement le consommateur. Le système actuel d’avantages fiscaux est toujours fondé sur l’ancien modèle bipolaire : au lieu de prendre en compte ces nouvelles initiatives, il porte préjudice au travail et par voie de conséquence aux organisations sans but lucratif qui offrent des services aux personnes, ce qui entrave ainsi leur développement. Un système fiscal adéquat consisterait à commencer par imposer davantage les bénéfices et les rentes plutôt que le travail. Il conviendrait également d’encourager les placements en faveur d’initiatives socialement responsables – et pas seulement les dons – par des mesures fiscales incitatives. Références Amatucci, F. (1997), Il commercio equo e solidale, Etas Libri, Milano. Anheier H. K. (2005), Nonprofit Organizations, Theory, Management, Policy, Routledge, London and New York. Annan, K. (2002), in La Repubblica, 18 décembre 2002. Bacchiega, A. Borzaga, C. 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