Christiane Gaudreault et Hélène Lemieux, Éthique et politique, notes de cours 4, cégep de
Jonquière, A-08 p1
Kant et la morale du devoir
1. Le contexte historique
A) les Lumières
Emmanuel Kant, est un philosophe allemand du XVIIIème siècle. Sa morale du devoir met
l’accent sur l’autonomie en faisant de la raison la source première de l’action morale. Il a
donc contribué à développer les thèmes chers aux philosophies des Lumières que sont
l’autonomie, l’humanisme et l’universalisme.
«Les Lumières c’est la sortie de l’homme hors de l’état de tutelle dont il est
lui-même responsable. L’état de tutelle est l’incapacité de se servir de son
entendement sans la conduite d’un autre. On est soi-même responsable de
cet état de tutelle quand la cause tient non pas à une insuffisance de
l’entendement mais à une insuffisance de la résolution du courage de s’en
servir sans la conduite d’un autre. Sapere aude! Aie le courage de te servir
de ton propre entendement! Voilà la de vise des Lumières!»
1
B) Kant et Hume
De 20 ans plus jeune que David Hume, Kant a eu l’occasion de lire ses textes. Il dira
d’ailleurs des idées de Hume qu’elles ont été extrêmement importantes pour lui, le
réveillant de son sommeil dogmatique. Kant est un rationaliste qui va défendre le rôle
primordial de la raison dans l’élaboration de la morale, réagissant ainsi aux propos de
Hume. Il va donc être amené à redéfinir les possibilités de la raison humaine et les titres
de ses principaux livres le montrent bien : Critique de la raison pure (1781), Critique de
la raison pratique (1788), La religion dans les limites de la simple raison (1793).
On peut dire que la théorie morale de Kant est à l’opposé de celle de Hume. Kant se
méfie des sentiments dans le développement de la moralité. Ils sont trop personnels et
imprévisibles. Pour lui, seule la raison peut être la véritable source de la morale, et seule
elle peut permettre de déterminer comment bien agir.
2. La conception kantienne de la morale
Comme tous les philosophes des Lumières, Kant a tenté de résoudre le problème suivant :
comment justifier objectivement des lois morales qui soient valables pour tous les êtres
1
Kant, Emmanuel(1991) Qu’est-ce que les Lumières, trad. De J-F. poirier, Paris,
Garnier-Flamarion, p43
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Jonquière, A-08 p2
humains, sans s’appuyer sur une religion ou sur la croyance en Dieu et en partant de
l’idée que les êtres humains sont libres d’établir eux-mêmes leurs valeurs morales?
La liberté des individus semble exclure a priori l’idée qu’il puisse exister des règles
morales universellement valables. Pour résoudre ce paradoxe Kant va s’appuyer sur
l’idée que les êtres humains sont autonomes parce qu’ils sont rationnels et que la raison
seule peut fonder l’obligation morale.
Pour Kant, une personne est un être conscient, doué de raison, libre et responsable. En
procédant par la négative, on peut dire qu’une personne n’est pas une chose. Les choses
ne sont pas libres car elles sont soumises aux lois de la nature. De ce point de vue un
animal est une chose.
Les personnes sont autonomes. Cela signifie qu’elles peuvent se donner à elles-mêmes
leurs propres lois. Un enfant, par exemple, n’est pas autonome car il est sous l’autorité de
ses parents qui lui imposent leur loi. De même, dans l’univers religieux, les individus ne
sont pas autonomes car ils sont soumis à l’autorité de Dieu.
Les personnes sont autonomes parce qu’elles sont rationnelles. C’est la raison, en chacun
de nous, qui est l’autorité morale suprême.
Mais comment la raison peut-elle arriver à déterminer une bonne action?
A) La motivation morale et les inclinations
Une action intentionnelle poursuit toujours un objectif, un but conscient. Ces buts ou
motivations peuvent être de deux sortes :
1. On peut agir dans le but de satisfaire un besoin, un désir ou un intérêt particulier.
Kant, dit que l’on agit alors par inclination.
2. On peut aussi agir en fonction d’une règle que l’on s’est donnée. Seul un être
autonome peut se donner comme objectif de respecter une règle de conduite. On
agit alors par devoir.
Selon Kant, une action est bonne (moralement) si elle résulte d’une bonne intention
(d’une volonbonne). La volonté est la force intérieure qui décide de nos actions. Kant
ne croit pas que ce sont les conséquences immédiates d’une action qui font qu’elle soit
bonne. Bien sûr, toute la question est de savoir ce qu’est une volonté bonne ou une
bonne intention.
Une intention est bonne si le but de l’action est le respect de la loi morale (le devoir) et
non la satisfaction d’un besoin ou d’un désir. Cela ne signifie pas que la satisfaction des
besoins et des désirs est mauvaise mais que notre devoir doit primer sur la recherche de la
satisfaction égoïste.
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Exemple : On peut décider de ne jamais tricher aux examens. On agit ainsi conformément
au glement. Cependant, on peut agir ainsi par peur de se faire prendre ou bien agir
parce qu’on estime que c’est un devoir, une obligation morale basée sur une norme
morale comme «On doit toujours agir de façon honnête.» Dans le premier cas, l’intention
n’est pas morale même si l’action respecte la loi. Dans l’autre cas, l’intention est bonne
car elle vise le respect du devoir. Il faut donc distinguer une action faite par devoir d’une
action faite selon le devoir; seule la première est morale.
L’intuition morale : selon Kant, cette conception du devoir moral ne fait qu’expliciter
une intuition commune à tous les êtres humains. Il n’est pas nécessaire d’être un savant
pour connaître la loi morale. Selon lui, la philosophie ne nous enseigne pas quel est notre
devoir, elle nous permet de mieux comprendre la loi morale et la nature humaine. Elle
nous fournit aussi un instrument pour identifier le devoir moral dans les situations plus
délicates où notre intuition morale ne suffit plus et de fournir une justification rationnelle
à la loi morale.
B) La loi morale comme impératif catégorique
Agir moralement c’est agir par respect pour la loi morale qui constitue pour nous le
devoir moral. Le devoir est une obligation absolue et prend la forme d’un impératif
catégorique et non pas hypothétique. En effet, Kant distingue deux sortes de règles
d’action qu’un être rationnel peut se donner.
1. L’impératif hypothétique est une règle de conduite conditionnelle de la forme
«Si telle condition est réalisée, alors je dois faire telle chose.» Par exemple, la
règle suivante est un impératif hypothétique : «Si je suis malade alors je dois voir
un médecin.» L’impératif hypothétique relève de la vie courante et met en rapport
un moyen avec une fin particulière.
2. L’impératif catégorique est une règle de conduite inconditionnelle qui exprime
un devoir absolu. «Tu ne dois pas tuer» est un impératif de ce type.
L’impératif catégorique est la forme que prend la loi morale chez les êtres humains.
Comme les êtres humains ne sont pas que des êtres rationnels mais possèdent aussi un
corps ils ont des besoins et des désirs qui peuvent entrer en conflit avec les exigences de
la raison. La loi morale s’exprime alors sous la forme d’un «Tu dois» inconditionnel. Une
action est morale si elle est faite dans le but de respecter la prescription de la raison qui
s’exprime dans l’impératif catégorique.
Pour Kant, ce n’est pas la recherche du bonheur qui est le fondement de la morale. Il est
normal pour les êtres humains de rechercher le bonheur, mais cette recherche doit être
subordonnée au respect de la loi morale. Il est possible, que l’accomplissement de notre
devoir nous oblige à accepter le malheur. Par exemple, on pourrait renoncer aux
avantages que nous procurerait un vol même si l’on est assuré de ne pas être découvert.
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Jonquière, A-08 p4
C) La procédure pour déterminer l’impératif catégorique
Les personnes étant autonomes, elles peuvent se donner leurs propres règles de conduite.
Cependant, selon Kant, seules les règles qui sont des impératifs catégoriques expriment
un devoir moral. Le problème se pose donc de savoir quels sont les critères qui
permettent de distinguer les règles qui paraissent parfois acceptables et les règles qui
constituent des exigences absolues. Kant a proposé trois formulations de l’impératif
catégorique qui permettent de distinguer parmi les règles, celles qui sont morales et qui
s’appliquent dans des situations concrètes. Nous en examinerons deux :
1. Le principe d’universalisation de la règle
2. Le principe du respect de la personne
Le principe d’universalisation
Selon Kant la loi morale s’applique à tous les êtres rationnels. Cette loi prend la forme
d’un impératif catégorique que les êtres humains, qui ont des besoins et des désirs
naturels, peuvent éprouver comme une contrainte. Pour appliquer cet impératif à notre
conduite et identifier les règles qui sont des devoirs moraux, il faut selon Kant, soumettre
nos règles de conduite (ou maximes) au test d’universalisation. Ce principe
d’universalisation s’énonce ainsi :
«Agis seulement d’après la maxime grâce à laquelle tu peux vouloir en même
temps qu’elle devienne une loi universelle.»
Ce principe signifie qu’une règle de conduite exprime une exigence absolue s’il est
possible pour un être rationnel d’accepter que tous les êtres rationnels adoptent cette
règle, c’est-à-dire que la règle soit universalisable. Ce principe exige que l’on se demande
ce que serait un ordre social dans lequel notre règle de conduite serait la loi commune à
tous.
Les trois versions du principe d’universalisation.
Une règle d’action n’est pas morale si :
1) l’universalisation de la règle rend la réalisation de l’action impossible.
Exemple : l’universalisation de la règle : « Je peux mentir si c’est à mon avantage»
rendrait le mensonge impossible, car plus personne ne pourrait se fier à la parole
d’autrui si tout le monde adoptait cette règle. Puis-je vouloir que tout le monde
mente ? Non, car si c’était le cas le mensonge ne serait plus possible. C’est parce que
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les autres respectent la vérité que je peux être cru quand je mens. On doit donc rejeter
cette règle et adopter la règle «on ne doit pas mentir», qui est universalisable et
constitue un impératif catégorique.
2) l’universalisation de l’action entraîne la destruction de l’humanité. (l’humanité
désigne la rationalité en nous).
Exemple : l’universalisation de la règle «Je peux tuer si cela m’est utile» dans une
société conduirait à son autodestruction et cela équivaudrait pour l’humanité à vouloir
sa propre destruction ce qui est irrationnel. Puisqu’il est irrationnel d’adopter
universellement cette règle, et qu’au contraire je peux vouloir que tout être rationnel
adopte la règle «Je ne dois pas tuer», j’en fais un impératif catégorique.
3) l’universalisation de l’action va à l’encontre des intérêts fondamentaux de tout être
raisonnable.
Exemple : l’universalisation de la règle «Je ne vais rien faire pour aider ceux qui
sont dans le besoin ni les secourir s’ils sont en détresse, sauf si j’en tire un avantage»
va à l’encontre des intérêts fondamentaux de tout être rationnel. En effet, si tout le
monde adoptait cette règle, je ne recevrais aucune aide en cas de besoin (en cas de
maladie grave ou de perte d’autonomie par exemple), il serait donc irrationnel de ma
part de vouloir que cette règle devienne une loi. Il faut remarquer que si l’obligation
de bienveillance envers les autres est un impératif catégorique, elle est moins stricte
que les interdits qui découlent des 2 premières formulations. Elle dépend dans son
application de la liberté de l’individu de l’interpréter de façon plus ou moins stricte. Il
n’y a pas d’obligation de se sacrifier totalement pour le bien d’autrui.
Le principe du respect de la personne
Pour Kant ce qui fait la dignité morale de l’être humain c’est sa rationalité qui le rend
autonome et lui confère ainsi une dignité absolue. Un être rationnel et autonome est une
personne par opposition à une chose qui peut avoir un prix mais ne possède pas la dignité
propre à la personne. Sur cette base, Kant, donne une deuxième formulation de
l’impératif catégorique, le principe du respect de la personne qui pose la personne
comme une fin absolue pour l’action humaine. Cette formulation est, selon Kant,
équivalente à la première. Ce principe s’énonce ainsi :
«Agis de façon telle que tu traites l’humanité, aussi bien dans ta personne que
dans la personne de tout autre, toujours en même temps comme fin, jamais
simplement comme moyen.»
Cela signifie que l’on ne doit pas traiter les personnes comme des choses. Toute règle de
conduite qui implique que l’on utilise une personne strictement comme un moyen
technique pour arriver à ses fins, est une règle immorale.
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