Sur les traces de la foi |
l’autre essentiel qu’est son frère, avec tous les autres. En donnant à son frère un «présent» pris sur les biens dont Dieu
l’a béni (33,11), Jacob restitue en quelque sorte à Ésaü la bénédiction dérobée (cf. 27,36). La relation fraternelle
restaurée, ou plutôt enfin nouée entre eux, les laisse libres de repartir chacun par son chemin (33,12-15) et de s’établir,
frères et différents, l’un dans la montagne de Séïr, en Édom, l’autre à Sichem, au pays de Canaan (33,18). La terre de
Canaan devient sainte qui voit s’y établir les fils d’Israël et être érigé un autel dédié à «El, Dieu d’Israël» (33,20).
Comme son ancêtre Abraham, Jacob achète un champ (23,17 ; 33,19) et dresse un autel : il prend pleinement sa place
dans la lignée des patriarches.
Mais faut-il que chaque commencement soit entaché d’un péché d’origine ? Faut-il qu’à chaque génération la relation
à la terre et à l’autre se pervertisse d’abord dans la ruse et la violence ? Le chapitre 34 relate la difficile cohabitation
entre les Hivvites habitant le pays et les fils d’Israël, à travers l’histoire dramatique de Dina, la fille que Jacob a eue de
Léa. Enlevée et violée par un prince du pays (34,2), elle devient l’objet d’un pacte matrimonial destiné à restaurer la
paix (34,8-24), mais tout aussitôt brisé par Siméon et Lévi, fils aussi de Léa. Ayant convaincu le prince et les habitants
de Sichem qu’ils n’entreront dans leur alliance qu’après avoir comme eux reçu la circoncision, ils profitent de leur
faiblesse pour passer au fil de l’épée tous les hommes et piller leur ville (34,25-29). «Vous m’avez rendu odieux aux
habitants du pays», reproche Jacob à ses fils (34,30). La terre sainte doit être donnée par Dieu, ni achetée à prix
d’argent, ni conquise par la force, et cette première tentative d’établissement tourne court : tous doivent quitter Sichem
et repartir vers Béthel. Mais Jacob qui «chemine doucement au pas du troupeau poussé devant (lui) et au pas des
enfants» (33,14) est désormais établi hors de toute violence, lui qui «garde le silence» devant le sort fait à sa fille
(34,5) et supporte sans mot dire les conséquences de la vengeance de ses fils (34,30 ; cf. aussi 35,22).
Dans cet échec cependant, la pureté de la foi peut trouver à se raviver. Jacob, à l’injonction de Dieu, revient aux
sources de sa vocation, à Béthel (28,19 ; 35,1), cette «porte du ciel» où Dieu lui avait promis sa présence fidèle
(28,15 ; cf. «La loupe du scribe» de l’Atelier biblique n°5 du 15 avril). C’est pour un pèlerinage qu’à nouveau
s’ébranle sa caravane, accomplissant les rites de purification : tous les vestiges païens qui subsistaient au milieu d’eux
sont abandonnés, et des vêtements nouveaux endossés (35,2-4), signe du renouvellement intérieur qui doit précéder le
renouvellement de l’alliance. Et le Dieu des commencements, le Dieu de l’espérance toujours redonnée, à nouveau
confirme Jacob dans son nom et sa bénédiction.
Malgré l’aspect chaotique du texte de ces derniers chapitres, qui mêlent des bribes de traditions différentes, les
éléments qui se détachent clôturent le récit en signalant le destin des personnages les plus marquants, des «autres»
essentiels de Jacob.
Clôture par la mort : celle de Débora la nourrice de Rébecca, au «Chêne-des-pleurs», comme en prémices (35,8) ;
celle surtout de Rachel, la tant aimée, qui meurt d’avoir donné à Jacob son douzième fils, Ben-Oni, «fils de ma
douleur», qui devient pour son père Benjamin «fils de la droite» (35,16-18). Mort en chemin, près de Bethléem, qui dit
la vocation paradoxale de Rachel (cf. Atelier biblique n°6 du 15 mai), préférée mais enterrée hors de la tombe des
patriarches, douloureusement mère mais devenue dans la mort la mère universelle consolée par le Seigneur (cf.
Jérémie 31,15‑16), morte sur la route mais tout près de la ville où «naîtra celui qui doit régner sur Israël» (Michée
5,1). Mort enfin d’Isaac, semblable à celle d’Abraham (25,7-9), paisible et patriarcale, comblé de jours et enterré lui
aussi par ses deux fils rivaux réconciliés (35,28-29).
Clôture du récit encore dans le long chapitre 36 qui détaille «la descendance d’Ésaü qui est Édom» (36,1), ses chefs et
ses rois, et donne ainsi congé à ces frères étrangers dont il ne sera plus question, sinon pour commander, bien des
générations plus tard, aux fils d’Israël revenant en Terre promise, de ne pas les attaquer (Deutéronome 2,4-6).
Mais ce récit qui se referme s’ouvre aussi à l’avenir de la promesse. À Béthel, Dieu a redit l’ordre donné au premier
homme : «Sois fécond et multiplie» (35,11 ; cf. 1,28), et à nouveau il a promis «le pays donné à Abraham et à Isaac»
et la postérité d’une «assemblée de nations» (35,11-12). Et les noms des douze fils de Jacob sont répétés encore
(35,23-25), pères des douze tribus, pierres d’attente des douze disciples appelés pour faire connaître au monde entier
l’accomplissement de la promesse. «Il gravit la montagne et il appelle à lui ceux qu’il voulait. Ils vinrent à lui, et il en
institua Douze pour être ses compagnons et pour les envoyer prêcher» (Marc 3,13-14).
La loupe du scribe
Genèse 32,22-31 : la lutte avec l’ange
Ce que l’on nomme le combat de Jacob – et c’en est un puisqu’un être mystérieux lutte avec lui toute la nuit – pourrait
tout aussi bien s’appeler la pâque de Jacob. Car Jacob est en train de passer vers la terre que le Seigneur lui a promise ;
et, plus encore, au cours de cette nuit, il passe de l’homme ancien animé par la peur et la ruse, à l’homme nouveau,