Théâtre Royal des Galeries

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Théâtre Royal des Galeries
SAISON 2010/2011
Roméo et Juliette
Shakespeare
Juliette, fille de Capulet
Roméo, fils de Montaigu
Escalus, prince de Vérone
Paris, jeune gentilhomme, parent du prince
Frère Laurent, franciscain
Capulet
Lady Capulet
La nourrice de Juliette
Tybalt, neveu de Lady Capulet
Montaigu
Lady Montaigu
Mercutio, ami de Roméo
Benvolio, ami de Roméo
Abraham / Balthazar
Samson / Pierre / Frère Jean
Grégoire / Un apothicaire
Cécile Delberghe
Damien De Dobbeleer
Nicolas Ossowski
Xavier Mailleux
Thierry Janssen
Yves Claessens
Bernadette Mouzon
Martine Willequet
Emmanuel Dell’Erba
Bruno Georis
Catherine Claeys
Steve Driesen
Emmanuel Dekoninck
Marc De Roy
Toni d’Antonio
Michel Hinderyckx
Mise en scène
Assistante
Décors
Costumes
Chorégraphie des combats
Georges Lini
Daphné D’Heur
Marcos Vinals Bassols
Françoise Van Thienen
Jacques Cappelle
Du 20 octobre au 14 novembre 2010
du mardi au samedi à 20h15, les dimanches à 15h.
Au Théâtre Royal des Galeries
32, Galerie du Roi - 1000 Bruxelles
Infos presse :
Location: 02 / 512 04 07
02 / 513 39 60
[email protected]
de 11h à 18h du mardi au samedi.
Haine, rancune, amour, passion. A Vérone, où les Montaigu et les Capulet se vouent une
aversion ancestrale, Roméo, fils de Montaigu, et Juliette, fille de Capulet, tombent
éperdument amoureux l'un de l'autre.
Pourquoi faut-il que l’amour, si doux en apparence, soit si tyrannique et si cruel !
Roméo et Juliette s’aiment d’un amour pur. Malheureusement, leurs deux familles se
vouent une haine aussi parfaite et immortelle que la passion qu’ils éprouvent l’un pour l’autre.
Dès le lendemain de leur rencontre à un bal masqué, ils demandent à Frère Laurent de les
marier secrètement. L’ecclésiastique accepte.
Leur amour est unique, comme la nuit qui les unit après les serments. « Veux-tu donc
partir ? demande Juliette à Roméo, le jour n'est pas proche encore : c'était le rossignol et non
l'alouette dont la voix perçait ton oreille craintive... » Mais, hélas, c'était bien l'alouette,
messagère de l'aube ! Il faut partir et vivre - ou rester et mourir. Cruel dilemme pour Roméo.
Le cousin de Juliette, Tybalt, provoque Roméo en duel. Celui-ci refuse, et se fait
remplacer par son ami Mercutio, qui payera la confrontation de sa vie. Roméo jure de le
venger, et après avoir tué Tybalt, se voit banni de la ville. Le père de Juliette se résout alors à
marier sa fille au comte Paris. Juliette cherche refuge auprès de Frère Laurent, qui lui remet
une potion lui permettant de feindre la mort. Après avoir fait promettre à l’homme d’église de
prévenir Roméo du subterfuge, Juliette avale le breuvage.
Hélas, Roméo ne reçoit pas la nouvelle à temps, et fou de douleur, se rend au tombeau de
sa bien-aimée pour s’y donner la mort. Il y trouve Paris qu’il tue au terme d’un duel, avant
d’avaler lui-même un poison qui le tue dans l’instant. Juliette se réveille alors et constatant la
mort de son jeune époux, saisit la dague de celui-ci et le rejoint dans l’autre monde.
Roméo et Juliette sont nés sous une mauvaise étoile, ils sont victimes d’une suite de
circonstances malheureuses qui mettront à mort leur amour et feront de leur histoire un mythe.
A peine les amoureux ont-ils touché le paradis qu'ils sont obligés de se séparer. Existe-t-il
mythe plus vivace que celui des amants de Vérone ?
L'amour est une fumée de soupirs ; dégagé, c'est une flamme qui étincelle aux yeux des
amants ; comprimé, c'est une mer qu'alimentent leurs larmes.
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« Roméo et Juliette » est une œuvre tour à tour tendre et précieuse, lyrique et gaie,
brillante et poignante, avec des scènes au sortilège immortel comme le bal, le balcon, la mort
de Mercutio, la chambre de l’aurore ou le tombeau. L’inlassable génie shakespearien ne laisse
rien au hasard. La moindre scène garde cette inimitable marque qui donne du prix à presque
tous les instants et scelle le dialogue d’innombrables merveilles.
Il existe diverses manières de reconstituer ce drame. L’adaptation de Georges Lini est
profondément humaine d’un bout à l’autre. Dans une langue moderne, à la portée de tous, elle
traduit admirablement la richesse du vocabulaire shakespearien.
Victor Hugo, dans son délire verbal, définit ainsi Shakespeare : « C'est la mamelle gonflée,
la coupe écumante, la cuve à plein bord, la sève par excès, la lave en torrents, les germes en
tourbillons, la prodigalité insensée et tranquille. Il est sauvage comme la forêt vierge, ivre
comme la haute mer ».
Quoique l'éloge du génial dramaturge nous paraisse plutôt explosif, il nous faut reconnaître
que « Roméo et Juliette » marche avec une sorte de rythme éperdu, si vaste qu'il chancelle et
donne le vertige, si puissant qu'il atteint à la véritable grandeur.
Le début est orageux : les injures éclatent, les épées se dégainent, les rixes s'aiguisent.
Déjà, s'ouvrent les deux branches d'une tenaille qui, implacablement, va broyer les destins
fatidiques des deux amants. Roméo, c'est le héros jeune et séduisant, dévoré par l'amour et
soupirant comme un beau ténébreux. A peine a-t-il vu Juliette, qu'il est criblé par ce trait
brûlant qu'est la flèche d'Eros. Il ne vit que par elle, au point qu'il pourrait gémir comme le
poète délaissé : « Un seul être me manque et tout est dépeuplé, ».
Juliette, dont l'âme est vierge comme une page blanche s'émeut du premier baiser. Et ce
seul baiser la lie à jamais à son initiateur, entièrement, tragiquement.
Vérone, une guerre civile, une fête rythmée au cliquetis des épées entrechoquées, un
balcon où s'échangent éperdument des serments d'amour, le frère Laurent qui compatit à
leur sort pitoyable, un meurtre, un exil, les violons qui sanglotent pour les funérailles, un
époux qui espère, un message qui s'égare, le poison, le retour nocturne, et la suite de ces
lamentables méprises qui conduisent les deux amants à leur tombeau : voilà tout le
sortilège envoûtant de cette frénétique tragédie !
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Quelques mots avec Georges Lini
 Qu’est-ce qui pousse un metteur en scène à relever le défi Shakespeare
aujourd’hui ?
D’abord le vertige. Quand on lit du Shakespeare on est happé par la richesse de l’œuvre,
par la grandeur des sentiments et par l’ivresse de la poésie. Une question s’impose alors
automatiquement : comment traduire tout cela sur une scène ? Comment faire pour que ce qui
sera montré ne soit pas réducteur ? Comment transmettre au spectateur mon vertige ? C’est
alors qu’on choisit soit de reposer le bouquin sur l’étagère soit de se relancer dans une énième
lecture et de remonter ses manches.
Ensuite quand on est metteur en scène et que l’on monte un auteur classique on se doit de
se demander en quoi ce dernier est notre contemporain. Monter une pièce uniquement comme
« témoin » ou « vestige » d’un monde passé et révolu ne m’intéresse pas. Le propos doit
concerner le spectateur. Ici, avec Roméo et Juliette la pertinence du propos est évidente. On
peut monter la pièce comme si elle avait été écrite sur commande. En quatre siècles, seules les
armes ont changé. Les enjeux de la pièce, les thèmes sont, malheureusement, toujours
d’actualité. Roméo et Juliette est un cri contre la bêtise et l’intolérance. Deux beaux fléaux
avec lesquels nous composons au quotidien.
 Pourquoi Roméo et Juliette est-il ton texte préféré de Shakespeare ?
Roméo et Juliette est l’un de mes livres de chevet. C’est tout simplement un chef d’œuvre.
C’est une œuvre culte qui fait partie de la conscience collective. Elle nous invite au rêve et à
l’effroi. C’est un voyage bouleversant.
 Pourquoi une nouvelle adaptation ?
Je voulais d’un texte qui soit au plus près de mes désirs de metteur en scène. Je travaille
beaucoup sur l’énergie des acteurs, de l’émotion, de leur plongée dans la parole, d’un jeu
organique. Mais je voulais dans le même temps respecter la beauté de l’œuvre. Pas question
de banaliser la langue de Shakespeare. Il fallait donc trouver le juste milieu que je ne trouvais
pas dans les textes dont je disposais. Cette adaptation s’est donc imposée à moi le plus
naturellement du monde.
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 Quels sont les qualificatifs que tu mettrais sur le texte de Shakespeare ?
La langue de Shakespeare est organique, sauvage, violente et poétique. Ses personnages
parlent, agissent et réfléchissent ensuite. La parole n’est jamais le fruit de la réflexion. Ils sont
instinctifs.
 Quelles sont les lignes directrices de la distribution ?
Je veux donc des acteurs qui plongent dans la parole. Qui se soucient avant tout de la
violence et de l’émotion que véhiculent leurs paroles. La poésie du texte, l’auteur s’en est
chargée, elle sera présente. La clarté du texte je devrais m’en être chargée donc l’acteur ne
devra pas expliquer le texte. Surtout pas. La parole doit être avant tout porteuse d’émotion.
 Sur quoi se base le projet scénographique ?
Je n’aime pas les décors « réalistes ». La théâtralité et la poésie de mon travail passent
toujours par la scénographie. J’aime que d’emblée les gens se disent que ce à quoi ils vont
assister c’est du théâtre. Je ne veux pas faire semblant que ce qu’ils voient est la réalité.
Comme une fausse place de Vérone avec un faux balcon. Nous sommes donc partis avec
Marcos de l’idée du théâtre élisabéthain. Et nous avons placé une scène (élisabéthaine) sur la
scène de notre théâtre. Shakespeare envahit la place. Et par la magie du théâtre, de celle de
notre scénographe, et de l’imaginaire du public, cette scène sera à tour de rôle la place de
Vérone, la chambre de Juliette, le caveau, etc.
 Quelles furent tes demandes à Françoise Van Thienen au niveau des costumes ?
J’ai demandé à Françoise de créer des costumes élisabéthains. Ou plutôt d’influence
élisabéthaine. L’histoire se déroule à l’époque de Shakespeare, sur une scène « de
Shakespeare » avec le texte de Shakespeare. Il y a une cohésion. Car comme pour le texte,
comme pour la scéno, je veux éliminer le superflu. Je veux que les costumes soient brutes,
simples, sans fioriture.
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 Les Galeries : un défi, un challenge, une envie,… ?
Mon métier est avant tout un métier de rencontres. J’aime mon indépendance, j’aime
choisir mes textes et mes acteurs. C’est ainsi que je travaille avec ma compagnie Belle de
Nuit.
J’aime aussi les rencontres inattendues, comme ce fut le cas la saison passée aux Martyrs
avec le Théâtre en Liberté et Daniel Scahaise, et comme c’est le cas cette année aux Galeries
avec David Michels. Je ne fais pas coûte que coûte de la mise en scène. J’ai répondu à la
proposition de David parce qu’elle était alléchante. Formidablement emballante. Je suis très
touché qu’un directeur prenne autant de risques et me fassent confiance au point de me
confier une telle mission : monter un Shakespeare avec 18 comédiens ! Et puis, quel écrin.
Quel magnifique théâtre. Donc pour répondre à la question : les Galeries ? C’est avant tout du
plaisir.
 Mon âme pressent qu'une amère catastrophe [...] terminera la méprisable existence
contenue dans mon sein par le coup sinistre d'une mort prématurée. (Roméo)
 Mon unique amour émane de mon unique haine ! (Juliette)
 Ô Roméo ! Roméo ! Pourquoi es-tu Roméo ? Renie ton père et abdique ton nom. (Juliette)
 Qu'y a-t-il dans un nom ? Ce que nous appelons rose, par n'importe quel autre nom
sentirait aussi bon. (Juliette)
 J'aime mieux ma vie finie par leur haine que ma mort différée sans ton amour. (Roméo)
 La philosophie, ce doux lait de l'adversité, te soutiendra dans ton bannissement. (Frère
Laurent)
 Car jamais aventure ne fut plus douloureuse que celle de Juliette et de son Roméo. (Le
prince)
« Je tiens ce monde pour ce qu’il est : un théâtre où chacun doit jouer son rôle »
William Shakespeare
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Extraits de Roméo et Juliette
« Un peu de chagrin prouve beaucoup d’amour, mais beaucoup de chagrin montre trop
peu d’esprit. »
« Il n’y a que les mendiants qui puissent compter leurs richesses. »
« Ce que l’amour peut faire, l’amour ose le tenter. »
« Une confession équivoque n’obtient qu’une absolution équivoque. »
« L’amour des jeunes gens n’est pas vraiment dans le cœur, il n’est que dans les yeux. »
« Un feu qui brûle en éteint un autre ; une douleur est amoindrie par la vivacité d'une autre
douleur. »
« Les transports violents ont des fins violentes et meurent dans leur triomphe ; aimez-vous
donc modérément. »
« L'amour est une fumée faite de la vapeur des soupirs. »
« Allons sagement et doucement : trébuche qui court vite. »
« Là où loge le souci, le sommeil ne s'abat jamais. »
« Amour, donne-moi ta force, et cette force me sauvera. »
« L'amour est une fumée de soupirs ; dégagé, c'est une flamme qui étincelle aux yeux des
amants ; comprimé, c'est une mer qu'alimentent leurs larmes. »
Morceau choisi
Les messagers d'amour devraient être des pensées, plus promptes dix fois que les rayons
du soleil, qui dissipent l'ombre au-dessus des collines nébuleuses. Aussi l'amour est-il traîné
par d'agiles colombes ; aussi Cupidon a-t-il des ailes rapides comme le vent. Maintenant le
soleil a atteint le sommet suprême de sa course aujourd'hui ; de neuf heures à midi il y a trois
longues heures, et elle n'est pas encore venue ! Si elle avait les affections et le sang brûlant de
la jeunesse, elle aurait le leste mouvement d'une balle ; d'un mot je la lancerais à mon bienaimé qui me la renverrait d'un mot. Mais ces vieilles gens, on les prendrait souvent pour des
morts, à voir leur inertie, leur lenteur, leur lourdeur et leur pâleur de plomb.
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Le contexte historique
La reine surgie du chaos
En 1509, l'Angleterre entre dans le XVIème siècle en compagnie d'un jeune roi de dix-huit
ans. Cultivé, raffiné, Henry VIII est également un être cruel, doublé d'un souverain
orgueilleux et violent. En près de quarante ans de règne, il conduit son pays dans une
tourmente sanguinaire : guerre civile, tyrannie, persécutions religieuses et justice corrompue.
Le roi met fin à l'autorité du pape en Angleterre. Il crée l'Église anglicane dont il devient le
chef. Il écrase l'aristocratie rebelle et fait taire le Parlement. Sa fille, Marie Tudor, dite Marie
la Sanglante, perpétue durant quelques années la terreur qu'Henry VIII a instaurée. Bientôt,
une autre de ses filles monte sur le trône : Elisabeth Ire. C'est elle qui devient reine en 1558,
l'année où Marie Stuart épouse le dauphin de France, le futur François II. L'Angleterre, alors,
perd Calais, sa dernière attache sur le continent français. Le désordre religieux opposant les
catholiques aux anglicans est à son comble. Lorsque William Shakespeare naît, en 1564,
Elisabeth a à peine plus de trente ans. En six ans de pouvoir, elle a déjà assis son autorité sur un
dispositif politique infaillible. Elle a notamment instauré le célèbre « Acte de suprématie » qui
fait d'elle un chef politique et religieux redoutable. Elle est le gouverneur suprême de la vie
spirituelle de tout le royaume.
La naissance d'une nation
La question religieuse n'est toujours pas réglée. Elle demeure le centre des préoccupations
de la vie politique durant les quarante-cinq années du règne d'Elisabeth. Centrée sur la rivalité
entre catholiques et anglicans, l'époque élisabéthaine s'inscrit néanmoins comme l'une des
plus prestigieuses de l'histoire anglaise. La souveraine Elisabeth fascine l'Europe par son
extravagance, ses amours tumultueuses et l'arrogance de son autorité. Elle fait combattre ses
troupes en Écosse et en Irlande. Elle lance ses navigateurs vers l'Amérique du Nord. Elle
parvient à vaincre les Espagnols, partis conquérir les îles Britanniques, en coulant les navires
de la fameuse « Invincible Armada ». Elisabeth bâtit pour les siècles à venir la légende de son
île anglaise. La future Grande-Bretagne devient une forteresse imprenable qui a désormais les
capacités de vivre en autarcie, c'est-à-dire en toute indépendance, et qui a conscience de sa
supériorité absolue sur les autres nations. L'Angleterre est riche, puissante, dominatrice. Il ne
lui reste plus qu'à briller. Sa société est profondément influencée par le protestantisme
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rigoureux de Luther et de Calvin qui condamne vivement l'art du théâtre. C'est pourtant là,
sur les planches londoniennes, que la période d'Elisabeth, dite période élisabéthaine, écrit
l'une des pages les plus extraordinaires de la littérature universelle.
L'âge d'or
Le grand règne d'Elisabeth nourrit une certaine fierté nationale et une littérature
patriotique qui alimente une abondante production dramatique. Le génie sans égal de
Shakespeare ne cessera de dominer cette production. La sanglante mythologie de la dynastie des
Tudors qui règne depuis 1485, comme le destin tragique des princes qui ont précédé Elisabeth,
inspire la Renaissance anglaise, au cœur du XVIe siècle, et forge l'imaginaire des artistes de
cette période. Shakespeare, premier des auteurs de théâtre, est environné de talents immenses
que la société élisabéthaine célèbre, tels l'auteur dramatique Christopher Marlowe, le
philosophe Francis Bacon et le poète Edmund Spencer.
En 1603, Elisabeth meurt. Elle a soixante-dix ans. L'Angleterre, alors, en un demi-siècle de
règne, a participé à sa manière à l'importante révolution intellectuelle et artistique qui
domine l'Europe renaissante du XVIe siècle. La souveraine décédée n'a pas d'enfants. Elle clôt
la dynastie des Tudors. Dans la descendance complexe de son père Henri VIII, qui eut six
épouses, c'est à son petit-fils, Jacques II, qu'il appartient de faire accéder au trône une
nouvelle dynastie, celle des Stuarts. Ils ne le quitteront qu'au début du XIXe siècle. Le règne
de Jacques II, médiocre et besogneux, installe le pays dans une atmosphère bourgeoise et
puritaine. Le confort et la réussite succèdent à l'énergie et à l'audace du siècle précédent.
Dans cette atmosphère fade, le pays gagne en richesses matérielles ce qu'il a perdu en talents
et en génies artistiques. Shakespeare, alors, devient actionnaire de son théâtre, propriétaire
terrien et financier. Il meurt en 1616. De l'autre côté de la Manche, Monteverdi invente
l'opéra. Honoré d'Urfé écrit L'Astrée. Rubens connaît ses premiers triomphes. À Rome, Bernin
invente le baroque. Le génie a traversé la mer.
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Le théâtre élisabéthain
Une nouvelle profession : comédien
On situe généralement le théâtre élisabéthain entre la deuxième moitié du XVIe siècle et la
première du XVIIe siècle anglais. Il naît au tout début du règne d'Elisabeth, à qui il doit son
nom. Aux alentours de 1560, l'art théâtral européen connaît ses plus grands bouleversements.
Habitués jusqu'alors aux espaces de hasard, aux auberges, aux collèges, aux arènes pour
combats d'animaux, aux cours et autres places publiques, les artistes, dramaturges et acteurs,
se constituent en troupes professionnelles. Les autorités religieuses ont beau persister et
condamner ses activités, le comédien exerce soudain une réelle profession. Être acteur est enfin
un métier. En conséquence, les espaces de jeu et de représentation ne doivent plus rien au
hasard.
Dès 1567, The Red Lion, le tout premier théâtre anglais, se construit dans un faubourg
londonien. Durant les années suivantes s'érigent The Theatre, The Rose, The Swan, puis The
Globe en 1596, suivis encore d'une demi-douzaine d'autres espaces consacrés au théâtre,
accueillant toutes les catégories de public de toutes les classes sociales, dans une cité qui ne
compte pas plus de deux cent mille habitants. Entre 1560 et 1640, période exceptionnelle en
Angleterre comme partout en Europe, on voit également se bâtir le théâtre Olympique de
Vicence en Italie, le Corral de la Pacheca en Espagne, ou le théâtre de l'Hôtel de Bourgogne en
France. Si riche et foisonnant qu'il soit, l'art dramatique élisabéthain connaît cependant des
ennemis : les puritains condamnent son immoralité, et ouvrir un théâtre au cœur de la ville
reste encore prohibé. Les épidémies de peste, par ailleurs, obligeront les théâtres à fermer
leurs portes entre 1591 et 1593. Le Parlement britannique, en 1642, ordonne la fermeture des
théâtres. Cette date met fin à près d'un siècle de théâtre élisabéthain. Ce n'est qu'une vingtaine
d'années plus tard que la Restauration des Stuarts se consacrera à leur réouverture.
L'architecture théâtrale
Pour comprendre les particularités du théâtre élisabéthain, il convient d'abord d'en visiter
les édifices et leurs caractéristiques. On peut aujourd'hui supposer que le lieu théâtral anglais,
dont on n'a que très peu de traces, se divisait en plusieurs espaces scéniques à l'intérieur d'un
monument de forme ronde, ou polygonale. Là, tout d'abord, une arène centrale servait
d'immense scène. Délimitée par trois côtés, bordés par des rangées de spectateurs, elle
disposait souvent d'une trappe percée dans son plancher. Au fond de cette scène, devant une
galerie réservée aux acteurs, à leurs costumes et à leurs accessoires, se tenait une deuxième
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aire de jeu, surélevée, servant parfois d'espace aux musiciens. Au-dessus encore, on pouvait
trouver une troisième surface consacrée au jeu.
Pour des conditions de jeu et de création particulières
L'arène centrale est le plus souvent laissée à ciel ouvert. Éclairée si besoin est par des
chandeliers, elle se passe de décors, dont l'absence est compensée par la richesse des costumes
et la profusion de l'action. Des panneaux suffisent à indiquer des changements de temps ou de
lieu, tandis que plusieurs actions peuvent être représentées simultanément. Ces espaces
vastes, multiples, où tout se joue en semi-plein air, à la lumière du jour, offrent un tout autre
rapport entre la scène et la salle que celui instauré par les théâtres classiques, dits à l'italienne.
Ici, le contact avec le public est immédiat, direct. Seuls les hommes ont le droit d'accéder au
métier d'acteur, les personnages féminins sont donc interprétés par de jeunes garçons. Les
comédiens doivent être de véritables athlètes, prompts à s'adapter à un rythme particulier, à
une présence physique extrêmement puissante et à une multitude d'actions.
Les auteurs élisabéthains, accédant eux aussi au statut de professionnels, produisent des
pièces par dizaines. Les possibilités des espaces scéniques, parfois pourvus en machineries
théâtrales, poussent les poètes à délaisser les repères traditionnels et le classicisme théâtral.
Ils innovent, inventent, proposent, révolutionnent l'écriture dramatique en utilisant dans
leurs pièces tous les genres. Influencés par les nouveaux rapports de la scène à la salle
qu'instaurent les espaces théâtraux, les auteurs jouent aussi bien du monologue que des scènes
à plusieurs personnages, des conversations intimes que du débat public, de la confidence que
de la déclamation. Leurs œuvres, par conséquent, portent le plus fréquemment les
caractéristiques du spectacle épique, des grandes fresques historiques, de drames guerriers et
héroïques, et des comédies féeriques, bouffonnes ou encore champêtres.
Près de deux mille œuvres supposées
Pendant ce siècle anglais, on suppose qu'au moins deux mille pièces de théâtre furent
écrites par quelque deux cent cinquante auteurs. Il nous reste aujourd'hui moins d'un tiers de
ces œuvres, produites en général par des étudiants de Cambridge ou d'Oxford, les university
wits (esprits universitaires). John Lyly, Robert Greene, George Peele, Thomas Nashe, Thomas
Kyd puis Christopher Marlowe, entre 1590 et 1595, constituent, à eux seuls, l'âge d'or du
théâtre anglais. Dans le même temps, Londres célèbre pourtant une nouvelle figure de son
théâtre, Le comédien William Shakespeare connaît un succès relatif dès 1592. Deux ans plus
tard, la reine Elisabeth récompense ses capacités d'acteur, et il devient en 1597 actionnaire du
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théâtre du Globe jusqu'en 1610, date à laquelle il se retire dans sa ville natale, Stratford.
L'histoire du théâtre et de la littérature s'interroge à propos de l'existence de William
Shakespeare. Si l'homme, comédien, directeur de troupe et actionnaire du Globe, a sans
conteste existé, la question concernant l'écriture de ses pièces fut longtemps laissée sans
réponse. Est-il véritablement l'auteur de l'œuvre qui lui est attribuée ? Ses trente-sept pièces,
tragédies, histories ou comédies écrites entre 1590 et 1613, ont-elles été composées par
Christopher Marlowe ou le comte de Derby ? Ont-elles été écrites, selon les thèses les plus
fantaisistes, par la reine Elisabeth elle-même ? Il a pu sembler inconcevable qu'un tel degré de
génie, d'absolu, puisse être le fruit d'un seul individu. Ce génie-là ne pouvait se passer de
mystères et d'intrigues. La légende dite «antistratfordienne», très prisée au XIX e siècle, a fait
son temps. On s'accorde aujourd'hui à rendre à William ce qui est à Shakespeare, et les plus
grands monuments de l'art dramatique lui sont à nouveau attribués.
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William Shakespeare
L'enfance de l'art
L'enfant est baptisé un 26 avril 1564. C'est la première date, sûre, dont on dispose pour
William Shakespeare. On en déduit couramment qu'il est né trois jours plus tôt, le 23 avril
1564, à Stratford-upon-Avon, la même année que Galilée. Son père John Shakespeare,
gantier, occupe des responsabilités importantes au sein de la municipalité. Il deviendra maire
de la ville en 1568. Sa mère se nomme Mary Arden. Le fils William fréquente probablement
l'excellent collège de Stratford, mais il n'intègre pas l'université. Adulte, il épouse Anne
Hathaway, qui donne naissance à une fille, Susanna, puis à des jumeaux, Hamnet et Judith,
dès 1585.
En 1592, William Shakespeare, à moins de trente ans, est un comédien notoire à Londres,
puisqu'il voit même son jeu violemment attaqué par les critiques de l'époque. Il n'est pas pour
autant célèbre. Jusqu'en 1594, ses premières pièces, La Mégère apprivoisée, Henri VI, Titus
Andronicus et Richard III, notamment, voient le jour. Il écrit, durant cette même période,
plusieurs volumes de poèmes, dont Le Viol de Lucrèce et les Sonnets, qui ne seront publiés
qu'une dizaine d'années plus tard. Cette période, pourtant, est marquée par de très graves
épidémies de peste qui interrompent l'existence des troupes de théâtre.
Roméo et Juliette, entre autres œuvres de jeunesse
En 1595, entre Peines d'amour perdues, Richard II, et Le Songe d'une nuit d'été,
Shakespeare écrit Roméo et Juliette. Il est alors l'un des membres de la compagnie du lord
Chambellan, illustre homme de la cour qui en organise toutes les festivités. Shakespeare
occupe une place importante dans la vie des arts et du spectacle anglais. Homme de théâtre à
part entière, il est cogérant, comédien et auteur attitré de sa compagnie. Il ne s'intéresse pas
pour autant à la publication de ses œuvres, propriétés de sa troupe. Il existe d'ailleurs, à ce
jour, pour unique élément édité de référence, un recueil de trente-six pièces publié en 1623,
soit sept ans après la mort de Shakespeare. Nous ne disposons d'aucun manuscrit théâtral
rédigé de sa main. Cela explique notamment la profusion des légendes quant à son existence.
L'approche de la maturité
Jusqu'en 1599, Shakespeare a donc déjà amoncelé une œuvre de grande importance,
reconnue, célébrée. Elle est essentiellement constituée de comédies, dont Beaucoup de bruit
pour rien ou Comme il vous plaira, ainsi que de pièces à caractère historique, retraçant
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quelques grands pans de l'histoire anglaise, telles Le Roi Jean, les deux parties de Henri IV, ou
Henri V. En approchant la quarantaine, William Shakespeare s'attaque à de grands monstres de
l'histoire universelle, parfois inspirée par des épopées romaines. C'est le cas pour Titus
Andronicus ou Jules César, en 1599, pièce qui aurait inauguré le théâtre du Globe. Il écrit
alors ses grandes tragédies. Hamlet, dès 1601, suivi de Troïlus et Cressida, Othello, Le Roi
Lear, Macbeth, Antoine et Cléopâtre, Timon d'Athènes. Ainsi choisit-on le plus souvent de
considérer l'œuvre de William Shakespeare en la classant en quatre catégories : les œuvres
historiques, dites histories, les comédies, les tragédies, puis les tragi-comédies. Shakespeare a près
de cinquante ans quand il regagne sa ville natale, Stratford. Riche propriétaire terrien, il avait
fait l'acquisition quelques années plus tôt de New Place, l'une des plus belles maisons de la ville. À
Londres, il achète en 1613 une autre propriété, The Blackfriars Gatehouse. L'homme, réputé pour
être un camarade fidèle, un ami noble, généreux et dévoué, meurt le 23 avril 1616, la même
année que Cervantes, laissant une œuvre colossale, aussi riche que variée, au génie inégalé.
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Shakespeare : une universelle admiration
«Shakespeare est une belle nature, mais bien sauvage; nulle régularité, nulle bienséance, nul
art, de la bassesse avec de la grandeur, de la bouffonnerie avec du terrible; c'est le chaos de la
tragédie dans lequel il y a cent traits de lumière.»
Voltaire, Lettre à Horace Walpole, 1768.
«Le sublime et le génie brillent dans Shakespeare comme des éclairs dans une longue nuit.»
Denis Diderot, Encyclopédie, article Génie, 1757.
«Le cœur de Shakespeare est un langage à part.»
Alfred de Vigny, Journal d'un poète.
«On sent, en abordant l'œuvre de cet homme, le vent énorme qui viendrait de l'ouverture
d'un monde. Le rayonnement du génie dans tous les sens, c'est là Shakespeare.»
Victor Hugo, William Shakespeare, 1864.
«Quand je lis Shakespeare, j'ai l'impression de déchiqueter la cervelle d'un tigre.»
Lautréamont.
«Chez Shakespeare, même traduit, le pouvoir mystérieux demeure, d'où naît l'énergie qui
mène à la représentation.»
Peter Brook, Sur Shakespeare.
«Roméo et Juliette s'aiment à travers leur nom, malgré leur nom, ils meurent à cause de leur
nom, ils survivent dans leur nom.»
Jacques Derrida, L'Aphorisme à contre-temps.
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