« Roméo et Juliette » est une œuvre tour à tour tendre et précieuse, lyrique et gaie,
brillante et poignante, avec des scènes au sortilège immortel comme le bal, le balcon, la mort
de Mercutio, la chambre de l’aurore ou le tombeau. L’inlassable génie shakespearien ne laisse
rien au hasard. La moindre scène garde cette inimitable marque qui donne du prix à presque
tous les instants et scelle le dialogue d’innombrables merveilles.
Il existe diverses manières de reconstituer ce drame. L’adaptation de Georges Lini est
profondément humaine d’un bout à l’autre. Dans une langue moderne, à la portée de tous, elle
traduit admirablement la richesse du vocabulaire shakespearien.
Victor Hugo, dans son délire verbal, définit ainsi Shakespeare : «C'est la mamelle gonflée,
la coupe écumante, la cuve à plein bord, la sève par excès, la lave en torrents, les germes en
tourbillons, la prodigalité insensée et tranquille. Il est sauvage comme la forêt vierge, ivre
comme la haute mer ».
Quoique l'éloge du génial dramaturge nous paraisse plutôt explosif, il nous faut reconnaître
que « Roméo et Juliette » marche avec une sorte de rythme éperdu, si vaste qu'il chancelle et
donne le vertige, si puissant qu'il atteint à la véritable grandeur.
Le début est orageux : les injures éclatent, les épées se dégainent, les rixes s'aiguisent.
Déjà, s'ouvrent les deux branches d'une tenaille qui, implacablement, va broyer les destins
fatidiques des deux amants. Roméo, c'est le héros jeune et séduisant, dévoré par l'amour et
soupirant comme un beau ténébreux. A peine a-t-il vu Juliette, qu'il est criblé par ce trait
brûlant qu'est la flèche d'Eros. Il ne vit que par elle, au point qu'il pourrait gémir comme le
poète délaissé : « Un seul être me manque et tout est dépeuplé, ».
Juliette, dont l'âme est vierge comme une page blanche s'émeut du premier baiser. Et ce
seul baiser la lie à jamais à son initiateur, entièrement, tragiquement.
Vérone, une guerre civile, une fête rythmée au cliquetis des épées entrechoquées, un
balcon où s'échangent éperdument des serments d'amour, le frère Laurent qui compatit à
leur sort pitoyable, un meurtre, un exil, les violons qui sanglotent pour les funérailles, un
époux qui espère, un message qui s'égare, le poison, le retour nocturne, et la suite de ces
lamentables méprises qui conduisent les deux amants à leur tombeau : voilà tout le
sortilège envoûtant de cette frénétique tragédie !