Quelles sont les motivations de MSF ?
Dans les conditions de travail humanitaire, la première innovation a été la création
d’une ONG de type médical. MSF a beaucoup emprunté à l’UNICEF pour l’organisation,
mais à cette époque (1971) il n’y avait pas d’ONG spécialisée dans la pratique médicale.
Dans les années 80, les « French doctors » étaient populaires par leur dynamisme, mais
souvent considérés par leurs pairs comme des amateurs sympathiques certes, mais peu
efficaces. Outils, vaccins, protocoles de soins doivent en effet s’adapter à un environnement
différent de celui des pays riches et développés.
Mon premier sentiment, quand je me suis engagé, a été que je me marginalisais : c’était
ce que me suggéraient mes professeurs, en particulier. Mais travailler à MSF, est-ce bien
abandonner toute ambition scientifique ? Il faut voir que la pratique de la médecine
humanitaire s’applique à la majorité des malades dans le monde. Cela implique de nouvelles
procédures. Ainsi, pour la lutte contre le VIH (virus du Sida) les protocoles occidentaux
s’adaptent mal à l’environnement de l’Afrique de l’est. C’est en Afrique que l’on a d’abord
pratiqué le trithérapie : en effet, la bonne observance du traitement par le patient implique que
celui-ci soit simple.
Une action de masse, qui associe public et privé :
On peut formuler ainsi la différence entre invention et innovation : l’invention d’un
nouveau médicament en Occident se fait par des tests en laboratoire qui ne concernent qu’un
petit nombre de personnes et sont étroitement surveillés. En revanche, l’innovateur doit
traiter rapidement des millions de personnes démunies et en cas d’erreur les risques sont
énormes. Cela implique une technicité qui a abouti à la constitution d’organismes spécialisés
de droit privé, les uns pour lutter contre la malaria, d’autres pour répandre les nouveaux
vaccins, etc. Ce mouvement a inspiré des actions comme le Téléthon, des associations comme
l’AFM.
Des institutions comme le PDP (Product Development Partnership) ont pour but de
promouvoir la coopération entre public et privé dans le domaine du médicament. C’est ainsi
qu’a pu être fondée la MMV (Medecines for Malaria Ventures) qui lutte contre la malaria.
Au début des années 90, MSF a travaillé en Thaïlande dans la province de Tak : la malaria
sévissait dans les camps de réfugiés birmans. A l’été 1991 la situation devient intraitable. On
utilisait à l’époque deux médicaments : la chloroquine et le sulfadoxinepuyméthamine. Or
30% des enfants atteints de malaria n’étaient pas guéris. Il fallut donc adopter une procédure
rigoureuse.
Les étapes vers l’adoption d’un nouveau médicament :
La première étape fut le diagnostic d’échec, difficile à poser car les rechutes n’étaient pas
toujours signalées et il fallait reconnaître les patients.
La deuxième étape est la mise en forme aux normes scientifiques et la constitution d’une
équipe de recherche dont certains membres vivaient à l’intérieur du camp de réfugiés. Elle
associait l’Université de Bangkok à l’université Mahidol dans l’Ohio et l’université d’Oxford.
La troisième étape est la réflexion éthique. Il est difficile d’obtenir sans pression le
« consentement éclairé du patient » quand ceux qui demandent de participer à une recherche
sont aussi ceux (les ONG) qui fournissent nourriture et logement. On peut être tenté, pour
gagner du temps, de faire toutes les études au même endroit plutôt que de varier les
expériences.