Action contre la Faim

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Action contre la Faim
Conférences Françoise Giroud
Mardi 1er février 2011 de 18h30 à 20h
Jean-Hervé BRADOL
Directeur d’études au Centre de Réflexion sur les Actions et les Savoirs Humanitaires
(CRASH)
Auteur de l’ouvrage « Innovations médicales en situations humanitaires »
présente son ouvrage au siège national d’Action Contre la Faim
Pour les nouveaux adhérents, il est rappelé que Françoise Giroud a puissamment aidé
Action Contre la Faim. Ce cycle de conférence lui est donc dédié. Le débat qui suivra la
conférence sera animé par Jean-Jacques LOUARN, journaliste à Radio France International et
directeur du site Grotius. fr, qui rend compte des actions humanitaires dans le monde.
Un ouvrage collectif à portée politique :
Dans sa présentation, Jean-Jacques Louarn rapppelle que Jean-Hervé Bradol , qui a
dirigé Médecins sans Frontières, est diplômé de médecine tropicale et spécialiste
d’épidémiologie. L’ouvrage collectif Innovations médicales en situations humanitaires a été
rédigé sous la direction de Jean-Hervé Bradol et de Claudine Vidal. Il a été publié aux
éditions de l’Harmattan en 2009. Le sous-titre, « Le travail de Médecins sans Frontières », dit
clairement le caractère concret de l’approche. De fait, les différents chapitres, œuvres de
rédacteurs variés, s’attachent à cinq pathologies principales : choléra, méningite,
trypanosomiase (maladie du sommeil), paludisme et SIDA. Premiers et derniers chapitres ont
une portée plus grande : avec Marc Le Pape, Jean-Hervé Bradol s’interroge sur la notion
d’innovation ; à propos du Sida, avec Elisabeth Szumilin, il définit de « nouvelles pratiques
médicales et politiques ».
Innovation et invention :
Jean-Hervé Bradol commence par justifier le titre de son ouvrage. Il s’agit de
« situations humanitaires » diverses, et non de crises humanitaires : l’action médicale doit en
effet s’inscrire dans la durée. Le mot d’innovation n’est pas synonyme d’invention : il s’agit
d’adapter les outils dont on dispose au contexte de chaque pays, de tenir compte des
évolutions de la recherche, enfin de cultiver un état de veille permanent. L’esprit de MSF est
de favoriser un aller et retour permanent entre action et réflexion. Cet esprit a abouti à la
constitution, en 1987, de l’organisme Epicentre, qui s’occupe de la formation des
intervenants. MSF a aussi fondé un groupe « MSF Logistique » pour rationaliser les
interventions. Par souci de précision, l’exposé portera sur quelques pathologies infectieuses,
dont le choléra. On évoquera en particulier l’introduction d’une nouvelle génération de
médicaments contre le paludisme en Afrique.
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Quelles sont les motivations de MSF ?
Dans les conditions de travail humanitaire, la première innovation a été la création
d’une ONG de type médical. MSF a beaucoup emprunté à l’UNICEF pour l’organisation,
mais à cette époque (1971) il n’y avait pas d’ONG spécialisée dans la pratique médicale.
Dans les années 80, les « French doctors » étaient populaires par leur dynamisme, mais
souvent considérés par leurs pairs comme des amateurs sympathiques certes, mais peu
efficaces. Outils, vaccins, protocoles de soins doivent en effet s’adapter à un environnement
différent de celui des pays riches et développés.
Mon premier sentiment, quand je me suis engagé, a été que je me marginalisais : c’était
ce que me suggéraient mes professeurs, en particulier. Mais travailler à MSF, est-ce bien
abandonner toute ambition scientifique ? Il faut voir que la pratique de la médecine
humanitaire s’applique à la majorité des malades dans le monde. Cela implique de nouvelles
procédures. Ainsi, pour la lutte contre le VIH (virus du Sida) les protocoles occidentaux
s’adaptent mal à l’environnement de l’Afrique de l’est. C’est en Afrique que l’on a d’abord
pratiqué le trithérapie : en effet, la bonne observance du traitement par le patient implique que
celui-ci soit simple.
Une action de masse, qui associe public et privé :
On peut formuler ainsi la différence entre invention et innovation : l’invention d’un
nouveau médicament en Occident se fait par des tests en laboratoire qui ne concernent qu’un
petit nombre de personnes et sont étroitement surveillés. En revanche, l’innovateur doit
traiter rapidement des millions de personnes démunies et en cas d’erreur les risques sont
énormes. Cela implique une technicité qui a abouti à la constitution d’organismes spécialisés
de droit privé, les uns pour lutter contre la malaria, d’autres pour répandre les nouveaux
vaccins, etc. Ce mouvement a inspiré des actions comme le Téléthon, des associations comme
l’AFM.
Des institutions comme le PDP (Product Development Partnership) ont pour but de
promouvoir la coopération entre public et privé dans le domaine du médicament. C’est ainsi
qu’a pu être fondée la MMV (Medecines for Malaria Ventures) qui lutte contre la malaria.
Au début des années 90, MSF a travaillé en Thaïlande dans la province de Tak : la malaria
sévissait dans les camps de réfugiés birmans. A l’été 1991 la situation devient intraitable. On
utilisait à l’époque deux médicaments : la chloroquine et le sulfadoxinepuyméthamine. Or
30% des enfants atteints de malaria n’étaient pas guéris. Il fallut donc adopter une procédure
rigoureuse.
Les étapes vers l’adoption d’un nouveau médicament :
La première étape fut le diagnostic d’échec, difficile à poser car les rechutes n’étaient pas
toujours signalées et il fallait reconnaître les patients.
La deuxième étape est la mise en forme aux normes scientifiques et la constitution d’une
équipe de recherche dont certains membres vivaient à l’intérieur du camp de réfugiés. Elle
associait l’Université de Bangkok à l’université Mahidol dans l’Ohio et l’université d’Oxford.
La troisième étape est la réflexion éthique. Il est difficile d’obtenir sans pression le
« consentement éclairé du patient » quand ceux qui demandent de participer à une recherche
sont aussi ceux (les ONG) qui fournissent nourriture et logement. On peut être tenté, pour
gagner du temps, de faire toutes les études au même endroit plutôt que de varier les
expériences.
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La quatrième étape est la recherche d’un médicament alternatif. Cela exige de l’humilité :
ainsi, les résidents du camp de réfugiés vantent les mérites d’un produit chinois ignoré de
l’équipe médicale. Pour se le procurer, il a fallu se rendre avec des réfugiés dans une station
service…Il s’agit de l’artesunate.
Le cas de l’Afrique et ses enseignements :
L’Afrique fournit une autre approche pour l’épidémiologie de la malaria, qui y sévit
particulièrement. Les victimes sont souvent des enfants de moins de deux ans ; on évalue le
nombre de morts dans cette zone à un million et demi par an. Le diagnostic fait problème : en
Thaïlande, dans un camp Karen à la frontière birmane, des réfugiés savaient utiliser un
microscope pour faire les diagnostics. En Afrique, il a fallu utiliser une méthode découverte
en Inde : une goutte de sang sur une barrette en plastique permet de poser un diagnostic au
bout de vingt minutes. C’est d’autant plus précieux que jusque là on ne pouvait diagnostiquer
une fièvre liée à la malaria sans examen en laboratoire. La malaria n’est pas éradiquée : à la
fin des années 90, une épidémie au Kenya a fait plusieurs milliers de morts. En 2000-2001, la
malaria a sévi sur les hauts plateaux, avec deux millions de cas en altitude, alors que jusque là
elle semblait ne pas se propager au-delà de 800 m d’altitude. Des souches résistantes sont
apparues au Burundi avec un taux de résistance à la Choloraquine de 70%. Le sud du Soudan
et l’Ethiopie ont été touchés en 2004.
Extension des recherches ; leurs résultats :
Les études sont nombreuses : plus de 1200 patients sont entrés dans 43 protocoles de
recherche dans 18 pays entre 1996 et 2004. Le traitement doit répondre aux exigences
suivantes : être accepté par l’OMS ; avoir un approvisionnement sûr ; être proposé à un prix
abordable. Le Vietnam a donné un bon exemple de combat contre le paludisme : on peut
estimer qu’il a mis hors de combat plus de soldats que la guerre elle-même. Les Etats-Unis
ont mis au point deux médicaments qui ne sont arrivés qu’à la fin de la guerre. Les Chinois
ont fourni aux Vietnamiens des dérivés de l’artesunate. Il va de soi que les normes
scientifiques n’étaient pas les mêmes dans les deux pays. Ces efforts doivent être financés : en
2002 a été créé un Fond mondial de lutte contre le SIDA, la tuberculose et la malaria. A cette
époque, les médecins du Burundi se plaignaient d’avoir des médicaments inefficaces.
Utilité de la controverse scientifique :
L’étape de la controverse publique est essentielle dans la mise en place de l’innovation
médicale. La diffusion de nouveaux médicaments contre le Sida a été assurée par la DNDI,
fondation de droit privé ayant son siège en Suisse. Les dérivés de l’artesunate ont pu réduire
l’administration de médicaments de 8 à 2 comprimés par jour afin de lutter contre la malaria.
Il faut bien voir que les pays développés ne sont pas toujours en pointe : le médicament utilisé
contre le choléra en Haiti a été mis au point au Mozambique. Le Niger et le Mali ont lancé des
traitements efficaces contre la méningite C.
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Conclusion
Un article récent de la célèbre revue de recherche médicale The Lancet (12 mai 2006)
montre quels progrès ont été accomplis dans la lutte contre les maladies tropicales. Il y a une
dizaine d’années, on n’avait presque rien contre la « maladie du sommeil » (trypanosomiase).
Les médicaments pour les maladies tropicales représentaient 1,3% du total. Depuis dix ans,
nous connaissons un grand renouveau dans la lutte contre la malaria et la tuberculose. Des
organismes caritatifs comme DNDi, FIND, PATH, MVI, on joué un rôle décisif.
QUESTIONS :
Jean-Jacques Louarn
Vous évoquez la nécessité des controverses pour faire progresser l’innovation. Pouvezvous en citer un exemple actuel ?
On peut donner l’exemple de la chirurgie orthopédique. L’ostéosynthèse, technique de pointe,
implique des procédures de réparation complexes, respectant strictement les règles de
prévention des infections. On a d’abord décidé de ne pas y avoir recours quand l’hygiène
n’était pas suffisante. Mais cela menait à des amputations plus nombreuses. Ensuite, on a
passé outre et on a essayé de réparer. La question s’est posée récemment à propos des blessés
de Haïti, dont beaucoup ont été amputés.
Question : Peut-on appréhender l’ampleur de la résistance à la tuberculose ?
C’est une vraie question : une fois sur deux, en Afrique, la lutte contre la tuberculose est un
échec. C’est notamment le cas en Afrique du Sud où sont apparues des souches très
résistantes. Au début des années 1990 on a mis en place un nouveau protocole destiné à
interrompre la propagation du bacille par les crachats. Mais au bout de dix ans, on a vu que ce
n’était pas efficace.
Question : quelle est la place de l’innovation dans les programmes de nutrition ?
Avec les nouvelles rations alimentaires destinées à lutter contre la malnutrition, on a décuplé
le nombre de personnes prises en charge. Il s’agit de mettre en œuvre des « micronutriments » contenant des protéines de lait et riches en calories. Des chercheurs de l’IRD ont
participé à cette mise au point. On connaît l’entreprise Nutriset en Normandie.
Selon Steve Collins, avec ces produits on n’est plus obligé de garder trois semaines les
enfants malnutris. L’idéal serait évidemment d’intervenir avant l’apparition des symptômes de
malnutrition grave. En Afrique comme dans les pays développés, il ne faudrait pas laisser un
enfant « casser sa courbe de croissance ». Trop d’argent passe dans le tri des malnutris
sévères ; mieux vaudrait l’employer à bien nourrir tout le monde.
La lutte contre la malnutrition impose de réviser certains préjugés : l’idéologie dominante
impose le lait maternel. Mais faut-il pour autant exclure les enfants du Tiers Monde du
marché des produits prêts à l’emploi (nos « petits pots ») ? A partir de six mois, le lait
maternel ne doit pas être une nourriture exclusive. Il faut rappeler que nous sommes tous
partis du même niveau : les pays sous-développés vivent la situation qui existait en Europe au
XIXe siècle. Des progrès ont été déjà accomplis au Sri Lanka, au Mexique. Le véritable
obstacle demeure le prix : beaucoup n’ont pas assez d’argent même pour mêler un peu de lait
à la ration de mil. Huile, lait, sucre demeurent des luxes dans les pays sous-développés.
Mais les prix des médicaments ont très fortement diminué : la trithérapie est passée de 10 000
dollars à 100 dollars le traitement.
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Question : quelle est l’incidence du cancer actuellement ?
Avec la réduction des naissances, le nombre de cancers augmente. Il faut savoir qu’au
Soudan, une femme atteinte d’un cancer du sein est pratiquement condamnée : les traitements
sont rares et coûtent trop cher. Quelques progrès ont été accomplis dans des établissements
hospitaliers pour traiter les cancers du sang chez les enfants. Mais il faut mettre en place des
protocoles de soins plus simples que ceux qui sont en usage en Europe.
Compte rendu revu et corrigé par Jean Hartweg
Bénévole à ACF ( à faire relire par un médecin ou une personne ayant des connaissances
médicales) Première version le 2 février, seconde version le 25 février 2011.
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