La théorie de Coleman

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agrégation de sciences économiques et sociales
préparations ENS 2003-2004
Réseaux sociaux
Foundations of Social Theory (Coleman, 1990)
Fiche de lecture réalisée par Paul Costey (ENS-LSH Lyon)
COLEMAN James S. (1990), Foundations of Social Theory, The Belknap Press of
Harvard University Press, Cambridge, Massachussets, London, England, 994 p.
Table des matières de la fiche de lecture
Présentation
La théorie de Coleman : quelques principes
1) Coleman et l’économisme (chapitre 1 : « Metatheory »)
2) L’action chez Coleman
3) La méthode de Coleman (chapitre 2, « Actors, Interests and Control ») : rationalité et explication
4) Un individualisme méthodologique
5) Le problème de la transition micro-macro
Le système social chez Coleman
1) Interdépendance et poursuite de l’ intérêt
2) Droit, relation et contrainte
3) Equilibre social
Le Capital social (chapitre 12)
1) Interdépendance et échange
2) Les institutions
3) La différence entre capital social et capital humain
4) Les formes multiples du capital social
5) Le capital social comme bien public
6) La création, le maintien et la destruction du capital social
Conclusion
“L’action rationnelle a une attractivité unique comme base de la théorie
sociale. Si l’on peut rendre compte d’une institution ou d’un processus à
partir des actions rationnelles des individus, alors, et alors seulement l’on
peut dire qu’ils ont été « expliqués ». Le concept même d’action
rationnelle est une conception de l’action qui est « compréhensible », de
l’action à propos de laquelle nous n’avons pas besoin de poser de
questions supplémentaires ».
J. S. Coleman, Individual interests and collective action
Présentation
James Coleman (1926-1995) a enseigné à l’Université de Chicago, il est l’un des tenants de la théorie du choix
rationnel qu’il a largement contribué à diffuser. Ses travaux, certes peu diffusés en France – puisqu’ils n’ont pas été
traduits -, ont connu un écho certain aux Etats-Unis et nous n’avons qu’une perception imparfaite et assourdie des
débats qu’ils ont suscités. On peut rapprocher ses thématiques de celles de Jon Elster ou encore de Lindenberg, il a
été l’élève Merton auquel il dédie ce livre. En France, si Raymond Boudon semble le plus proche des thèses de
Coleman, à regarder de près, ils se séparent sur des points centraux de l’analyse ; il n’y a pas de représentants
influents de ce courant au sein de la sociologie française.
Cet ouvrage constitue une véritable somme d’environ mille pages dans laquelle Coleman pose les bases de sa théorie
sociale. Si Coleman a mené quelques analyses de réseau, ce livre développe son système de pensée sans référence
explicite à l’analyse structurale, hormis quelques auteurs sur lesquels il s’appuie (Nan Lin, Granovetter…). Son
propos est plus général et compte très peu d’exemples développés (lorsqu’ils le sont ; ce sont le plus souvent des
situations fictives sorties de son imagination qu’il développe à des fins didactiques ou bien les travaux d’autres
sociologues), d’où l’aridité de cette fiche. Je me suis contenté des douze premiers chapitres qui explicitent les
fondements de son programme de recherche ainsi que d’un numéro de la Revue française de sociologie (avril-juin
2003) entièrement consacré à ce livre. La partie qui concerne directement le thème des réseaux est le chapitre 12
(« Capital social »), toutefois l’ensemble de son travail vise à décrypter les jeux d’interdépendance entre les acteurs
qui se concurrencent pour l’obtention de ressources et in fine pour l’accroissement de leur pouvoir. La compréhension
de sa théorie passe inévitablement par la présentation des grands axes de son système, avant d’aborder de plus près la
notion de capital social.
La théorie de Coleman : quelques principes
1) Coleman et l’économisme (chapitre 1 : « Metatheory »)
La tâche que Coleman s’est fixée est celle d’expliquer le fonctionnement des systèmes sociaux. La posture de
Coleman est celle de l’individualisme méthodologique (« a natural unit of observation is the individual person », p1).
et il reprend également à l’économie l’hypothèse des comportements de maximisation sous contrainte ou celle
d’équilibre social. Mais il s’en écarte sur certaines questions : l’arbitrage entre utilité et contrôle alors que l’économie
se contente de traiter de l’utilité, l’origine sociale de la distribution des droits et des institutions fait l’objet de longs
développement tandis que la théorie économique la laisse dans l’ombre, enfin la notion de capital social insiste sur
l’inscription de l’acteur dans un environnement contre l’atomisme néo-classique. Pour ces raisons, on ne peut réduire
sa contribution à la simple application des théories économiques aux faits sociaux comme c’est trop souvent le cas
dans les présentations peu complaisantes et franchement réductrices que l’on fait de ses travaux. Il n’est pas le Gary
Becker de la sociologie (même s’ils ont co-animés un séminaire à l’université de Chicago) et envisage d’ailleurs le
rapport de force entre économie et sociologie en faveur de la seconde, puisqu’il reproche à l’économie son
réductionnisme et ne se montre pas prêt à faire de la rationalité la « grammaire générale de l’action humaine », selon
Philippe Steiner1.
2) L’action chez Coleman
Après ces quelques précautions, il est bon de rappeler l’attention exclusive qu’il accorde aux actions instrumentales
(et non aux actions expressives) à partir des seules notions de contrôle et d’intérêt. Ceci est justifié par un principe de
parcimonie permettant une théorie systématique et la modélisation, développée dans la cinquième partie du livre
(« The Mathematics of Social Action »). Les acteurs et les événements sont les deux composantes du système social
et sont reliés par deux types de liens qui se croisent : le contrôle (part d’un événement qu’un individu peut s’attribuer)
1
Philippe Steiner, « Les Foundations de James S. Coleman : une introduction », RFS, avril-juin 2003.
et l’intérêt (degré auquel le bien-être d’un individu est affecté par la réalisation d’un événement). Les acteurs
s’inscrivent dans un réseau de dépendances mutuelles, puisque très souvent un acteur dépend des autres pour la
réalisation de son intérêt. Il s’appuie sur l’hypothèse de rationalité (comprendre les raisons qui font que les agents
agissent d’une certaine manière, impliquant de comprendre le but visé et comment les actions s’adaptent à ce but visé
par l’acteur). La notion d’action calculé est donc nécessaire (comportement maximisateur, agent calculateur) :
principe d’utilité pour hiérarchiser les actions et principe de maximisation (plutôt soi multiple).
Il dénonce pourtant le schéma téléologique dans la théorie de l’action rationnelle, parce qu’il explique la situation
présente par la situation future. La notion de calcul appartient à cette catégorie d’explication qui est antithétique de
toutes les formes d’explication dans les sciences sociales. Pourtant il conserve le principe de maximisation :
a) D’abord, parce que ce qu’explique la théorie social, c’est le fonctionnement du système social et donc à un autre
niveau que celui où le calcul est réalisé (calcul au niveau individuel ou mésosocial, au niveau des institutions par
exemple/ système à un niveau agrégé et donc macrosocial). L’individu calcule, mais le système, lui, ne calcule pas, et
c’est cette différence d’échelle qui justifie l’usage de l’hypothèse de rationalité. L’explication ne s’appuie pas sur des
causes finales mais sur des causes efficientes car on cherche à expliquer le fonctionnement du système.
b) L’adhésion à ce principe tient également au souci de cohérence de Coleman. Une théorie de l’action sociale qui ne
ferait pas référence à des objectifs et au calcul nierait le travail même du chercheur qui lui est guidé par des fins.
3) La méthode de Coleman (chapitre 2, « Actors, Interests and Control ») :
rationalité et explication
Les acteurs n’agissent pas toujours de façon rationnelle, mais la compréhension de l’action ordinaire revient
généralement à considérer les raisons derrière les actions, et l’ambition théorique des sciences sociales conçoit
l’action de façon à la rendre rationnelle du point de vue de l’acteur. Il réduit le champ de l’action humaine et sa
théorie est construite pour une série d’acteurs rationnels abstraits. Réduire l’action calculée à la maximisation de
l’utilité a d’abord la vertu de la précision conceptuelle et ensuite la maximisation accroît le caractère prédictif des
théories. La seconde raison est la simplicité.
Il existe deux modes d’explication du comportement des systèmes sociaux : l’un repose sur l’analyse d’un ensemble
de cas du comportement du système (« system behavior ») ou de l’observation du comportement du système comme
un tout durant une certaine période (relation statistique entre le comportement intéressé et certaines caractéristiques
du système social comme le contexte) ; une seconde voie vers l’explication examine les processus internes aux
systèmes impliquant les composantes de ce système ou les unités. Les composantes peuvent être des individus ou des
institutions (on explique le comportement du système par le comportement de ses parties). Il opte pour le second
schéma d’analyse qu’il appelle « internal analysis of system behavior ». Il résume sa méthode en cinq points :
1° Il estime qu’il faut partir du niveau où l’on collecte ses données, en deçà du niveau du système que l’on souhaite
étudier.
2° Par extension, les interventions sont aussi plus utiles au niveau le plus bas, au niveau de l’observation, plutôt qu’au
niveau du système.
3° L’explication fondée sur l’analyse interne du comportement du système en termes d’actions et d’orientations des
unités du plus bas niveau est plus stable et général que l’explication qui reste au niveau du système : « Since the
system’s behavior is in fact a resultant of the actions of its component parts, knowledge of how the actions of these
parts combine to produce systemic behavior can be expected to give greater predictability than will explanation based
on statistical relations of surface characteristics of the system » (p 3).
4° Une théorie qui s’appuie sur les orientations et les actions d’unités à un niveau bas peut être considérée comme
« fondamentale », plus proche d’une théorie du « system behavior », qu’une explication qui reste au niveau du
système. Une explication est suffisamment fondamentale si elle fournit une base pour une intervention (informée) qui
peut changer le « system behavior ». Il considère que très souvent le niveau le plus approprié est celui de l’individu
(même si une explication qui s’appuie sur les orientations des entités en deçà du système convient également).
5° Il dénonce une conception hyper-socialisée de l’homme, pâte molle sur laquelle viennent s’inscrire les normes, et
défend la liberté de l’acteur pris dans les contraintes de l’interdépendance.
4) Un individualisme méthodologique
Il considère sa position comme une variante de l’individualisme méthodologique. Pourtant rien ne dit que
l’explication se résume à l’agrégation des comportements individuels (l‘interaction entre les individus est à l’origine
d’un phénomène émergent qui n’est ni attendu ni prévu par les agents). Mais l’explication ne part pas nécessairement
des individus. Le critère est pragmatique : une explication est satisfaisante si elle est utile pour des types particuliers
d’intervention pour lesquelles elle est engagée. L’explication part d’un niveau inférieur au système, mais pas
nécessairement des actions individuelles ni de leurs orientations.
5) Le problème de la transition micro-macro
La principale difficulté est le passage du niveau d’observation des parties ou des unités, point de départ, au niveau du
système : passage du micro au macro (problème que l’on retrouve en économie : agrégation ; agent représentatif en
macroéconomie…).
Exemple : Analyse de Weber : l’éthique protestante et l’esprit du capitalisme. La thèse : les valeurs attachées à la
religion protestante dans sa version calviniste facilitent l’émergence du capitalisme. La critique : les sociétés
comparées diffèrent mais pas uniquement d’un point de vue religieux. Dans le cas du calvinisme, Weber étudie les
prescriptions morales et il extrait du phénomène capitaliste deux traits : diligence dans l’accomplissement du devoir
et anti-traditionalisme. La religion entre religion et capitalisme n’exprime pas nécessairement une relation spécifique,
mais ces deux dimensions peuvent très bien connaître un changement dû à un autre facteur. La méthode de Weber est
aussi contestée puisque Coleman ne parvient pas à identifier les unités sur lesquelles il s’appuie pour étayer son
explication. Il utilise le diagramme en paquebot. De plus, Weber n’explicite pas comment s’opère l’agrégation des
comportements individuels et quelle forme elle prend. Quel type de comportement se diffuse avec le calvinisme ?
celui de futurs travailleurs dans des entreprises capitalistes ou celui de futurs entrepreneurs ? Pour rendre compte de
la croissance ou de l’avènement de n’importe quelle organisation sociale, il faut montrer comment la structure des
positions construit les organisation en train de se faire, comment les personnes qui occupent des positions dans
l’organisation sont motivées pour le faire et comment ce système interdépendant d’incitations est tenable. Il dénonce
les explications culturalistes en termes de valeurs qui ne tiennent pas compte de l’organisation sociale.
Weber explique la transition micro-macro par la simple agrégation des comportements, des croyances ou des attitudes
individuelles. : la transition convenable ne peut s’appuyer sur la simple agrégation des comportements individuels.
De plusieurs façons, la combinaison d’action a des conséquences à l’échelle macro-sociale. Parfois un acteur produit
une externalité et modifie la structure d’incitations de tous les acteurs (tragédie des biens communs) ; un autre cas
concerne les échanges bilatéraux ; un troisième cas : le marché où les règles gouvernent la forme des interactions ; la
décision collective : la conséquence systémique est le résultat de votes ; la structure d’actions interdépendantes que
constitue l’organisation formelle produisant in produit ; l’établissement d’un droit collectif pour exercer un contrôler
social sur certains acteurs.
La transition du micro au macro est très souvent contenue dans l’interdépendance des acteurs.
Le système social chez Coleman
1) Interdépendance et poursuite de l’ intérêt
Le “behavior” du système social s’explique par trois composantes : les effets des propriétés du système sur les
contraintes ou les orientations des acteurs ; les actions des acteurs au sein du système ; la combinaison des actions au
sein du système aboutissant au comportement systémique. Ces traits du système forment le cadre général conceptuel
de la théorie sociale. Il existe deux voies pour étudier les systèmes sociaux : soit on l’analyse comme une relation
entre le micro et le macro, soit on en fait le produit des interdépendance des actions des différents acteurs. Dans un
système, il y a deux types d’éléments : les acteurs et les choses sur lesquelles ils ont prises ou auxquelles ils
s’intéressent (événements et ressources) :
« What makes a social system, in contrast to a set of individuals independently exercising their control over activities
to satisfy their interests, is a simple structural fact: Actors are not fully in control of the activities that can satisfy their
interests, but find some of those activities partially or wholly under the control of other actors” (p 29).
La poursuite de son intérêt implique des transactions avec les autres acteurs qui dessinent une acception plus large de
l’échange (menaces, promesse, …). C’est à travers ces transactions qu’une personne est capable d’utiliser les
ressources qui ont un intérêt pour lui afin d’atteindre ses fins qui reposent sur les ressources contrôlées par d’autres
acteurs. Un système social commence avec deux individus qui ont un contrôle sur les ressources de l’autre. C’est
cette intérêt partagé pour des ressources qui mène au calcul et à l’action.
Il distingue plusieurs types d’interdépendance : structurale (les actions d’un individus se font dans un environnement
stable et non réactif), comportementale (l’acteur tient compte des réactions des autres acteurs et les anticipent pour
prendre une décision) et évolutionnaire ; dans la plupart des cas Coleman adopte le modèle structural.
2) Droit, relation et contrainte
Les droits (deux types : droit d’agir et droit de contrôler l’action d’autrui) et leur allocation sont deux thèmes qui
occupent une large part du livre de Coleman. Pour des raisons de concision, nous ne développerons pas tous ses
éléments, mais nous préciserons simplement en quoi ce thème affecte sa conception des relations sociales. Par
exemple, il définit l’autorité (« Authority Relations », chapitre 4) comme le droit pour un acteur de contrôler l’action
d’autrui. De là, il définit le droit pour un acteur de transférer ses propres droits, et, dans ce cas, soit l’acteur remet son
droit parce qu’il estime qu’il est préférables de suivre les orientations d’un autre acteur (transfert unilatéral), soit il
cède son droit de contrôle en échange d’une compensation extrinsèque (échange). Par extension, il existe des
situations où un acteur (« supérieur ») possède un droit de contrôle sur un « subordonné » et le droit de transférer (
« déléguer », la délégation que Coleman avec l’aide le théorie économique de l’agence) ce droit à un autre individu
(« lieutenant »). Progressivement les relations s’étendent et des systèmes de relations complexes émergent.
Dans les systèmes clos (les organisations sociales et politiques, par exemple), le statut social permet d’engager des
échanges inégaux. Le contrôle d’un acteur sur un événement pour lesquels les acteurs ont un intérêt, les personnes
intéressées donnent donc un crédit à celui qui contrôle la réalisation de l’événement. Dans un système clos, les
échanges sont interdépendants en raison de la concurrence pour les ressources. La valeur d’un ressource ou d’un
événement réside d’ailleurs dans la valeur que les individus lui accordent, alors que l’intérêt désigne simplement
l’importance qu’un événement ou une ressource revêt pour un acteur seul. Le pouvoir quant à lui désigne la valeur de
toutes les ressources qu’un acteur contrôle. En connaissant la répartition de l’intérêt et du pouvoir dans un système,
Coleman prétend que l’on peut en prédire l’évolution et déterminer sa situation d’équilibre.
3) Equilibre social
A travers les échanges, il y a une réduction de l’écart entre l’intérêt et le contrôle, jusqu’à ce qu’apparaisse un
équilibre social, situation où il n’y a plus aucun échange qui puisse combler les attentes des deux participants
(maximisation de l’intérêt). On retrouve ici le thème de l’équilibre général cher à l’économie néo-classique. Pourtant
la sociologie ne peut pas prétendre émettre des jugements de valeur sur la nature de l’équilibre (optimum social, il en
existe de plusieurs types). La notion d’optimum social est essentielle dans la mesure où il elle permet d’avaliser
différents arrangements sociaux. Dans le cas d’un transfert unilatéral de ressources à un même individus, le cycle
d’échanges n’aboutit pas à un équilibre social.
Coleman distingue deux types de relations. Relations simples : auto-suffisantes, les incitations des deux parties pour
maintenir la relation sont intrinsèques à la relation, et l’avenir de la relation dépend des incitations qu’elle est capable
de produire (liens sociaux primordiaux). L’autre classe de relations (complexes) a besoin d’un tiers pour sa
perpétuation. Ce sont des relations qui se construisent dans des organisations formelles (structures d’incitations
complexes, impliquant au moins trois parties). L’organisation est une structure de relations faite d’obligations et
d’attentes, mais il n’y a pas la même exigence que celle qui existe dans les relations simples. Deux parties :
l’environnement social « naturel » ; le construit (« corporate actor » – « acteur organisationnel » selon la traduction
de Ph. Steiner – composées positions occupés par les personnes : entreprises, syndicats, administration). Le passage
du premier type au second est le fruit d’un vaste évolution historique qui voit s’effacer la famille et les relations
primordiales au profit d’acteurs organisationnels.
Le Capital social (chapitre 12)
Nous suivons une lecture cursive de ce chapitre central pour la question des réseaux, l’unique chapitre où il se réfère
explicitement aux spécialistes de l’analyse structurale. Les titres des parties sont les miens.
1) Interdépendance et échange
« Actors are seen as beginning with resources over which they have some (possibly total) control and in which they
have interests. Social interdependence and systemic functioning arise from the fact that actors have interests in events
that are fully or partially under the control of other actors. The result of the various kinds of exchanges and unilateral
transfers of control that actors engage in to achieve their interests is the formation of social relationships having
some persistence over time.” (p. 300).
Les relations sociales ne sont pas seulement des composantes de la structure sociales mais aussi des ressources pour
les individus. Il s’oppose à une vision issue de la tradition libérale du droit naturel, de l’économie néoclassique qui
consiste à imaginer la société comme un ensemble d’individus indépendants dont les actions orientées vers une fin
sont autonomes, et selon laquelle le fonctionnement du système social revient à une combinaison des actions
d’individus indépendants. Cela découle des conceptions de l’économie et de l’évolution de la structure sociale qui a
accru l’indépendance des individus et leur propension à mener des actions servant leur intérêt égoïste. Mais malgré
ces changements, les individus n’agissent pas indépendamment les uns des autres, leurs actions n’aboutissent pas de
façon autonome et leurs intérêts ne sont pas seulement égoïstes.
2) Les institutions
Il reprend explicitement Granovetter. Rôle des institutions dans le déroulement des échanges et dans le
fonctionnement des marchés (Williamson) : les conditions d’émergence et les effets de ces institutions sur le
fonctionnement du système. Ou sur un autre versant, l’étude des organisations sociales dans la mesure où elles
affectent le fonctionnement des institutions économiques (Granovetter contre l’ « undersocialized concept of man »
qui caractérise les analyses économiques). Granovetter critique également la nouvelle économie des institutions parce
qu’elle envisage de manière fonctionnaliste l’existence d’institutions économiques selon les fonctions qu’elles jouent
pour le système économique dans son ensemble (embeddedness : engendre la confiance, enracine les attentes, crée et
renforce les normes). Lin s’est appuyé sur ces travaux en montrant comment les acteurs mobilisent leurs ressources
sociales afin d’atteindre leurs buts, notamment dans la mobilité sociale. Coleman donne un définition de ce qu’il
entend par capital social :
« I will conceive of these social-structural resources as a capital asset for the individual, that is, social capital. Social
capital is defined by its function. It is not a single entity, but a variety of different entities having two characteristics
in common: They all consist of some aspects of social structure, and they facilitate certain actions of individuals who
are within the structure. Like other forms of capital, social capital is productive, making possible the achievement of
certain ends that would not be attainable in its absence”(p. 302). Le capital social est utile dans l’accomplissement de
certaines tâches mais pas dans d’autres. Il existe dans la structure des relations entre les personnes et parmi les
personnes, contrairement aux autres formes de capital.
Exemples : article de presse à propos de groupes dissidents en Corée qui rassemblent des gens venus de la même
école ou fréquentant la même église, ensuite à partir de ce réseau de relations les cercles d’études se forment
Les procès qui se développent aux Etats-Unis contre les médecins suite à des erreurs lors d’opération ou des
prescriptions inadaptées ont brisé la relation de confiance qui s’était établie entre le médecin et la patient. Ce
phénomène résulte du manque de relations sociales qui assurent la confiance et accroît le coût et la disponibilité des
soins médicaux.
L’organisation social crée le capital social et facilité la réalisation de ses fins qui ne pourraient être atteintes
autrement ou atteintes à un coût plus élevé.
3) La différence entre capital social et capital humain
Capital humain ( actions qui modifient l’individu : acquisition de compétences ou de capacités qui rend les individus
capables d’agir autrement, innover) et capital social (est crée quand les relations entre les personnes évoluent de
façon à faciliter l’action, il est inscrit dans les relations entre les individus et non dans les individus eux-mêmes) :
« […] the human capital resides in the nodes, and the social capital resides in the lines connecting the nodes » (p.
304)
« The function identified by the concept « social capital » is the value of those aspects of social structure to actors, as
resources that can be used by the actors to realize their interests”. (p. 305). Le concept rend compte à la fois des
conséquences au niveau des acteurs individuels et du lien entre le micro et le macro, comme d’ailleurs chez
Granovetter.
Ce concept est extrêmement utile pour mener des études qualitative des systèmes sociaux et peut comme les autres
types de capital servir à l’étude des données quantitatives.
4) Les formes multiples du capital social
Plusieurs formes de capital social :
obligations et attentes (niveau de confiance et extension de des obligations) : importance de la croyance
(système de confiance mutuelle, relations d’échanges dans une petite communauté, …). Les différences dans la
structure sociale se développent pour différentes raisons : l’existence d’autres sources d’aide, le d’affluence
(qui réduit le montant d’aide dont les autres ont besoin), le degré de clôture du réseau social, l’organisation des
rapports sociaux. La densité des obligations en souffrance signifie que l’utilité des ressources tangibles
possédées par les acteurs dans cette structure sociale est accrue par la disponibilité aux autres acteurs quand ils
en ont besoin. Principe d’asymétrie dans la répartition des obligations.
Une forme essentielle de capital social donne accès à l’information (Katz et lazarsfeld : comment rester à la
mode ?). Il fournit de l’information qui facilite l’action ( la relation est intéressante en raison de l’information
qu’elle fournit et non pour les crédits qu’il offre sous la forme d’obligation.
Les normes constituent aussi une forme de capital social, par exemple lorsqu’elles contraignent au sein d’une
communauté à l’altruisme et qu’elles limitent les comportements égoïstes. Ces normes, comme les autres
formes de capital social, ne facilitent pas seulement l’action, elles la contraignent.
Dans les relations d’autorité, un individu transfère une partie de ses droits et un autre possède alors un droit de
contrôle.
Des associations sont constituées pour servir les desseins de ceux qui les ont initié. Un objectif premier peut
être dépassé et l’organisation sert de nouvelles fins en mobilisant le capital social ainsi constitué.
Parfois le capital social est le résultat d’investissement direct d’acteurs qui attendent en retour des bénéfices de
cet investissement.
Coleman propose ensuite des diagrammes qui représentent les relations de pouvoir entre les divers participants, il
reprend de cette façon-là les divers types de capital social qu’il a mis en évidence.
5) Le capital social comme bien public
L’une des principales caractéristiques du capital social, c’est sans doute qu’il est inaliénable. Il peut être difficilement
échangé et sa valeur tient dans son usage. En tant qu’attribut de la structure sociale, le capital social n’est la propriété
privée d’aucune des personnes qui en bénéficient. L’acteur n’est pas toujours maître des bénéfices qu’il peut retirer
de son capital humain, à la différence du capital physique. Le cas de l’investissement scolaire qui donne accès à un
travail bien rémunéré, à un haut statut social, … n’est pas un la forme générique de la mise en valeur du capital. Par
exemple, lorsque l’on décide de quitter un ville parce qu’une offre de travail est plus intéressante ailleurs, on brise les
relations établies avec ces voisins et amis ; la famille intègre ce coût dans la décision mais leurs proches ne possèdent
pas le même contrôle. En dehors de ces relations de sociabilité, quelqu’un qui rend service à un autre, touche des
bénéfices en termes de capital social, mais celui qui est aidé n’en a pas forcément conscience. La confiance est donné
selon un calcul coût-bénéfice que chacun expérimente. L’information peut être acquise dans un but personnel ou
servir à asseoir sa position (source de déférence et de gratitude). Les normes souffrent aussi du sous-investissement
dans les bien publics. Elles servent à réduire les externalités et bénéficient à ceux qui sont censés les établir, mais la
capacité à établir et maintenir les normes dépend des propriétés de la structure sociale. Certaines formes de capital
social ont la propriété que les bénéfices sont capturés par ceux qui investissent dans ces formes.
Cette caractéristique de bien public confère au capital social sa spécificité :
« Social capital is an important resource for individuals and can greatly affect their hability to act and their perceived
quality of life » (p. 317).
6) La création, le maintien et la destruction du capital social
Les bénéfices des actions que le capital social assurent en s’actualisant, profitent à des personnes différentes de celles
qui ont agi. La plus grande part du capital social apparaît et disparaît sans que personne ne l’ait souhaité.
La clôture du réseau est essentielle pour l’apparition de normes, elle joue aussi un rôle dans le cas des relations de
confiance. La clôture du réseau peut aussi servir à ce protéger en renforçant sa position relative par rapport aux
acteurs les plus puissants. Toutes les formes de capital social dépendent de leur stabilité (à l’exception de celles qui
dérivent d’organisations formelles), la mobilité des individus est potentiellement destructrice et donc du capital qui
dépend de cette structure. L’idéologie peut créer du capital social lorsqu’elle impose à un individu d’agir dans
l’intérêt de quelque chose ou de quelqu’un extérieur à lui (Ex écoles confessionnelles aux Etats-Unis où le capital
social est fort en raison des relations entre l’école et les parents, à travers la communauté religieuse). Au contraire,
une idéologie d’ auto-suffisance peut freiner la création de capital social. Enfin, le capital social est une des formes de
capital qui se déprécie avec le temps.
Conclusion
La lecture de ce texte aussi instructif pour la question des « réseaux » que pour le thème « expliquer et comprendre »,
mais il développe un point de vue très éloigné des recherches, empiriques.
En guise de conclusion, je reprendrai l’analyse que donne Ph. Steiner du rôle du capital social dans la théorie de
Coleman. Selon lui, il existe une opposition majeure entre l’acteur organisationnel (ou organisation formelle) et les
réseaux denses de relations primordiales, à la base de la régulation normative et du capital social. Ces relations denses
et le capital social sont les bases de ma société traditionnelle qui est remise en cause avec l’avènement des acteurs
organisationnels. Et Coleman s’inquiète des problèmes d’éducation, de transmission des normes, valeurs, croyances,
nécessaires à assurer un niveau suffisant de capital social pour les nouveaux entrants dans le système social. On
rejoint alors une des spécificités de la pensée de Coleman qui en fait aujourd’hui une figure originale de la sociologie,
est outre son attachement forcené à la théorie du choix rationnel, la conviction que la sociologie ne peut se dispenser
d’une application pratique. L’implication du sociologue qui doit devenir un véritable « ingénieur social » tranche
avec les prétentions à la neutralité. « Coleman en appelle explicitement à la construction à dessein (« purposive social
construction »), la construction rationnelle de la société (« rational construction ») » (Ph. Steiner). Le sociologue doit
participer à la construction d’acteurs organisationnels capables de fournir le capital social que les formes
traditionnelles de socialisation ne produisent plus.
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