2. L’expérience BIODEPTH
Mais cette complémentarité convient-elle uniquement aux prairies du Minnesota ? Est-elle
universelle ?
Pour le vérifier, un groupe d’écologistes de huit pays européens a lancé, en 1996, la plus
vaste expérience jamais réalisée en écologie : BIODEPTH. La procédure est semblable à celle
de David Tilman. Mais cette fois, l’expérience est à l’échelle d’un continent. La biodiversité de
480 parcelles, dont les espèces sont propres à chaque pays, est scrutée à la loupe.
Pour chacun des huit pays impliqués, les résultats publiés en 1999 confirment de façon
éclatante les observations de David Tilman. Plus la diversité fonctionnelle des espèces est
élevée, plus l’écosystème est productif et plus il résiste efficacement aux perturbations.
Avec la menace des changements climatiques qui pèsent sur nous, ces expériences prennent
encore plus de relief. La biodiversité devient notre meilleure police d’assurance pour résister à
tous les événements extrêmes qui risquent de survenir : sécheresses, déluges, tornades,
inondations, etc. En fait, c’est plus que cela. Cette police d’assurance vaut également pour
tous les types de stress.
3 Un système de défense naturel : la biodiversité
Prenons, par exemple, l’ennemi numéro un de notre forêt boréale : la tordeuse de bourgeons
d’épinette. En moins de cinq ans, cette chenille gourmande peut complètement détruire les
forêts de régions entières.
La méthode pour lutter contre ces dévastations nous est familière : déverser, à répétition, des
milliers de litres d’insecticides. Pourtant, le facteur principal à l’origine de ces grandes
épidémies est maintenant bien connu : les coupes à blanc. Elles favorisent la repousse d’une
seule et même espèce, le sapin.
« Plus ça va, plus on se rend compte que c’est une mauvaise idée, nous dit Jacques Régnière,
entomo-écologiste du Service canadien des forêts. On a eu des exemples très frappants de ça
lorsque la dernière épidémie de tordeuse est passée. On a eu des grandes superficies qui ont
été complètement détruites, tuées, par la tordeuse en raison du fait qu’on avait récolté dans
ces endroits-là, qu’on avait laissé de grands peuplements de sapins, de grandes sapinières
repoussées juste au moment où l’épidémie de tordeuse est passée, ces sapinières étaient
justement à l’âge le plus vulnérable puis quand c’est passé là-dedans, c’est passé comme du
feu, ça a tout détruit.»
Ces deux régions du Québec : la Gaspésie et le sud du Saguenay, sont celles où la tordeuse
de bourgeons d’épinette a causé le plus de dommages lors de son dernier passage. Toutes
deux correspondent à d’anciennes coupes à blanc repeuplées uniquement par le sapin. Par
contre, dans les régions où la forêt avait conservé sa biodiversité : trembles, bouleaux, pins,
épinettes, l’épidémie a été de courte durée et les ravages beaucoup moins sévères.
En fait, les recherches récentes ont démontré que chaque espèce d’arbres a ses alliés
spécifiques : bactéries, champignons, insectes, oiseaux etc., de sorte que dans une forêt
boréale diversifiée, on rencontre plus de 40 espèces ennemies de la tordeuse. La paruline, par
exemple, s’en nourrit. La coccinelle est aussi un grand prédateur de la tordeuse. Toutes ces
espèces aident à contrôler les populations de tordeuses. La Nature, en misant sur la
biodiversité, a tissé son propre système de défense : une toile d’espèces qui interagissent
entre elles et maintiennent un équilibre.
«Puis quand on commence à jouer avec ces structures, on élimine de grands secteurs de
l’écosystème, ajoute Jacques Régnière. On élimine de grandes portions de la chaîne
alimentaire sans connaître vraiment les conséquences de cette élimination. Par exemple,
enlever tous les trembles, tous les feuillus à l’intérieur d’un peuplement de conifères, on sait
immédiatement qu’on enlève une diversité de la faune entomologique. Une bonne partie de la