La biodiversité en péril

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La biodiversité en péril
D’après un reportage de Solange Gagnon (journaliste) et Pascal Gélinas (réalisateur) présenté
à l’émission Découvertes, sur les ondes de Radio-Canada.
Adapté pour Internet par Jean-Charles Panneton et Karine Boucher
En 1986, un mot nouveau a été inventé pour désigner l’extraordinaire richesse des espèces
vivant sur terre : biodiversité. Depuis dix ans, plusieurs découvertes importantes ont mis en
relief tout ce qu’implique la biodiversité, le rôle essentiel qu’elle joue pour l’équilibre de notre
planète.
L’histoire de Mao Zedong, homme d’État chinois, nous en fournit un bel exemple. Dans les
années 1950, pour sauver la Chine de la famine, il a lancé une vaste campagne
d’extermination de tous les oiseaux sous prétexte qu’ils mangeaient les graines lors des
semailles. Mais certaines espèces d’oiseaux mangent aussi des insectes. Et sans ces oiseaux,
les insectes ont proliféré, et se sont attaqués aux récoltes. Dans la nature, chaque espèce a
sa place.
En fait, il y a une multitude d’espèces, de toutes sortes, végétales ou animales, sur terre et
dans les eaux. Pourquoi la Nature affiche-t-elle pareille exubérance? Est-ce un avantage ou
un effet du hasard?
1. David Tilman découvre l’une des lois fondamentales de l’écologie
David Tilman a toujours été fasciné par la beauté du monde, par la passion immodérée que
manifeste la Nature pour la diversité biologique. Dès 1982, ce chercheur de l’Université StPaul, au Minnesota, met sur pied la première expérience scientifique destinée à étudier l’utilité
de cette biodiversité.
Il met en culture 207 parcelles où tout est contrôlé. Certaines contiennent une seule espèce,
d’autres en contiennent plusieurs, toutes issues des prairies du Minnesota. Un travail
titanesque qui nécessitera plusieurs années.
Puis soudainement, en 1988, c’est la catastrophe. La pire sécheresse depuis 50 ans frappe
tout le centre des États-Unis. Toutes les récoltes périssent. Trois milliards de perte pour les
agriculteurs. Pour David Tilman, le travail effectué pendant cinq ans semble anéanti. Mais au
terme de la sécheresse, une observation tout à fait inattendue bouleverse l’équipe : certaines
parcelles ont résisté à la sécheresse.
Nous avons constaté que les parcelles qui ont le mieux résisté à la sécheresse sont celles où
la diversité biologique est la plus grande, nous dit David Tilman. En fait, la productivité des
parcelles composées de une ou deux espèces de plantes est six fois moindre que celles des
parcelles composées de 15 à 25 espèces. Aucun d’entre nous n’avait prévu un tel effet. Ce qui
est important, dans une communauté, c’est le fait que chaque espèce assume une fonction
différente. C’est un peu comme les professions dans nos sociétés. Une société sans éboueurs,
sans médecins ou sans professeurs fonctionnerait mal. C’est la même chose qui se produit
dans un écosystème. Si une espèce disparaît, un certain travail n’est pas fait, le système est
moins efficace.»
David Tilman a découvert l’une des lois fondamentales de l’écologie. Une communauté
naturelle est toujours composée d’espèces dont les rôles, les fonctions, sont
complémentaires. Certaines plantes captent directement l’azote de l’air, d’autres celui du sol.
Certaines vont chercher l’eau en profondeur, dans le sol, d’autres le font en surface. Certaines
croissent en plein soleil, d’autres à l’ombre. Et cette diversité fonctionnelle permet à la
communauté de profiter au maximum de toutes les ressources disponibles.
2. L’expérience BIODEPTH
Mais cette complémentarité convient-elle uniquement aux prairies du Minnesota ? Est-elle
universelle ?
Pour le vérifier, un groupe d’écologistes de huit pays européens a lancé, en 1996, la plus
vaste expérience jamais réalisée en écologie : BIODEPTH. La procédure est semblable à celle
de David Tilman. Mais cette fois, l’expérience est à l’échelle d’un continent. La biodiversité de
480 parcelles, dont les espèces sont propres à chaque pays, est scrutée à la loupe.
Pour chacun des huit pays impliqués, les résultats publiés en 1999 confirment de façon
éclatante les observations de David Tilman. Plus la diversité fonctionnelle des espèces est
élevée, plus l’écosystème est productif et plus il résiste efficacement aux perturbations.
Avec la menace des changements climatiques qui pèsent sur nous, ces expériences prennent
encore plus de relief. La biodiversité devient notre meilleure police d’assurance pour résister à
tous les événements extrêmes qui risquent de survenir : sécheresses, déluges, tornades,
inondations, etc. En fait, c’est plus que cela. Cette police d’assurance vaut également pour
tous les types de stress.
3 Un système de défense naturel : la biodiversité
Prenons, par exemple, l’ennemi numéro un de notre forêt boréale : la tordeuse de bourgeons
d’épinette. En moins de cinq ans, cette chenille gourmande peut complètement détruire les
forêts de régions entières.
La méthode pour lutter contre ces dévastations nous est familière : déverser, à répétition, des
milliers de litres d’insecticides. Pourtant, le facteur principal à l’origine de ces grandes
épidémies est maintenant bien connu : les coupes à blanc. Elles favorisent la repousse d’une
seule et même espèce, le sapin.
« Plus ça va, plus on se rend compte que c’est une mauvaise idée, nous dit Jacques Régnière,
entomo-écologiste du Service canadien des forêts. On a eu des exemples très frappants de ça
lorsque la dernière épidémie de tordeuse est passée. On a eu des grandes superficies qui ont
été complètement détruites, tuées, par la tordeuse en raison du fait qu’on avait récolté dans
ces endroits-là, qu’on avait laissé de grands peuplements de sapins, de grandes sapinières
repoussées juste au moment où l’épidémie de tordeuse est passée, ces sapinières étaient
justement à l’âge le plus vulnérable puis quand c’est passé là-dedans, c’est passé comme du
feu, ça a tout détruit.»
Ces deux régions du Québec : la Gaspésie et le sud du Saguenay, sont celles où la tordeuse
de bourgeons d’épinette a causé le plus de dommages lors de son dernier passage. Toutes
deux correspondent à d’anciennes coupes à blanc repeuplées uniquement par le sapin. Par
contre, dans les régions où la forêt avait conservé sa biodiversité : trembles, bouleaux, pins,
épinettes, l’épidémie a été de courte durée et les ravages beaucoup moins sévères.
En fait, les recherches récentes ont démontré que chaque espèce d’arbres a ses alliés
spécifiques : bactéries, champignons, insectes, oiseaux etc., de sorte que dans une forêt
boréale diversifiée, on rencontre plus de 40 espèces ennemies de la tordeuse. La paruline, par
exemple, s’en nourrit. La coccinelle est aussi un grand prédateur de la tordeuse. Toutes ces
espèces aident à contrôler les populations de tordeuses. La Nature, en misant sur la
biodiversité, a tissé son propre système de défense : une toile d’espèces qui interagissent
entre elles et maintiennent un équilibre.
«Puis quand on commence à jouer avec ces structures, on élimine de grands secteurs de
l’écosystème, ajoute Jacques Régnière. On élimine de grandes portions de la chaîne
alimentaire sans connaître vraiment les conséquences de cette élimination. Par exemple,
enlever tous les trembles, tous les feuillus à l’intérieur d’un peuplement de conifères, on sait
immédiatement qu’on enlève une diversité de la faune entomologique. Une bonne partie de la
diversité disparaît avec ça. On sait immédiatement que ça va avoir une tendance
déstabilisatrice sur les populations d’insectes nuisibles qui peuvent se manifester dans ça.
4. Les extinctions massives
Toute l’histoire de l’évolution des espèces est une course continuelle entre la vie et la mort,
entre l’apparition de nouvelles espèces alors que d’autres disparaissent. Ces changements
sont des phénomènes naturels qui se produisent lentement. Toutefois, certains chapitres de
l’évolution sont marqués par des extinctions massives, catastrophiques. La plus connue est
sûrement celle des dinosaures. Quelque 900 espèces sont disparues, il y a environ 65 millions
d’années. La collision d’une météorite avec la Terre en serait la cause. Mais ce n’est pas la
seule grande extinction. On en recense au moins quatre autres aussi massives avant celle des
dinosaures.
Ce qui est inquiétant, c’est que depuis quelques années, des espèces à nouveau se portent
mal et disparaissent à un rythme accéléré. Par exemple, le temps de diffuser une émission de
Découverte, et trois espèces auront disparu à tout jamais. Les experts sonnent l’alarme.
Certains parlent même d’une sixième extinction, encore plus grave que toutes les autres.
À cause d’un changement climatique majeur, il y a environ 10 000 ans, le mammouth est
disparu de notre planète. Aujourd’hui, il n’en reste que des monuments.
5 La sixième extinction
L’édifice du patrimoine naturel du Canada, près d’Ottawa, rassemble des pensionnaires qui
ont connu le même sort que le mammouth. On y trouve, entre autres, le bison antique, le
mastodonte, le castor géant et bien d’autres.
Le responsable des collections, Michel Gosselin, a aussi la garde d’un pensionnaire beaucoup
plus récent, la tourte, dont la disparition, au début du XXe siècle, a semé la consternation :
«La tourte était l’oiseau le plus abondant en Amérique du Nord au début du XIXe siècle. Et
puis, dans une période d’environ 40 ans elle est disparue complètement de la surface de la
Terre. Elle est passée de plusieurs millions à plusieurs centaines jusqu’à l’extinction entre
1880 et 1910. La chasse par les humains est la seule raison de sa disparition.»
Comment l’oiseau le plus abondant de notre continent a-t-il pu disparaître aussi rapidement ?
La tourte aimait les grands rassemblements. Lors de ses grandes migrations, le ciel
s’obscurcissait sous le nombre, raconte-t-on. La chasse était donc facile. Un bon chasseur
pouvait en tuer quelques milliers en une journée. Et lorsque l’on a constaté l’ampleur du
désastre, il était trop tard.
Aujourd’hui, il ne reste de cet oiseau, que quelques spécimens empaillés visibles dans les
musées. Des photographies prises au Jardin zoologique de Cincinnati, montrent la dernière
survivante, Martha, morte le 1er septembre 1914.
Michel Gosselin possède bien d’autres pensionnaires disparus à la suite de chasses
excessives. Le grand pingouin, qui fréquentait les îles de l’Atlantique-Nord, de l’Islande aux
Îles-de-la-Madeleine, est disparu au milieu du XIXe siècle, chassé par les marins. Le canard
du Labrador, une espèce moins nombreuse, est aussi disparu au milieu du XIXe siècle. Le
tétras des prairies est disparu de la Côte Est américaine au début du XXe siècle. La cornure
de Caroline, seul perroquet indigène au nord du Mexique est disparue au début du XXe siècle,
chassée surtout par les agriculteurs. Un dernier exemple : le courlis esquimau, une espèce qui
regroupait des centaines de milliers d’individus, est disparu il y a quelques années.
Grâce à l’adoption d’un règlement sévère pour contrôler la chasse aux oiseaux migrateurs,
plusieurs espèces ont échappé de justesse à l’extinction. C’est le cas de la grue blanche
d’Amérique. À peine 200 individus survivent encore aujourd’hui au nord de l’Alberta. Depuis,
nos mœurs ont changé. Mais pas forcément pour le mieux.
6. La destruction massive des habitats
Aujourd’hui, la destruction massive des habitats est la plus grande menace qui pèse sur la
biodiversité. La dévastation de la forêt amazonienne nous est bien connue. On exploite
intensivement différentes espèces d’arbres pour la qualité de leur bois ; de larges pans de
forêt sont également brûlés pour être transformés en terrains d’élevage. L’extrême pauvreté
des populations locales contribue également à cette destruction. Complètement démunies,
elles grignotent peu à peu la forêt pour subsister.
Le même phénomène se reproduit dans les deux autres grandes zones tropicales du monde :
le bassin du Congo et la Nouvelle-Guinée. Le drame, c’est qu’en agissant de la sorte on
détruit à jamais les grandes zones tropicales sauvages du monde, là où la biodiversité est la
plus riche.
Un autre élément vient s’ajouter à ces pressions. Les zones tropicales du Sud sont celles où la
population s’accroît le plus rapidement. Cela explique pourquoi la forêt tropicale régresse
partout de façon dramatique. Chaque année, c’est l’équivalent de la superficie de l’État de la
Floride qui disparaît.
À ce rythme, dans 25 ans, à peine un cinquième de la forêt sera encore debout. Chaque
année, inexorablement, de nombreuses espèces disparaissent. D’autres sont au bord de
l’extinction.
7. Quelque 11 046 espèces menacées de disparaître
Devant cette hécatombe, l’Union mondiale pour la conservation de la nature publie chaque
année un bilan des espèces en danger. Il s’agit de la liste rouge, élaborée par 600 biologistes
oeuvrant aux quatre coins du monde. 11 046 espèces de plantes et d’animaux y figurent : ces
espèces de notre planète sont en train de disparaître.
Le pire, c’est qu’au début du troisième millénaire, le rythme de disparition est de 50 à 100
fois plus rapide que celui d’avant l’ère industrielle. Plusieurs spécialistes craignent une sixième
extinction.
«Si on considère l’extinction actuelle comme une sixième extinction comparable avec les
grandes extinctions du passé la grosse différence c’est que les grandes extinctions du passé
sont arrivées abruptement, nous dit Luc Brouillet, professeur et chercheur à l’Institut de
recherche en biologie végétale. C’est un phénomène écologique global qui a été modifié. Mais
par la suite la pression n’était plus là. Donc la vie reprenait son rythme avec les mêmes
paramètres d’extinction et de spéciation. En d’autres mots, quand il y avait un certain nombre
d’espèces qui disparaissaient, il y en avait d’autres qui apparaissaient entre-temps.
Aujourd’hui, ce n’est plus ça qui se passe parce que la pression exercée par l’Homme (enfin
jusqu’à temps que l'on disparaisse) est continuelle, elle n’arrête pas. Ce n’est pas un
événement ponctuel qui prend fin. L’Homme continue d’exercer des pressions sur toutes les
autres espèces, et ce, même à la suite de la disparition d’une espèce. Par la suite, une autre
espèce va s’éteindre. C’est normal, la population humaine continue de croître. On occupe
donc plus d’espace sur la planète.»
8. Une biodiversité mal connue
Le pire dans tout ça, c’est que personne ne sait exactement ce qui est détruit. C’est Terry
Erwin, le célèbre entomologiste américain, qui le premier, en a fait la démonstration dans la
forêt tropicale du Panama, en 1982.
Il a étudié la voûte de cette forêt tropicale. Un travail remarquable qui sert encore de
référence. En fait, c’est dans cette voûte appelée canopée que l’on trouve la plus grande
diversité d’espèces. Mais quoi exactement ? Les connaît-on toutes ? Pour le savoir, Terry
Erwin a utilisé un insecticide foudroyant, ce qui lui a permis de capturer dans des bâches
étendues sur le sol, tous les insectes présents. L’expérience a été répétée trois années
consécutives sur 19 arbres de la même espèce. Pour chaque arbre étudié, 80% des espèces
recueillies étaient absolument inconnues des spécialistes.
Grâce à ces travaux, on a compris que les espèces répertoriées jusqu’à ce jour ne
représentent qu’une petite partie de la biodiversité réelle. D’autres études ont suivi. Toutes
ont démontré notre ignorance. On croyait que le monde vivant regroupait 1,7 million
d’espèces de plantes, d’animaux, on est bien loin de la réalité. Les estimations varient selon
les études. Trente millions d’espèces est un chiffre assez largement accepté. La biodiversité
connue n’est donc que la partie visible de l’iceberg.
Nous détruisons aveuglément la fameuse toile, le réseau d’espèces que la Nature a mis des
millions d’années à organiser, à tisser. Et on ignore totalement quelles en seront les
conséquences.
«On est incapable de prédire dans les écosystèmes quand on pourra avoir un événement
catastrophique suite à une accumulation de disparitions, ajoute Luc Brouillet. C’est inquiétant
parce que ça veut dire qu’on ne sait pas. Présentement, l’Homme, par sa négligence face aux
écosystèmes, face aux espèces, joue un rôle d’apprenti sorcier dangereux parce que l’on ne
sait pas à quel moment nous allons causer un désastre. Lorsqu’on fera disparaître une espèce
de poisson ça pourra entraîner des catastrophes en cascade. À quel moment, est-ce que le
taux de pollution va être tellement élevé que ça va entraîner une catastrophe par un effet
seuil. On ne sait pas ce que l’on fait avec l’environnement.»
9 La protection des écosystèmes
Le tamarin doré l’a échappé belle. La destruction progressive de son habitat exclusif, la forêt
brésilienne, a réduit sa population sauvage à moins de 100. Pour le sauver, il a fallu recourir à
des mesures exceptionnelles, garder l’espèce dans des parcs, des jardins zoologiques ou
comme ici au Biodôme de Montréal. Ces populations protégées atteignent maintenant
quelques 1500 individus.
De tels programmes de restauration ne peuvent être appliqués pour sauver chacune des 11
046 espèces menacées. Notre seule chance d’y parvenir est de protéger les écosystèmes.
Une centaine d’écologistes sous la coordination de l’Université d’Oxford, en Angleterre, ont
élaboré un audacieux projet de conservation. Ils ont identifié sur l’ensemble du globe, les
points chauds où l’on retrouve la plus grande diversité biologique. En plus des trois grandes
forêts tropicales encore sauvages, 25 points chauds ont été reconnus comme devant être
protégés à tout prix. Pourquoi ? C’est que même si ces 25 points chauds ne représentent que
1,4% de toutes les terres de la planète, on y trouve, encore aujourd’hui, 33% des espèces de
vertébrées et 44% des espèces de plantes du monde.
Mais il faut faire vite car dans tous ces sites, la moitié des habitats sont déjà détruits. Pour
Madagascar, le Vietnam et les Philippines, les trois quarts des habitats ont disparus.
Combien coûterait pareille entreprise de conservation ? 2,5 milliards de dollars. À peine le
double de ce qu’a coûté la mission Pathfinder sur Mars, pour trouver des traces de vie. 2,5
milliards pour sauver près de 50% de notre patrimoine vivant. 400 fois moins que les 1000
milliards que dépensent chaque année en armements les pays de notre planète.
«C’est un objectif de l’Humanité, nous dit Jean-Luc Desgranges, écologiste à Environnement
Canada. Les humains devraient prioriser la protection de ces 25 endroits qui renferment une
bonne proportion de la biodiversité.»
On peut s’étonner qu’aucun des points chauds ne soient situés dans les latitudes plus
nordiques. Pourtant, chez-nous aussi la biodiversité est essentielle à l’équilibre des
écosystèmes.
«C’est certain qu’en milieu tropical il y a une très grande diversité d’espèces, ça tient aux
conditions climatiques et ça tient aussi au fait qu’elles ont eu beaucoup plus de temps pour se
développer, nous explique Jean-Luc Desgranges. Il n’y a pas eu de glaciation dans le milieu
tropical. Le processus de la création des espèces a été plus long. Mais au nord du Mexique,
savez-vous où l’on retrouve le plus grand nombre d’espèces d’oiseaux nicheurs ? Et bien c’est
chez-nous. Les forêts mixtes que l’on retrouve dans la vallée du Saint-Laurent, c’est l’endroit
où il y a le plus d’oiseaux nicheurs, au nord du Mexique. Et la raison étant que l’on retrouve
des espèces qui appartiennent à la fois aux forêts feuillues et les espèces qui appartiennent
aux forêts de conifères. Vous avez un exemple d’un groupe animal qui est plus diversifié à la
période de nidification dans les régions situées plus aux nord.»
Pour maintenir les populations de nos oiseaux nicheurs, la solution nous est bien connue :
sauvegarder nos forêts, éviter les coupes à blanc. D’autres habitats, les étangs et les marais
jouent aussi un rôle important pour le maintien de la toile. Or, au Canada, ils sont fortement
menacés. Dans les zones habitées, 90% de ces milieux humides ont été remblayés. Pourtant,
à leur manière, ils jouent un rôle essentiel. Ils filtrent l’eau, favorisent la prolifération des
poissons, amphibiens, reptiles, accueillent la sauvagine qui s’y nourrit, s’y reproduit.
Aujourd’hui, grâce à l’action de nombreux bénévoles, des espèces magnifiques comme le
canard branchu se portent beaucoup mieux.
Un autre exemple : les haies. Ces écrans naturels servent d’abris contre le vent. Sans eux, le
sol arable s’envole sous la bourrasque. À proximité des cours d’eau, les racines de ces arbres
stabilisent les sols et empêchent les éboulis. Depuis quelques années, on met beaucoup
d’efforts pour reconstituer le réseau de haies que l’on a jadis coupées. Elles favorisent la
repousse d’une centaine d’espèces de plantes.
Une quarantaine d’espèces d’oiseaux, d’amphibiens, de reptiles, et d’insectes reviennent s’y
installer. La toile reprend vie. D’autres exemples de notre biodiversité sont beaucoup plus
spectaculaires.
«Vous savez qu’à l’embouchure du Saguenay c’est l’endroit dans le monde où l’on peut
observer le plus grand nombre d’espèces de baleines, ajoute Jean-Luc Desgranges. Cela
montre que malgré que l’on soit dans un milieu relativement proche de la civilisation et puis
des gens, nous avons un secteur d’une importance écologique mondiale.»
En fait, les baleines sont attirées par la nourriture qui abonde là où le Saguenay se jette dans
le fleuve. Les conditions d’oxygénation de l’eau y sont exceptionnelles. Des espèces
minuscules, comme le krill, en profitent et se multiplient à foison. L’attrait qu’exercent les
grands mammifères est indiscutable. La nécessité de les protéger a suscité la création de
nombreux programmes de recherches.
Par ailleurs, nos connaissances en écologie ont progressé sur bien d’autres plans. Depuis une
vingtaine d’années, l’environnement a fait son entrée à l’université. Des départements ont été
créés.
Conclusion
Mais tout ça se passe au Nord, dans notre hémisphère. Pourtant, c’est la biodiversité du Sud
qui est la plus menacée.
«C’est un dilemme qui m’amène à dire qu’il faudrait que le Nord fasse plus d’effort pour aider
le Sud, nous dit Claude Hamel. Et les efforts sont à tous les niveaux. Aussi bien au niveau
économique qu’au niveau de la formation.»
En plus d’enseigner à l’UQAM, Claude Hamel est responsable d’un programme de formation en
biodiversité dans les pays francophones d’Afrique. Les moyens sont dérisoires alors que la
tâche à accomplir est immense. En fait, ces programmes existent depuis la signature, en
1992, de la Convention de Rio sur la diversité biologique. À l’époque, cette Convention avait
suscité beaucoup d’espoir, mais les États-Unis ont toujours refusé de ratifier cette entente. Ils
s’opposent au partage équitable des profits tirés de l’exploitation des ressources du Sud. Les
États-Unis, en somme, refusent de reconnaître que le sort de la biodiversité est entre les
mains des pays du Nord.
«Je pense que cette conscience-là existe, ajoute Claude Hamel. Mais ça ne se traduit pas très
rapidement par des gestes concrets. Et c’est là que c’est dangereux. Le temps joue contre
nous. Il faut des actions concrètes et rapides. Je ne sais pas ce qu’il faut faire pour que le
Nord comprenne. Mais actuellement, je ne vois pas d’action concrète ou du moins très rapide
qui fait que ça va changer du jour au lendemain.»
Tout indique qu’une extinction majeure est sur le point de se produire, conclut David Tilman.
Elle n’est pas due à une cause extérieure comme une météorite mais à l’activité humaine.
D’ici 50 ans, nous pourrions éviter la majorité de ces impacts. Sinon les générations à venir
pourront se demander avec étonnement pourquoi nos ancêtres étaient-ils aussi stupides,
pourquoi n’ont-ils pas compris l’importance de la biodiversité, pourquoi ont-ils laissé tant
d’espèces disparaître?»
L’entrée dans le troisième millénaire s’est faite sous le signe du luxe, du faste, de la fête. Mais
pendant ce temps, la biodiversité continue de disparaître.
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