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Une vérité démontrée est-elle définitivement établie ?
Analyse du sujet :
Démonstration : Raisonnement déductif destiné à établir la vérité d'une proposition à partir
de prémisses considérées comme vraies. déduction.
Vérité : Connaissance conforme au réel, conformité de la pensée à la réalité. Ce que je pense
ou dit correspond à ce qui est pensé ou dit.
Définitivement : D'une manière définitive. Irrémédiablement, irrévocablement. Il est parti
définitivement, pour toujours.
Définitif : Qui est fixé une fois pour toutes; qui ne change plus
Etabli : installé de manière stable.
Reformulation et compréhension du sujet :
Une vérité déduite à partir de prémisses considérées comme vraies est-elle valable une bonne fois
pour toute ? Une vérité démontrée a-t-elle une valeur immuable ?
Certes une vérité scientifique peut être provisoire dans la mesure son objet peut changer, devenir
obsolète, ou évoluer. Si on considère aujourd’hui que toute théorie scientifique est falsifiable et que le savoir
scientifique ne peut progresser quen dénonçant les erreurs du passé, en remplaçant les solutions erronées par
de nouveaux savoirs, mais cet argument est valable pour les sciences humaines, ou les sciences de la vie par
exemple, peut-il l’être pour une science purement démonstrative comme les mathématiques ou la logique ?
Développement :
I Seul le raisonnement démonstratif ou déductif peut, contrairement au raisonnement inductif produire des
énoncés indiscutables.
Nous sommes tous tentés de dire qu’un énoncé scientifique est vrai dés lors qu’il a été confirmé par le dispositif
expérimental. L'expérience particulière deviendrait alors la preuve d'une loi générale. C’est le problème de
l'induction : à partir de constatations singulières, tirées de l'observation, comment parvenir à des propositions
générales susceptibles de former une théorie ? Comment à partir de cas particuliers, conclure à l’existence de
lois générales ?
Pour Karl Popper (Philosophe et épistémologue,1902-1994) une telle induction ne peut fonder la vérité d'un
énoncé ou d'une théorie. En effet les faits expérimentaux, à titre de contre-exemples, peuvent réfuter une
théorie, mais non, à proprement parler, la vérifier. Ainsi toute théorie est en effet un énoncé universel (du
genre : tous les cygnes sont blancs ou tous les corbeaux sont noirs), c'est-à-dire un énoncé valable pour la
totalité des phénomènes. Or un tel énoncé peut toujours être démenti par l'expérience. Il suffit d’observer un
phénomène qui contredise cet énoncé. Il est ainsi logiquement impossible d’affirmer que le bois flotte sur l'eau,
ou que tous les cygnes sont blancs, car il faudrait les recenser tous. Alors qu'il est facile de montrer que de tels
énoncés sont faux si l'on peut montrer un seul cygne noir, ou si l'on veut faire flotter un bout de bois d'ébène
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(l’ébène est un bois plus lourd que l’eau, il ne flotte donc pas). Il est impossible de démontrer qu'un théorie qui
porte sur la réalité ou le monde est vraie. Aucune théorie n'est vérifiable.
On peut donc montrer qu'une théorie est fausse (il suffit de trouver une contre »-exemple), mais on ne peut pas
montrer qu'elle est vraie, parce que, aussi confirmée qu'elle soit, elle peut toujours être démentie. "Nous ne
pouvons pas examiner avec minutie le monde entier afin d'établir que quelque chose n'existe pas, n'a jamais
existé et n'existera jamais. Et c'est pour cette raison que les énoncés scientifiques ne sont pas vérifiables"
(Popper). Toute théorie peut être déclarée fausse, aucune ne peut être déclarée vraie. Toute théorie est
falsifiable. Toute théorie peut être falsifiée par l'expérience. L’expérience ne peut prouver aucune théorie, elle
ne peut que la confirmer ou la réfuter.
Seuls les énoncés singuliers ne sont pas falsifiables. Si je vois des corbeaux blancs et que je dis "il y a des
corbeaux blancs", mon énoncé n'est pas et ne peut être faux, puisqu'il concerne des choses que je vois ou
observe (énoncé d’événement observé). En revanche si je dis "les corbeaux sont noirs", j'affirme quelque chose
que je ne peux prouver, qui peut être contredit par un autre énoncé: "j'ai vu des corbeaux blancs". Il n'y a pas de
théories vraies, mais seulement des théories non encore fausses.
Puisque toute théorie scientifique peut être falsifiée par l’expérience, ne doit-on pas affirmer que ne peut être
vraie qu’une théorie qui peut se passer de l’expérience ? Platon pensait que la science ne serait science qu'à la
condition de se passer de l'expérience: la science devait consister pour lui à déduire « sans jamais recourir
au sensible ». Si la science était essentiellement déductive, l'expérience est ce dont, en droit, elle devrait
pouvoir se passer.
Parce que dans la démonstration la puissance de la logique se trouve libérée de toute entrave, de toute
référence avec la nécessité de consulter des faits pour savoir si ce que lon dit est vrai, la démonstration nous
oblige à reconnaître la vérité comme ce qui est indépendant de nos opinions personnelles, comme ce qui est
valide pour tout esprit rationnel. Rien ne semble pouvoir empêcher une vérité démontrée, sinon des obstacles
psychologiques (fatigue, inattention, méconnaissance des prémisses), de s’imposer de manière définitive à
tous les esprits. Ainsi si à lintérieur du système de la géométrie dEuclide, on démontre que la somme des
trois angles dun triangle forment 180°, équivalent à deux droits, rien ni personne ne pourra contester ce
résultat. On dressera pour cela des parallèles aux côtés du triangle, on examinera les équivalences des angles
alterne/internes et on démontrera queffectivement la proposition « les trois angles du triangle font deux
droits » est nécessairement et donc définitivement vraie.
Mais une vérité démontrée ne peut avoir de valeur définitive que si la démonstration qui l’a établie
repose elle-même sur deux propositions définitivement vraies que l’on appelle prémisses. Si la valeur
de celles-ci est sujette au doute alors le résultat de la démonstration ne peut être indubitable.
Aussi la conclusion du raisonnement démonstratif, les axiomes, ne peut être admise que si l’on
accepte les règles dinférence du système logique dans laquelle elle prend place, c'est-à-dire les axiomes. Or
au 19e siècle des mathématiciens (Lobatchevski, 1829, Riemann, 1850) ont montré que certains axiomes
de la géométrie euclidienne n'étaient pas aussi évidents qu'on le pensait jusqu'ici. Par exemple celui qui
énonce que le tout est plus grand que la partie ne vaut que pour les ensembles finis. Cet axiome ne convient
plus dans la mathématique des ensembles infinis. La vérité des Eléments d'Euclide est relative à un certain
système d'axiomes et n'est donc pas universelle. Les axiomes, dans le langage de l’axiomatique moderne, ne
sont plus considérés comme des propositions de départ évidentes, mais comme des règles opératoires, des
fonctions propositionnelles. C’est pour cette raison qu’on remplacera le mot « démonstration » par le mot
« dérivation », qui évoque seulement la dépendance logique sans rien préjuger quant à la vérité. Une
proposition ou une formule déduite d’un axiome sera « dérivée ». Dans le langage de l’axiomatique
moderne les axiomes ne sont plus considérées comme des propositions de départ évidentes, mais
comme des règles opératoires, des fonctions propositionnelles. C’est pour cette raison qu’on
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remplacera le mot « démonstration » par le mot « dérivation », qui évoque seulement la
dépendance logique sans rien préjuger quant à la vérité. Une proposition ou une formule déduite
d’un axiome sera « dérivée ». On comprend bien alors la justesse de la boutade célèbre de Russel
par laquelle il caractérise la mathématique ainsi axiomatisée: une science l’on ne sait ni de quoi
on parle, ni si ce qu’on dit est vrai.
2) le doute sceptique réfute l’existence de toute vérité définitive
Mais alors l’affirmation selon laquelle la science ne peut établir aucune vérité définitive ne nous
conduit-elle pas au scepticisme. Il s’agit d’une Doctrine qui affirme que l’esprit humain ne peut
atteindre avec certitude aucune vérité. Cette doctrine a été soutenue par le célèbre sceptique grec
Pyrrhon au IVe siècle AV-JC (On utilise aussi le terme pyrrhonisme pour scepticisme).
Mais on peut objecter au scepticisme qu’il se contredit lui-même. Car dire que « la vérité n’existe pas » c’est
nécessairement supposer que ce que l’on dit est vrai (la vérité est que la vérité n’existe pas). L’énoncé de
base du scepticisme serait logiquement impossible car son énonciation contredit son énoncé (les conditions de
l’énoncé: je pense que; contredisent le contenu de l’énoncé: la vérité n’existe pas). Rien ne peut être énoncé
sans que la vérité ne le sous-tende.
Le sceptique quand il dit qu’il doute, qu’il s’interroge sur ce qu’il sait (que sais-je?); Quand « il dit qu’il
doute, il se trahit en assurant au moins qu’il doute ». Dans l’affirmation triomphante du doute, de l’ignorance
sûre d’elle-même pointe l’idée même de la vérité. Le doute sceptique se détruit lui-même: « il met toutes
choses dans un doute universel et si général, que ce doute s’emporte soi-même, c’est-à-dire s’il doute, et
doutant même de cette dernière supposition, son incertitude roule sur elle-même dans un cercle perpétuel et
sans repos » (Entretien avec Monsieur de Sacy, P. 293). Le doute sceptique est ce doute extrême qui doute de
soi, qui s’annule lui-même dans son universalité destructrice. Doute auto-destructeur. Un sceptique
conséquent devrait tant douter de tout qu’il devrait douter de son scepticisme même! Le scepticisme absolu
est impossible, aussi impossible que le pessimisme absolu. Pascal faisait remarquer que le désespéré qui va se
pendre n’a pas perdu tout espoir puisqu’il croit que son sort s’améliorera avec sa mort. La vérité est comme
cela on ne s’en débarrasse pas aussi facilement.
Il y a dans tout discours une prétention à la vérité même si cette prétention à la vérité n’est ni prouvée, ni
démontrée. Même indémontrable, la vérité est le présupposé de tout discours.
Conclusion
Il nous faut discuter à la fois avec le scepticisme (pyrrhonisme) qui nous dit incapable de découvrir une
vérité définitive et avec le dogmatisme qui prétend pouvoir tout démontrer.
D’une part Vouloir tout démontrer, comme le voudrait le rationalisme, c’est oublier que nous ne pouvons
fonder la vérité et que nous sommes condamné à la recevoir ou à la présupposer. Mais d’autre part, affirmer
qu’aucune vérité ne peut être définitivement établie ne signifie pas comme le pense le sceptique que tout soit
incertain, et que par conséquent la démonstration soit inutile. Car il y a d’autres chemins de certitude et c’est
ce qui nous empêche de douter de tout. Il n'est pas possible de « prouver que la vérité est insaisissable».
Pascal reprendra l'idée dans son propre style, marqué au coin du génie de la communication publicitaire : « Il
se peut faire qu'il y ait de vraies démonstrations, mais cela n'est pas certain. Aussi cela ne montre autre chose
sinon qu'il n'est pas certain que tout soit incertain. À la gloire du pyrrhonisme » (L 521).
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