Historique de la fondation de l’Ordre de Malte
Les deux sources principales dont nous disposons à propos de la première croisade, les récits
de Guillaume de Tyr et de Jacques de Vitry, s’accordent sur un point. Lorsque les croisés
entrèrent dans Jérusalem, le 15 juillet 1099, ils trouvèrent, déjà installé, un petit hôpital pour
les pèlerins, Xenodochium, administré par « un certain Gérard », « homme d’une vie sainte et
d’une religion éprouvée ». De fait, par la tolérance du calife du Caire, des marchands
d’Amalfi, qui commerçaient avec la Terre Sainte, avaient fondé, dans le milieu du XIe siècle,
un monastère bénédictin à proximité du Saint-Sépulcre. A ce monastère, qui portait le nom de
Sainte-Marie Latine, étaient adjoint une communauté de femmes et un premier hospice, placé
sous le patronage d’un Saint-Jean dit l’Aumônier, patriarche d’Alexandrie au début du VIIe
siècle. C’est dans ce premier monastère que Gérard « servait dévotement les pauvres ».
Pauvres, pélerins, malades : dans le vocabulaire du temps ce sont des réalités confondues,
comme sont confondus, dans le même lieu, les différents services qui leur sont offerts :
héberger, soigner, nourrir, protéger. Quant à la motivation, elle apparaît clairement dans le
chapitre de la Règle de Saint-Benoît consacré au soin des hôtes du monastère (chapitre 53) :
Omnes supervenientes tamquam Christus suscipiantur (tous ceux qui surviennent, quels qu’ils
soient, seront reçus comme le Christ) : l’accueil de tous indistinctement parce que le pauvre
ou le malade c’est le Christ lui-même.
Qui était Gérard et d’où venait-il ? La question des origines italiennes ou provençales a fait
couler beaucoup d’encre et aucun document historique déterminant ne permet de trancher la
question. Ce qui semble certain c’est que la personnalité de cet homme et l’efficacité de son
action ont impressionné les croisés, au point que des donations importantes furent faites
immédiatement en faveur de son œuvre, à commencer par celles de Godefroi de Bouillon lui-
même, et que « des hommes honnêtes et religieux » voulurent rejoindre Gérard. C’est la
conjonction de ces deux choses qui va amener Gérard à la fondation d’une institution
indépendante qui deviendra l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem.
Se séparant de la tutelle du monastère bénédictin, Gérard et ses compagnons firent une
véritable profession religieuse, adoptant un habit noir avec « une croix blanche à l’endroit du
cœur » et s’engageant « à vivre selon une règle et des institutions honorables ». Dans le même
temps, avec les dons reçus, Gérard reconstruisait en l’agrandissant l’établissement primitif, le
plaçant désormais sous le patronage de Saint Jean-Baptiste, figure plus familière aux croisés
et aux donateurs occidentaux. Le chroniqueur Jacques de Vitry fait l’éloge de ces premiers
compagnons : « ils s’adonnaient à la prière, accomplissaient de nombreuses œuvres de
miséricorde » étant « économes et austères pour eux-mêmes » mais se montrant « larges et
compatissants à l’égard des pauvres et des malades qu’ils appelaient leurs seigneurs ». « Tout
le monde les aimait car Dieu était avec eux ».
Au bout de quelques années une décision pontificale vint confirmer solennellement la
nouvelle fondation. Par la bulle Pie postulatio voluntatis du 15 février 1113 le pape Pascal II,
« enthousiasmé par la pieuse ardeur » de Gérard, approuvait la fondation, en garantissait
l’existence et les biens, la plaçant désormais sous la tutelle directe du Saint-Siège. Ce
document important nous apprend qu’en plus de l’hôpital de Jérusalem d’autres maisons
étaient désormais établies à Saint-Gilles du Gard, Asti, Pise, Bari, Otrante, Tarente et
Messine ; le pape disposait enfin qu’après Gérard, « fondateur et recteur » de l’hôpital, « seul
pourra [lui] succéder dans [sa] charge celui que les frères profès éliront avec l’aide de Dieu ».
Cette décision pontificale transforme la fondation de Gérard en un véritable ordre religieux
possédant les droits nécessaires pour s’administrer en toute indépendance et prévoyant sa
continuité dans l’avenir.