Ce texte est la deuxième partie des Méditations personnelles sur la philosophie
élémentaire, que nous n’avions pas fait paraître avec notre traduction de la première
partie théorique (Méditations personnelles sur la philosophie élémentaire, Vrin 1999)
en raison du caractère trop elliptique et inachevée de cette partie pratique. Nous la
mettons néanmoins à la disposition des lecteurs intéressés en spécifiant bien qu’il ne
s’agit que d’un Working paper, d’une traduction provisoire au lexique flottant et
multiples problèmes demeurés en suspens. Cette traduction a été achevée en 1994
par Isabelle Thomas-Fogiel (Paris 1, philosophie) et relue en 1995 par Anne Gahier
(Rennes II, allemand). Elle n’a pas été reprise depuis cette date et n’a donc pas
bénéficiée des avancées notamment au niveau du lexique- de la recherche de ces 10
dernières années. Elle doit donc être révisée.
Cette traduction a été faite à partir de G.A. La partie pratique, qui suit la partie
théorique commence à la page 181. Sur la situation nérale du texte dans l’œuvre
de Fichte, nous nous permettons de renvoyer le lecteur à notre présentation de la
première partie théorique mais nous attirons néanmoins son attention sur deux
points qui nous semble faire de ce document, écrit en 1793, un témoignage de la plus
haute importance sur la genèse du système : 1) En dépit du titre, il n’est moins
question ici de la loi morale de la Critique de la raison pratique que de la Critique de
la faculté de juger. Fichte s’y livre à un long commentaire du texte kantien, à une
explicitation approfondie du beau et du sublime, et découvre progressivement des
notions qui deviendront cardinales dans sa philosophie (par exemple celle de
Streben). C’est cet éveil du concept fichtéen au sortir de sa gangue kantienne que
nous offre ce manuscrit, annonciateur de l’envol d’Iéna. De plus, on verra que
Fichte ici, contrairement à ce qu’il fera par la suite, utilise énormément d’exempla,
cite à profusion (Molière, Diderot, Mendelssohn, etc.) livrant ainsi, comme en
passant, un début de réponse à ce qui est longtemps restée un mystère pour ses
commentateurs : ses sources, références et lectures en dehors de Kant. Ces deux
raisons font de ce texte un document décisif pour qui travaille sur la genèse de la
doctrine de la science et partant la naissance de l’idéalisme allemand.
PHILOSOPHIE PRATIQUE
a) PASSAGE comme RESULTAT DE LA RECHERCHE THEORIQUE
Ap - Ai
Dans la représentation du Non-Moi, Ai est Un, par la loi qu'il se donne à lui-même pour
la spéculation. Mais cette loi ne vaut qu'à condition qu'il y ait spéculation. Quant à Aa, il
est, par sa manière d'agir, déterminant ; sa manière d'agir consiste précisément à se
déterminer lui-même.
Aa se détermine lui-même par lui-même. Ai détermine, par lui-même, -A. Mais par
même, nous obtenons deux A. Or A doit être un et doit être seulement A. Cette
contradiction ne peut être levée qu'à partir d'un x, c'est à dire :
x = A qui détermine, par la détermination de soi, également -A. Mais cela entre en
contradiction avec la philosophie théorique et ne peut donc être admis sans condition.
Cette contradiction radicale devrait, vraisemblablement, nous frayer un nouveau et ultime
chemin.
A, par son auto- détermination, donne une loi à -A ; mais cela ne signifie pas ici, comme
dans la philosophie théorique, qu'il lui donne cette loi en vue de saisir la condition de sa
connaissabilité, mais il lui donne cette loi en vue de son être, en vue de l'existence en
général, c'est-à-dire en vue de sa nature.(beschaffenheit)
Comment A se détermine t-il lui-même ? Je crois que c'est selon l'existence. Mais que
veut dire Etre en général ? Je pense que cela signifie "être posé". Mais dans le premier
principe, -A est d'une toute autre manière que A. Comment déceler leur genre commun et
leur différence spécifique ? Les deux (A et -A) sont posés. On pourrait dire que A est
posé comme quelque chose de positif, et que -A est posé comme quelque chose de négatif
; mais qu'est ce que cela signifie ? A se pose lui-même, -A est posé par A. Mais ceci n'est
pas encore tout à fait clair. A est en soi, -A n'est que par sa relation à A ; Ce dernier point
est, certes, exact, mais n'est pas encore déterminé suffisamment clairement. Que signifie
"une nature" en général ? On pourrait dire, et ce serait à juste titre, que A n'a pas de
nature et que -A a une nature (ist Beschaffen, est naturé). En effet, A a, en soi,
l 'existence pure ; toutes les qualités ( beschaffenheiten) qu'il possède, il les reçoit- que ce
soit comme intelligence ou comme pouvoir pratique- dans sa relation à -A. A n'a pas de
nature. -A n'est pas, mais il a une nature ; mais qu'est-ce que cela signifie ? Avoir une
nature signifie pouvoir être relié, d'une manière ou d'une autre, à quelque chose d'autre.
Ainsi 1) Aucune chose en soi n'a de nature. Pense à la monade (1) représentante de
Leibniz !
Page 182
Ce n'est que par sa relation à elle-même (si toutefois une telle relation était possible,
quoiqu'elle ne le soit pas dans le Moi), qu'elle reçoit une nature. Mais que signifie le
verbe "être" lorsqu'il est placé près de l'expression "une nature" (Beschaffen) ? Rien, il
n'est que le remplissement de l'action de naturer. Dire que tout ce qui a une nature, doit
être, n'est pas tout à fait exact ; mais lorsqu'un A doit être naturé, alors un x doit être (que
cet x soit ou non = A n'est pas la question ici). -A n'est que par sa relation à A.
Il en résulte que la loi que A donne à -A, se rapporte à la nature de celui-ci et non à son
être. Cependant, il en est de même pour la loi théorique ; celle-ci, en effet, ne se rapporte
aussi qu'à la nature de Non-A. Dés lors comment différencier ces deux types de lois ? En
fait c'est simple : la loi théorique ne concerne que la relation de -A à lui-même ; la loi
pratique, en revanche, concerne la relation de non A à A en tant que tel. Non A doit,
comme pur -A,(considéré comme chose en soi), avoir une certaine relation. Donc 1) A
une chose en soi, (le A absolu), ne peut être reliée qu'une chose en soi. Ce n'est donc que
par cette relation que nous obtenons un -A absolu, comme chose en soi ; c'est une point
très important. a) Déjà la première antithèse l'indiquait. b) L'Idée de l'absolu l'indiquait. c)
Par la loi de la raison pratique, -A, est réalisé, comme chose en soi. Ce -A, comme chose
en soi, doit, dés lors, recevoir une certaine nature et ce, par une certaine relation au A
absolu. Il doit être = A absolu. Le contenu de ce qui est requis (de ce qui était exigé) est
donc maintenant, formulé dans sa plus haute abstraction : -A absolu = A absolu.
Donc NB : ce n'est pas l'intelligence qui, en ordonnant, c'est-à-dire en reliant à -A, est en
contradiction avec A absolu, mais l'intelligence est en contradiction avec A absolu,
lorsqu'elle reçoit le donné ; C'est donc, en tant que réceptivité, qui est entièrement
dépendante, qu'elle est en contradiction avec le A absolu.
Pour le dire plus précisément, c'est justement, en tant que Ai est dépendant, qu'il est en
contradiction avec Aa. Comme membre intermédiaire, nous avons Ap, qui requiert que la
réceptivité dépendante, (en tant que dépendante), reçoive toujours ce qui s'accorde à Aa.
Les déterminations données dans la réceptivité dépendent soit de nous (actions libres) et
alors Ap exige, légitimement, ces déterminations, et peut les exiger, (impératif
catégorique), soit ces déterminations ne dépendent pas de nous (théologie-morale).
Mais il convient de noter 1) le fait que certaines de ces déterminations dépendent de nous,
n'est pour l'instant qu'un postulat ; cela ne peut donc être présupposé. 2) Il serait bon de
trouver une limite (Grenze).
Page 183
Mais la différenciation entre les déterminations qui dépendent de nous et celles qui n'en
dépendent pas reste incertaine. L'effort requiert que les déterminations dépendent toutes
de nous, c'est à dire qu'elles soient rendues adéquates à la loi interne. Mais nous ne
savons pas quelles seront les déterminations qui dépendront de nous, nous ne savons
même pas s'il y en aura. Si nous trouvons une action qui corresponde, par la réceptivité, à
l'Idée pré-conçue de la causalité de notre spontanéité, et si nous ne connaissons à cette
action aucune autre cause, alors, dans ce cas, nous ne pouvons juger cette action de
manière théorique. Notre activité est bien cause de cette action, parce que nous ne
pouvons avoir aucune compréhension théorique de ce domaine, et parce que la série
causale n'est pas donnée par la sensation. On ne devrait pas dire : l'homme "est" libre,
mais on devrait dire : l'homme fait nécessairement effort (streben, faire effort, tendre ou
aspirer à), espère et admet qu'il est libre. La proposition : l'homme est libre n'est pas
vraie.
Le champ (das Feld) qu'embrasse la raison pratique n'est pas celui de la raison théorique ;
la raison théorique n'a pas accès à ce domaine. La raison pratique n'embrasse ce domaine
qu'en désirant, espérant, s’efforçant. Elle ne peut, ni ne doit avoir de connaissance.
Mais comment cela se rapporte t-il à la liberté de la volonté ? Quelle sorte de faculté est
la volonté ? Est-elle un pouvoir fondamental ? Ou bien naît-elle par la représentation
préalable d'un effort ? J'ai déjà introduit l'activité dans la philosophie, par l'action du Moi
qui se détermine lui-même. Un Agir, dont on ne peut dire qu'il est le produit de la
causalité, est un pur effort *. La volonté est-elle quelque chose d'autre ?
* Définition provisoire : Faire effort est une activité qui n'est pas à son objet ce que
la cause est à l'effet. La finalité de l'effort c'est précisément d'établir cette relation.
Par ce passage, je n'ai pas encore caractérisé une faculté de désirer supérieure, mais
j'ai seulement caractérisé la faculté de désirer en général.
Faire effort, n'est pas une pensée, et ne peut, par conséquent, être défini
positivement, cad, être déduit ; Faire effort ne peut être défini que négativement,
c'est-à-dire ne peut être défini que par une contradiction. Faire effort est le rapport
du sujet à l'objet ; il peut être comparable au rapport de la cause et de l'effet ; mais,
cependant, rien n'est reconnu ni comme cause, ni comme effet. En fait je ne puis
penser ce rapport. Très bien ! Tu n'es pas obligé de le penser. Tu dois seulement ne
pas penser quelque chose de faux : le juste, tu ne peux que le sentir. Sentir est opposé
au Penser.
En prenant cette manière particulière de définir, propre aux mathématiques, on
peut peut-être donner un exemple tiré de la mathématique pure. Il s'y rapporte
comme une quantité se rapproche de l'indivisible, de l'infiniment petit, de la
quadrature du cercle, etc..
Page 184
a) Cet effort est déjà représenté par une sensation interne. b) il est représenté, par
conséquent lorsqu'il s'applique à un empirique déterminé ; c'est un vouloir déterminé.
Chaque manifestation de la volonté est déterminée. Mais pourquoi alors les
manifestations de la volonté ne sont-elles pas toutes déterminées moralement et
légalement ? D'où vient le contre-effort qui est aussi un effort ? Doit-il venir du fait que
nous sommes contraints d'admettre un effort sensible originaire ? Si nous n'acceptions
pas un tel contre-effort, alors le fatalisme sensible de Schmidt serait exact. Au demeurant,
ce contre-effort, Schmid, lui-même, est contraint de l'accepter. En effet, ce n'est pas la
seule impuissance de la causalité qui entrave la volonté, mais c'est un contre-effort.
La faculté de désirer inférieure doit viser ce qui est agréable pour les sens. Ainsi,
l'homme aurait la faculté( Vermögen) d'être affecté agréablement ; il n'a encore jamais été
question de ce point dans la philosophie théorique. Est-ce un pouvoir fondamental
empirique ? Quand bien même vous ne voudriez pas expliquer plus avant la nature de ce
qui vous affecte agréablement, vous devriez quand même pouvoir expliquer d'où vient,
en ce qui concerne l'agréable, le plaisir ressenti dans le Moi interne, plaisir, sans doute,
spirituel. Admets, provisoirement, que le sentiment de l'agréable ne soit que l'accord entre
certains effets de la matière matérielle et ton corps et, admets que le désagréable soit le
contraire. Dans ce cas, se pose la question suivante : pourquoi cela ne m'est-il pas
indifférent ? Une relation harmonieuse des choses extérieures à mon corps produit du
plaisir (le beau). Est-ce que, d'une certaine manière, l'accord entre mon corps et les
choses qui lui sont extérieures, serait quelque chose de cette nature ?
A dire vrai, l'hypothèse selon laquelle un tel désir d'harmonie du Non-Moi matériel avec
le Moi matériel (le corps) caractérise la capacité de désirer inférieure et que, de la même
manière, le désir d'harmonie du Non-Moi intelligible avec le Moi intelligible caractérise
la faculté de désirer supérieure, est une hypothèse qui semble par trop systématique.
prenons-nous ce désir qui peut et doit être, pourtant, dans le Moi spirituel ? Pour l'instant
nous avons quelque chose de seulement logique et nous ne parvenons pas à quelque
chose d'empirique et d'esthétique.
suite de la page 183. La contradiction ne doit jamais être levée. Mais elle doit être
réduite à l'infini. Dans la philosophie théorique, nous avons une cause première qui
cependant, n'est pas une cause première ; dans la mathématique, nous trouvons des
exemples de ce type de contradiction. Cette contradiction est propre à toutes les
sciences, et renvoie à la contradiction de notre nature même, c'est-à-dire à la
contradiction entre le dépendant et l'indépendant.
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