disposés à accueillir des psychologues qui reconnaîtraient la supériorité évidente de l’anthropologie
sur la psychologie dans l’étude des modes de pensée. Ils n’étaient pas disposés à faire l’effort de
comprendre le point de vue des psychologues (même si comprendre le point de vue d’autrui est ce qui
occupe les anthropologues, mais l’autrui en question est éloigné et n’est pas dans la compétition pour
les ressources et l’autorité académiques). Plus généralement, nombreux sont les chercheurs de diverses
disciplines qui ont participé à des rencontres interdisciplinaires. Le discours public lors de ces
rencontres en souligne toujours le caractère positif, mais, en privé, on entend exprimer bien des doutes
et des frustrations. La plupart des participants en reviennent légèrement intrigués sans plus, tout
comme des cadres d’entreprise reviennent à leur routine après un stage d’auto-conscience.
Une faible courbe d’apprentissage : Certains des membres de l’équipe de psychologues dont je viens
de parler participent à un programme doctoral sur la culture et la cognition à l’Université de Michigan.
Chaque semaine, les enseignants et les étudiants du programme, qui pour la plupart, viennent de
l’anthropologie ou de la psychologie, se rencontrent pour discuter de leur travail, du travail d’un
chercheur invité, ou de questions générales. Il est fascinant et parfois décourageant d’observer
comment, semaine après semaine, année après année, les mêmes désaccords entre disciplines voire à
l’intérieur d’une discipline s’expriment presque dans les mêmes termes, comme si les appartenances
disciplinaires et théoriques ne pouvaient jamais être dépassées. Mais ce n’est que la moitié de
l’histoire. Certains ne viennent que quelques fois à ces réunions, et abandonnent pour de bon, n’y
voyant qu’une perte de temps, mais d’autres les suivent depuis des années. Ceux-ci ont acquis une
compréhension claire et précise du travail accompli dans d’autres disciplines, et dans leurs propres
travaux ils traitent de sujets vraiment interdisciplinaires, en s’appuyant, même si c’est parfois de façon
défensive, sur plusieurs disciplines. Certains étudiants du programme, même s’ils viennent soit des
sciences sociales, soit de la psychologie, pensent et travaillent de façon pluridisciplinaire. Tous ceux
d’entre nous qui participent à ce programme comme membres permanents ou comme visiteurs
réguliers éprouvent à la fois une certaine frustration – est-ce que tout cela ne pourrait pas fonctionner
mieux, avancer plus vite, être débarrassé une fois pour toute des malentendus initiaux ? – et un
sentiment d’accomplissement – même si cela ne va pas aussi loin et aussi vite qu’on le voudrait,
quelque chose de pertinent et de novateur est en train d’émerger, que n’aurait pas pu produire une
contexte disciplinaire.
De façon plus générale, il s’avère que la seule façon de faire prendre en compte les résultats d’un
travail interdisciplinaire et d’obtenir qu’il ne soit pas purement et simplement ignoré – qu’il ne soit pas
compris de travers est une autre affaire – c’est d’en produire des versions différentes, une pour
chacune des disciplines concernées. On soumettra par exemple un article à une revue de psychologie,
avec une introduction et une discussion générale réduites, une section expérimentale standard, des
références détaillées à la littérature psychologique, et en utilisant comme il faut les mots qui comptent.
On développera pour l’essentiel le même argument pour une revue d’anthropologie avec, mutatis
mutandis, la même stratégie, ce qui, cette fois-ci impliquera de fournir un résumé seulement des
expériences, des données « anecdotiques » (comme disent les psychologues), et des sections
théoriques bien plus longues qui anticiperont les objections que la plupart des anthropologues font à
toute démarche naturaliste. On agira de même lorsqu’on donne une conférence à un public
disciplinaire. Etant moi-même anthropologue, j’ai trouvé du plaisir à m’assimiler à différentes sous-
cultures, et bien sûr, l’expérience est instructive. Cependant, ces passages obligés font du travail
interdisciplinaire une entreprise à taux élevé d’investissement. Une façon de faire plus facile est
d’avoir des collaborations interdisciplinaires durables entre spécialistes des différentes disciplines
concernées. Pour bien se comprendre les uns les autres et êtres capables de concevoir des objectifs
communs, ceux-ci doivent quand même disposer non seulement de bonne volonté, mais aussi d’une