Modernité et renouvellement du politique (dessein, objet, finalité

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Modernité et renouvellement du politique
(dessein, objet, finalité)
Concernant la modernité, on a coutume depuis le milieu du XX° de diviser l’Histoire de
l’Europe en une histoire moderne et une histoire contemporaine. L’époque
contemporaine commence au début du XIX° ; l’Histoire moderne comprendrait les trois
siècles fondateurs de notre civilisation XVI – XVII – XVIII.
Ce terme de moderne qui aujourd’hui fait parfois ancien a été employé assez tôt dans
l’Histoire de l’Europe mais a trouvé ces lettres de noblesse à l’époque contemporaine
lorsqu’a été posée la querelle politique entre Anciens et Modernes. Jusqu’à une époque
récente, être affublé du terme de moderne était positif, inscrivant dans l’Histoire et dans
un courant politique dynamique construisant l’Histoire à travers le politique.
Il faut comprendre cette modernité à l’aune des grands changements qui surviennent à
la fin du Moyen-Age. Le XV est un siècle de rupture fondamentale dans notre Histoire.
Cette rupture, d’un point de vue anthropologique font basculer d’une société
traditionnelle à une société moderne : on parle de Temps Modernes. Cette période de la
modernité se définit comme une renaissance qui précise la nature de cette modernité.
Au XV, en terme d’évènements géopolitiques, en terme de révolution culturelle,
technique, scientifique, il y a des ruptures fondamentales (un « laboratoire de la
modernité »). Dans les sociétés européennes et occidentales, on est toujours marqué par
cette modernité certes débattue, mais dont nous sommes les héritiers.
A l’heure de la mondialisation aujourd’hui, certaines sociétés n’ont pas connu ces mêmes
ruptures. La mondialisation nous montre un monde complexe où on a l’impression que
tout le monde est entré dans ce temps mondial mais où les sociétés sont
fondamentalement différentes de ce que nous sommes. Les différences sont marquantes
entre les sociétés : nous regardons des sociétés structurés sur des principes différents à
l’aune de notre passé. Les éléments de tradition dans une société donnée nous étonnent
(Inde, Chine, Afrique). La plupart des sociétés n’ont pas vocation naturelle à remettre en
cause leur tradition. La remise en cause des savoirs hérités, de ce que nos pères
pensaient, n’est pas naturelle : elle est extraordinaire.
A partir du XV, les sociétés européennes ont décidé de ne plus penser comme elles
avaient pensé auparavant, croyance ou mode de vie : ne pas penser comme ses pères.
Cet élément constitue notre modernité.
Cependant tout n’est pas remis en cause. Le XVI, à travers la « Renaissance » assume le
passé mais change le présent et l’avenir des sociétés européennes.
Trois dates fondamentales
1453 : prise de Constantinople par les Turcs. L’empire Byzantin s’effondre en
abandonnant sa capitale historique. La chute de Constantinople, c’est l’installation aux
portes de la chrétienté de l’empire Ottoman (forme politique impériale et société fondée
sur un lien social religieux). En 1453, l’Europe perd le monde ancien. Elle fait le deuil
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définitif de ce qui l’a fondé : la matrice romaine, l’héritage antique, l’idée d’un monde
unifié par la civilisation. Au XV, ce monde ancien, héritier de l’Empire Romain d’Orient
disparaît pour la chrétienté car aux mains d’un Empire considéré déjà comme étranger à
la civilisation européenne. L’Europe a d’abord fait son deuil du sud de la Méditerranée,
et fait alors le deuil de la partie orientale de la Méditerranée. L’idée d’une chrétienté
universelle s’efface progressivement. Depuis longtemps certes, Byzantins et Croisées se
combattaient, mais il restait un fond commun, une idée confuse de catholicité,
d’universalité portée par l’Antiquité et la Chrétienté. La Méditerranée était le centre
même de la civilisation. La chute de Constantinople est bien la perte du monde ancien,
d’une idée rêvée, virtuelle.
1492 : la découverte des Amériques par Christophe Colomb. L’Europe perd le monde
ancien pour découvrir un nouveau monde. L’Europe avait encore un ancrage très fort en
Méditerranée, mais par delà l’Atlantique, on découvre un Nouveau Monde, un Nouveau
Continent. La chute de Constantinople est intrinsèquement liée à une vision liée de
l’Europe, centre d’une Terre plate centre de l’univers et du cosmos, création de Dieu. Le
moment de Christophe Colomb démontre autre chose. Christophe Colomb, à la
recherche d’une nouvelle route commerciale, comptait découvrir les côtes de l’Inde,
prouvant que la Terre était ronde, en faisant le voyage inverse que ce qui avait guidé
l’Europe jusque là. Cette démonstration est capitale d’un point de vue anthropologique.
Les Européens prennent conscience qu’ils ne sont pas seuls au monde : le centre du
Monde était Jérusalem – Constantinople – Rome, et la chrétienté définissait les autres
civilisations comme une périphérie. On avait établi des relations commerciales avec la
Chine par exemple, ou les Musulmans, certes différents mais très proches de la
civilisation européenne. On ne découvre pas simplement qu’une terre vierge :
l’Humanité ne se limite pas à ce que l’Europe avait pu en penser, à ce que les Ecritures
disposaient. Les Indiens d’Amérique semblaient n’avoir aucun rapport avec les canons
culturels européens. Ces populations ne peuvent être placées dans aucune catégorie
mentale. La question est suffisamment impérieuse pour que l’Eglise se pose la question
de l’Humanité de ces Indiens : sont-ils des hommes, au sens anthropologique, culturel,
civilisationnel ? Avons-nous une commune humanité ? Dans ce cas, le plan divin les
concerne, il faut donc les convertir, les faire entrer dans notre humanité en les sauvant
de leur ignorance, en les sortant de leur condition inférieure. La découverte des
Amériques est débord et avant tout la conséquence d’une révolution culturelle et
scientifique du XV : Copernic, Galilée… Si la Terre est ronde, au milieu d’un univers sans
fin et sans limite, toutes les conceptions traditionnelles sont ébranlées. La modernité,
c’est à la fois cette science et les conséquences de cette révolution scientifique,
notamment sur les conceptions religieuses. Le Dieu chrétien est un Dieu de l’Antiquité,
un Dieu de proximité, qui intervient dans l’Histoire des hommes : les prophètes, les
Plaies d’Egypte, etc. si Dieu est créateur de l’Univers comme de la Terre et des Hommes,
il s’éloigne considérablement et ébranle toutes les conceptions traditionnels. C’est un
décentrement du monde. Sortira de cette crise, une nouvelle civilisation dite moderne.
L’Europe considère à partir du XVI qu’elle ne peut envisager ce monde qu’à partir d’elle
–même. Néanmoins on va convertir les Indiens à bien plus qu’une religion : un type de
société, une manière d’envisager le monde. L’Europe n’est plus tout le monde, mais elle
veut changer le monde. L’universalité avait été pensé dans un monde clôt, l’universalité
d’une civilisation héritée de l’Empire. Des modèles politiques se fondaient sur l’idée d’un
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Empire chrétien uni. L’Europe n’abandonne pas sa source universelle mais la redéfinit
dans un monde ouvert plus grand, plus large, plus complexe que ce que l’on pensait : le
destin de l’Europe change : il faut civiliser, évangéliser, éduquer le monde. L’Europe
n’est plus tout le monde mais veut changer le monde, l’inscrire dans sa propre
universalité. Si l’universalité est différente de ce que la tradition avait affirmé, les
conséquences de la religion mais aussi des instituions et de la politique s’en trouvent
considérablement modifiées. La découverte de la complexité du monde est capitale pour
l’Europe. Ces Indiens existent et doivent être évangélisés : c’est une démarche de
reconnaissance de la complexité du monde.
L’universel est défini par l’Europe elle-même. La reconnaissance des Indiens comme des
être humains est ambiguë. Cette commune humanité est un renouvellement de la
conception de l’universalité : on inclut l’étrangeté dans l’universalité. L’Eglise affirme
cette nouvelle conception de l’universalité en la faisant rentrer dans la civilisation. La
Renaissance a bien ces deux facettes en permanence. Au bout du compte, ces peuples
indiens vont largement disparaître au profit d’une politique d’installation des
populations européennes sur ce sol du Nouveau Monde, considéré à la fois comme
habité et vierge.
La meilleure preuve de ces changements est donnée par ce terme d’Europe. Jusqu’au XV,
Europa est un terme très peu employé, très peu connu, terme savant connu d’une sphère
intellectuelle limitée, celle de l’Eglise. Ce terme est emprunté à la mythologie grecque, et
avait permis de définir l’aire éloignée du pourtour méditerranée. Ce terme d’Europe
passe du statut savant à la notion de civilisation : il est employé pour définir ce que l’on
appelait jusque là chrétienté. Ajouté au monde chrétien le mot européen reflète les
changements en cours au sein de cette chrétienté profondément en crise, avec la
recherche de la figure de l’Empereur, la conception du politique qui définit les fins du
politique par des finalités religieuses. Le terme d’Europe définit également la nouvelle
situation politique où en Europe ce n’est plus l’Eglise mais les monarchies chrétiennes,
les états européens qui gouvernent. L’Europe définit plus qu’un espace : une civilisation
unie, avec des états qui s’affirment comme souverains, comme n’obéissant à aucun
commandement extérieur. Ces changements fondamentaux ont un mot qui les définit :
Europe.
Les changements effectués par la chrétienté ébranlent fortement son magistère : la
chrétienté n’a plus les moyens de dépasser les divisions des états qui forment cette
chrétienté, cette Europe chrétienne fondée sur la diversité entre puissances politiques.
Ce monde nouveau s’émancipe de la tutelle religieuse.
Tout cela ne s’est pas fait en quelques années. C’est une montée en puissance des états,
une érosion du magistère politique de l’Eglise. Les ruptures du XV expliquent les
transformations du XVI. Dans la deuxième partie du XV, l’Europe connaît une crise
majeure, au sein du christianisme, avec l’avènement d’une dissidence religieuse qui va
pouvoir pour la première fois s’affirmer dans l’Histoire de l’Eglise : le protestantisme, la
réforme. La chrétienté unie n’est alors plus qu’une fiction. Cela participe à l’évacuation
de l’ancien ordre politique basé sur l’équilibre entre pouvoirs politique et spirituel.
Du XV à XVI il n’y a qu’un pas. L’Eglise catholique va tenir, se réformer profondément,
mais à côté, le protestantisme développe des formes politiques concurrençant l’ordre
politique traditionnel.
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La laïcité relative des valeurs s’entend au sens que dans l’ordre politique, le pouvoir
suprême n’est plus exercé seulement par une puissance (l’Eglise), mais par des
puissances (l’Eglise et des Etats). Le religieux lui-même est remis en cause, au sens où
les rois eux-mêmes jouent un rôle dans le domaine religieux. La pluralité de puissances
caractérise l’Europe du XVI.
La laïcisation des valeurs s’accompagne d’une relativisation jamais connue du message
de l’Eglise. A partir du XVI, si le latin reste la langue qui véhicule le savoir, la langue de
l’Eglise catholique, les langues vernaculaires (bientôt nationales) sont codifiées, mises
par écrit pour participer ensuite à la formation des identités nationales. Les textes
religieux sont traduits dans ces langues. Les textes religieux vont être connus d’une
population plus importante, plus nombreuse à travers cette traduction. L’arrivée de
l’imprimerie de Gutenberg facilite cette diffusion. La réforme est notamment la
contestation de la médiation de l’Eglise. Le XVI est un siècle religieux : on s’entretue
pour cause de religion. La croyance est fondatrice, mais n’est plus autant codifiée,
encadrée. Ce pluralisme religieux n’est pas encore assumé par l’Europe (la liberté de
culte n’est pas encore admise). On parle en même temps de laïcisation des valeurs car la
religion se diffuse dans le commun. On entend laïc au sens grec de peuple. On ébranle la
chrétienté universelle. Au début du XVI, les grands intellectuels qui pensent le nouveau
monde parlent de renaissance. La modernité ne sera mentionnée que bien plus tard : on
parle d’abord de renaissance.
La Renaissance vient du latin renovatio rénovation, restauration et en même temps
réforme. Ce terme est emprunté au vocabulaire des sociétés traditionnelles. Lorsque
Charlemagne est sacré empereur, on parle de renovatio de l’Empire de Romain au sein
du Saint Empire Romain Germanique. Ce terme de rénovation incarne dans un premier
temps la tradition : ce qui est juste et bien, c’est ce qui vient du passé, de l’Histoire, de la
transmission, de la continuité. Renovatio signifie bien cette conception du politique qui
ne trouve sa légitimité que parce qu’il est fondé sur l’Histoire. Tout autre modèle serait
immédiatement décrédibilisé. Au XVI, les intellectuels, les Humanistes changent ce sens,
en le définissant comme renaissance, rénovation, qui certes inclut une référence à une
naissance, à un passé, tout en se tournant vers le présent et l’avenir.
La Renaissance, c’est une Europe chrétienne suffisamment ébranlée pour ne plus
pouvoir s’appuyer sur le passé immédiat du Moyen-Age et qui a donc besoin de se situer
dans un autre passé : l’Antiquité, avec ses textes traduits en langues vernaculaires. Au
fur et à mesure que l’on s’éloigne de l’Histoire, ces textes sont de mieux en mieux
connus. Ce corpus est immenses parce qu’il a développé une pensée laïc, dans l’ordre
laïc, alors que le Moyen Age avait mis ses forces dans la théologie. Au XVI, on remet en
cause cette science de Dieu, et il est donc extrêmement important d’avoir cette source
laïque venant de l’Antiquité. Les Humanistes se définissent par rapport à l’humain, en
pensant la civilisation de l’homme avec Dieu, mais pas submergées par Dieu, ce que
définit la pensée grecque. On constitue ici une nouvelle étape de l’avènement de
l’homme et de l’humanité. La modernité et la renaissance sont aussi l’avènement d’une
autre pensée, celle du progrès, donner un sens à l’Histoire. Avec les découvertes, on
s’inscrit dans un développement des sociétés qui vont vers un mieux. Le christianisme
avait écrit une histoire linéaire vers la réconciliation avec Dieu. Voilà que le nouvel Age
d’Or à atteindre n’est plus immédiatement la rencontre avec Dieu mais plus près, un
progrès pour s’inscrire dans l’humanité.
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La Renaissance signifie bien entendu une disqualification du passé dont on vient : le
Moyen-Âge et ses crises. La renaissance signifie aussi une société qui se stabilise, qui
retrouve un développement – entre autres, économique – qui se place en rupture avec la
fin du Moyen-Age. C’est une première étape dans la construction de la civilisation de la
modernité.
Dans l’Antiquité, la pensée politique se fonde autour de la citoyenneté, l’appartenance à
une communauté politique. La distinction gouvernants/gouvernées est objet de débat.
Dans la Modernité politique, on retrouve cette distinction qui devient pour un long
moment infranchissable. On pense le politique du côté des gouvernants, et les gouvernés
vont mettre un temps important pour être reconnus. La notion d’Etat précède la
modernité politique : c’est le Moyen-Age chrétien qui a construit ces concepts politiques.
Ceux-ci, en simplifiant, demeurent longtemps soit la propriété de l’Eglise, soit de
l’Empereur (construire politiquement son pouvoir). Au Moyen-Age, seuls existent deux
pouvoirs politiques, légitimes car reposant sur une construction théorique,
intellectuelle. Le pouvoir de commandement premier, imperium, appartenait à
l’Empereur, notamment à travers le droit de guerre, l’utilisation de la force. D’un autre
côté, la souveraineté au sens de magistère suprême était du côté du pape. Ainsi, les
autres forces politiques, celles des princes, rois, ducs, comtes qui faisait l’ordre politique
du Moyen-Age leur étaient subordonnées. Ainsi, les rois princes et autres étaient des
seigneurs mais point des souverains. L’avènement de l’Etat et des grandes monarchies
européennes est le changement de statut dans l’ordre politique, du seigneur au
souverain. La souveraineté change alors de nature, se laïcise et se généralise entre des
points multiples : la souveraineté n’a donc plus ce caractère d’universalité qu’elle avait à
travers l’Eglise : la multiplicité des souverainetés est ce qui caractérise l’Europe. La
souveraineté est plurielle, permet de s’affirmer mais limite la souveraineté de chacun.
Parmi ceux qui conceptualisent ce changement, le plus important est Nicolas Machiavel,
« célèbre inconnu ».
Grand auteur, son œuvre, quantitativement, est relativement limité. Le Prince est un
ouvrage qui n’a pas la dimension des grands traités qui l’ont précédé et qui viendront
après. Au-delà du Prince, l’œuvre de Machiavel est surtout une méditation historique sur
un monde de l’Antiquité dont il s’estime en tant que citoyen de Florence et patriote
italien l’un des héritiers. On ne peut comprendre Nicolas Machiavel est que si l’on
comprend que c’est sans doute l’un des auteurs les plus iconoclastes, notamment par la
radicalité de ses positions laïques, dans son origine antique. Il pense la politique et la
société des hommes dans une séparation radicale avec la volonté divine, les institutions
de l’Eglise qui avaient fondé depuis des siècles l’ordre politique. Pour Machiavel, « tout
pouvoir vient de Dieu » n’a plus de sens. Il évacue la dimension religieuse du politique :
en cela, il est un auteur laïc, dans la démarche grecque qui faisait que le monde fini dans
lequel nous sommes était le seul horizon de l’Homme.
Un de ses disciples cachés deux siècles plus tard expliquera sans doute mieux sa
démarche : Jean-Jacques Rousseau. A propos de l’esprit de l’Antiquité, il affirmera « le
monde est vide depuis les Romains » : il renvoie toute la pensée construite au Moyen-Age
à la barbarie, à la périphérie du summum de la civilisation, soit l’Antiquité.
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Machiavel, contrairement aux penseurs chrétiens, n’évoque pas d’abord Aristote ou
Platon, mais des figures moins intellectuelles mais plus politiques. Périclès ou Brutus ont
pour Machiavel beaucoup plus d’importance. Il évoque également les chefs militaires de
l’Antiquité, de cette civilisation « virile » : ils sont la représentation selon lui de la liberté
des cités. Il fait aussi référence aux grandes œuvres littéraires de l’Antiquité, d’Homère à
la poésie latine. C’est à partir de ce substrat historique qu’il faut comprendre Machiavel.
Encore aujourd’hui, dire d’un homme politique qu’il est machiavélique est péjoratif. Le
lien entre le pouvoir lui-même et le nom de Machiavel n’est pas un hasard. Toute
l’œuvre de Machiavel est d’abord l’étude des mécanismes du pouvoir. Après cela,
d’autres ont cherché à analyser l’exercice du pouvoir. Mais il est au XVI sans doute l’un
des premiers à la faire : la pensée grecque avait fait le politique comme chose commune,
ensemble, en société ; la pensée chrétienne l’avait fait extérieur ; Machiavel apporte une
nouvelle dimension.
Machiavel va évacuer dans son analyse du politique le religieux, qui a introduit la
morale : il évacue donc également la morale. Il entend analyser le pouvoir par delà le
bien et le mal. Il évacue non pas la morale politique mais refuse d’adopter le point de vue
de la morale : « je ne vais pas dire en politique ce que les hommes doivent faire, on vous le
dit depuis des siècles. Je vais vous dire ce qu’ils font vraiment. » Le politique, c’est d’abord
une affaire de pouvoir, qui s’analyse du point de vue des gouvernants. Néanmoins les
gouvernés ne sont pas oubliés. Rousseau commentera qu’en feignant de donner des
leçons au Prince, Machiavel a d’abord donné des leçons au peuple. Effectivement, la
pensée de Machiavel débute par une analyse du point de vue de ceux qui exerce le
pouvoir.
Machiavel est un citoyen de Florence. Au XVI, dans la plupart des états européens en
train de s’organiser, le rapport de la société au pouvoir s’analyse d’abord comme le
rapport d’un sujet à son Roi. Le terme de sujet, emprunté au vocabulaire de la pensée
politique chrétienne, est fondamentalement. Florence est pour l’Antiquité une cité
simplement du fait de son indépendance politique. Elle joue à sa mesure un rôle en tant
que puissance indépendante souveraine. Par ailleurs, Florence a pendant longtemps un
régime politique original : c’est une république. En effet, Florence obéit à un
gouvernement collégial aristocratique. Ce qui caractérise l’organisation politico-sociale
de Florence, c’est son organisation oligarchique, collégiale qualifiée de république.
Florence n’est pas la seule République, mais ce régime demeure rare.
Le mouvement communal avait vu à partir du XII dans le décollage économique de
l’Europe naitre ou renaitre des villes-cités vestiges du paysage naturel de la
Méditerranée. C’est le cas de nombreuses villes en Allemagne et en Italie. L’Italie et
l’Allemagne sont composées en des empires nationaux. L’espace politique est occupé par
ces villes qui, de Cologne à Naples, deviennent indépendantes. Florence se distingue peu
à peu : cette ville a su constituer son indépendance sur une organisation qu’elle a défini
comme une République. Machiavel est au service de cette société : il n’est pas d’origine
noble, mais bourgeois, lettré et riche. On peut le qualifier comme un haut fonctionnaire,
un diplomate de Florence, voire quelqu’un exerçant des missions plus secrètes. Il a un
rôle important dans le gouvernement de Florence. Il est donc avant tout un homme
d’action. En 1512, un coup d’Etat éclate : un Prince de Florence décide de mettre fin à ce
régime monarchique : Laurent de Médicis. La famille de Médicis est une des familles les
plus riches ; elle très investie dans la ville depuis longtemps. Elle considère que Florence
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est défaillante, elle perd du terrain, etc. Elle considère qu’il est de sa responsabilité
d’exercer le pouvoir suprême pour un certain temps. Le Prince gouverne la République ;
se met en place une monocratie. Tout change : Machiavel est remercié et quitte ses
fonctions. Il perd ses revenus et sa place dans la société de Florence. Après quelques
hésitations, il décide de rester à Florence, et d’écrire à Laurent de Médicis, pour lui
expliquer combien il a tort de se passer de ses services pour lui éviter des erreurs
politiques. Il faut être à la fois capable d’être craint et respecté du peuple. Il faut d’autant
plus réfléchir sur ce que l’on fait, ne pas se laisser emporter par la passion du politique.
L’un des moteurs du politique, c’est justement des passions.
Le Prince est écrit très rapidement et publié en 1513, sans censure. La question n’est pas
celle du meilleur gouvernement, entre République et Monarchie, ni celle de la légitimité.
Beaucoup plus prosaïquement, Machiavel se demande comment gouverner. Cette
question n’est pas simplement une question décrivant les mécanismes du pouvoir : il y a
un projet politique.
En fait, derrière le comment gouverner, Machiavel cherche à savoir comment le pouvoir
politique dure et fonde des institutions, un Etat politique stable. La première vocation du
politique, c’est la sécurité que doit le politique à ses citoyens. Derrière le comment
gouverner, il y a la permanence de l’indépendance florentine, et qu’elle serait les
mécanismes qui permettrait d’asseoir dans la politique des institutions stables. C’est
important pour Florence : d’une part, par sa position, elle est fragile (entre Naples et les
Etats Pontificaux ou les grandes puissances du temps), d’autre part, étant donné la
situation italienne, Machiavel considérant une nation italienne, l’une des plus vieilles
nations d’Europe, par sa culture notamment qui exprime la modernité. Machiavel
constate la force de l’Italie au plan culturel et sa faiblesse au niveau des institutions
politiques. Réfléchir sur les pouvoirs du prince, c’est réfléchir sur l’avenir de l’Italie et
sur son unité politique. Ceci explique son combat implacable avec l’Eglise catholique, ce
qui lui donne si mauvaise réputation : Machiavel constate que le problème en Italie, c’est
la présence d’une Eglise politique.
Les premières pages du Prince amène Machiavel à comparer la situation de Florence aux
monarchies traditionnelles. Les états monarchiques traditionnels ont un regard très
différent : la stabilité de leurs institutions repose d’abord sur le pouvoir de l’Eglise. C’est
l’alliance du trône et de l’autel qui fait leur stabilité. Mais ces formes s’inscrivent dans les
formes héritées du Moyen-Age. Or Florence était une république ; ses gouvernants,
même après l’arrivé de Laurent de Médicis, ne sont pas légitimés par une religion. Les
institutions y sont instables. Machiavel écarte l’idée de toute base politique
indépendante fondée sur le religieux. Dès lors, quelle base politique permettrait de
conserver la souveraineté, la liberté politique et d’assurer la sécurité à Florence ?
République ou monarchie, cela n’a aucune importance pour Machiavel. Le fait nouveau,
c’est que Florence s’en remet à un homme. La monarchie nouvelle implique la
concentration du pouvoir entre les mains d’un prince, d’un roi. Le politique est soumis
aux passions, et plus encore lors de l’exercice. Le prince doit donc s’écarter le plus
possible des passions. L’idée de fonder l’archétype du politique sur le philosophe est
selon Machiavel tout à fait vain. Par définition, on a encore plus de risques d’un pouvoir
soumis aux passions. La politique est sans doute le lieu où s’expriment les passions.
Machiavel parle de raison, de rationalité politique. La rationalité politique n’est pas
inventée par Machiavel ; l’homme est soumis aux passions mais peut être raisonnable.
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L’art du gouvernement est d’exercer le pouvoir selon la raison et selon la passion. Le
pouvoir par définition tend à l’abus du pouvoir : imperium maiestas (concentration du
pouvoir) suscite les passions. Ainsi, ce pouvoir fatalement tyrannique doit être gouverné
par la passion. La passion ne concerne pas que le Prince ; elle est aussi, car inscrite au
cœur de la condition humaine, au cœur des gouvernés. Ainsi donc, les sujets du Prince
sont eux-mêmes soumis aux passions.
Machiavel entre dans la psychologie du politique ; il demande au Prince de n’être ni aimé
ni détesté. Celui qui exerce le pouvoir doit savoir que par définition, il ne pourra pas être
mis au même niveau que la société ; il y a une séparation. Ainsi, « le Prince doit être
craint », comme tout pouvoir ; sinon l’autorité du politique ne s’exerce plus.
Si le rôle du politique est d’assurer l’ordre et la sûreté, à l’intérieur comme à l’extérieur,
alors la raison d’Etat est toujours la meilleure : le politique obéit à des nécessités.
Machiavel se pose du coup la question du rapport qu’entretient le Prince avec les
gouvernés. Il est le premier auteur qui fait naitre dans la problématique politique la
notion de société : la manière dont les citoyens perçoivent le gouvernement. De la
société, Machiavel fait sortir le concept de l’opinion public.
Machiavel explique que cette opinion est facile à abuser : elle est malléable, elle est
sensible à la force et à la démagogie. Dès lors, Machiavel défend le fait de ne pas se
dévoiler à l’opinion public : dissimuler vos sentiments et vos intentions.
Est-ce une apologie du pouvoir absolu et de la violence politique ? Ou alors est-ce une
apologie du politique au sens de l’Antiquité ? Ce qui est certain, c’est que pour Machiavel,
la politique est un art plus qu’une philosophie, une pratique concrète, un élément
indispensable à la société des hommes. La force est l’essence du pouvoir politique. La
conservation de l’Etat, ce n’est pas le despotisme, c’est celui qui assure la liberté et
l’indépendance de l’Etat. Ainsi donc, Machiavel a une haute opinion du politique, tout en
sachant les passions et dérives possibles. « L’Eglise a vu dans l’œuvre de Machiavel
l’œuvre du diable ».
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La fois dernière, on a vu la pensée politique de Machiavel, avènement de la modernité
politique. C’est un moment de bascule dans la pensée politique, du traditionalisme fondé
sur les schémas de chrétienté à la modernité politique, à la montée en puissance du
pouvoir d’Etat et de la monocratie au sein de modèles politiques nouveaux fondés sur la
souveraineté du Prince.
Ainsi, la notion d’Etat est entrée avec Machiavel et pas avant Machiavel, dans le
vocabulaire de la politique, après avoir été construit juridiquement.
La modernité politique va également se développer autour d’un autre mot, qui pour des
siècles va structurer toute une partie de la pensée politique, complément de Machiavel :
souveraineté, attribut essentiel de l’Etat. A partie du XVI° également, le mot de
souveraineté va être utilisé et va structurer toute une partie de cette pensée politique.
La réflexion autour de l’Etat, à partir de Machiavel, s’opère jusqu’à l’orée du XIXème,
structurant ainsi la réflexion politique.
XVIe – XVIIIe : dans cette réflexion autour de l’Etat, place à part autour de la
souveraineté. Important de voir comment a émergé notion d’Etat et de souveraineté,
conséquences…
Le mot Etat vient du vocabulaire latin, emprunté au droit romain. Terme de « status ».
Ne désigne pas en droit romain ce que nous appelons l’Etat tel qu’il sera construit dès le
XVIe, signifie simplement statut qui est donné souvent aux choses, une terre a un statut
juridique, un objet a un autre statut juridique. Au sein de la société des hommes, les
hommes ont des statuts différents. Principe d’égalité juridique connu du droit romain
via le droit naturel mais ne s’applique ni dans l’antiquité et société médiévale. Voyons
comment il a émergé. Dans les sociétés du Moyen - Age, soumis à des statuts.
Citoyens/étrangers ; hommes libres/esclaves. Au Moyen - Age, société inégalitaire a
développé des statuts différents selon ce que chacun a comme place dans la société
selon l’utilité sociale ou l’origine : statut donné au clergé, à la noblesse, et le reste le
Tiers – Etat. Statut de serf, semi – esclavage, hommes libres rattachés à un seigneur ou
statut particulier, habitants des bourgs = bourgeois, des villes, des communes.
Ce qui va servir à transformer notion de statut, c’est idée qu’il y a derrière le sens
premier. Le terme « status » en latin vient lui-même de la permanence, état de ce qui
dure. Statut assure le minimum de sécurité et de permanence. Va donc être utilisé au
Moyen – Age, et va permettre petit à petit de donner un nouveau sens au mot status, qui
sera le mot d’Etat, tel que nous le connaissons en droit public aujourd’hui, désignera
l’organisation d’un gouvernement, la forme d’organisation institutionnelle, juridique
d’une communauté humaine sur un territoire donné. A partir du XIIe que ce terme va
petit à petit changer de sens. Au début, moment où l’on redécouvre le droit romain, ou
les textes latins vont être travaillés dans les universités de droit, à l’aide des Légistes.
Professeurs de droit, auprès du Prince, Pape, Roi, vont donner une assise juridique et
politique au pouvoir de ces seigneurs. Découvrent les différents éléments du droit
romain et désigne la pluralité des puissances politiques du Moyen - Age, celles qui
peuvent bénéficier d’un status. Toutes les puissances politiques n’ont pas vocation à être
régies par un status. Eglise, puissance de droit public, n’a pas été accaparé par quelques
uns, fondée sur le droit canonique, issu lui-même du droit commun. L’Eglise a un status,
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et le pape, également, lui donne des compétences juridiques et politiques, issues de sa
place particulière.
Le status va concerner aussi l’empereur, par définition, le droit romain accorde la
citoyenneté première à l’empereur. A Rome, le Princeps, le premier des citoyens, status
particulier. Pendant un long moment, les Légistes n’accordent un status qu’à ces deux
seules puissances. Monde des deux têtes, Saint Augustin… Mais ces Légistes, selon leur
positionnement, selon leur sphère politique, vont étendre le droit de status à d’autres
puissances. Et notamment ceux qui servent les rois du Moyen - Age, certains
commencent à se distinguer des simples seigneurs, donnent un status au pouvoir de
leurs seigneurs. Ainsi, le roi d’Angleterre, le roi de France seront dotés par leurs légistes
d’un status. Manière de construire juridiquement le pouvoir. Au XIVe, les Légistes ont
fait leur travail et les status sont construits autour du pouvoir monarchique un peu
partout en Europe, ce qui n’est pas le cas des autres, qui ne resteront que de simples
seigneuries médiévales. Le titre de roi n’est pas possible pour tout le monde. La majorité
n’est pas sacrée par l’Eglise. Ceux désignés à l’Eglise sont dotés d’un status.
Entremêlement laïc et religieux. On utilise, pour construire les deux pouvoirs
concurremment, mais sans invoquer la théologie, la notion de puissance reconnue par
Dieu. Jusqu’au XIVe, le status ne veut dire que cela.
Mais tournant, choses vont changer. Le fait marquant, c’est la réapparition d’institutions
politiques distinctes de la personne du prince, du Prince lui – même. Celles – ci sont la
conséquences de la montée en puissance du pouvoir du roi. Assoit son pouvoir sur ces
institutions, cabinet du roi, cour de justice, début d’une administration ? Tous ces
éléments, constitutifs de l’Etat, apparaissent. Cela l’amène donc à changer de status,
passe du seigneur au chef d’Etat et désigne par ce terme de status, les institutions qui
entourent le pouvoir du roi. Distinction capitale : condition même du développement du
pouvoir du roi et de l’émergence de l’Etat dans le paysage politique médiéval. Avant,
status notion de continuité. Les institutions durent, sont instituées (= établir dans le
temps). Les rois passent, même si consacrés par l’Eglise, de manière passagère mais
seules demeurent les institutions qui lui permettent d’exercer son pouvoir. Pour
désigner cette notion de permanence, notion de status. On va utiliser trois termes
complémentaires, très proches.
-
-
D’abord, ces institutions sont caractérisées, outre leur permanence, par leur
non - appartenance au roi.
Pourquoi cette permanence : car public (en latin, res publica VS res privata, ce
qui s’aliène, se vend, et res publica, la chose publique, ce que partage les
hommes, que personne ne possède. Chose publique est ce qui dure, ce qui est
permanent, public ne s’aliène pas, n’est pas patrimonial et on ne peut
confondre le roi et son pouvoir. Ne l’exerce pas à titre privé. Consacré par
l’Eglise, même si héréditaire. C’est une succession dynastique et non un
héritage dynastique. Et donc permanence de la chose publique, établie au –
delà des tribulations du Prince. Transmission du pouvoir n’appartient pas au
roi (même si principe dynastique), appartient à des règles juridiques, de droit
public, status…
Emprunté au droit de la coutume, droit médiéval, couronne, l’emblème du
pouvoir royal, de la dignité royale. Symbole de sa dignité, de sa fonction,
rassemble trois idées. Pouvoir appartient au roi mais ne l’exerce pas de statut
privé, cette couronne est exercée au nom de la res publica.
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Ces trois termes assemblés fondent notre conception du pouvoir politique, distinct de la
personne. La couronne doit être transmise intégralement par le roi à son successeur car
ce n’est pas un bien patrimonial. Les mentalités médiévales étaient tout à fait opposées à
cette idée. Au Moyen - Age, Charlemagne partage son empire entre ces trois fils, comme
un bien privé. Nombre de rois le feront. Le roi de France au XVe, le fera également, se
verra imposer un traité, durant la Guerre de Cent Ans, qui n’est en fait qu’un testament,
Charles VI désigne son successeur. Volonté du roi se plie aux principes dynastiques :
transmission du pouvoir de père en fils. Ces règles, ont un status, dépassent la volonté
privée de tel ou tel prince. Ainsi, la couronne a des droits et des prérogatives, elle a un
status.
Les potentialités sont maintenant sans fins. Ces prérogatives construites à partir du XVe.
Transmission de la couronne, règles de la succession au pouvoir, un régime politique
stable, des institutions stables, doivent régler le problème premier, les règles de
succession. Les monarchies, aidées par l’Eglise, bien plus tôt, auront un status. La
couronne est inaliénable, indisponible, elle ne relève pas des institutions de droit privé.
Le domaine du roi est inaliénable. « Le roi est mort, vive le roi ! », ce qui désigne la
permanence. « L’Etat c’est moi » est une expression prêtée à Louis XIV. Il a plutôt dit « je
m’en vais, mais l’Etat demeure ». Il a surinvesti la prérogative royale. Mais il meurt.
Le terme de status devient un terme de droit public pour distinguer le pouvoir du roi de
la personne du roi.
Deux conséquences :
Emergence de lois propres à la couronne, droits et prérogatives de la
couronne : les lois fondamentales du royaume. Ces lois fondamentales vont être
exprimées dès le XIVe. Exprimées par des Légistes pour le pouvoir politique. Ou
les lois organiques de la couronne. Régit les rapports entre les pouvoirs publics.
Ancêtre Etat de Droit, non fondé sur la personne mais sur le droit. Pas d’Etat
patrimonial. Ces lois fondamentales vont avoir un statut particulier, règles de
transmission de la Couronne, inaliénabilité du domaine de la couronne,
l’indisponibilité puis la catholicité du roi mais plus tard. Au moment des guerres
de Religion.
En la dotant d’un statut, la couronne devient souveraine, n’obéit à
personne d’autres qu’a elle – même. Le pouvoir du roi, dans les limites de ce
pouvoir fondamental, est lui – même souverain. Tend vers l’absolutisme et le
pouvoir du roi. Le roi incarne ce pouvoir, le roi lui – même, par son statut, est
souverain.
Souveraineté, terme latin, désigne à la base une réalité différente : superioritas, le
supérieur. Cela a donné dans le vocabulaire du droit médiéval le terme de seigneur ou de
suzerain. C’est exercer un pouvoir, premier, mais par rapport à d’autres pouvoirs.
Exercer le premier pouvoir, au sens d’une hiérarchie entre les pouvoirs. Très peu de
personnes dotées d’un status au Moyen – Age, c’est un grand seigneur et reçoit le titre de
roi. C’est UN grand seigneur, a donc été choisi comme roi. Ainsi, au XIIIe, « le roi est le
seigneur des seigneurs de son royaume », au sommet de la pyramide des pouvoirs.
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Supérieur aux autres mais son pouvoir n’existe qu’en comparaison avec les autres. Mais
le droit médiéval a construit des alvéoles de pouvoir, seul existe le pouvoir de l’Eglise. A
partir du XIVe, pour les rois, le terme de superioritas va changer de sens, va devenir un
superlatif et va désigner alors un pouvoir qui n’a pas de supérieur au dessus de lui,
l’instance suprême. Pouvoir qui existe en lui – même. Car incarne l’Etat, la chose
publique. Le roi n’est plus suzerain mais souverain. La couronne est souveraine et
indissociablement, le roi est souverain.
La souveraineté est « plénitude de puissance ». « Le Roi est empereur en son royaume ».
Construites par les Légistes. Prétend être souverain dans son royaume, qu’il a le status
de l’empereur dans l’empire romain, celui de chef d’Etat, dans les limites de son
royaume.
« Imperator », imperium en latin, le pouvoir de commandement suprême. Eh bien le roi
le détient. Juridiquement se construit le pouvoir du roi, cela le détache de l’ordre
seigneurial, ça en fait une puissance politique. Le vocabulaire est ici d’une extrême
importance.
Mais le pouvoir du roi est il illimité ? Raison d’Etat est toujours la meilleure, au sens ou
Machiavel l’énonçait ? Non, exerce au nom de la couronne, la couronne a des droits et
des prérogatives auxquelles le roi ne pouvait déroger. La royauté est limitée par ce qui
la constitue, par ce qui lui donne un status, car pas d’action en soi, mais action au nom
de. Au Moyen - Age, « bien commun du royaume », équivalent de notre Intérêt Général.
Ce qui exprime la souveraineté de l’Etat, ce sont des lois, des règles, car statut exprimé
par des lois fondamentales…
La différence Grande Bretagne – France : deux conceptions différentes de la place du
pouvoir au sein de l’Etat.
Pour les juristes anglais, droit pragmatique, la GB va voir naître d’autres institutions,
cousines, la justice d’abord est rendue au nom du roi. Le roi au Moyen - Age exerce sa
souveraineté à travers ses tribunaux de justice, bonne administration du royaume,
montre le pouvoir suprême de l’homme. La justice est le premier pouvoir du souverain.
Rapidement indépendante vis – à – vis du pouvoir du roi, car les officiers de justice vont
avoir un statut particulier qui va garantir leur caractère inamovible et bientôt de ce
parlement de justice naît le parlement d’Angleterre, représentation possible du
royaume, dans sa dimension politico – sociale, représentants du royaume qui
s’organisent en parlement, avec le roi, n’exerce l’autorité qu’au nom du roi, mais s’en
détache. Le modèle de monarchie modérée naît en Angleterre. Le roi est souverain
quand il préside sa cour de justice, il n’est pas tout seul, car accompagné des institutions
qui fondent son royaume.
En France, c’est radicalement différent. Légistes empêchent l’émergence d’un Parlement
de France et cour de justice indépendante. Oui le roi et la couronne sont distincts mais le
roi en majesté, incarne et représente, fait vivre cette couronne, ne peut donc y avoir de
contradiction d’intérêts. Pour l’exercice du pouvoir, aucune contradiction n’est requise,
les cours de justice ne sont que l’émanation du pouvoir royal. Principe de justice retenue
détenu par le roi. Et de même, pas de Parlement avant 1789, les Etats Généraux du
Royaume que le roi convoquait quand il l’entendait. En 1789, cela faisait bien longtemps,
depuis 1614, que ces Etats Généraux non réunis ? Bombe à retardement. Ce n’est même
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pas un parlement, c’est la juxtaposition des statuts (anciens status) sociaux du royaume.
Le roi s’appuyait sur cette structure inégalitaire pour nier toute autonomie aux
différents corps. C’est la souveraineté du roi, même s’il l’exerce au nom du droit. Et
quand pas de contre – pouvoirs à la hauteur, multitude de contre – pouvoirs rend
impotent le pouvoir, multiplicité d’intérêts, de statuts, société disloquée, inorganisée, qui
rend le pouvoir de la rue. Ca reste l’un des problèmes français encore aujourd’hui.
A partir des mêmes principes, régimes politiques différents.
Monarchies européennes ont trouvé un statut juridique, ont trouvé un fondement légal à
leur autorité, à leur pouvoir et c’est là le plus important.
Etat et souveraineté soumis à plusieurs turbulences, surtout celle de la seconde moitié
du XVIe, guerres de religion. Car évidemment l’effondrement de la chrétienté unie ne va
pas se limiter à l’émergence des Etats, mais le dogme lui – même, l’organisation de
l’Eglise qui va être remis en cause. Eglise a toujours connu des dissidences mais l’Eglise
avait fini par les contenir, les supprimer. Eglise installée des Papes à Avignon, de 1308 à
1379, crise de leadership mais ne touchait pas la théologie chrétienne, l’unité de l’Eglise,
des sacrements. Au XVIe, si. Aboutit à l’éclatement de l’Eglise. Reste debout mais n’est
plus unie. Naissance d’un nouveau christianisme. Ces secousses religieuses ont des
origines politiques. Finalement, la Réforme, sur le plan religieux tire les conséquences de
la fin du magistère politique du Pape. Toujours le « souverain pontife », encore
aujourd’hui mais au Moyen - Age, Eglise exerçait un pouvoir politique, à cause de
l’insuffisance de la puissance des Etats, le Pape était le premier personnage politique.
Dès le XIVe, statut remis en cause mais c’est au XVI à travers les guerres de religion, que
ce statut va être totalement remis à plat et partant, refondé. Condamnation des
protestants du cléricalisme, crise est une conséquence de la remise en cause du pouvoir
premier du pape au sens de la chrétienté. Les textes religieux du christianisme au XVIe,
sont mieux connus, l’imprimerie diffuse. Les langues vernaculaires ont prises sur plus de
personnes. Message mieux connu, mieux discuté et unité de l’Eglise s’en trouve atteinte.
Textes réinterprétés. Au nom d’une foi nouvelle, actualisée, les protestants quittent les
catholiques. Les causes sont donc théologiques et religieuses mais également cause
sociétale à souligner. Rêve d’un empire chrétien universel est aboli. Nous ne sommes
plus chrétiens de la même manière. Avant, alliance du trône et de l’autel. Mais
institutions religieuses ébranlées et le pouvoir d’Etat augmente. On va se tuer, vu comme
une pathologie, ennemis sont dans l’erreur. Combattent jusqu’à la mort. Dans une
société qui n’est pas capable de mettre en place la tolérance. Ainsi, les Princes vont
choisir la religion, plus que les peuples. Certains Etats catholiques allemands vont
devenir protestants, nouvelle alliance avec nouvelles institutions. GB bricole en 1534 et
fondation de l’Eglise Anglicane, mais contient des catholiques et protestants.
En France, croisement et confluent Europe du nord et Europe du sud, les protestants
vont se convertir. Dans un pays comme l’Allemagne, on dit « extirper le venin de
l’hérésie ». Mais en France, on ne tuera pas. On ne peut pas le faire, on a essayé comme
en 1572, on traite donc le problème différemment. Vertu de l’Edit de Nantes, donne un
statut aux Protestants. Qualité de désigner un modèle laïc pour l’Europe future car on ne
pouvait faire autrement. Principes politiques particuliers, les Légistes vont s’y employer.
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La dernière fois nous avons vu la construction juridique du pouvoir monarchique qui
transforme l'ancien seigneur du Moyen Age en un monarque : un chef d'Etat doté de
droits régaliens.
Les termes d'Etat et de souveraineté, ainsi que la res publica constituent l'essentiel du
vocabulaire juridique du monarque et ils assoient son pouvoir. Ces droits régaliens
n'impliquent pas que soit donnée au droit une souveraineté illimitée : le pouvoir est
exprimé par le droit et donc encadré par le droit. Les légistes royaux avaient affirmé
l'existence d'une loi fondamentale du royaume (organique) qui notamment organise la
transmission du pouvoir ainsi que la manière dont le roi exerce son pouvoir (au nom du
bien commun) et donc ne l'exerce pas à titre privé, le pouvoir n'est pas un droit
patrimonial il est hors commerce, le royaume est inaliénable et incontestable. Il y a donc
une permanence du pouvoir. Ce n'est pas encore l'Etat de droit, mais un Etat souverain
encadré par le droit dont le pouvoir souverain est encadré par le droit.
Dès le XVI, le paysage politique s'en ressent : la chrétienté se fissure quand des
royaumes émergent. De plus, il y a des guerres continuelles entre Etats qui ont pour
moteur des questions religieuses. Car la religion n'est pas un droit d'expression. Certains
Etats se convertissent à la Réforme. Quand d'autres gardent le catholicisme.
Etre souverain signifie être délié de tout commandement supérieur, et donc de l'Eglise.
Dorénavant les finalités sont le bien commun, l'intérêt général et plus la religion. C'est
une première laïcisation du politique car l'ordre politique est souverain.
Dans ce paysage européen notre pays avait une place particulière : la France est sans
doute la monarchie qui avec l'Angleterre, de par son ancienneté et de par sa tradition
juridique, a élaboré le modèle de souveraineté le plus élaboré. Dès François Ier, cette
notion apparaît au XIV : le souverain absolu. Ce n'est pas l'absolutisme des Lumières. Le
roi s'affirme comme empereur dans son royaume, et l'empereur est dotée d'une
souveraineté absolue : une souveraineté qui n'obéit qu'à lui même. Absolu ne s'emploie
jamais tout seul : on parle de souveraineté absolue, de monarchie absolue. La middle
Europa n'élabore pas une théorie de l'Etat à l'échelle d'un royaume mais de la cité
(Allemagne, Italie).
Au XVIIe, la référence à la modernité en terme de politique, est la France. Avant d'arriver
à ce modèle, il y a la crise des guerres de religion. D'où vient ce royaume?
La France est d'abord un pays qui du point de vue culturel est métissé, parce qu'il est à la
fois un pays de culture latine et de culture germanique. C'est un pays qui est moins
homogène qu'un certain nombre de royaume comparable, dont la superficie est
importante.
Cette tradition latine et germanique va avoir des conséquences sur la manière dont va
être appréhendé le schisme. Des sujets du roi se déclarent protestants et des milieux
sociaux aussi, mais ils n'obtiennent pas une adhésion majoritaire. En France (en Europe)
la croyance doit être commune entre le roi et ses sujets. Une adhésion du roi fait donc
basculer un Etat vers une religion de manière définitive. Et donc les minorités
religieuses migrent, au XVI, cette diaspora a joué un rôle fondamental dans le
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développement économique de l'Europe. Le protestantisme refuse l'organisation
cléricale du catholicisme, ils refusent l'adhésion du trône et de l'autel. On assiste à une
éradication des minorités et en France cela s'exprime notamment par la nuit de la saint
Barthélémy en 1572. Cela va être un choix moral, politique, fondamental dans l'histoire
de France. Car ceci place la monarchie dans une situation extrêmement périlleuse.
L'objet de cette action échoue. Le protestantisme dans le pays ne faiblit pas.
L'échec fait que la monarchie devra résoudre autrement ce problème en 1598 : Édit de
Nantes. C'est un édit de pacification. Ce n'est pas un édit de tolérance, au sens
d'aujourd'hui. La tolérance a un sens emprunté au droit romain, lorsque l'on tolère que
l'on reconnaisse à égalité, on tolère par rapport à ce qu'on estime une norme valable.
Mais on considère que vous êtes dans l'erreur même s'il l'on vous donne des droits.
L'erreur reste le protestantisme, mais l'édit reconnaît qu'une minorité des sujets des
rois puissent avoir une religion différente. Le roi qui édicte ce édit était protestant, puis
devient catholique : c'est Henri IV. Il va faire de la souveraineté quelque chose de
différent, la saint Barthélémy avait fait de la souveraineté un arbitraire. Cette tentation
d'arbitraire est déjà présente dans la saint Barthélémy. Le roi guide la souveraineté en
lui donnant un autre sens par l'édit de Nantes. Au nom de la res publica que cet édit est
publié (liberté de culte, certains lieux de production). Mais l'édit de Nantes doit amener
les enfants protestants vers l'Eglise. Cela ne va pas marcher. L'édit de Nantes est
révoqué en 1685 par Louis XIV.
Le roi intervient jusque dans la sphère religieuse ce qui était inimaginable avant. La
religieuse devient un devoir d'Etat car elle implique des guerres et donc une absence
d'harmonie sociale. La religion ne peut plus être le lien social premier, elle est un risque,
donc désormais seul le souverain, l'Etat peut maintenir et réguler cette harmonie
sociale. Le même pouvoir d'Etat qui auparavant avait choisi son camp, désormais
intervient dans la sphère religieuse et assoit son autorité souveraine. En France, on va
être dans une tradition concordataire, début d'une laïcité, l'alliance du trône et de l'autel
restera le signe du moyen-âge.
Jean Bodin, Les six livres de la République, 1576.
Le contexte est encore troublé.
Bodin s'est inscrit dans une tradition différente de Machiavel. C'est un juriste dans la
tradition française de formation au droit romain. Il résume deux siècles de droit public
français et va exprimer la quintessence de ce droit.
Des expressions religieuses naissent des embryons de partis politiques. Deux
mouvements naissent qui vont avoir une interprétation différente de la Saint
Barthélémy.


Les monarchomaques : les théoriciens de la monarchie. La période est une
période qui voit le pouvoir souverain devenir arbitraire. Ils sont protestants et
donc après la St Barthélémy, ils voient le pouvoir comme despotique. Le roi a
failli à sa mission. Ils vont donc contester par la théorie le pouvoir absolu, et donc
vont proposer une monarchie limitée, tempérée.
Les politiques : ceux qui réfléchissent sur le politique et qui accordent au
politique d'être l'instance suprême. Il ne faut pas moins de pouvoir d'Etat mais
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plus. Seul le roi peut mettre fin à la guerre civile. Il faut renforcer son pouvoir
souverain. L'arbitraire pour Bodin ce sont les partis arbitraires religieux, ce sont
les factions qui se combattent.
Ce pouvoir d'Etat sera exalté par Napoléon...
JJR fait référence également à Bodin. Toujours théorie absolue mais le récipiendaire
change.
Bodin va ajouter à ce que disaient les légistes traditionnels, la souveraineté est une,
inaliénable, et indivisible. La république de Bodin n'est pas un régime politique, c'est la
res publica, la chose publique, qui définissait l'Etat et le contrat entre le roi et ses sujets
(le politique grec) et comme l'avaient dit les légistes. La république est l'Etat, le
royaume. « La République est un droit (de) gouvernement de plusieurs ménages avec
puissance souveraine ».
C'est un gouvernement organisé par le droit, il est donc légitime. De plusieurs ménages :
les sujets de droit, la société est différenciée, mais s'organise ensemble à travers la
république. Enfin elle est souveraine : le gouvernement est doté de la puissance, de la
possibilité et de la liberté d'agir au nom de l'intérêt général.
Il assoit une théorie qui est venue jusqu'à nous. Pour désigner la souveraineté après
avoir défini la république, il parle de maiestas. Cette souveraineté a deux attributs
essentiels selon Bodin, elle est perpétuelle : la notion de perpétuité de la souveraineté
est tout ce qui donne sa force et sa substance à l'Etat, cela dépasse la notion de la
personne privée du roi, il déduit de ce principe que la pouvoir d'Etat est sans délégation,
le roi ne reçoit pas son pouvoir de quiconque, sauf de Dieu, mais il n'y a pas le prisme de
l'Eglise ou d'une catégorie supérieur, et il n'y pas de mandat du peuple.
Cela est différent de Saint Thomas d'Aquin. La théorie de la souveraineté perpétuelle de
la monarchie absolue est très différente, c'est un pouvoir sans délégation, puisque de
Dieu il vient directement au pouvoir suprême. Et c'est ainsi que sa légitimité est
installée. Il y a une plénitude de puissance. Le rôle du prince est d'exercer pleinement
son pouvoir selon machiavel, pour Bodin le roi doit exerce la plénitude de la puissance,
jusque dans la sphère religieuse.
Lorsqu'il y a une crise, on s'aperçoit que cela vient d'un pouvoir politique qui ne peut
plus exercer la plénitude de son pouvoir, dès lors sa légitimité est atteinte.
Absolue ou suprême : la souveraineté n'a d'autre condition qu'elle même. Ceux qui
sont souverains ne sont soumis à aucun commandement supérieur. Qu'est ce qui
pourrait limiter ce pouvoir? La loi de Dieu (s'il n'obéit plus à la loi divine) ou la loi
naturelle (si le roi exerce un droit injuste, dès lors il n'est plus fidèle à sa vocation, dès
lors il porte atteinte à sa propre souveraineté).
Cette souveraineté est « une et indivisible », il écarte l'idée de contre-pouvoirs. Elle est
intransférable à une toute autre institution. Elle est inaliénable comme le royaume, le roi
ne peut s'en défaire par volonté personnelle. Il ne peut y avoir un partage menant à la
dislocation.
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Dans quels domaines s'exerce cette souveraineté absolue? Des domaines classique et
nouveaux.
Classiques :
Le roi est justicier : c'est la justice au sens de l'administration générale du royaume. C'est
le roi qui rend justice à ses sujets. « Le roi ne peut mal faire ». Le roi très chrétien investi
par Dieu, ne peut mal faire. Comme l'image du roi juste est atteinte par la saint
Barthélémy (son image du roi « fontaine de justice »), d'où la volonté de Bodin de
revernir cette image du roi juste, et qui a le droit de vie et de mort (droit de grâce).
Le roi nomme aux emplois publics, qui le servent et qui mettent en œuvre sa politique.
L'usage de la force : il a le monopole de la force. La lente conquête des rois, s'est faite à
partir de la lente conquête par les rois du monopole de la force.
Nouveaux :
Il peut battre monnaie : c'est une manière d'asseoir un pouvoir d'Etat qui s'étend audelà des sphères traditionnelles.
L'impôt désormais relève du roi, autrefois il relevait de la coutume et du seigneur, il
n'était pas permanent.
Le roi est celui qui peut seul faire le droit. Il est fait la loi « lex animata ». Il donne vie à la
loi. La coutume fondait le droit, il émanait du corps social, désormais il exprime la
volonté de l'Etat.
Le pouvoir change de nature quand il ne se limite pas à administrer, mais décrit, anime,
crée par la loi. Au XVIe l'Etat va intervenir dans le droit qui touche les personnes :
filiation, donations, ... il y a une intervention de l'Etat jusque dans la sphère privée.
Il y a une conséquence politique : c'est l'évacuation des contre-pouvoirs.
Cela signifie que contrairement aux monarchomaques, Bodin dénie tant aux parlements
qu'aux Etats généraux d'exercer une justice de manière autonome. Ils reçoivent
délégation, donc ils peuvent être destitués s'ils s'opposent au roi. D'ailleurs le pouvoir
judiciaire n'a jamais émergé en France. Il y a aussi une évacuation des Etats généraux :
représentants de la nation organisés en trois ordres. Or certaines théories
monarchomaques veulent faire jouer un rôle nouveau à ces représentants. Ils sont des
organes de conseil. Ils les réunissent selon son bon vouloir. À partir de 1614 (pendant
guerres de religion beaucoup de réunions), il n'y aura plus de réunion des Etats
généraux jusqu'en 1789. Seuls le roi peut les convoquer, ils obéissent au pouvoir
souverain quand en Angleterre, ils obtiennent les droits de se réunir à date fixe et donc
deviennent souverains. En France, le roi s'appuie sur les Etats généraux pour des
nouveaux prélèvements...
Cette théorie de la souveraineté chez Bodin ne doit pas donner lieu à des contre-sens. Il
précise le domaine de la souveraineté. Il explique que l'ordre politique à ses limites.
Ainsi un roi qui gouverne selon les lois doit respecter un certains nombres de droits
civils qui appartiennent à la société (individus collectivement), ainsi le droit de
propriété qui garantit l'indépendance économique qui donne un statut social. La
souveraineté est donc limitée. L'ordre politique est large, et dans ce domaine il est très
présent. Mais en dehors, il est limité. On ne parle d'ordre totalitaire. Bodin est autant
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absolutiste que libéral. Le roi doit assumer les libertés ancestrales de ses sujets. L'Etat
absolutiste, n'est pas Staline (Etat omnipotent) c'est au contraire un Etat qui a pour rôle
d'asseoir les libertés et droits de ses sujets pour Bodin.
La plupart des Etats en Europe feront référence au modèle français comme le modèle à
atteindre. Un Etat le plus développé possible, qui s'oppose à l'instabilité des autres
monarchies, à l'imperfection des autres administrations, qui s'oppose à la dislocation
des pouvoirs.
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La fois dernière, on a analysé la théorie de la souveraineté depuis Jean Bodin. Avec la
modernité politique elle est soumise à sa première épreuve, les guerres de religion. Cela
aboutit, dans le cas français notamment, à l’affirmation encore plus forte de cette théorie
de la souveraineté de l’Etat et du Prince qui va caractériser l’Europe du XVII et les
relations entre Etats.
Comme l’avait déjà dit Machiavel, la souveraineté s’exprime dans deux périmètres
différents. En interne elle construit un pouvoir d’Etat souverain qui s’exprime
maintenant à travers la loi commune, un Etat qui intervient dans la sphère publique de
manière plus forte et rassemble autour du roi l’ensemble de la société. En externe cette
même souveraineté exprime l’indépendance de l’Etat par rapport aux autres, l’idée d’un
ordre international dominé par des souverainetés politiques, celle des différents états et
royaumes. Les théories de la souveraineté expriment également ces deux idées
majeures.
Cet ordre politique qui s’impose au début du XVII et succède à un ordre politique
dominé par l’idée de chrétienté et par la souveraineté de l’Eglise, sera dominant en
Europe au moins jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale
En interne, les légistes construisent, avaient fait accéder le Roi du Moyen-Age à un statut
de chef d’Etat. Le Moyen-Age, c’est la multiplicité des sphères du pouvoir politique : le
Roi est d’abord un suzerain, et lorsqu’il entend exercer son pouvoir de roi, il le fait par la
médiation de sa suzeraineté : il passe par la médiation des seigneurs, des barons.
Lorsque Philippe le Bel entend exercer un pouvoir d’Etat, sa plénitude de puissance, il se
heurte à la médiation de forces intermédiaires, aussi et surtout dans l’ordre politique
celles de seigneurs et des barons du Roi. Ce qui explique que l’Empereur du Saint Empire
Romain Germanique ait perdu l’essence de son pouvoir, cette plénitude de puissance
léguée par le droit romain, c’est que l’Empereur a été enfermé dans une sorte de cage
dorée, ne devant l’exercice de son pouvoir qu’à cette médiation. Ce que vont éviter les
Rois souverains, c’est ceci.
L’histoire de la famille capétienne est l’histoire d’une famille qui pour accéder à la
plénitude de puissance construit un pouvoir suzerain sans équivalent. Ce Roi capétien,
en tant que suzerain, n’a eu de cesse de construire un pouvoir patrimonial qui va lui
donner plus tard les moyens d’exercer sa plénitude de puissance et de changer de statut.
A partir du XVI puis des débuts du XVII, les légistes construisent un pouvoir souverain
rassemblant à long terme. Le roi va par le droit, la loi vivante (lex animata) se voir
donner la possibilité de dépasser la médiation féodale, s’adresser directement au nom
du bien commun et du royaume à l’ensemble du corps social : c’est donc la capacité
d’administrer selon les préceptes de la souveraineté, le statut de chef d’Etat. Administrer
le royaume devient le maître mot.
Après la théorisation de Bodin, c’est bien ce concept d’administration qui prime. C’est
une rupture comparable à celle Empire/Féodalité qui fonde alors un ordre politique qui
a duré au moins jusqu’en 1945.
Ce qui importe de constater, c’est que l’ordre politique européen s’en trouve
profondément chambouler : la chrétienté gouvernée par les deux pouvoirs légitimes,
l’Eglise et l’Empire, s’efface au profit d’une multitude de pouvoirs en externe, malgré le
phénomène interne décrit ci-dessus. Les Etats et les Royaumes multiples constituent
l’Europe, avec des tailles différentes. La souveraineté contribue à changer les paysages
politiques européens. A la suite des guerres de religions, cela multiplie le risque de
conflit en Europe.
Si les conflits médiévaux étaient intégrés à l’ordre politique de la féodalité, entre le XVI
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et le XVII, les conflits se multiplient, à la fois du fait de l’affirmation de la souveraineté de
chacun, du fait d’un progrès technique les rendant plus meurtriers et englobant la
société, mais surtout car devenant des conflits de souveraineté entre nations.
En mettant fin à la chrétienté médiévale, on arrive à un ordre politique qui insiste bien
plus sur la différenciation que sur la ressemblance.
Au XVI, la sortie de la chrétienté n’aboutit pas à un Empire fédéral européen mais à son
contraire. Les théories de la souveraineté vont être prédominantes, mais d’autres
théories, critiquent condamnent alertent sur les dangers d’une politique de souveraineté
absolue, à la fois à l’échelle des Etats, mais aussi au niveau Européen. De nombreux
textes portent alors sur l’idéal de paix, sur l’idée d’un projet politique commun aux Etats
qui composent l’Europe.
Ainsi, une histoire de l’idée européenne naît en réaction à cet ordre politique des
souverainetés absolues.
Erasme écrit un traité de paix qui aura pour but de faire une critique très dure de la
souveraineté absolue des Etats et proposera l’une des premières organisations
politiques de l’Europe. Du XVI au XVIII, parallèlement à la naissance, à la critique de la
souveraineté absolue, de nombreux textes, à partir du thème de la paix, émettront de
nouveaux buts à atteindre.
Au XVII, le modèle de la souveraineté absolue s’exprime dans deux sphères très
différentes qui se conjuguent tout en restant différentes.
Un Etat administratif se met en place dans un certain nombre de pays européens, avec
ceux qui ont les moyens économiques et juridiques de mettre en place la souveraineté
du Roi, avec une administration qui peut mettre en œuvre la politique du Roi dans le
royaume, en dotant l’Etat de ce qui lui manquait depuis toujours : les moyens d’exercer
sa plénitude de puissance, à la fois financiers (impôts), militaires (monopole de la force
publique), juridiques, administratifs. Notamment en France, le monarque peut
intervenir jusqu’à la sphère religieuse. Cela touche essentiellement au droit privé : c’est
la condition pour que le monarque ne devient pas despote, que son pouvoir ne dépasse
pas un certain cadre légal.
Si plus rien n’arrête la souveraineté de l’Etat, ceci va permettre à l’administration d’Etat
d’intervenir dans des domaines de plus en plus larges et vastes de la vie sociale. Tout le
XVII est celui d’une lente ascension non plus de la souveraineté mais de l’administration
de l’Etat. Le Royaume de France de Louis XIV apparaît comme l’exemple d’un «bon»
royaume, avec un Roi qui étend sa souveraineté sur l’ensemble de la société.
Ceci a un coût très élevé, surtout dans le domaine français. Cet Etat administratif
s’exprime tout en affaiblissant et parfois en empêchant tout contre-pouvoir organisé :
l’existence d’assemblée représentative de la Nation (les Etats Généraux ne peuvent subir
aucune comparaison avec l’assemblée britannique). Les Cours de Justice, Parlements,
dans l’ordre de la justice au sens large, sont certes des garants des droits des citoyens.
L’Etat de justice est le modèle anglais, l’Etat administratif le modèle continental, selon la
typologie de Rousseau. L’administration permet un développement économique
incomparable, accompagne la richesse de cette nation. La conséquence est une société
qui affaiblit, désorganise tout contre pouvoir institutionnel, et empêche le conflit naturel
de toute société.
On a donc un Etat souverain qui peut gouverner avec ses ministres, mais qui a des
limites, comme l’absence d’opposition politique. Ceci apparaît cependant comme le
modèle vers lequel on doit tendre.
20
Mais il y a le deuxième pilier de l’Etat : «tout pouvoir vient de Dieu» : l’alliance du trône
et de l’autel s’est réagencée, et fonde toujours l’Etat politique. Ainsi, la souveraineté
absolue est aussi la théorie du Roi divin, du Roi Soleil (1... 2... 3...). Le Roi est ministre de
Dieu : toutes les théories de la souveraineté construisent un Roi dépositaire du pouvoir.
La souveraineté toute entière entre les mains de la papauté de l’Eglise se retrouve
désormais partagée avec les souverains, et non avec le peuple comme le pensait Saint
Thomas d’Aquin. La transposition du modèle de l’Eglise dans l’Etat est frappante (cf.
Bruno Etienne) : il y a un transfert qui se fait dans la théorie du droit administratif : en
se laïcisant, il s’imprègne néanmoins d’une organisation héritée de l’Eglise.
Au XVII, les défenseurs de la monarchie absolue sont des théologiens... On fait le choix de
ne pas détailler les concepts dans ce cours.
Le gouvernement du Roi vient de la volonté divine et de la providence divine, inscrit
dans l’Histoire du Salut où il joue un rôle déterminant. Ces théories providentialistes
pullulent en Europe (cf. Bossuet). Ces théories portent plus que les théories des légistes :
l’émotionnel, le Roi guérisseur. «La politique est beaucoup le faire savoir, pas tant le
savoir-faire». Il ne faut pas interpréter la modernité comme une sortie du religieux.
La crise des guerres de religion a dans l’Histoire de la pensée structuré deux courants :
le parti des politiques (des légistes comme Bodin), et celui des monarchomaques.
Les monarchomaques vont être du point de vue de la croyance à la fois plus divers
(protestants mais aussi catholiques) que les politiques mais aussi plus imprégnés des
questions religieuses, étant souvent soit des religieux soit très proches de la sphère
religieuse. Leur «passion» religieuse joue un rôle déterminant dans leur prise de
position politique. Alors que les légistes insisteront sur la neutralité de l’État tout en
étant fidèle à l’Eglise, les monarchomaques font de la question religieuse avant la
question politique la question première. Finalement, leurs théories tirent des
conséquences ouvrant vers la modernité
Les monarchomaques émergent d’abord en France, au sein d’une minorité persécutée en
raison de sa foi. Les protestants luttent, souvent dans une situation de minorité. Les
monarchomaques trouvent les moyens d’une expression politique. C’est en France que
la situation est la plus complexe. C’est sans doute le royaume qui va par sa situation
laisser émerger le plus de contradictions dans ce domaine. Le mode d’expression est
profondément moderne : ils s’expriment à travers la construction politique de l’Etat. Les
monarchomaques ne réaliseront aucune grande synthèse politique comparable à celle
d’un Bodin. Ils sont plus désorganisés que les légistes : ils ne se trouvent pas dans la
sphère du pouvoir. Ils utilisent énormément l’imprimerie et toutes ses potentialités. Ils
publient des pamphlets qui agissent finalement comme une communication politique.
Cela constitue un véhicule d’expression, d’utilisation de l’imprimerie tout à fait
contemporain. Nombre de ces textes sont utilisés relativement massivement, et
permettent donc l’expression.
La plupart de ces textes sont anonymes. Leur impact provient aussi de la condition dans
laquelle ces textes sont réalisés. Ils utilisent des pseudonymes empruntés à l’Antiquité.
C’est dans un contexte assez troublé et particulier que s’expriment les
monarchomaques.
A posteriori, les monarchomaques paraissent cohérents. Ils sont unis contre les théories
du pouvoir absolu ; ils diffèrent sur l’alternative. L’unité, c’est avant tout l’opposition à.
Différents auteurs :
 François Hotman qui publie en 1573 La Franco Gallia. C’est un converti protestant qui
est en même temps formé à la haute fonction publique et qui est doué d’un grand talent
21
pamphlétaire. C’est un texte à la fois polémique à l’égard de l’Eglise catholique.
 Le Réveil-Matin des Français et de leurs voisins, écrit anonyme.
 Théodore Bèze publie une Traité du droit des magistrats sur leurs sujets. Il est
professeur de théologie.
 La vengeance contre les tyrans
Ils s’égrainent entre 1573 et 1579. Ce qu’il y a de commun, c’est la condamnation de la
monarchie absolue, l’idée que c’est une déviance de la monarchie. Tous ces auteurs sont
des monarchistes. La République, à l’échelle d’un grand état, est dite convaincue. On
dénonce la déviance de la monarchie. La monarchie historique est tempérée, elle ne
gouverne pas seule, elle s’appuie sur les Etats Généraux du Royaume et les Parlements.
Ils théorisent les contre-pouvoirs. Tous ces textes pointent l’origine de cette déviance de
l’absolutisme. Le régime, c’est la confusion de la sphère politique et de la sphère
religieuse.
La question de l’origine du pouvoir du Roi : les monarchomaques posent une question
iconoclastes depuis des siècles en sommeil : qui t’a fait Roi ? Les monarchomaques
remettent en cause le présupposé classique de tout pouvoir venant de Dieu. On dit que le
Roi ne peut mal faire, un Roi vertueux rendant la justice au nom de Dieu. Or pendant, les
guerres de religions, le Roi a choisi un camp, le camp des catholiques. Le Roi a donc du
coup oublié sa fonction première d’être au-dessus des présupposés politiques.
Normalement, il ne choisit pas entre ces sujets. Les soupçons d’incitations royales du
massacre de la Saint Barthélémy soutiennent l’idée que le Roi peut mal faire. Le contrat
est rompu. A nouveau, on discute sa légitimité. Avec qui a-t-il rompu ce contrat ? Il a
rompu le contrat à l’égard de Dieu, mais aussi celui avec son peuple.
C’est ici que les monarchomaques expriment l’idée d’un consentement populaire
originaire au pouvoir du Roi. Il y a bien un double contrat, à la fois entre Dieu et le Roi, et
entre le peuple et le Roi. Ce qui compte, c’est ce consentement populaire. Les magistrats
ont été créés pour le peuple, et non le peuple pour les magistrats. «Il n’y a pas d’homme
qui ne naissent avec les insignes du pouvoir». Pour les monarchomaques, on devient
roi : on n’est pas l’hériter mais le successeur.
L’ordre est la prospérité des membres du corps social. Les monarchomaques en font un
impératif. Si le Roi ne remplit plus sa formalité, il peut être condamné ou remis en cause.
Ainsi le consentement populaire se précise. La délégation consentie au Roi est
conditionnelle. Dieu seul est sans limite, alors que les droits sont soumis à la loi de Dieu
et doivent obéir à celui-ci. Les monarchomaques rétablissent une hiérarchie à l’avantage
de Dieu. La conception de l’Etat est beaucoup plus emprunte de religiosité.
La notion de contrat, si l’on y réfléchit, est assez voisine de celle de constitution. Le Roi
doit préciser ces lois fondamentales qui limitent le pouvoir du Roi. Ce cadre
contraignant n’est possible que si l’on comprend qu’au dessus du Roi, il y ait Dieu. Cette
théorie du Contrat, les monarchomaques en tirent toutes les conclusions. La question
qui se pose est celle du consentement et de la sanction de ce contrat. Si un parti ne
remplit plus les conditions du Contrat, quelle sera la sanction publique? Aucun n’osera
montrer qu’il faut opposer sa force au Roi, une autorité privée ne pouvant s’opposer au
pouvoir public (de Bèze). D’autres voient une sanction possible par Dieu, avec les
hommes incarnant la main de Dieu : on parle des tyrannicides. On appelle alors le Roi le
tyran manifeste. Il faut non seulement déterminer précisément déterminer les éléments
permettant d’affirmer que le Roi est devenu tyran, mais ensuite les conditions de
décision et d’application d’une hypothétique sanction.
22
Les monarchomaques réactualisent le rôle des Etats Généraux et des Parlements.
Les monarchomaques perçoivent la souveraineté comme pouvant être partagée. Elle
implique une monarchie limitée et non pas absolue; elle est partagée. Ces conceptions
permettent à la fois d’affirmer que l’on a à faire avec un courant prélibéral et en même
temps un courant qui puise dans des sources anciennes, classiques, médiévales.
Ils sont prélibéraux au sens où les monarchomaques entendent limiter les pouvoirs du
prince notamment à travers la théorie du contrat qui unirait le peuple, le Roi et Dieu. Les
monarchomaques ne conçoivent d’ordre politique que voulu par Dieu. A l’occasion du
ressourcement de la réforme, le religieux devient une fois de plus un élément essentiel,
où Saint Paul est revalorisé : «tout pouvoir vient de Dieu» et non du peuple.
Les théories de la monarchie absolue aboutissent à faire du Roi le vicaire du Christ, cela
repose entièrement sur lui. Les monarchomaques font du peuple le dépositaire du
pouvoir qui remet un pouvoir au Roi. Or cette théorie du contrat n’est pas nouvelle :
Saint Thomas d’Aquin défendait déjà que «tout pouvoir vient de Dieu par l’intermédiaire
du peuple». Des théories essaient d’élaborer des pouvoirs, un travail sur la souveraineté
qui pourrait laisser penser à un système prélibéral. La relation Roi/peuple s’éclaire :
initialement fondée simplement sur un système féodal et hiérarchique, le Roi ne devient
«que» le magistrat supérieur. Le gouvernement ne peut être que celui du prince mais à
partir de mandat : le gouvernement du Roi peut être qualifié par le peuple. On débouche
sur les théories du despotisme possible du Roi. Ce peuple n’a pas les moyens de jouer ce
rôle de donner le sens du pouvoir. On développe donc l’idée de médiateurs
intermédiaires entre le Roi et le peuple : les Etats généraux et le Parlement. Sur une
lecture traditionnelle, on retrouve les mêmes médiateurs médiévaux (noblesse +
clergé) ; le fait que les politiques dénoncent les monarchomaques comme étant des
théories venues du passé est tout à fait révélateurs ; c’est autour de la noblesse que le
débat public se focalise : c’est le dernier (ou l’avant-dernier) moment où la noblesse joue
un rôle politique de premier plan (même si la période de Louis XIV montre un moment
de jacquerie de la noblesse). Il y a chez les monarchomaques la théorie des corps
intermédiaires où la noblesse traditionnelle joue un rôle déterminant. Le corps social
insiste moins sur sa noblesse que sur sa qualité d’institution.
La théorie des monarchomaques est en réalité une théorie du contre-pouvoir : en ce
sens ce sont des libéraux. Les Parlements sont des institutions nées de la monarchie : le
développement du pouvoir du Roi a fait naître ces pouvoirs du Roi. Très rapidement, par
le rôle éminent donné par la tradition aux autorités de justice, ces institutions mettent
en place et dans un certain sens limitent le rôle du pouvoir. Les Parlements ont
concrètement des moyens d’être des contre-pouvoirs : lorsque le Roi faisait une loi, il
devait la faire enregistrer, ce qui ce fait par les Cours de justice. Cette étape est
indispensable pour donner vie et force juridique à la loi du Roi. A cette occasion, les
Parlements pouvaient émettre des remontrances, des amendements et proposer une loi
au Roi. Mais le Roi peut démettre des magistrats à tout moment.
A la fin du XVI, les monarchomaques entendent que les Etats Généraux jouent un rôle
considérable. Ce qui fait un Parlement, c’est sa souveraineté : composé de représentants
du peuple et/ou de la nation. La naissance du parlementarisme en France, c’est le
serment du Jeu de Paume. Les Etats Généraux ne peuvent pas eux s’auto instituer. La
pratique française est contraire à l’autoinstitution : ils obéissent à la convocation du Roi
qui fixe de l’ordre du jour : entre 1614 et 1789, les Etats Généraux ne seront plus réunis.
Deux faiblesses de la politique française sont ainsi mises en évidence : la justice n’est pas
un pouvoir, et la problématique de l’organisation au Parlement.
23
Les Etats Généraux ne sont réunis que par le Prince. En revanche, il y a un élément
fondamental, un point central dont Bodin disait que cela faisait partie des droits et
libertés des sujets du Roi : la question de l’impôt. Ce qui donnait légitimité à l’impôt,
c’était la coutume, par exemple la contribution due à l’Eglise. Le Roi était dans les
institutions monarchiques assez limité quant à sa possibilité de créer des impôts
nouveaux. L’intervention croissante de l’Etat implique des moyens donnés à l’Etat. Le
Roi, aussi bien pour des besoins de guerre, que pour asseoir la justice et l’Etat, doit
pouvoir donner vie à des impôts nouveaux : il les fait voter par des Etats Généraux. Ils
sont les conseils au Prince, l’aide au Prince (surtout pécuniaire). Très concrètement, les
Etats Généraux jouent un rôle fondamentale, l’ancêtre du pouvoir parlementaire. Les
monarchomaques sont d’abord des engagés religieux. Par définition, alors que la
monarchie absolue débouche sur l’Edit de Nantes, les monarchomaques sont englués
par l’esprit religieux. En parlant de religion, ils posent néanmoins la question de la
liberté de conscience. On oscille donc entre liberté et tradition, originalité des
monarchomaques.
Les monarchomaques conçoivent le politique comme une affaire de rapports de force et
de luttes. Ils introduisent la violence dans l’action politique. Machiavel l’a fait dans le
cadre du pouvoir du Prince. Ici, les monarchomaques opposent à la violence du prince
une autre violence, la résistance à la tyrannie. Aboutir à l’assassinat d’un Roi n’est pas
surprenant. La phase ultime de la Résistance, pour les monarchomaques, c’est l’appel au
meurtre du Roi. Il s’agit pratiquement d’un parricide. La plupart des monarchomaques
ne recommandent pas directement, mais en appellent à Dieu... Cependant Dieu
intervient par la main de l’Homme.
Il y a eu aussi des monarchomaques catholiques, notamment à partir du moment où
Henri IV est devenu Roi : le Roi de Navarre est protestant, soupçonné de complaisance :
beaucoup de catholiques n’ont pas admis l’Edit de Nantes. Les théories des
monarchomaques vont être utilisés contre Henri IV, mais pour des buts différents,
contester l’Edit de Nantes et la tolérance religieuse qu’il met en place. Les
monarchomaques du moment font donc passer leurs convictions religieuses avant tout.
Dans la culture catholique et les milieux catholiques, les théories monarchomaques ont
été plus marginales mais ont pu se diffuser rapidement. Dans la culture catholique, la
monarchie absolue n’est pas forcément le régime naturel, ce n’est qu’une évolution
possible de la monarchie.
Avec le XVII° européen, les courants politique et monarchomaque irriguent deux
conceptions du pouvoir et de la souveraineté qui débouchent sur les théories de l’Etat
absolu, administratif, et celles des limitations du pouvoir (Montesquieu).
Le XVII peut être analysé de manière profondément différente. Si on veut en voir
l’Histoire officielle, le XVII français est celui de l’apogée d’un modèle politique, le siècle
de Louis XIV, de la monarchie absolue. Politiquement, le modèle français est
particulièrement prégnant en Europe : la France apparait comme un royaume bien
administré par la vertu de son régime, ensuite parce qu’au-delà même le modèle français
s’exporte. La langue française est parlée dans les élites européennes : la culture et la
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civilisation deviennent originales et modèles en Europe. On a l’impression d’une relative
stabilité après la crise des guerres de religion. C’est un regard français sur la réalité du
XVII.
Du point de vue anglais, le XVII est celui des révolutions en Angleterre : au milieu puis à
la fin du XVII. C’est une période de rupture profonde dans l’ordre monarchique anglais.
Cette rupture est au moins aussi importante que les ruptures continentales de la fin du
XVIII. Dans les théoriciens de la monarchie absolue, Hobbes est un théoricien inquiet,
qui a une expression de la souveraineté profondément différente de Bossuet et des
auteurs français. Il vit dans une époque contrastée et troublée. On comprend aussi qu’en
France l’inquiétude à l’égard de la monarchie absolue ne soit venue que bien plus tard.
Il reste pour aller à l’essentiel, que si l’on regarde de manière générale ce qui se passe en
Europe au XVII, c’est plus un siècle de changements profonds que de stabilité apparente
: la monarchie en France a été tellement forte qu’elle a été capable de contenir, voire de
masquer ses changements. Si l’on regarde le reste de l’Europe, les fissures sont plus
nombreuses : elles ne donnent pas une contestation de l’ordre politique mais elles sont
non négligeables en Espagne, en Autriche, en Suède, au Danemark. L’auteur historien qui
a le mieux perçu ces changements du XVII qui précède les grands changements du XVIII :
La crise de la conscience européenne, Paul Hasard. Il analyse comment tous les ferments
des changements du XVIII sont à l’œuvre au XVII, avec les fondations médiévales qui se
fissurent.
Le Royaume d’Angleterre a un modèle politique et une Histoire particulière. Son modèle
politique est depuis longtemps fondé sur une monarchie de type limité. On a une
tradition anglaise de limitation du pouvoir monarchique ou encore de contre-pouvoir
extrêmement important au sein de l’ordre politique anglais. Mais les théories
absolutistes ont eu cours jusqu’en Angleterre. L’Angleterre n’a pas échappé à un débat
d’idées, avec la tentation du modèle absolutiste. Comme, de plus, la crise religieuse a été
particulièrement vive, on a eu un ébranlement politique extrêmement profond et plus
contrasté qu’on ne le dit. Au milieu du XVII, on ne peut pas encore dire si c’est le modèle
contrasté ou absolutiste qui va l’emporter. Deux résolutions débouchent sur le modèle
d’une monarchie limitée.
L’auteur qui nous permet de comprendre ce processus n’est pas classé parmi les
libéraux : il s’agit de Thomas Hobbes. Thomas Hobbes, tout en défendant le modèle de
l’Etat absolu va introduire dans sa pensée des ferments intellectuels. Hobbes a écrit un
maître ouvrage, capital dans la compréhension de son œuvre : le Léviathan. Le Léviathan
est imaginé par Hobbes comme la figure tutélaire de l’Etat, du pouvoir. Il est présenté
sous la forme d’un monstre doté de possibilités d’action sans fin. Image forte et
frappante, le Léviathan est la manière dont Hobbes décide de représenter le pouvoir
d’Etat et le pouvoir absolu. Alors que Hobbes va développer autour de la nécessité d’un
Etat fort, il va pour séduire ses lecteurs utiliser l’image du Léviathan, peu attirante du
pouvoir d’Etat ! Il envisage l’Etat comme issu d’une société troublée où la société doit
être domestiquée, mise sous tutelle. Le Léviathan est ce que le pouvoir d’Etat doit
montrer pour se faire obéir d’une société terrible. Le Léviathan n’est pas la figure du
pouvoir mais le masque que prend le pouvoir pour parler à la société et s’imposer à elle.
Hobbes est ainsi d’une certaine manière un enfant de Machiavel. C’est la conviction que
seul un pouvoir politique fort peut organiser l’harmonie sociale.
En 1651, c’est donc l’année de publication du Léviathan, après la première révolution
d’Angleterre de 1648 à 1650, dite révolution Cromwell, du nom de ce militaire qui ira
25
jusqu’à instituer une république en mettant fin à la monarchie. Dans ce court moment
républicain, ce n’est pas la tradition libérale mais une tradition absolue fondée sur
l’exception et la dictature qui s’impose. Au moment de la fin de cette première
révolution, Hobbes publie son ouvrage, comme l’enfant monstrueux de cette première
révolution.
Hobbes fait partie de ces auteurs qui ont eu une vie solitaire d’études et de cabinet.
Hobbes n’est pas un acteur politique : il écrit faute d’en faire. C’est une œuvre d’une
qualité exceptionnelle du point de vue philosophique et politique. Hobbes est un
positiviste, un matérialiste, un rationaliste : il est déjà l’héritier du bouleversement
religieux de son temps. Lecteur de l’Antiquité, il conçoit la politique comme une science.
Il se place ainsi dans la ligne d’un Machiavel. Il affirme que la politique peut s’étudier
comme une science d’un point de vue rationaliste et positiviste. Il prend soin de définir
l’objet de son étude. Il est à la fois dans le pathos, les passions ; il utilise un vocabulaire
davantage emprunté aux textes religieux (notamment l’Apocalypse) qu’aux écrits
antiques. Sa manière d’utiliser des images empruntées à la sphère religieuse l’amène en
même temps à dénoncer celle-ci. Il dénonce souvent la manière dont la religion utilise la
condition humaine. Hobbes veut libérer l’homme des fantasmes de la peur. La thérapie
de ces peurs collectives et individuelles, c’est une science politique qui constitue des
fondements politiques inébranlables. Hobbes, c’est une philosophie du pouvoir.
Cette philosophie est au départ traditionnelle : Hobbes est monarchiste. Il est fidèle aux
principes mêmes de la monarchie. Plus loin, Hobbes est en fait favorable à un certain
type de monarchie, la monarchie absolue de droit divin. Il défend cette cause au nom de
principes qui ne sont pas directement empruntés à la sphère religieuse : l’intérêt des
individus, de la conservation de l’harmonie sociale et de la paix. Sa philosophie du
pouvoir n’est pas de montrer la divinité du pouvoir, il sécularise le pouvoir et en montre
l’utilité.
Il y a ensuite une analyse des stades du pouvoir. Il faut distinguer dans l’Histoire du
pouvoir plusieurs étapes :
L’Etat de nature : Hobbes amplifie une réflexion déjà développée avec Saint Thomas,
mais devenue beaucoup plus prégnante depuis la rupture avec les savoirs. Cette
question est primordiale lorsque la tradition est bouleversée, les savoirs remis en
cause. L’idée que la société est un fait naturel s’est largement effritée. Hobbes affirme
que la société est le fruit d’un contrat, d’un pacte volontaire.
La société civile
Dans l’Etat de nature, l’homme est un loup pour l’homme. Ce qui fait l’Etat de guerre, ce
n’est pas seulement le syndrome de Caïn. Les hommes sont égaux devant la nature ; de
cette égalité procède le rapport de force, la défiance, la guerre de chacun contre chacun :
la vie est solitaire, abêtie et courte. Les notions morales ou la notion de propriété
n’existent pas : il n’y a pas de société. C’est le passage à la société civile qui civilise
l’homme, le civilise suffisamment pour que se développent une industrie, une science,
une culture... ce qui crée l’humanité. L’inégalité n’est pas vu comme étant une injustice,
mais comme un élément d’organisation de la société.
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Cette théorie de l’Etat se développe dans un contexte de troubles politiques majeurs en
Angleterre avec deux révolutions : celle du demi-siècle dites Cromwell qui débouche sur
l’exécution du Roi et la seconde, qui vient après les analyses de Thomas Hobbes et qui
débouchera sur le modèle anglais de monarchie tempérée.
Thomas Hobbes est en quelque sorte à l’intersection des théories classiques de l’Etat
(développée depuis le XVI : l’Etat assure la sécurité de ses citoyens, qu’il incarne un
intérêt presque général, que le pouvoir politique peut être analysé de manière
rationnel). L’Etat a désormais le monopole de la force qui caractérise le Léviathan.
Thomas Hobbes présente le rôle de l’Etat sous la forme d’un monstre qui n’aboutit pas à
l’arbitraire, mais d’un monstre capable de régner sur la société et de régner au sens grec
du terme.
Cette théorie se double d’un autre élément au moins aussi important que la théorie de
l’Etat: la question classique de l’origine du pouvoir, mais également la question
envisagée de manière nouvelle de l’origine de l’Etat social qui va déterminer la légitimité
du politique, sa place dans la société. L’origine du pouvoir, Hobbes étant rationaliste, il
considère la politique comme une science. La politique est un ensemble de signes, un
langage qui socialise l’homme, qui permet la vie commune, et à partir de cette vue
rationaliste, Hobbes récuse le recours classique au droit divin, à la théorie classique
chrétienne d’une origine divine du pouvoir. Hobbes sera souvent, dans un certain
nombre de cas, le compagnon de route des théoriciens du droit divin pour défendre la
cause du pouvoir absolue, de la souveraineté une et indivisible au nom de la
conservation de la société, des intérêts des individus. Hobbes le fait du point de vue de
l’utilité sociale, du point de vue d’une sécularisation du pouvoir d’Etat. Même si l’œuvre
d’Hobbes est emprunte d’énormément de fantasmes et de peurs, elle est le reflet d’un
athéisme politique qui place Hobbes dans la succession de Machiavel.
L’origine du pouvoir doit bien plus être analysée dans sa finalité que dans une origine
extérieure à celui-ci. Du coup, ce qui va compter, c’est effectivement la question de
l’insertion du pouvoir dans la société, la question des finalités du contrat social, terme
employé par Thomas Hobbes, ce qui fait que les hommes vivent en société et obéissent à
des lois et à un gouvernement communs. Hobbes écarte les théories classiques venues
de la Grèce et d’Aristote d’une sociabilité naturelle. A ces théories, il oppose une analyse
fondée sur un pacte originel, un contrat originel qui unit les individus composant la
société. Lorsqu’il envisage la communauté sociale, celle-ci est analysée d’un point de vue
utilitariste en se fondant sur les intérêts communs qui permettent l’édification sociale, le
pacte social qui fait vivre les hommes entre eux. La sociabilité naturelle était une
manière d’envisager l’homme de manière universelle à travers les lois naturelles, mais
aussi une manière d’envisager la société du point de vue du groupe, de la collectivité. En
introduisant la question d’un contrat unissant les individus qui font société ensemble,
c’est du point de vue de l’individu que la question de la société se pose et non plus
seulement du point de vue du groupe. Ce n’est pas l’homme qui est fait pour la société
mais la société qui est faite pour l’homme.
En germe les théories individualistes, libérales : la théorie du Léviathan est aussi une
théorie du contrat social avec les prémices de l’individualisme
Si Hobbes écarte l’origine divine du pouvoir, il revient aux Grecs en distinguant
plusieurs stades dans l’Histoire du pouvoir. Il opère une distinction entre l’état de nature
et la société civile. Pour Hobbes, l’Etat de nature est un état d’anarchie, de violence et de
guerre, la guerre de tous contre tous. Dans l’Etat de nature, les hommes sont égaux : ils
sont dans une situation de servilité vis-à-vis de leur environnement naturel. Le
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développement économique n’est pas permis, la vie familiale n’existe pas, l’Homme
révèle là sa condition monstrueuse. Hobbes a une conception profondément pessimiste
de la conception humaine, de la nature humaine. A partir de cela, Hobbes s’oppose à tous
les théoriciens du droit naturel. Pour Hobbes, c’est un effort, une manière de surmonter
l’Etat de nature qui mène à l’état social. Cet effort doit être accompagné, mis en
perspective par rapport à ce qui va permettre de faire société ensemble : la construction
d’une puissance publique qui donne des règles communes à l’ensemble de ces hommes
qui naturellement son en guerre les uns contre les autres et qui par l’effort sur euxmêmes vont faire société ensemble. Pour Hobbes, la seule liberté qui existe à l’état de
nature, c’est la défense de soi-même, la conservation de sa propre nature.
Le passage à l’état social, c’est le fait de dépasser cette règle en en faisant une règle
générale. Le corps social cherche la paix, chercher à se défendre par tous les moyens : la
paix et la sécurité deviennent un problème collectif : c’est le contrat social. Les individus
forment la collectivité (et non l’inverse) par le contrat social. Le contrat social est une
association pour le mieux vivre entre les individus qui forment ainsi la société. Ce
contrat implique une aliénation au moment même où il est créé : le transfert des droits
politiques à l’Etat, au pouvoir politique, chacun abandonne la possibilité d’exercer par
lui-même et pour lui-même la violence : la préservation de chacun et de tous est assurée
par une force publique. Ce transfert est fait par la collectivité à l’Etat.
La société est un fruit artificiel, un calcul intéressé et non un fait naturel. La souveraineté
se fonde sur un contrat : c’est un contrat entre des individus qui décident de se donner
un souverain. Ce qui fait que l’on classe Hobbes près de la souveraineté absolue, c’est
que ce contrat, loin de limiter une souveraineté de l’Etat, lui attribue la totale
souveraineté pour assurer la conservation de la paix au sein de la société, ce souci
«fondamental de la condition humaine». En effet, Hobbes vit des temps troublés de
guerres civiles, de révolutions politiques : il y a la conscience aiguë de la fragilité du
corps social. Hobbes est en plus un patriote, il s’inscrit dans ces auteurs politiques qui
depuis la Modernité pense à travers l’Etat et l’identité d’un groupe social, d’une
communauté qui s’envisage comme une Nation (même si le terme ne veut pas dire la
même chose à l’époque). A l’époque des guerres continentales, l’Angleterre n’échappe
pas notamment à un conflit début XVII avec l’Espagne. Hobbes est alors témoin d’une
menace qui pèse sur son royaume : l’invasion de l’extérieur.
Le pouvoir politique s’incarne encore : on est dans des temps monarchiques. Le pouvoir
prend d’abord la forme d’un prince, d’une famille qui se transmet le pouvoir. Les
apparats du pouvoir lui donnent son immédiateté et sa proximité. Lorsque Hobbes
analyse le transfert vers l’Etat des droits des individus, l’Etat n’est pas vu comme un être
abstrait. Le Léviathan est une personne qui incarne l’Etat. La multitude se constitue en
société, la multitude constitue une seule personne qui s’incarne dans ce prince titulaire
du pouvoir. D’une certaine manière, Hobbes définit ainsi le consentement de chacun du
pouvoir : ce pouvoir n’est que le prolongement de soi-même. Le Léviathan est donc fait
de tous ceux qui lui ont délégué le pouvoir et le soin de les défendre. Ainsi ce Léviathan
est un monstre ambigu. L’Etat est gigantesque, tentaculaire mais garde une image
humaine qui le ramène à son origine. L’Etat est alors la somme des intérêts particuliers.
Le citoyen n’abandonne ses droits à l’Etat que pour être protégé. Si l’Etat n’assurait pas
cette sécurité, il perdrait sa vocation première.
Ce transfert est absolu, et le pouvoir sera absolu. Il s’agit de protéger chacun, et donc
28
chacun doit promettre d’obéir à l’Etat. Y a-t-il des droits à l’état de nature ? On a vu que
le droit premier est finalement le droit d’assurer sa propre survie, sa propre sécurité. Ce
droit est considéré comme la propre liberté. Quand l’individu abandonne ce droit, c’est
désormais l’Etat qui distribuera à chacun ses droits. L’Etat accorde ainsi le droit de
propriété auquel est très favorable Thomas Hobbes comme condition de la sociabilité et
comme assurant le développement même de cette sociabilité. L’Etat fonde la propriété,
la garantit et la limite. La propriété n’existe comme droit pour chacun que parce que
l’Etat la garantit. Les droits civils sont accordés par l’Etat dans la construction de la
société nouvelle aux individus. Ces droits touchent la filiation, le mariage, le contrat, etc.
tous ces éléments qui fondent une société civile essentielle au modèle libéral. Il n’y a
aucun droit politique, uniquement des droits civils. Le Léviathan demeure le maitre de
tous.
Les droits civils sont des droits laïcisés. Que l’on parle de droit civil ou de souveraineté
absolue de l’Etat, il n’y a plus de place pour aucune autorité spirituelle qui
concurrencerait, s’opposerait, se distinguerait de l’Etat. Dans la société du Léviathan,
l’Eglise est subordonnée à l’Etat dans un rapprochement que l’on peut faire avec ce qui
étaient déjà les rapports du politique et du religieux dans l’Antiquité (l’organisation de la
religion est subordonnée à l’organisation sociale). Le souverain s’appuie sur l’Eglise,
mais c’est d’abord la puissance de l’Etat qui est affirmé.
Dans cette vision du corps social, il faut encore mettre un élément en avant : il n’y a
aucune place pour les corps intermédiaires : l’unité du corps social est assurée par le
Léviathan : le Contrat social est avant tout un contrat entre individus pour le mieuxvivre. Il ne peut pas y avoir de corps intermédiaire qui serve de médiateur entre la
société et le pouvoir. Cette théorie de l’Etat chère à Hobbes, on la retrouvera chez
Rousseau. Ainsi donc, s’il n’y a pas de corps intermédiaire, il reste la question de
l’organisation du Léviathan... C’est un souverain absolu qui n’a aucune limite extérieure
à son propre pouvoir. Il n’y a pas de théorie de limitation, de division voire de séparation
des pouvoirs. Y a-t-il donc des limites à la souveraineté du Léviathan? Il n’y a même plus
la limite de Dieu ou de l’Eglise. Hobbes parle d’un pouvoir nécessairement raisonnable :
il ne peut pas faire n’importe quoi à moins de remettre en cause sa souveraineté : il doit
donc redistribuer les droits civiques. Un pouvoir déraisonnable ne serait plus ce pouvoir
du Léviathan qu’Hobbes appelle de ses vœux. Le souverain a donc des devoirs. Le
pouvoir est indéfini par sa finalité. Si on doit regarder les limites de cette souveraineté,
c’est donc seulement le principe de raison, le gouvernement raisonnable des Grecs, la
conscience professionnelle du souverain. Il serait déraisonnable pour le souverain de ne
pas chercher l’intérêt de son peuple.
Hobbes est aussi un partisan convaincu de la monarchie absolue. La seule forme
organisation possible de l’Etat pour un grand pays européen, c’est la monarchie. Si
Hobbes est un théoricien à la fois dans la lignée de Machiavel et dans la lignée de l’Etat, il
théorise relativement moins sur la monarchie. Son attachement à la monarchie ne doit
rien à la foi chrétienne, ou au lien de filiation avec le monarque, ni avec la volonté de
préserver des intérêts liés à l’existence même de la monarchie. C’est toujours la
monarchie dans l’Etat, comme forme d’organisation de l’Etat. A partir du moment où la
monarchie est vue pour sa rationalité, on peut concevoir qu’un autre régime puisse
demain lui succéder. Le contrat social est fondé sur le droit de l’individu à sa propre
conservation. Fonder l’absolutisme sur ce droit est très ambiguë, l’absolutisme étant
fondé sur la tradition ancestrale chrétienne du pouvoir politique. Il est plus proche de la
29
bourgeoisie anglaise que de la vieille noblesse. Sa conception peut tant servir les
conservateurs que les réformateurs des régimes.
Il nous faut maintenant en venir à cette seconde moitié du XVII, un second moment de
bascule. On retrouve l’expression de deux familles politiques différentes. La première
filiation politique, la première famille se regroupe autour des théoriciens de l’Etat,
envisagé dans une souveraineté une et indivisible. Une autre famille politique est initiée
par les monarchomaques, à travers le contrat politique qui unit les sujets. Cette seconde
famille s’épanouit et donne naissance au libéralisme politique, avec la théorie de la
limitation des pouvoirs. Deux figures dominent donc la scène : Hobbes et Locke.
Les deux auteurs se situent à des moments historiques charnières, Le Léviathan est
publié en 1651, 2 ans après l’exécution du Roi. L’Essai sur l’entendement humain et Les
traités sur le gouvernement civil paraissent peu après la seconde révolution, celle de
1688.
De l’extérieur, Hobbes et Locke sont opposés à partir de ce constat commun. On dit que
Hobbes combat la révolution : il en dénonce les excès. Locke épouserait les idées de la
seconde révolution et les théoriseraient de son œuvre. En fait ces affirmations sont
profondément excessives, sinon fausses.
Chez Hobbes comme chez Locke, il y a de commun l’utilitarisme, la politique envisagée
comme rationalité, l’individualisme. Ainsi, on n’a pas d’œuvre à contre-courant : on a
une filiation beaucoup plus profonde entre ces œuvres que ce que l’on pourrait
supposer.
Au moment du Léviathan, après l’exécution de Charles I, on retient de Thomas Hobbes
que les institutions politiques et sociales trouvent leurs justifications dans la protection
et la garantie des individus qui composent le corps social. La protection et la garantie
des individus qui composent le corps social sont des conceptions révolutionnaires. Ces
idées sont porteuses de restaurations et de changements. C'est d’abord la restauration
de la monarchie, à la fois forte et garante de la protection des individus. En 1688, les
thèmes de la révolution sont les mêmes. On réforme l’ordre politique au nom des
intérêts des individus et des intérêts du corps social. C’est essentiellement dans la
bourgeoisie d’affaire que l’on va trouver véhiculées ces idées. Si il y a des courants
révolutionnaires qui semblent s’opposer à ces théories (le courant des niveleurs qui se
manifeste surtout lors de la première révolution autour de l’armée de Cromwell et qui
défend l’instauration d’une République), on s’aperçoit que ce mouvement est lui aussi
fondé sur l’utilitarisme, l’individualisme, la garantie des droits individuels. Les niveleurs
vont sans doute pour la première fois développer un esprit de classe proche des
mouvements plébéiens à Rome.
La seconde Révolution d’Angleterre est d’abord l’œuvre des forces politiques et sociales
: la bourgeoisie et l’aristocratie. La révolution de 1688 est réussie, elle débouche sur une
réforme majeure de la monarchie anglaise. Cette révolution est rapidement transformée
en réformes politiques majeures du régime. John Locke permet d’accompagner la voie
révolutionnaire vers la réforme du régime en cours. En ce sens, il est un théoricien
essentiel déjà en son temps. Il fournit des armes politiques et intellectuelles. Mais John
Locke va léguer une théorie du pouvoir politique qui fonde une grande partie de l’Etat
de droit en Europe et au-delà tel que nous le connaissons. Le père de l’Etat de droit, c’est
John Locke.
30
John Locke exerce un magistère intellectuel dans l’ordre de l’Histoire de la pensée
politique. Il aura des disciples et des adversaires. Joseph De Mestre dira que «le
commencement de la sagesse, c’est le mépris de la pensée de John Locke». John Locke se
place toujours dans l’équilibre et la modération : il n’a pas la volonté de frapper son
lecteur. John Locke semble plutôt exprimer l’opinion de ces classes dirigeantes éclairées
qui en Angleterre ont accompagné la réforme politique. Tout au long de cette œuvre,
dans sa simplicité, la pensée de Locke est une rupture avec le corpus politique
traditionnel en Europe.
John Locke comme Aristote, est un médecin. Il appartient à une famille puritaine. C’est
un homme qui en son temps a eu un rayonnement social important. Dans son œuvre, le
premier objet est d’expliquer que la révolution en Angleterre n’est pas un accident
historique dont il faudrait se défier. La révolution est un «événement commandé par la
raison humaine» s’intégrant à une raison qui dépasserait la contingence et expliquerait
le sens de la Révolution.
Dorénavant, la finalité de la société, c’est le bonheur, l’équilibre, l’épanouissement de
l’individu. John Locke considère donc que l’homme est un être raisonnable. Locke y
ajoute que la condition humaine est guidée par la recherche du bonheur. Il critique
fortement la vision de Thomas Hobbes et son pessimisme de la nature humaine. Si pour
Locke la préservation de la vie est essentielle, la vie implique un épanouissement
personnel, assimilable à la notion de bonheur. Pour John Locke, la politique a aussi la
finalité de la recherche du bonheur : la paix, l’harmonie, la sécurité. Celles-ci trouvent
leur sens dans la quête du bonheur individuel et collectif. Point de bonheur sans
garantie politique, sans des droits politiques.
Lorsque John Locke envisage l’état de nature, il le voit comme relativement pacifique. Ce
n’est pas la guerre de tous contre tous que décrivait Thomas Hobbes. La nature n’est pas
féroce ni parfaite, simplement perfectible.
Pour John Locke, cette notion de perfectibilité va être le ciment sur lequel John Locke
exprime ses idées politiques. La propriété privée permet un rapport à l’environnement
totalement différent que lorsque l’homme ne possède rien. L’idée est que la propriété
existe dans l’état de nature. L’Homme cherche la possession dans sa quête de bonheur,
afin de donner à l’existence humaine un sens qui va au-delà de sa condition première.
Cette théorie de la propriété tient une grande place. Elle atteste des origines bourgeoises
mais aussi de l’esprit d’une époque : l’individu se distingue du groupe auquel il
appartient notamment par son émancipation économique et sociale fondée sur la
propriété. John Locke voit dans la propriété le prolongement de la condition humaine.
Celui qui n’est pas propriétaire n’est pas maître de lui-même. La propriété est donc
naturelle mais aussi bienfaisante : elle civilise l’individu mais elle est également
bienfaisante pour l’ensemble de l’humanité. Celui qui est propriétaire d’une terre va par
son travail augmenter les ressources communes, un développement de la richesse qui se
partagera au sein de la société. Le propriétaire ne prend à personne, et par la propriété
et le travail, donne la possibilité à plusieurs de devenir propriétaire. Ainsi donc la
théorie de John Locke explique son libéralisme économique et politique, ainsi que la
place centrale de la propriété.
Les fins du gouvernement sont donc d’assurer ce bonheur avec la protection de la
propriété.
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La fois dernière, nous étions entré dans l’analyse des principes du libéralisme moderne
et notamment anglais. En étudiant la période des deux révolutions d’Angleterre, nous
avons étudié d’abord la pensée de Thomas Hobbes, une pensée autour des théories de
l’Etat absolutiste mais qui en même temps par les théories du Contrat social introduit
une vision des rapport entre l’individu et le corps social qui servira de base au
libéralisme anglais. Ainsi donc avec Hobbes, nous avons introduit la pensée de John
Locke. Il est sans doute le père d’une pensée qui sert de soubassement politique,
philosophique au modèle de société qui est encore le notre aujourd’hui autour de l’Etat
de droit, du libéralisme politique et économique, et de la démocratie représentative.
John Locke exprime son époque, il exprime dans son œuvre (Traité du gouvernement
civil) l’idéal de l’époque, ou plus exactement d’une catégorie sociale au sein de cette
époque : la bourgeoisie, la noblesse la plus éclairée d’Angleterre, celle qui participe et
accompagne la seconde révolution d’Angleterre. Dans ces années qui suivent la
révolution d’Angleterre, de1688 à 1695, John Locke écrit l’essentiel de son œuvre : Essai
sur l’entendement humain, Lettre sur la tolérance, Le Christianisme raisonnable. Ce libéral
développe un trait caractéristique de la philosophie anglaise : son empirisme. John
Locke va toujours justifier sa démarche à partir de la puissance des faits qui lui
paraissent comme éminemment raisonnables car issus de la société des hommes conçue
comme raisonnable. L’Homme est pour Locke un être raisonnable. C’est sur la raison
même de l’homme que l’on peut fonder sa liberté, la condition de son épanouissement,
inséparable du bonheur. Cette idée du bonheur fonde la théorie politique de John Locke.
Si l’homme est un être raisonnable, si la liberté est inséparable du bonheur, alors la fin
de la politique, la fin (finalité) du contrat social doivent être les fins de cette
philosophie : le bonheur, qui doit fonder tout contrat social. Cette finalité repose sur un
certain nombre de conditions, une certain harmonie sociale : paix, sécurité, sûreté au
cœur du contrat social. Cette idée est au fondement même de la sociabilité et de l’idée de
société. Cette paix et cette sécurité sont le cadre dans lequel va s’épanouir l’individu.
Le rapport entre l’individu et la collectivité est pour John Locke un élément d’analyse
extrêmement important et essentiel. John Locke renverse profondément la perspective
qui fonde la société. La perspective de la philosophie traditionnelle était que l’individu
ne se conçoit pas en dehors du groupe ; le contrat social assure à l’homme la sécurité,
mais ce serait l’individu qui se mettrait au service de la société qui le fait exister. Ce que
Locke dit est l’exact inverse. Ce n’est pas l’homme qui est fait pour la société mais la
société qui est faite pour l’homme. Ce point renverse la théorie du contrat social et a
donc des conséquences sur l’ordre politique. L’ordre politique a comme première
vocation désormais la liberté, l’accomplissement de chacun dans la société. Tout
gouvernement irrespectueux de la liberté perdra son statut même de gouvernement, sa
vocation même. Les Grecs avait vu le gouvernement comme agissant selon les lois, Locke
le voit comme agissant pour la liberté et le bonheur de tous et de chacun. Il se place en
ce sens dans une certaine de continuité des Grecs. Locke codifie le contrat social dont
nous héritons aujourd’hui.
Toutes ces théories de John Locke reposent sur une conception en amont de l’Etat de
nature. Entre Thomas Hobbes et les Lumières, toute théorie politique comme par une
théorie de l’Etat de nature et des institutions de cet état de nature. Ce qui précède le
contrat social est d’une extrême importance.
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Hobbes, dans le contexte de la première révolution d’Angleterre, conçoit les évènements
violents comme le reflet de la fragilité du contrat social et étant les annonciateurs d’une
nature humaine raisonnable mais sur laquelle des forces extrêmement puissantes
pèsent et qui peuvent s’épanouir dans l’Etat de nature. Pour Hobbes l’état de nature est
un état de guerre.
Pour Locke, l’état de nature est un état pacifique et non pas un état de guerre. La nature
n’est pour lui pas parfaite (Rousseau idéalisera l’état de nature). Pour Locke, l’état de
nature est pacifique. Si l’homme peut être violent pour ses semblables, il n’est pas par
nature fondé à l’autodestruction permanente. L’entrée en société doit donc garantir la
liberté. C’est ici l’influence de la seconde révolution d’Angleterre, beaucoup moins
violente. Locke affirme l’état de nature comme pacifique car l’état de nature n’est pas
désormais en son principe. L’homme fonde dès l’état de nature une famille, et a la
propriété. La propriété est antérieure à la société civile.
La théorie de la propriété tient chez John Locke une très grande place. Cette théorie de la
propriété éclaire une grande partie de la démarche de John Locke. Elle atteste que Locke
est le porte-parole de la catégorie sociale qui monte en puissance en Angleterre et qui
est le moteur des changements économiques dans ce pays, fondés sur le libre-échange,
un libéralisme économique qui n’est que la continuation d’un modèle de société
européen déjà extrêmement prégnant en Europe depuis la Renaissance. La question du
droit de propriété est importante du point de vue l’ordre économique et social, et de ses
origines. La propriété est analysée dans toutes ses dimensions. La propriété est
bienfaisante pour le propriétaire lui-même : elle lui offre la liberté et le civilise : elle
apporte donc la paix. La propriété est bienfaisante pour l’ensemble de l’humanité. Celui
qui s’approprie une terre par son travail ne vole pas : il augmente par son travail la
ressource commune. John Locke écrit que « le plus grand bonheur ne consiste pas à jouir
des plus grands plaisirs. Il consiste à posséder les choses qui produisent le plus grand
plaisir. » C’est encore une fois la valorisation de la propriété.
Si la propriété existe dans l’état de nature, le pacte social doit la garantir. « La fin
principale de la société civile est la conservation de la propriété » au nom de la liberté et
de bonheur.
La société civile et le gouvernement sont synonymes. Que signifie ce rapprochement ?
L’attribution de gouverner est avant tout d’administrer et de légiférer. Il manque dans
l’état de nature des lois, des juges et une police : voilà ce qu’apporte le gouvernement
civil. Le pouvoir politique est une sorte de dépôt ; on est loin de la sacralité du pouvoir.
Ce dépôt est confié par les hommes à leurs semblables, ceux qui gouverneront, confié
par des propriétaires à l’égard d’autres propriétaires. Les gouvernants sont au service
de la communauté. Leur mission consiste à assurer bien-être et propriétaire. Pour John
Locke, c’est la société qui s’organise à travers ses lois et qui se dote d’un gouvernement.
C’est une brèche ouverte pour toutes les théories de la démocratie représentative. Il n’y
a pas de fascination pour le pouvoir en lui-même : le pouvoir est une administration et
un corpus de lois. Le pouvoir « suprême » est donc le pouvoir législatif. Le pouvoir
politique ne se présente plus seulement comme assurant la paix et la juste mais plus
précisément comme législateur. Cela accentue le rôle du pouvoir au sein de la société.
Ces lois permettent de vivre ensemble plus que l’origine même de la loi. Exercer le
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pouvoir, c’est d’abord légiférer. Faire des lois est déjà garantir la propriété au nom de la
paix et de la sécurité.
Dans cette conception du pouvoir, ce que d’autres appelaient imperium est limité de la
façon la plus précise possible. Quelle est la prérogative de l’exécutif ? John Locke voit un
roi : il est monarchiste. Le pouvoir est confié au prince pour qu’il pourvoit au bien
public. Le prince est beaucoup plus dans le rôle de celui qui exécute les lois issues du
contrat social. John Locke appelle de ses vœux l’existence d’un parlement législateur qui
légifère au nom de la société. Le prince doit être le garant de la loi, celui qui permet
l’incarnation de la loi, mais surtout leur application à tous.
John Locke distingue deux pouvoirs. C’est la conséquence de son libéralisme politique.
En distinguant deux pouvoirs, il permet d’entrer dans une conception de pouvoirs qui
s’équilibrent, de contre-pouvoirs. Il porte atteinte à l’unité du pouvoir. Il va plus loin que
simplement constater des fonctions au sein du pouvoir, il les sépare voire les oppose : il
parle de pouvoir exécutif et de pouvoir législatif. Ces deux pouvoirs ne peuvent pas être
réunis dans les mêmes mains.
La distinction entre la société et le gouvernement est pour Locke très relative.
Finalement, le gouvernement doit administrer et légiférer au nom de la société. Si
l’important est de légiférer, de se doter de lois, alors il faut un pouvoir législatif
autonome à côté du pouvoir exécutif. John Locke distingue et sépare les pouvoirs. Cet
Anglais, à la fin du XVII, a à sa disposition les instruments institutionnels qui manquent à
d’autres théoriciens en Europe. Le Parlement anglais se distingue peu à peu du Roi. John
Locke trouve dans le Parlement d’Angleterre qui voit ses pouvoirs accrus après la
seconde révolution, dont le mode de désignation favorise la bourgeoisie, l’institution
centrale de ses théories.
D’ailleurs, Locke défend une hiérarchie entre ces institutions : le Parlement est
supérieur à l’exécutif : c’est l’âme qui donne forme, vie et unité à l’Etat. Locke est-il pour
un pouvoir législatif illimité ? Non, il conçoit tout pouvoir comme limité ; le pouvoir
législatif est limité par les droits naturels fondés par le pacte social. Le pouvoir législatif
a pour limite ce qui le fonde : la liberté de chacun.
Tout pouvoir doit garantir la liberté et donc s’autolimiter. Le pouvoir a donc une
dimension morale et s’arrête dans sa finalité même, la liberté et la garantie de la liberté
de chacun. Le pouvoir doit être juste. La finalité du pouvoir reste la liberté, fondée sur
l’idée de raison de l’homme. Le pouvoir doit donc être lui-même raisonnable. Il faut des
principes moraux qui expriment la raison de ce pouvoir. Le pouvoir est aussi un
problème moral : il n’a d’autre but que le juste. Il ne peut être légitime que s’il démontre
qu’il est raisonnable.
Le pouvoir peut porter atteinte aux droits naturels. Face à cela, John Locke déclare que
l’on peut résister au pouvoir : la résistance à l’oppression est un droit naturel. Ce n’est pas
simplement une réaction à : résister est un acte raisonnable s’il est fondé politiquement
et philosophiquement. Il devient un droit de la collectivité. Est-ce un droit
d’insurrection ? Locke n’insiste pas sur une révolution qui serait violente… Il fonde la
résistance à l’oppression sur un droit : c’est d’abord institutionnellement que l’on
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résiste. Il ne s’agit pas d’une résistance fondée comme les monarchomaques sur la
souveraineté populaire, sur la loi du nombre et d’une certaine manière sur un peuple qui
se soulèverait. Locke reste un bourgeois qui se méfie énormément du peuple et des
théories de la souveraineté populaire. Il ne croit pas que le nombre fasse raison. Le droit
de la résistance est là pour protéger les droits naturels de chacun. La résistance à
l’oppression est une manière de remettre le pouvoir sur le droit chemin, contraindre le
prince à respecter la légalité, les lois et les droits naturels de chacun. C’est beaucoup plus
la résistance de chacun que l’expression d’une souveraineté populaire : on n’invite pas le
peuple à se révolter, mais il s’agit pour chacun de résister à l’ordre injuste. Ce droit de
résistance est un appel à la sagesse, au compromis, à des résistances institutionnelles. La
société que propose Locke est une théorie de la tolérance. En 1689, la Lettre sur la
tolérance reflète cette théorie.
Ce que John Locke définit par tolérance est fondé sur sa théorie du pouvoir et sur sa
conception de l’homme. Si la finalité de la société, c’est le bonheur individuel, alors le
Contrat social garantissant les droits naturels, la société ne peut être qu’une société de
tolérance. Il définit la tolérance de manière libérale. Un siècle auparavant, au moment
des guerres de religion, on a vu combien il était difficile d’admettre la différence
religieuse. L’Edit de Nantes est un édit qui donne une définition étrange de la tolérance ;
on tolère quelqu’un dans l’erreur, le temps de le faire revenir vers la norme, le temps
que cette erreur s’efface. Il y a dans cet Edit l’idée d’une norme acceptée et acceptable de
tous, et que la dissidence reste une pathologie. Avec Locke, la tolérance est alliée à la
liberté, et le Contrat social doit aménager la diversité des opinions. La diversité est à
l’origine même du Contrat social. La tolérance est la mise en œuvre de cette diversité des
opinions.
Comme tout Européen de son temps, la diversité des opinions concerne pour Locke les
croyances. John Locke développe d’abord une pensée politique foncièrement laïque : il
sépare de manière rigoureuse le domaine religieux, spirituel du domaine laïc, temporel,
civil. Tout le pouvoir du gouvernement est d’être civil. S’il est civil, il n’a rapport qu’aux
intérêts civils. Aux fondements mêmes du pouvoir, le pouvoir légitime est par nature
civil. La religion est donc séparée de l’ordre politique. Voilà en quoi à la fin du XVII Locke
apparaît comme extrêmement audacieux, une audace que n’auront pas forcément les
Lumières après lui.
Cette séparation n’est pas division ou guerre puisque les opinions religieuses ont un
droit absolu et universel à la tolérance. Locke fait de la croyance une opinion. Ce qui
fondait jadis la politique se voit relégué dans la sphère privée de l’opinion. Ce n’est plus
qu’une opinion qui n’a pas à entrer en relation avec les fondements de l’ordre politique
et les finalités de cet ordre. Il peut donc y avoir des opinions. La sphère dans laquelle
s’exprimait la norme qui fondait l’ordre social est la sphère analysée comme celle de
l’opinion et des opinions. Bien loin des guerres de religion, pour Locke, exprimer sa foi
sous la forme de la Réforme ou du catholicisme n’est plus qu’une opinion. C’est bien
dans le domaine des croyances individuelles qu’est reléguée la religion.
Cependant Locke est tout sauf athée. Il s’insurge contre ceux qui le considèrent comme
un matérialiste. Dans Le Christianisme raisonnable, il démontre qu’on peut conjuguer foi
et raison, que sa foi chrétienne est fondée sur la raison. Il considère que d’une certaine
manière la croyance est un élément important du contrat social. Il est important que les
hommes croient et aient des principes religieux. Là aussi, la religion ne peut être l’objet
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d’une guerre de chacun contre chacun. S’il y a des opinions, la tolérance est un élément
de paix et d’équilibre. Le désordre est le risque encouru par un gouvernement qui
s’allierait à une opinion et chercherait à l’imposer au corps social. La paix est garantie
par un gouvernement qui échappe à l’hypothèque religieuse et permet la tolérance
religieuse, et la liberté d’opinion, la liberté de conscience.
L’Angleterre demeure néanmoins à l’époque dans de nombreux conflits religieux qui se
combinent avec des opinions d’une critique extrême à l’égard de l’ordre religieux.
L’ordre anglican s’organise. L’Angleterre est un laboratoire religieux, avec une société
dans laquelle les questions religieuses sont importantes.
La théorie de la tolérance amène Locke à une autre analyse concernant la révolution.
Enfant de la seconde révolution, il demeure extrêmement critique à l’égard de l’Etat
révolutionnaire. Dans la révolution, deux excès s’affrontent, « l’absolutisme du monarque
d’un contant, l’absolutisme du peuple de l’autre ». Locke dénonce autant le despotisme
d’un seul que celui de tous. Il fonde la tolérance sur le respect de l’individu au-delà de
ces deux risques de despotisme. L’ordre et le calme ne peuvent être fondés sur
l’instabilité d’un gouvernement révolutionnaire. L’idéal politique reste un Etat qui fonde
sa légitimité sur la liberté de chacun.
Ordre, calme, sécurité ne sont autres que les valeurs de la classe bourgeoise qui en
Angleterre se détache de la classe moyenne et fondera un élément essentiel de l’ordre
économique et social anglais. Avoir le souci d’un pouvoir qui se limite lui-même, c’est le
souci d’un programme politique libéral complet. Ce programme, Locke est persuadé que
la monarchie rénovée devenue parlementaire à la fin du XVII peut l’affronter.
Locke préfigure les Lumières, ouvre le siècle de la philosophie des Lumières. Or, il reste
ancré dans sa culture et sa société. Lorsqu’on lit John Locke, il demeure un sujet de la
monarchie anglaise, Anglais jusqu’au bout des ongles, avec une Europe continentale déjà
vue comme exotique. Par sa définition universelle, il semble très dubitatif sur
l’exportation même de ses principes et de ses valeurs. Le continent reste un état de
principes et de servage, fondé sur le Moyen-Age bien plus que sur le Parlement. Il ne voit
nullement des pouvoirs respectueux des droits civils et des libertés.
Néanmoins cette Europe continentale va considérablement évoluer au XVIII. Nous
l’avons laissé avec son modèle de monarchie absolue, alors apparaissant comme le bon
gouvernement adapté au temps. C’est au sein même de ce modèle que l’inquiétude va
naitre, que des fissures vont s’exprimer. En effet, du Royaume de France et de ce qui
l’entoure arrive l’expression d’une pensée politique qui à la suite de John Locke conteste
la monarchie absolue et l’ordre social ancien.
Les Lumières vont se servir du véhicule et du rayonnement du Royaume de France pour
retourner l’universalité de ce modèle pour en faire l’universalité des Lumières,
programme de subversion profonde de l’ordre établi qui entend modifier l’ordre
politique, et même le Contrat social.
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Montesquieu
Originaire de l’Aquitaine et de Bordeaux, il est le premier représentant de cette
philosophie des Lumières qui change l’esprit. Montesquieu est à la fois un héritier de la
pensée politique anglaise (il inaugure cette période où l’Angleterre devient une
référence idéologique ; les élites françaises contestent leurs propres institutions au nom
d’un propre modèle). Il exprime énormément d’idées inspirées de cette filiation anglaise.
Son modèle de monarchie limitée doit beaucoup au modèle de la monarchie anglaise.
Mais il n’y a rien de plus français que Montesquieu.
Par son statut, sa formation, sa culture, il reste Français. C’est un parlementaire au sens
de magistrat, au Parlement de Bordeaux. C’est donc un officier du Roi, qui rend la justice
au nom du Roi. Il a à l’égard de la monarchie une sorte de vénération permanente. Il
parle du monarque comme d’un père, avec une proximité qui montre à quel point
Montesquieu est dans la tradition française d’un pouvoir incarné par le prince. Par
formation, Montesquieu est un homme d’Ancien Régime, tout du moins dans sa
situation.
La plupart des écrits de Montesquieu s’étalent au milieu du XVII. L’œuvre majeure de
Montesquieu est en 1748 la publication de L’Esprit des Lois. Cette publication est
précédée d’œuvres presque aussi célèbres et déterminantes : Les Lettres persanes et Les
Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence. On a pu
définir Montesquieu comme le premier des sociologues et le dernier des philosophes.
Comme dernier des philosophes, son œuvre a une prétention à l’universalité ; elle se
veut et est une œuvre complète qui parle non seulement de la politique mais aussi de la
société, de la condition humaine, de l’histoire, de la civilisation, de la culture, de manière
universelle à prétention généraliste. C’est aussi le premier des sociologues avec Les
Lettres persanes. En étudiant la société, il est aussi un sociologue.
Au cours de cette séance, j’ai demandé à l’enseignant un plan de son cours. Il a
promis de nous le préparer rapidement.
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Montesquieu est très anglais : la monarchie libérale anglaise a défini les fonctions
politiques comme étant des honneurs non pas au sens aristocratique mais exprimant de
manière aiguë ce qu'implique une magistrature, le souci de l'intérêt général avant les
intérêts particuliers. Cet honneur caractérise une place social, ceux qui vont avec le Roi
exercer une fonction politique. Ces corps s'expriment naturellement dans la société. On a
chez Montesquieu une conception féodale de la société. La limitation par des corps de la
monarchie est préférable à la monarchie absolue : Montesquieu a la nostalgie d'une
monarchie ancienne dont s'est libéré la monarchie pour construire l'Etat souverain. On
sent chez Montesquieu l'ambiguïté de la critique.
On a étudié le gouvernement républicain, le gouvernement monarchique. On va étudier
le pouvoir despotique.
Le gouvernement despotique
C'est le seul type de gouvernement que Montesquieu condamne radicalement dès
l'origine : un seul gouverne sans loi, sans règle. Son principe, en écho aux théories de
Machiavel, c'est la crainte. La peur gouverne, le despote gouverne à partir de la peur qui
habite le peuple. C'est un gouvernement déraisonnable selon les passions et non selon la
raison.
On ne trouve aucune distinction sur différentes formes de despotisme : aucune
référence au despotisme éclaire, modèle politique attrayant au XVIII. Pourquoi cette
hypothèse est-elle théorique ? Derrière, c'est la monarchie absolue qui est visée par
Montesquieu.
Cette typologie des gouvernements est au départ abstraite. Cette typologie ne
correspond en rien aux gouvernements existants à l'époque où Montesquieu écrit
l'esprit des lois : la monarchie anglaise n'entre dans aucune catégorie. Aucune
distinction n'est faite entre les monarchies. De plus, on n'y décèle pas les préférences de
Montesquieu. Si en fait, Montesquieu avance masqué, c'est parce qu'il pense à un modèle
politique dont il est persuadé que les chances de réalisation sont limitées : il s'agit d'une
monarchie aristocratique, vertueuse et modérée.
En effet, une fois la typologie établie, Montesquieu montre que ce qui importe, c'est
moins la forme des gouvernements que les mœurs, moins les institutions que les
pratiques politiques : certaine veine française libérale et conservatrice (Tocqueville,
Renan).
La théorie de Montesquieu est une théorie des contrepoids : le pouvoir arrête le pouvoir
: théorie de la séparation des pouvoirs où les corps intermédiaires, une forme de
décentralisation administrative sont autant de forces qui empêchent le pouvoir de
verser vers ce qui lui est naturel : le despotisme.
La doctrine de la séparation des pouvoirs de Montesquieu est plus limitée que l'article
16 de la DDHC : "toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée (...) n'a
point de constitution" : chez Montesquieu : il faut distinguer trois pouvoirs : législatif,
exécutif, judiciaire. Après Locke, c'est celui qui présente le mieux ces pouvoirs. Ces trois
pouvoirs ne doivent pas se retrouver entre les mêmes mains : il ne songe pas à établir
une stricte séparation entre ces pouvoirs : en distinguant les trois pouvoirs, il recherche
une harmonie entre les pouvoirs.
Il cherche à instituer une attribution conjointe et indivise du pouvoir souverain en trois
organes : une "cosouveraineté" qui institue trois forces politicosociales majeures : le roi,
le peuple et l'aristocratie : trois éléments fondamentaux de l'ordre politique et social. On
a là la distinction des ordres si on excepte le clergé et la noblesse.
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Les idées qu'avancent Montesquieu sont autant constitutionnelles que sociales (le pacte
social) : trois forces sociales à la base de la constitution et du contrat social. Il ne parle
pas de séparation des pouvoirs mais d'équilibre des puissances, équilibre qui trouve son
point ultime dans la présence de l'aristocratie : les deux forces respectivement au bout
de l'échiquier sont le peuple et le roi ; la noblesse et l'aristocratie jouent le rôle d'un
médiateur irremplaçable : le roi est chef du peuple par l'intervention de la noblesse.
La théorie de la séparation des pouvoirs est d'abord une théorie des corps
intermédiaires ; il croit en leur importance sociale et politique.
Les Etats Généraux ne sont, en son temps, plus réunis ; les institutions qui fonctionnent,
ce sont les parlements. C'est donc sur le parlement que Montesquieu fait reposer
l'essentiel des corps intermédiaires. Les parlements participent de deux puissances
souveraines du roi : la justice (rendre la justice au nom du roi : arrêt de règlement
valable pour tout le royaume) et l'enregistrement des lettres royales (ils donnent force
et vie juridique à la loi du Roi ; possibilité de remontrances : manière trouée par les
Parlements pour amender la loi du Roi). La justice est assimilée à l'harmonie sociale et à
l'administration générale du royaume : on comprend mieux les rapports de force
constants entre la monarchie et l’aristocratie.
Montesquieu, en reprenant les théories d'Aristote explique que les Parlements sont des
institutions mais véhiculent aussi un esprit : la liberté, l'indépendance. Ainsi les
parlements sont indispensables et constituent un pouvoir essentiel, consubstantiel à la
monarchie (point de monarque, point de noblesse ; point de noblesse point de
monarque). Sans besoin de noblesse, le roi devient despote. L'absence de roi n'est pas
concevable.
Admirateur du système UK, il développe ainsi quand même une forte tradition fr.
Il assimile néanmoins les parlementaires UK et les FR. Les Parlements ne sont en UK pas
consusbstantionnellement liés à la monarchie : ils incarnent une institution dotée du
pouvoir législatif ; ils ne sont pas là pour épauler le roi.
L'idéal décentralisateur de Montesquieu.
Il est proche de Tocqueville qui lui doit beaucoup. Cette décentralisation est tout autant
territoriale qu'administrative qui donnerait à des institutions politiques intermédiaires
un certain nombre de pouvoir alors que la monarchie administrative est la logique sur
laquelle Montesquieu appuie son opposition. La décentralisation repose sur des
institutions naturelles issues du corps social.
Autre élément : les valeurs et les moeurs des corps intermédiaires : modération, juste
milieu, vertu, honneur : la monarchie doit s'appuyer sur cet élément modérateur, moral.
La question religieuse est reléguée : peu de développements : "la religion est un beau
décor" : ce n'est plus un élément fondateur du pacte social. Or nous ne sommes que dans
la première moitié du XVIII. Tant de distance : c'est étonnant!
L'héritier de Montesquieu sur ce plan, c'est Napoléon I.
+ idée de ce que pourrait être le corps social et son organisation : l'égalité arithmétique
lui parait impossible ; attaché à la division en ordres de la société. Il reprend la
distinction romaine entre le populus et la plèbe, syndicat du peuple, populas que
Montesquieu connaît mal et dont il refuse à voir en elle un élément de la légitimité
politique.
39
Mais il est connu et reconnu pour ses idées économiques : les autres parlementaires sont
imprégnés par le colbertisme. Il est un défenseur infatigable du libre-échange, de
l'économie de marché : profondément original. Il assimile le doux commerce à un
élément de pacification sociale et de liberté, qui verra la monarchie sortir de son ordre
féodal par le développement de la richesse et le partage de celle-ci. C’est un
conservateur éclairée : il annonce les idées libérales des grands théoriciens de
l'économie au XVIII.
Auteur fécond plein d'ambiguïté : il constitue un incubateur intellectuel pour toutes les
idées du XVIII voire du XIX, au moins jusqu'à Tocqueville inclus.
Les Lumières ne se limitent pas à cet acte inaugural. Si Montesquieu a construit un type
politique, il faut attendre Rousseau pour avoir un autre type politique. On va étudier
cette pensée politique à la suite, comme contrepoint à l'analyse de Montesquieu.
Pour reprendre la référence grecque, tout autant que Montesquieu, Rousseau s'inscrit
dans cette filiation : il est cependant d'une famille philosophique et politique différente :
Montesquieu est proche de la démarche d'Aristote. Rousseau rend lui hommage à
Platon : "je me rangerai toujours du côté de l'utopie". Comprendre Rousseau, c'est
comprendre que sa pensée se situe largement dans l'utopie.
Cela relève de l’utopie car c'est consubstantiel à l'homme. Rousseau se qualifie lui-même
comme le plus grand des solitaires. Par sa vie, ses relations sociales, son positionnement
intellectuel, c’est un outsider : il se vit et se pense comme différent de ses semblables,
développant une théorie de l'universalité qui le rapproche de Platon. L'œuvre de
Rousseau est considérable, sur le plan qualitatif et sur le plan quantitatif. Le Contrat
social, écrit en 1762 est une œuvre majeur. Dans cette œuvre est sans doute concentré
l'essentiel des idées politiques de Rousseau. Mais on ne peut comprendre Rousseau si on
ne la relie pas à toute son œuvre philosophique : Le discours sur les sciences et les arts
(1749), Discours sur l'inégalité parmi les hommes (1755), Lettre à D’Alembert (1758), La
nouvelle Eloïse (1761). D'autres œuvres plus précises : Considérations sur le
gouvernement de Pologne et sa réformation (1772), Projet de constitution pour la Corse
(1765)
40
Il inaugure un élément essentiel de notre modernité. Il parle à la première personne y
compris dans son œuvre politique. Il s'engage tout entier, il est présent en tant que
personne singulière. Alors que dans l'ensemble à son époque : la personnalité est en
retrait par rapport à l'œuvre. Il y a une distance œuvre/auteur. Avec les évolutions, de l'
« intellectuel philosophe », les individus jouent un rôle central dans le débat des idées,
un rôle central dans les événements. Jean-Jacques Rousseau synthétise cette évolution.
La biographie de Rousseau a une importance pour comprendre, éclairer son œuvre.
Enfant de Genève, ville qui est à elle seule un élément singulier de l'histoire européenne,
n'a pas grandi dans le même environnement qu'un Montesquieu. Il est fils d'une cité qui
a acquis une indépendance politique. Il est en partie un enfant abandonné, sans famille,
et autodidacte. Il se considérera toujours comme un marginal.
Très tôt il va choisir son champ : au côté de ceux qui ne réussissent pas. Il se sent mal à
l'aise avec la réussite sociale, les élites, autodidacte, il va acquérir une grande culture,
mais sa critique sociale te politique doit se comprendre à cette situation.
Mépris de l'argent : il en a peu eu, quand en a eu, l'a dilapidé, plus par négligence. La
réussite sociale de Voltaire l'exaspère. Mépris à l'égard du grand bourgeois. Il y a chez
Rousseau à l'égard de l'argent des accents très moralisants. Il y a chez Rousseau une très
forte influence protestante.
Il est connu pour avoir un caractère difficile : il a des relations qui finissent toujours en
catastrophe. Rapport complexe notamment avec les femmes. Il ne fait parti d'aucun
grand réseau, va se fâcher avec les hommes de l'Encyclopédie (se fâche avec Hume,
Voltaire, Diderot...). Se dira le seul esprit fidèle de l'Encyclopédie. Mais il trouve aussi
une alternative à ses difficultés économiques et sociales : la rêverie, la quête du bonheur
(mais pas celui immédiatement possible sur terre). Cette quête est d'abord individuelle
pour cet éternel insatisfait. La capacité d'apprendre, la réflexion... Cette rêverie va le
pousser à opposer une forme d'alternative, et une radicalité politique : c'est l'utopie
politique.
Mais un élément le sépare des Lumières : sa pensée n'est pas religieuse, analyse
rigoureuses des événements de son temps, il considère la question politique comme une
question qui peut être résolue par des réformes rationnelles.
Hommage toujours aux Anciens, ses héros sont politiques (« le monde est vide depuis les
Romains »). Il faut comprendre cette filiation gréco-latine, qui le range dans la lignée des
philosophes de la raison.
41
Les Lumières sont d'abord une rupture civilisationnelle et culturelle de premier plan,
une manière d'envisager l'homme et l'histoire, une manière très différente de ce que le
passé avait légué. L'Encyclopédie explique que le monde est perfectible et
compréhensible. Il se comprend par la raison. Il y a une démarche de rationalité, elle est
la somme des savoirs de l'époque. En même temps se veut aussi une forme de pédagogie
: homme perfectible mais qu'il faut aussi former, le but est donc d'éduquer chacun.
Postulat de l'éducation va dans le sens de l'élévation au dessus de sa condition quand ils
dégageront les principes de liberté, d'égalité, quand affirmeront leur universalité. Mais
ont des chemins politiques différents.
Trois grands chemins de pensée politique.
Courant réformiste. Tirer des conséquences politiques réformistes : c'est le
courant « aristocratique » qui conserve l'idée que le peuple ne peut se gouverner luimême (filiation des monarchomaques, de Montesquieu). Cet intermédiaire est une élite.
C'est une aristocratie rénovée (ni d'épée ni de robe). C'est une élite fondée sur d'autres
valeurs : savoir, laïque... aristocratie qui si par définition n'est pas compatible d'un
principe d'égalité, se veut solidaire avec le peuple. Est donc en phase avec la rupture des
Lumières. Ainsi, pour Montesquieu : réforme de la monarchie absolue
Courant utilitariste. On va le retrouver cristalliser autour du despotisme éclairé
(Diderot, Voltaire). Très différent du courant réformiste, car son présupposé est qu'il
faut s'appuyer sur les Etats, royaumes tels qu'ils se sont développés au XVII : institutions
plus centralisées plus marquées, il faut s'appuyer sur celles-ci et surtout celui qui a leur
tête : le chef d'Etat pour réformer. Le monarque a la capacité de réformer s'il s'appuie
sur les conseils des Lumières. Se méfie des aristocrates (plutôt vus comme
conservateurs). Ce despotisme (dénoncé durant l'Antiquité) se retournerait. Et
accomplirait le programme des philosophes. Dans réalité : expériences plus difficiles
(Catherine II de Russie et Frédéric II de Prusse). Mais ce modèle est très français
(réforme par le haut à partir de l'Etat et par son administration).
Celui que représente Jean-Jacques Rousseau : courant politiquement de rupture. Il
est le premier qui rompt avec un présupposé politique très ancien : oui le peuple peut se
gouverner lui-même. Va chercher les conditions politiques de l'installation d'un principe
qui est celui de la souveraineté du peuple (grand changement avec droit naturel d'une
élite à gouverner les autres et avec le souverain d'un seul). Rousseau y trouve une
audace politique qui correspond à sa biographie, et à son analyse profonde du corps
social.
On les retrouvera au XIX : libéralisme (courant réformiste), courant jacobin (courant
utilitariste nourrit la pensée jacobine autour de l'Etat) et le courant révolutionnaire.
Il y a analysé les forces principales de son discours. Pour le comprendre il faut d'abord
partir de la politique telle qu'elle est présentée dans la jeunesse de Rousseau.
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Discours du l'inégalité parmi les hommes
Ces discours sont dominés par un thème : l'injustice de la société, Rousseau est un
auteur qui va d'abord dans ses discours dénoncer (l'état social, l'état de la société de
manière générale, et il qualifie moralement cette société « d'injuste », et pas seulement
d'inégalitaire). Égalité est un postulat politique pour Rousseau. La société est injuste et
elle fait un sort mauvais aux hommes.
Cette dénonciation est radicale puisqu'elle conduit Jean-Jacques Rousseau a dénoncé les
structures sociales et politiques de son temps. Pas seulement dénonciation de la
monarchie absolue, en revanche, Rousseau a des développements très fort sur le droit
de propriété, il s'attaque même au bien-pensé de son temps (idée de progrès est
critiquée). L'idée d'un individu s'épanouissant par le savoir et l'éducation est dénoncée
pour être un certain égoïsme d'une certaine catégorie sociale.
Deuxième thème : celui de la nature (cf. Locke, Hobbes). Un de ses thèmes de
prédilection. Le thème de l'homme naturel. Jean-Jacques Rousseau lorsqu'il analysera
l'état de nature chez l’Homme, il le considérera comme bon (présupposé philosophique
et manifestation de ses rêveries).
Discours sur les sciences et les arts
Il a passé sa vie à lire les récits de voyage, surtout sur les Amériques, où s'y développe le
mythe du « bon sauvage » qu'il va reprendre. Il aurait conservé le bon côté de l'état de
nature, ne serait pas corrompu par les mœurs, les institutions, les inégalités... l'état
naturel est le postulat grec et celui du bon sauvage. Pour Jean-Jacques Rousseau ce sont
des instruments qui vont permettre de dénoncer la société telle qu'elle a été construite.
C'est évacuer la problématique en partie exprimée par le christianisme, la
métaphysique : la réflexion sur la condition humaine, et c'est affirmer que le problème
se situe dans la société (plus dans la culture que dans la nature). « Bon sauvage » : lui
permet de mieux dénoncer la société, et de mieux vouloir transformer le corps social.
Troisième démarche beaucoup plus de portée sociologique. Il montre l'emprise de la
société sur les individus, le réseau de contraintes qu'elle établit sur chacun (société est
née de l'apparition de la propriété : société est une société de gardiennage, elle doit
établir des institutions qui structure les rapports entre ceux qui ont et ceux qui n'ont
pas). Il lie aussi l'autorité à la sauvegarde des intérêts d'une société fondée sur
l'inégalité. Ainsi le pouvoir n'est pas vu comme étant de droit naturel ou d'essence
théologique ou religieuse. Ce n'est pas une construction juridique (droit à une place
secondaire). Le pouvoir n'est même pas vu dans sa dimension du pouvoir qui exerce le
monopole de la force (dimension policière et militaire) c'est d'abord la somme des
volontés individuelles. Cette dénonciation n'amène pas Rousseau à penser qu'il est
possible d'abolir la propriété, l'autorité : il en fait une hypothèse (pour une meilleure
critique). Ainsi cela lui permet de jeter les bases d'une politique nouvelle (il la
développera plus tard dans le Contrat social).
Le Contrat social
Passion de l'unité. On va voir que dans le contrat social, Jean-Jacques Rousseau va
développer un modèle social et politique fondé sur l'unité du corps social qui a pour
conséquence, la subordination des intérêts particuliers à la volonté générale, mais aussi
la souveraineté absolue et indissoluble de cette volonté générale, enfin le règne de la
vertu dans une nation de citoyens et non plus dans un royaume composé de sujets.
43
Pour comprendre cette affirmation il faut revenir à la nature de ce contrat social défini
par Jean-Jacques Rousseau : il est analysé par Jean-Jacques Rousseau comme l'analyse
de l'origine même de la société. Ce contrat n'est pas un contrat entre l'individu et le
souverain (monarchomaques et libéraux), ce n'est pas un contrat entre individus comme
chez Hobbes. Pourquoi les rejette-t-il ? Le contrat social n'est pas un contrat de
gouvernement qui permettrait de fonder une forme de gouvernement (rejette le contrat
entre individus et monarque). Il est bien celui, il est la forme qui fonde le pacte social,
c'est l'idée que chacun s'unit à tous et l'idée que chaque individu va être une partie du
corps social. Le contrat social est passé avec l'ensemble de la communauté sans
distinction. « Chacun de nous met en commun sa personne et toute sa puissance sous la
suprême direction de la volonté générale et ainsi nous recevons encore, chaque membre,
comme partie indivisible du tout ». Chacun s'unit à tous et ne s'unit à personne en
particulier. Conséquence de Jean-Jacques Rousseau : « l'associé n'obéit ainsi qu'à luimême et reste aussi libre qu'auparavant ». Le souverain ne peut avoir dans cette pensée
d'intérêts contraires à l'ensemble des associés qui le composent. Le souverain est donc
la volonté générale (pas un gouvernement ou une personne) : volonté du corps social et
non des membres qui constituent cette communauté. Il y a une différence de nature
entre la volonté générale et la volonté des particuliers, et Jean-Jacques Rousseau voit
finalement dans la volonté générale le meilleur rempart contre les entreprises des
particuliers (puissants, aristocratie, les propriétaires). Ce contrat social est un contrat
par nature égalitaire, il doit garantir l'égalité puisque les associés vont avoir des droits
égaux au sein de cette communauté. Mais en même il garantit la liberté puisqu'il n'y a
pas de subordination. Pour Rousseau la liberté c'est la liberté de la volonté générale, de
chacun mais de chacun inclus dans ce tout. Elle dépend de l'égalité, du contrat social.
Locke : liberté est fondatrice du corps social. Ici c'est la liberté qui se déduit du principe
d'égalité. L'individu n'est libre que dans et par le corps social, que à l'intérieur de la
République, de la cité, de la société organisée par la volonté générale. Et Jean-Jacques
Rousseau nous dit la liberté c'est l'obéissance aux lois qui proviennent du corps social.
Donc obéir aux lois c'est obéir à soi-même. La liberté est accomplie par le souverain,
alors que les libéraux considéraient que la liberté pouvait être mis en danger par le
souverain. Sartre « par le contrat l'individu se condamne à être libre ». Vision
particulière de la liberté chez Jean-Jacques Rousseau. « Un peuple libre obéit mais il ne
sert pas, il a des chefs mais pas de maîtres, il obéit aux lois mais il n'obéit qu'aux lois ».
Jean-Jacques Rousseau « c'est par la force des lois qu'un peuple n'obéit pas aux
hommes ». Pour Locke : » la liberté est conscience d'une particularité ». Pour JeanJacques Rousseau elle est d'abord solidarité entre individus. Libéraux : bien qu'on
protège pour Jean-Jacques Rousseau une possibilité qu'on accomplit.
Dans Le Contrat social, la question du souverain est celle première.
Le souverain est donc la volonté générale dont la loi est l'expression. « La volonté du
souverain est le souverain lui-même, le souverain veut l'intérêt général et par définition
ne peut vouloir que l'intérêt général ».
A partir de cette affirmation il nous dit que la souveraineté a 4 caractères principaux.

Elle est inaliénable : elle ne se délègue pas, il condamne le gouvernement
représentatif et la monarchie à l'anglaise. « Les députés du peuple ne sont ni ne
peuvent être ses représentants ils ne sont que ses commissaires ». (les
administrateurs qui agissent au nom de l'Etat et qui sont nommés par lettre de
44



commission du roi, et qui n'obéisse qu'au roi, figure de l'intendant subordonnée à
la souveraineté du roi). Donc sont dotés d'un mandat impératif formel qui les
limite à être les exécutant du peuple.
Elle est indivisible : il est hostile à la séparation des pouvoirs, aux corps
intermédiaires au sein de l'Etat. Un corps représente nécessairement des intérêts
particuliers.
Elle est infaillible : la volonté générale « est toujours droite et tend toujours à
l'utilité publique ». Ainsi donc si cette souveraineté est bien celle du peuple elle
ne peut faillir.
Elle est absolue : ce n'est plus absolutisme du monarque (Bodin) mais celui du
peuple. « Le pacte social donne au corps politique donne un pouvoir absolu sur
tous les siens ». Cet absolutisme de la volonté générale ne risque pas d'être
arbitraire. Si le pouvoir devient arbitraire c'est que la volonté générale n'est plus
souveraine (ne peut être arbitraire lorsqu'elle exprime sa volonté).
Rousseau ne change rien aux attributs de la souveraineté mais renverse la détention :
passe de la volonté d'un seul à celle de tous. Elles se retrouveront au XIX : pour faire de
la souveraineté un principe absolu, mythique.
Dans ce système, le gouvernement ne joue qu'un rôle subordonné : Rousseau distingue
le peuple souverain et le gouvernement, un groupe d'hommes particuliers qui exécutent
les lois établis par le peuple. La principale fonction est donc de faire des lois : elles
doivent être peu nombreuses, avec un objet général. Le gouvernement exécute toujours
la loi et que la loi : le gouvernement est le ministre du souverain ; les gouvernants sont
les dépositaires du pouvoir : ils n'ont par eux-mêmes aucun pouvoir.
Rousseau passe en revue trois types de gouvernements :
- la monarchie : vive critique car contraire au contrat social
- l'aristocratie ; héréditaire (système le plus détestable pour Rousseau) ou élective
(permet tout de même qu'un petit nombre gouverne au nom du peuple)
- la démocratie : se définit comme l'expression de la souveraineté du peuple et qui
s'exprime dans la confusion du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif : la véritable
démocratie est celle de l'antiquité : le peuple souverain exerce les magistratures qui lui
reviennent. Ce type de gouvernement est irréalisable à l'échelle des grands royaumes
qui constituent l'Europe. "S'il y avait un peuple de dieux, il se gouvernerait
démocratiquement : un gouvernement si parfait ne convient pas à des hommes"... on est
déçu : Rousseau s'abstient de recommander tel ou tel gouvernement : il en vient à des
conclusions proches de Montesquieu : la forme des gouvernements dépend des
populations locales, d'où ses études de cas : la Pologne et la Corse. Le gouvernement est
secondaire ; ce qui est important ce sont les principes. Les institutions ne sont que
secondaires : il faut assurer l'unité, la solidarité, l'égalité du corps social. L'horizon du
Contrat social est lointain : cela inaugure l'histoire d'une laïcisation de la religion, par
l'éducation, un idéal commun, des vertus renouvelées qui prépareraient l'avènement du
Contrat social. Ce gouvernement n'est pas possible ici et maintenant.
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Nous analysions ce matin le contrat social, nous terminions sur le gouvernement.
L’œuvre de Rousseau est une œuvre philosophique très ambitieuse. Au delà des analyses
profondes du Contrat social, de l’analyse plus classique des formes du gouvernement, il
est intéressant d’avoir les idées philosophiques de Rousseau sur l’éducation, les mœurs
et la question de la religion, sa place au sein du corps social.
Rousseau est un auteur que l’on classe parmi les auteurs laïcs. Il a eu un rapport à la fois
conflictuel et complexe à la religion. Mais il ne s’est pas désintéressé des questions
religieuses, surtout par rapport aux autres philosophes des Lumières. Ainsi, chez
Rousseau, on trouve des développements sur la religion dans nombre d’œuvres
philosophiques. C’est dans un chapitre célèbre du Contrat social : de la religion civile,
que l’on trouve la somme de ses idées. Rousseau a pour ambition de proposer un
contenu religieux au contrat social. Rousseau part d’un constat : l’homme est un être
religieux. Dans ce qui fait la condition humaine, il y a la question de la mort, du monde
qui suivra le monde des hommes, questions métaphysiques, etc.
De manière relativement moderne, Rousseau envisage cette question d’un point de vue
individuel. Il exalte la religion individuelle. Dans le Traité sur l’Education, Rousseau
s’adresse à Emile : « Mon fils, tenez votre âme en état de désirer toujours qu’il y ait un
Dieu, et vous n’en douterez jamais ». Genevois, il est extrêmement influencé par la
religion protestante qui développe un rapport à Dieu bien plus développé. Rousseau est
déjà l’un des représentants de la laïcisation du religieux : elle appartient à tout le monde,
n’est pas le monde d’une autorité cléricale, elle est liée à la foi de chaque individu. Il en
fait un élément substantiel du contrat social : la religion civile. Il exalte, plus que la
religion de l’individu, la religion du citoyen comme appartenant à la société. A partir de
là, pour Rousseau, la religion est le moyen le plus sûr et le plus efficace de réaliser cette
unité sociale au postulat même du contrat social. L’unité du corps social est déterminée
d’une certaine manière par la croyance commune. Cette croyance peut se résumer par la
somme des croyances individuelles. Le corps social fait sienne une religion civile
partagée par le plus grand nombre de citoyens.
D’une certaine manière, Rousseau est proche d’une conception ancienne du religieux : la
religion de la cité, subordonnée aux besoins de la cité.
Unité sociale autant politique que religieuse. Le religieux est un moyen d’unir le corps
social. Rousseau est ainsi amené à analyser les religions qui ont existé dans l’Histoire, du
moins celles qu’il connaît. Il en dresse une typologie et analyse la compatibilité entre les
religions de l’Histoire et la religion civile qu’il appelle de ses vœux.
La religion la plus contraire est le catholicisme romain, qui fonde une religion instituée
autour de l’Eglise, du pape et des évêques. Cette institution ne peut pas être avec les
institutions politiques et sociales issues du Contrat social. Mais aussi parce que cette
institution développe par nature une intolérance religieuse : elle est porteuse d’une
vérité religieuse qu’elle entend subordonner à tous, subordonnant le politique lui-même,
ce que Rousseau désapprouve, puisqu’il appelle une liberté de conscience dans la
religion civile. La religion civile se diffuse dans tout le corps social, elle est celle du
citoyen, elle n’est pas instituée.
Rousseau développe assez largement les vertus de la foi, de la croyance ; il ne voit pas de
46
possibilité de faire société sans religion. Robespierre, disciple de Rousseau au niveau
politique, se souviendra des développements de Rousseau pour chercher à organiser
une forme de religion civile, avec le culte de l’Être suprême, culte qui éduquerait le
peuple.
Il ne parle pas de la religion musulmane ou de la religion judaïque. Il aborde la forme
protestante et les religions de l’Antiquité. Les autres formes étudiées sont plus
compatibles que le catholicisme romain pour être une religion civile. Le protestantisme
rapproche l’individu de sa croyance ; les religions antiques ont le mérite d’être gérées
par le politique
Cependant la religion ne constitue qu’un élément des développements de Rousseau sur
l’unité du corps social.
Un autre objet d’interrogation pour Rousseau concerne l’éducation. Rousseau a été
attaqué sur ce point. Il a été un enfant autodidacte qui devrait tout à l’éducation hors
institution. Rousseau a eu des enfants qu’il a été incapable d’élever, alors qu’il écrit un
Traité sur l’Education. L’Emile est un traité sur l’éducation original, qui s’inscrit dans une
lignée de traités sur l’éducation. Ceux-ci sont une préoccupation constante de la
modernité depuis le XVI. L’auteur français le plus célèbre de ce point de vue est
Montaigne ; un citoyen des Provinces Unies, Erasme. Il y a l’idée qu’il faut repenser
l’éducation collective et individuelle au moment où les savoirs hérités commencent à
être remis en cause. L’Emile, dans la lignée humaniste, est un traité d’éducation
naturelle. L’éducation se fait hors institution : Emile sera élevé près de la nature, éduqué
dans une pédagogie du face-à-face, ne pas être confronté au bien-pensé de son temps et
à l’éducation officielle (on retrouve l’histoire personnelle de Rousseau). L’Emile a un
précepteur, il est dans une éducation solitaire. Cette éducation solitaire est une
éducation de luxe au temps de Rousseau, le précepteur étant en général pour
l’aristocrate.
La démarche de Rousseau semble donc en contradiction manifeste avec ce qu’il dit de
l’unité du corps social. Comment une éducation de ce type peut-elle former des
citoyens ? Comment former des individus aptes à gouverner, à décider, à prendre en
charge les éléments essentiels de la vie en société ? Les développements de Rousseau
dans l’Emile sont presque antisociaux : réaction très forte à toute forme d’éducation
collective et organisée. Comment dépasser cette contradiction ?
Rousseau a senti la contradiction ; il exprime l’idée que s’il avait eu à proposer un plan
d’éducation sociale nationale dépassant la question de l’individu en tant que tel, il
n’aurait pas proposé la généralisation du système proposé dans l’Emile. Mais il dit qu’il
n’a pas voulu proposer un manuel d’éducation, simplement écrire une utopie
pédagogique. Le seul but est de rappeler que les citoyens sont d’abord des hommes.
Rousseau insiste que bien sûr il faudra éduquer le citoyen, mais une éducation
s’intéresse avant à l’homme avant de s’intéresser à l’être social.
L’Emile est un archétype de ce que serait l’éducation la plus humaine, respectant la
liberté de l’homme en l’amenant à « escalader le ciel », à « être plus que lui-même ». Il
explique que cette explication n’est valable que pour le genre masculin. Il n’est pas sûr
47
que les exigences de l’Emile soient compatibles avec la nature féminine. Rousseau
n’envisage jamais la question féminine avec audace.
Cependant, il y a un autre texte, La Nouvelle Eloïse. Rousseau fait là un hymne à la
passion, à la libre expression des sentiments, notamment à travers le personnage de
Julie, vu du côté de la passion et non de la raison. On sent à quel point Rousseau est bien
plus passionné par la question des sentiments que par la question d’une éducation à une
échelle nationale.
Rousseau développe également sur la vertu. Cette idée de vertu, il la reprend de
l’Antiquité (virtus), ce qui caractérisait le comportement du citoyen dans la cité, rendant
possible le gouvernement libre des hommes. Dans l’archétype du sage vertueux,
Rousseau est guidé : les conventions sociales triomphent. Dans La Nouvelle Eloïse, Julie
renonce à sa passion. Si l’individualité est la chose la plus passionnante, la vertu est
quelque chose qui doit être partagé par les citoyens, qui doit unir les citoyens dans le
contrat social. Cette vertu doit beaucoup à ses origines genevoises, et son calvinisme
plus ou moins refoulé.
Analyser ses textes politiques de maturité : ces textes, de manière bien moins
ambitieuses ont pour objet de proposer des institutions à l’échelle d’une région ou d’un
pays. Il choisit la Corse et la Pologne.
Pourquoi la Corse ?
On trouve un Rousseau d’une certaine manière disciple de Montesquieu. En effet, la
Corse est une île et son caractère insulaire amène Rousseau à considérer qu’il est
possible d’établir à l’échelle de ce territoire relativement réduit protégé par la mer, dont
la culture et les mœurs sont relativement homogènes, de proposer à ce territoire une
Constitution, des institutions, un gouvernement ex nihilo, totalement originaux,
impossibles à établir dans un grand royaume marqué par l’Histoire ou des institutions
multiséculaires. La Corse est un peu l’utopie d’une cité grecque toujours possible à
renouveler.
Dans le projet d’une Constitution pour la Corse en 1765, il propose une république
agraire. Il propose donc des institutions républicaines avec un gouvernement collégial,
avec comme première référence la Rome antique. Cette république serait démocratique,
fondée sur la volonté générale et la volonté du peuple. Démocratie patriarcale, où les
pères gouverneraient. Cette démocratie serait sur le plan social un système égalitaire.
Selon Rousseau, les Corses sont restés suffisamment frugaux (économie agricole, etc.) :
tous les éléments sont réunis pour que les Corses acceptent une régime agraire, une
agriculture collective. Dans les faits, on n’est pas dans l’utopie : il ne propose pas une
égalité absolue. Il souhaite que « les riches ne soient pas trop riches, et que les pauvres ne
soient pas trop pauvres ». D’une certaine manière, il s’agit d’un gouvernement de la classe
moyenne majoritaire dont les revenus seraient fondés sur l’agriculture. Ses
considérations sont importantes car ne constituent pas une théorie abstraite : l’idée de
Rousseau que l’on retrouvera avec son plan concernant la Pologne est de tenir compte
48
des particularités nationales, et n’entreprendre des réformes qu’avec une extrême
prudence. La proposition d’une classe moyenne agricole tirant l’essentiel de sa
subsistance du travail de la terre se veut très concrète ; idem pour le concept de
démocratie patriarcale, étant donné l’importance du père en Corse à l’époque. Rousseau
cherche une société où les inégalités économiques ne sont pas trop fortes, et cherche à
codifier une absence d’inégalités trop criantes.
La Pologne
1772 : Considérations sur le gouvernement de Pologne et sa réformation : Rousseau tient
là aussi compte des particularités nationales.
Pourquoi la Pologne ? Il y a en commun avec la Corse une relative exiguïté du territoire ;
la population est relativement peu abondante. Ensuite, c’est l’originalité des institutions
politiques polonaises qui intéresse Rousseau : on a gardé fortement ancré l’idée que le
monarque est plus qu’un élu, plus qu’un héritier de sa famille : élection par les pairs du
monarque. Ce principe électif intéresse Rousseau, comme étant capable de passer d’un
esprit monarchique traditionnel à l’esprit républicain, qui verrait une condamnation de
la privatisation de l’Etat par quelques-uns, pour rendre la République au peuple.
Rousseau entend proposer aux Polonais une République assez proche de leur
Constitution existante. Ce que Rousseau entend réformer en Pologne, c’est en fait la
réforme de l’institution du servage : il faut affranchir les serfs, les rendre dignes de la
liberté. Pour ce faire, il faut la république. L’installation d’une République passe d’abord
par une réforme morale, établir la République dans le cœur des Polonais. Il dresse un
plan d’éducation civique, « nationale ». Cette éducation est une éducation collective : on
éduque le citoyen, petit ou grand, à travers un certain nombre de discours collectifs, de
cérémonies, d’évènements qui organiseront la vie sociale, influeront le citoyen et
changeront sa mentalité. Se vêtir d’uniformes, défiler dans les rues, être décoré selon le
mérite respectif de chacun, commémorations collectives. On cherchera à proposer une
religion civile. Les instituteurs de la Nation seront les Polonais eux-mêmes, des pères de
famille avec suffisamment d’expérience pour éduquer le reste du peuple.
Rousseau cherche à développer le sentiment national. De même, une éducation militaire
est proposée au citoyen. Rousseau se prononce pour une armée nationale : « tout citoyen
doit être soldat par devoir, nulle ne doit l’être par métier ».
Rousseau confirme sa prédilection pour les petits Etats. Il confirme son idéal autarcique,
qui le distingue nettement de la plupart des auteurs des Lumières. La Pologne devrait
être « une nation libre et sage, qui n’a ni peur ni besoin de personnes, qui se suffit à ellemême ». Cet idéal autarcique s’oppose à l’idée d’une économie ouverte du libre-échange
et du commerce qu’il dénonce comme une menace à l’unité du corps social.
Il effectue plusieurs développements sur l’argent et la richesse, ici soumis à un véritable
réquisitoire : l’argent pervertit le corps social, le ressort vil qui fait agir l’individu, qui
détruit la vertu, brise l’égalité, empêche le peuple de s’exprimer collectivement. Derrière
l’argent, il y a aussi la critique du luxe (Voltaire, Diderot sont visés). Son idéal est aussi
un idéal de la frugalité la plus grande. Cela rejoint certaines idées sur la substance même
du contrat social.
Rousseau n’a jamais approché les gouvernements de Corse ou de Pologne, n’a jamais
envisagé une action politique.
49
Parmi toutes les idées de Rousseau riches d’avenir, il y a ses idées « sociales ». Rousseau
ne songe nullement à instaurer une société rigoureusement égalitaire (pas
communiste) : il veut juste corriger l’injustice, diminuer la distance entre les riches et les
plus pauvres.
« Voulez vous donner à l’Etat de la consistance ? Rapprochez alors les degrés extrêmes
autant qu’il est possible. Ne souffrez jamais ni des gens opulents, ni des gueux. Ces deux
états sont également funestes. De l’un sort les fauteurs de tyrannies, de l’autre les tyrans.
C’est toujours entre eux que se fait le trafic de la liberté public. L’un l’achète, l’autre la
vend » Pour Rousseau, le bien commun doit s’écrire dans une voie moyenne. Cette
égalité est consubstantielle au contrat social. Mais concrètement c'est le législateur qui
doit assumer cette égalité.
L’état social naturel, c’est la remise en cause constante de l’égalité. Seule la force des lois
permet à cette égalité de se maintenir. L’aversion que lui inspirent ces deux situations
extrêmes amène Rousseau à définir ce qu’il entend par liberté, en même temps que ce
qu’il entend par égalité.
La liberté, c’est d’abord le bonheur du promeneur solitaire, mais également le bonheur
dans une foule unanime. Cela signifie liberté ou bonheur dans l’égalité (foule unanime =
unité du corps social). « Existe-t-il une jouissance plus douce que de voir un peuple entier
se livrer à la joie un jour de fête ? » En s'opposant radicalement à la société de son temps,
Rousseau se révolte, mais il n'est pas un révolutionnaire.
Dès le XVIIIe annonce des grands changements et des systèmes politiques du XIXe. Mais
Rousseau n'est pas le seul. Il y a 4 auteurs précurseurs d'un certain socialisme, d'une
ligne politique cependant beaucoup moins originale que Rousseau.
Morelly et Mably : développement sur l'état de nature et sur l'abolition de la
propriété. Ils ont une pensée plus réactionnaire que révolutionnaire (communisme
agraire réfractaire). Avec une relative remise en cause du progrès technique.
Linguet et Raynal : développent une forme de populisme élémentaire, ils critiquent
les institutions. Ils font du peuple le dépositaire de toutes les vertus mais la plupart
du temps, un peuple guidé par des chefs qui d’une certaine manière semblent
dominés par la passion de l’égalité, comme véritable programme. Pas de véritable
programme politique.
Donc les idées sociales du XVIII contrairement à l’idée répandue occupent une place
relativement peu importante, ou alors entre eux. C’est l’ensemble du programme
réformiste des Lumières à travers l’exhalation du savoir, de la connaissance, qui est un
programme social en lui-même mais qui ne modifie pas l’organisation sociale de la
société.
50
En revanche, il y a un autre thème que l’on ne peut pas omettre, il s’agit de ce que
certains ont appelé le pacifisme du XVIII. Avant de venir à l’objet lui-même : un auteur
semble incarné cette idée pacifique : le grand philosophe allemand Emmanuel Kant,
autour duquel on va analyser le pacifisme du XVIII.
Tout d’abord, le pacifisme repose sur un réalisme social. Depuis le XVI, la guerre n’est
plus l’opération limitée qu’elle était encore au Moyen Age ; elle ne concerne pas
simplement quelques princes ou quelques chevaliers. Le progrès scientifique, la richesse
des princes, le progrès dans les tactiques de guerre : les guerres et le nombre de
victimes sont toujours plus importants. Ceci explique que la guerre devient un thème
non seulement philosophique mais politique, sociétale. On ne parle encore que d’armées
de mercenaires. Mais la guerre finit par menacer le corps social. Au XVIII, l’Europe entre
dans une période de guerre continuelle ; les époques de trêve et de paix relative sont
rares ; la définition de l’Europe comme le continent de l’antagonisme par excellence peut
trouver ici une illustration. L’effondrement de la chrétienté universelle, d’un monde
dominé au spirituel par l’Eglise et au temporel par la figure de l’Empereur du SaintEmpire a laissé place aux Etats. Ce ne sont pas encore des Etats-Nations mais des états
monarchiques, des royaumes, qui construisent un espace territorial nouveau. Ces Etats
développent grâce à leur monopole de la force une politique extérieure fondé sur la
souveraineté de chacun, une souveraineté externe d’abord défendu et exprimée par une
politique militaire.
Au XVIII, les politiques continentales en Europe sont d’abord des politiques de rapports
de force entre Etats, qui caractérisent la modernité dans laquelle l’Europe est entrée.
Très symptomatiquement, le terme d’Europe est un terme antique repris par la
modernité. C’est à partir du moment où cette chrétienté s’est effondrée que l’Europe des
royaumes chrétiens va prendre ce terme qui symptomatiquement va supplanter le
terme de chrétienté. Ce terme d’Europe définit d’abord une Europe des Etats, une
Europe de la modernité qui a pour conséquence notamment cet état de guerre qui
caractérise ce continent.
Mais au delà de ces divisions, l’Europe conserve une certaine unité, de culture, de
civilisation. L’idée d’Europe est déjà une idée d’un dépassement des conflits entre Etats
fondé sur un héritage commun. Bien sûr, l’histoire de l’unité européenne mériterait
d’être développée (parenthèse du prof qui nous explique sa passion pour l’Europe, le fait
que l’idée d’Europe est la seule idée valable de la deuxième partie du XXI : « profession
de foi européenne »).
Par rapport à notre sujet, le thème d’Europe qui pourrait être la prise de conscience de
ce qui nous unit au delà des différences, des rapports de force entre états va s’exprimer à
travers un thème qui dès le XVII irrigue la pensée européenne, qui est en quelque sorte
la conséquence de ces guerres : l’idée de paix, le pacifisme européen. L’idée de paix est
antérieure à la modernité : l’Eglise chrétienne avait d’une certaine manière codifier des
trêves et des périodes de paix entre les princes qui les condamnaient à la trêve et à la
paix au delà de leurs conflits perpétuelles, mais à partir du XVII° à l’échelle des grands
Etats, la trêve et la paix de Dieu ne suffisent plus. Il ne suffit plus de dire qu’il est impie
en tant que chrétien de se faire la guerre et le thème de la paix se magnifie.
Erasme de Rotterdam publie dès le début du XVII publie un traité de paix qui propose un
51
projet politique entre les états qui composent l’Europe. Cette idée de paix se nourrit au
cours du temps et atteint une sorte d’apogée au XVIII. Elle est le patrimoine commun des
Lumières. Pour des raisons qui peuvent être différentes, et exprimées en des termes
différents, Voltaire, Diderot, Rousseau développent cette idée de paix. Voltaire exalte le
commerce et la République européenne, il veut substituer à la guerre le doux commerce.
Rousseau ne conçoit le contrat social que comme idéal de paix : il n’a jamais conçu
autrement cette idéal d’unité du corps social. Pour L’Encyclopédie, la guerre est héritée
de l’ancien monde et doit être combattue par la religion, par la connaissance et le savoir.
Au XVIII, la guerre semble de plus en plus insupportable. Les Lumières expriment un
corps social qui, avec l’amélioration relative de son mode de vie et avec le progrès
technique, ne supporte plus, d’une certaine manière l’état de guerre perpétuelle. Et
d’une certaine manière, ainsi au XVIII, la question de la paix devient en Europe une
question récurrente.
Cet idéal de paix est, avant Kant, défendu par Leibnitz, qui est dans son œuvre animé par
un profond universalisme d’inspiration religieuse, autour de l’idéal de paix. Son
pacifisme radical est une sorte de pacifisme religieux renouvelé : la guerre est une
pathologie anormale pour une société civilisée qui aurait souhaité abandonner son
barbarisme originel.
Un auteur français moins connu mais célèbre l’Abbé Saint Pierre qui développe un projet
pour rendre la paix perpétuelle en Europe (« on croirait entendre un discours de Jean
Monnet à la sortie de la Seconde Guerre Mondiale ») : autre manifestation de ce
pacifisme.
Pour aller à l’essentiel, l’œuvre la plus accomplie qui ouvre à des problématiques
contemporaines, c’est l’œuvre de Kant. Il a rassemblé ses propositions dans un texte
célèbre publié en 1795 : Projet de paix perpétuelle. Là aussi, on substitue à l’état de
guerre continuelle une paix perpétuelle qui ferait de la paix la situation normale. Son
projet de paix perpétuelle est un projet philosophique : la paix n’est pas l’affaire des
princes mais des peuples, les premiers à souffrir de la guerre. Il y a chez Kant une idée
absolument essentielle : ce n’est pas simplement des traités entre états, ni la négociation
de souveraineté à souveraineté. La paix est un projet plus important, qui doit concerner
les peuples, dont les peuples doivent demander au prince qu’elle soit prioritaire au sein
du programme politique. Son organisation politique et institutionnelle dépasserait les
souverainetés traditionnelles, protégerait les citoyens, le peuple au delà des intérêts de
chaque Etat. Il y a chez Kant un internationalisme, une protection des droits des citoyens
dans la réalité européenne (il parle de république universelle européenne) qui va audelà de la réalité nationale du cadre européen.
Contre les guerres 3 remèdes. 2 remèdes relativement traditionnels et un original :

il reprend Montesquieu et les Lumières : selon Kant, une société ouverte,
commerçante fera disparaître les guerres. Les échanges commerciaux se
substitueront aux rapports de force ancestraux. Boutade du prof : pour Kant,
le pacifisme sera le stade suprême du capitalisme. Pour Kant, l’enrichissement
de la société, le développement parallèle des différentes sociétés rendra la
52


guerre illicite. Aidé par le commerce et l’éducation (développement de la
connaissance et le savoir), l’esprit de paix l’emportera sur le principe de
guerre.
Autre remède relativement original, il veut dépasser les relations
diplomatiques classiques. L’idée qu’au secret des négociations entre états doit
se substituer un cadre politique et institutionnel de négociation entre états à
l’échelle européenne. Ce cadre peut être plus ou moins important. Kant
effectue une démarche pour trouver des institutions politiques communes
aux états européens à cette république européenne universelle.
Kant condamne deux systèmes politiques qui selon lui ont structuré l’histoire
européenne jusqu’au XVIII. D’abord l’idée médiévale : d’une unité imposée par
l’Eglise, par une autorité extérieure au peuple, d’une unité hiérarchique qui
subordonne le peuple ; il l’associe à l’idée impériale : inadaptée. De même, il
condamne tout le temps la formation désordonnée des Etats en Europe qui se
font continuellement la guerre. Le pacifisme de Kant, c’est d’abord un projet
politique commun. Ce projet politique est d’abord fondé sur le droit, sur
l’existence de droits pour les citoyens, mais aussi sur l’existence d’états de
droit. Le droit sert à éliminer l’état d’anarchie des relations internationales :
mettre en place un droit des Etats. La République Européenne devient une
communauté de droit ; selon les possibilités : cela peut être une simple
alliance entre états (confédération) ou cela peut être davantage, une union
entre états (fédération) : il est déjà un auteur qui établit cette distinction
entre confédération et fédération. Il recherche donc un dépassement dans
l’idée européenne de l’héritage de l’empire romanochrétien et de l’héritage
des Etats-nations.
53
La fois dernière, on a vu la pensée politique et philosophique d'Emmanuel Kant, le
philosophe allemand de la fin du XVIII. On a vu qu'il a écrit un livre qui se situait dans
une longue lignée d'ouvrages concernant le thème de la paix en Europe du XVI au XVIII,
ce que certains ont appelé le pacifisme européen.
Cette idée de paix doit beaucoup au contexte général : l'émergence de puissances
politiques souveraines (Etats), ces royaumes qui ne donnent pas encore naissance à des
nations, mais qui structurent des états nationaux qui en Europe occupent la première
place jadis occupée par l'Eglise, ce qui a pour conséquence d'impliquer une montée en
puissance des conflits politiques, territoriaux, de frontière, de famille également, qui
jouent un rôle essentiel dans la vie internationale du temps. Cela aboutit à considérer
que cette vie internationale souffre de l'absence de régulation et d'organisation des
relations internationales. Les traités de paix sont la manière dont l'Europe cherche son
équilibre. Dans la majorité des cas, cela reste la force qui l'emporte.
Des ouvrages dits d'utopie politique proposent une alternative, des projets de paix, de
coopération voire d'union politique entre les états qui composent l'Europe chrétienne.
Ainsi donc, l'idée européenne défini comme un projet de paix et de coopération entre les
états qui composent l'Europe est extrêmement ancienne et est ancrée dans la naissance
même de l'Europe chrétienne.
Kant, lorsqu'il écrit son Projet de paix perpétuel en 1795, propose un texte extrêmement
audacieux, puisque finalement, Kant parle dans ce texte d'un projet de république
universelle des Etats confédérés européens. On avait vu que ce terme un peu pompeux
comme souvent chez Kant recouvrait un projet politique très original. Ce projet est
original par rapport au passé, à la situation présente et à l'avenir de l'Europe. Par
rapport au passé, ce projet se veut une alternative d'organisation politique à ce que
l'Histoire a légué en partie à l'Europe : l'idée d'un empire universel : à l'époque de Kant,
cette notion vit ses derniers moments, jusqu'à ce que les troupes napoléoniennes
n'occupent l'Allemagne. Si Kant revient sur l'histoire de la chrétienté, c'est pour
expliquer que le projet politique d'union entre les états n'est pas un retour au passé,
avec le pouvoir exercé soit par l'Eglise, soit par la domination d'un autre Etat : ce n'est
pas l'idée d'un empire hégémonique qui unifierait presque à leur corps défendant
l'ensemble des états, des royaumes des peuples qui composent l'Europe. Kant écarte
cette idée, et insiste sur le fait que l'esprit européen est récalcitrant à l'hégémonie
impériale sur son territoire (les XIX et XX ne donnent pas forcément raison à ce
propos...).
Pour le présent, Kant écarte aussi ce que certains appellent l'équilibre européen, l'idée
que chaque souveraineté étatique s'arrêterait elle-même, et qu'ainsi il serait possible
d'avoir des états qui s'autoréguleraient sans aucune institution de la régulation. Pour lui,
déjà à la fin du XVIII, cette idée épuise l'Europe, les peuples européens, et doit être
profondément réformée. Il explique que ces deux modèles politiques sont contraires à
l'esprit des Lumières, inefficients face aux enjeux des sociétés européennes de son
temps. Il propose une alternative politique originale.
Ce qui s'impose en Europe au XIX, c'est un modèle politique bien différent de celui
proposé par Emmanuel Kant. C'est plutôt au XX, lorsque viendront sur le devant de la
scène les éléments essentielles de l'Union Européenne, que les idées de Kant seront
54
réactualisées et réutilisées. En 1795, le pacifisme de Kant n'est pas simplement une
décision de principe, une valeur morale ou religieuse. Le pacifisme de Kant est une
politique. Cette politique est fondée sur le droit.
N.B.
Cette originalité est à relativiser : Emmanuel Kant est l’héritier de l'école du droit naturel
et de la nature, apparue en même temps que se codifiaient la pensée légiste. En contrepoids
à cette école juridiste, il y a l'école du droit de la nature et des gens dans le moment de la
découverte des Amériques et le moment où l'Europe en se posant des questions sur
l'humanité se pose des questions sur sa propre identité : cette question se pose en terme
d'universalité : faut-il faire entrer les Indiens dans la civilisation ? A partir de là, en
réinterprétant tout ce que l'Antiquité avait apporté en terme de droit naturel, une école
nait, avec notamment Vittoria et Suarez ; puis au XVII venus des pays d'Europe du Nord, en
laïcisant la pensée protestante d'où ils viennent, Grotius et Pufendorf portent l'idée que le
droit n'est pas simplement le droit de l'Etat, que le droit n'est pas simplement au service du
politique. Le droit est porteur de valeurs qui impliquent que le droit dont parle cette école,
c'est d'abord le droit des gens que l'on opposait déjà au droit civil au temps de Rome. Ce
droit des Gens est par définition internationale. Si ce droit est porteur de valeurs, quelles
sont ces valeurs ? Ces valeurs sont d'abord déterminées par la culture chrétienne, jésuitique
au XVII, protestante au XVIII. Ces valeurs reprennent une vielle idée, le fait que l'Etat ne
peut pas tout, en matière notamment de décisions sur les personnes elles-mêmes, sur leurs
droits et sur leurs libertés, l'idée que le Prince ne possédait en aucun cas un pouvoir
souverain illimité, la limite se trouvant dans les droits fondamentaux des hommes.
A la fin du XVIII, Kant est un héritier de ces traditions : il accorde au droit une grande
importance mais lui donne un sens différent que ce que les légistes avaient pu dire. Kant,
à la suite du droit de la nature et des gens, essaie de montrer que le droit est porteur de
valeurs qui transcendent les institutions. Ainsi donc, on peut parler avec Kant de
pacifisme juridique : le droit doit aider à éliminer l'état d'anarchie qui règne dans les
relations entre états, les relations internationales. Kant entend utiliser le droit comme le
moyen de mettre fin à cet état d'anarchie qui conduit à la guerre. Il parle d'une
communauté de droit entre états, un cadre juridique qui formaliserait les relations entre
états : cette idée ne peut entrer en conflit avec une conception maximaliste de la
souveraineté entre Etats. Selon Kant, il n'y a rien d'incompatible : l'Etat souverain
décide de son propre chef de se soumettre à des règles communes aux autres Etats.
Dans le texte de Kant, on voit que Kant ne choisit pas entre deux formules possibles de la
communauté de droit entre états : s’agit-il d'une simple alliance (confédération) ou
d'une réelle union politique (fédéralisme)? Si Kant est d'abord l'héritier de la tradition
européenne, Kant est aussi influencé par cette idée fédérale nouvelle venue des EtatsUnis d'Amérique, l'idée fédérale ayant fondé la nation américain, logique profondément
différente de l'Europe : idée impériale et féodale puis souveraineté politique
indépendante. Le débat entre confédération ou fédération parcourt le XX jusqu'à
aujourd'hui.
55
Il y a là une ambigüité riche d'avenir qui montre la difficulté de Kant à proposer de
manière structurée une vraie alternative politique. Mais ce qu'il y a aussi d'intéressant,
c'est les critiques de la souveraineté et notamment de la tradition de la raison d'Etat, qui
veut que celle-ci soit toujours la meilleure (Machiavel). Kant critique avec force le fait
qu'au nom de l'intérêt général, l'autorité politique soit sans limite, sans contrepouvoir.
Ainsi, lorsque Kant dit cela, il ajoute une chose sans doute essentielle : il insiste sur l'idée
que pour qu'une communauté de droit entre états soit possible, il faut changer, sans que
Kant ne le dise vraiment, le régime politique et le fondement même des institutions
politiques et sociales en Europe. Chaque Etat devrait avoir une constitution républicaine
(d'où une République universelle européenne). La république universelle ne désigne pas
encore un régime politique particulier comme alternative de la monarchie. Cela ne
définit pas simplement la res publica, la chose publique de Bodin. La République n'est
rien d'autres qu'un État de droit. Lorsque Kant parle d'une réforme politique des États
européens, il parle de l'Etat de droit, qui respecterait notamment ce droit des gens cher
à Grotius, droit qui implique une organisation politique respectant les principes de
liberté exprimés par les hommes des Lumières. Sans des Etats réformés, une
communauté politique des Etats en Europe serait vaine. Seul un régime régi par une
constitution républicaine acceptera de se soumettre à des règles communes. Ainsi la
plupart des monarchies européennes sont à ce moment-là inadaptées à la République
universelle européenne.
La condition de la communauté du droit, c'est donc cette constitution dite républicaine.
Mais la communauté ne se limite pas à des accords entre gouvernements. L'originalité
est 'oppose le droit au cœur du contrat social : les Etats doivent respecter le droit des
gens en en faisant même un élément de citoyenneté de la République européenne : on
sera citoyen car on saura que l'on sera protégé dans ses droits les plus fondamentaux.
Mais le pacifisme juridique de Kant ne se limite pas aux relations entre Etats mais aussi
les relations entre l'Etat et ses citoyens, et même entre Etats et citoyens de manière plus
générale. Cela pose la question des limites au pouvoir souverain. On voit à quel point
Kant considère que la raison d'État est incompatible à l'idée européenne.
S'il devient une forme de fédéraliste européen, Kant sait que le pouvoir contemporain
des États ne permet pas encore une fédération européenne. Mais il est fédéraliste au
sens interne : citoyenneté, constitution républicaine pour chaque Etat permettant une
union des États reposant sur ces valeurs fondamentales. Kant est d'origine allemande ; il
n'existe à l'époque pas d'Etat constitué semblable : il est influencé par une conception
décentralisée où s'imbriquent plusieurs strates de pouvoirs : il envisage donc
naturellement un pouvoir politique au niveau des Etats et un pouvoir politique au
niveau européen. Il fait ici preuve d'une grande audace politique qui ne peut réellement
s'exprimer dans les conditions historiques de l'Europe de la fin du XVIII, l'Europe
choisissant la voie révolutionnaire et la voie de l'affrontement, ce qui structurera
l'Europe jusqu'à la deuxième moitié du XIX.
56
Dans l'œuvre de Kant, il est beaucoup questions d'universalité, de droit universel, etc. :
d'internationalisme : la communauté de droit entre Etats, avec un droit distinct des
droits étatiques. Dans l'internationalisme, il y a national, nation. A part l'œuvre de Kant,
si on regarde la pensée des Lumières dans son ensemble et les grands courants
politiques du XVIII, aucun courant politique n'analyse la question de la Nation, question
qui deviendra à partir du XIX une question européenne par excellence. Le XVIII n'a pas
une conception claire de la Nation, le concept étant embryonnaire. Dans L'Esprit des Lois
de Montesquieu où il parle des spécificités de chaque peuple, où il dresse une
typographie des peuples européens, il n'a aucune idée de la Nation. Dans le Dictionnaire
philosophique de Voltaire, il n'y a pas d'articles pour nation, mais un article consacré à la
patrie. Après avoir rappelé que la patrie se référait d'une certaine manière à la terre des
pères, Voltaire s'amuse avec l'idée de patrie, se moque relativement de ce terme patrie,
alors qu'il sera essentiel dans le vocabulaire des révolutionnaires français. Voltaire ne
définit donc pas la nation ; il termine de définir la patrie en écrivant que "plus la patrie
devient grande, moins on l'aime". Dans L'Encyclopédie même, il y a certes une entrée
"nation", mais on est surpris : on parle plus naturellement de nation pour la Bretagne,
pour la Provence, pour la Bourgogne ou la Picardie que pour la France : s'il y a des
nations en Europe, elles sont constituées autour d'une définition plus culturelle que
politique, assez proche de la manière dont on définit la nation en Italie ou en Allemagne.
Il y a donc des nations très diverses en Europe, identifiables en Europe par une langue et
des mœurs, moins par un territoire, n'étant pas Etat. Cet infraeuropéen ne donne pas
une définition politique telle que nous pourrions l'attendre de la nation. Finalement,
l'esprit du XVIII se veut d'abord cosmopolite et universel, accorde peu d'importance à la
Nation. Les vieux Etats chrétiens européens ne considèrent pas les sujets du Roi comme
des Nationaux : les règles politiques montrent à quel point on est loin d'une citoyenneté
qui impliquerait une idée nationale. A la Révolution, le mot de nation entrera dans son
sens actuel tel qu'il sera porté par la France. Durkheim : la nation est à la fois une
question ancienne et ambigüe; ambigüité qui n'aurait pas quitté ce concept depuis.
Le thème que l'on développe se propose d'analyser la pensée révolutionnaire et ses
conséquences politiques. La pensée révolutionnaire, ce ne sont pas toutes les idées
politiques exprimées pendant la période de la révolution française. Il y a eu très top tôt
pendant cette période une pensée contre-révolutionnaire (avec Burke notamment) Il y
aura au cours de la Révolution et à l'issue de la Révolution un courant qualifié de contre
révolutionnaire (Joseph de Mestre).
Au sein du camp des révolutionnaires, il y a une pluralité de points de vue : débat entre
monarchistes et républicains, girondins et jacobins. D'une certaine manière, il n'y a pas
une unité propre à une pensée révolutionnaire, mais cependant il y a une théorisation de
la révolution pendant le processus révolutionnaire.
Petite partie des idées politiques émises pendant la révolution dont l'originalité est sa
nouveauté.
57
L'Etat actuel de la société française, sa psychologie actuelle depuis quelques mois, la
manière dont une partie de son corps social vit ce moment sont très révélateurs de la
culture française, imprégnée de messianisme révolutionnaire, de la pensée
révolutionnaire. La Révolution Française dans ses conséquences est sans équivalent ; s'il
fallait réellement trouvé un équivalent en terme de conséquence, ce serait la révolution
russe, moment de rupture historique.
L'abolition des privilèges est un texte qui marque une rupture essentielle entre ce que le
peuple français avait été et ce qu'il entend être désormais (Tocqueville). C'est une
manière de définir la révolution par la rupture.
L'abolition des privilèges est un texte qui met à bas tout l'ordre de la monarchie.
L'essentiel se produit bien avant. C'est d'une certaine manière avant que se produit la
Révolution. En mai 1789, les Etats Généraux revendiquent la suppression du vote par
ordre au profit du vote par tête, on a les éléments qui conduiront à l'abolition des
privilèges : lorsque les quelques députés de la noblesse franchissent la frontière
invisible pour se fondre dans le tiers-Etat, la Nation Française est en train de naitre, les
ordres sociaux en train de disparaitre.
La révolution française, ce n'est pas simplement le passage de la monarchie à la
république, pas simplement un changement politique, mais une transformation sociale.
Aujourd’hui, la Révolution russe est probablement finie. Pas la Révolution Française.
Les Lumières n’ont pas théorisé la Révolution, ils ont théorisé les institutions d’une
République nouvelle, la façon dont la monarchie allait se réorganiser. Mais en Angleterre
la noblesse n’a pas été mise à bas, le conflit avec le clergé n’a pas eu lieu, la violence
politique n’a été qu’un moment. (Le processus révolutionnaire français s’ouvre avec la
nuit du 4 août. Elle se clôt avec un coup d’Etat qui caractérise plusieurs fois la vie
politique française.) Il n’y a pas de pensée sur la Révolution. Le phénomène n’est jamais
qualifié politiquement, analysé. Locke propose un retour à l’ordre politique et social.
Tout au long du XVIII, aucun auteur n’envisage véritablement les conséquences du
programme politique sous la forme révolutionnaire : ce programme est réformiste, se
propose soit d’aboutir à une monarchie libérale type anglais, soit une proposition
comme fait Rousseau, qui ne fait même pas de théorie de la révolution. Lorsque Diderot
parle d’évènements à venir qui pourraient abattre la monarchie, il est davantage proche
de la critique du despotisme que de la description du peuple. Le peuple est encore
mineur dans la philosophie des Lumières. Voltaire explique comment le peuple est
incapable de se gouverner lui-même : le peuple est un impensé de la philosophie des
Lumières. Le peuple n’est pas encore un acteur de l’Histoire, il deviendra un acteur de la
Révolution Française. La plèbe parlait au nom du peuple et jouait un rôle essentiel dans
l’ordre politique.
La révolution est un impensé. Lorsqu’elle se produit, il n’y a pas les concepts qui vont
permettre de donner un nom aux choses. C’est dans l’urgence du processus que va naitre
une théorie de la Révolution.
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Le processus révolutionnaire lui-même est notamment structuré autour de deux conflits
majeurs : celui qui oppose la monarchie et la République, celui qui oppose dans la
République les girondins et les jacobins.
Monarchie vs République
La République va être la réponse institutionnelle d’urgence au vide politique entrainé
par les conséquences de la Révolution Française. Cela signifie que la monarchie
apparaissait depuis des siècles comme le régime politique naturel. A l’échelle d’un grand
pays, aucun auteur des Lumières ne conçoit un régime possible autre que la monarchie.
C’est particulièrement vrai en France où l’hérédité monarchique a structuré un lien fort
entre la société française et une famille régnante qui fait du Roi le Père de la Nation, le
Père de ses sujets, dans un rapport qui doit plus aux rapports médiévaux qu’entretenait
le sujet chrétien à son roi qu’aux rapports élaborés par les juristes sur le plan du droit.
Après l’exécution du Roi, la mort du Roi est également la mort d’un régime politique, ce
qui ne sera pas le cas en Angleterre. Après quoi la France « revient vers la mère », qui
prend la forme de Marianne. Le régime républicain n’est pas chargé seulement de
réformer des institutions : il doit remplacer la monarchie vieille de tant de siècles. La
République doit remplacer la monarchie, et assumer le régime qui succède à la mort. La
République se définit ainsi avant tout comme une non monarchie : il n’y a pas une
République mais des Républiques.
Girondins vs Jacobins/Montagnards
Les Girondins constituaient un groupe à la Convention, avec des députés venant de la
Province et essentiellement du sud-ouest. Si ces Girondins avaient poussé à
l’effondrement de la monarchie, ils dénoncent rapidement la voie que prend la
République : ils dénoncent une République qui serait gouverné à Paris par une autorité
politique sans véritable contre-pouvoir, une République centralisée, administrativement
dirigée depuis Paris. Ils dénoncent dans la République le visage de la monarchie. Ils
proposent à l’échelle française une république fédérale. Une grande partie de leurs idées
sont portées par Condorcet, dernier représentant de la philosophie des Lumières. Les
Girondins expriment à leur manière sans doute ce qu’était l’esprit libéral du début de la
Révolution, et l’esprit réformiste des Lumières. Ces Girondins sont battus et envoyés à la
guillotine au profit du modèle jacobin.
Effectivement, les Jacobins dénoncent chez les Girondins plusieurs éléments : ils les
accusent de vouloir déliter le lien national, le lien politique né en 1789 : une Nation est
née. Dès 1792, cette Nation est menacée par les monarchies européennes ; les Girondins
sont alors leurs complices, les ennemis de la République et de la patrie. Le terme
d’ennemi devient ce que l’hérétique était à la mentalité catholique. Les Girondins
proposent un modèle politique libéral que les Jacobins récusent. Les Jacobins expliquent
que la République doit être une et indivisible, avoir un gouvernement national porteur
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de la souveraineté du peuple, de sa volonté générale. C’est donc un modèle politique
plus proche du modèle rousseauiste, appliqué à des circonstances exceptionnelles.
Les Jacobins ajoutent ainsi un élément original : dans le contexte d’une Révolution, les
institutions politiques sont particulières : il faut trouver des institutions politiques
adaptées à la mise en place de la Révolution mais aussi au processus révolutionnaire
dont les Jacobins ne fixent jamais la fin. Les Jacobins théorisent la permanence de la
Révolution, le besoin d’inscrire la révolution dans une sorte de processus continu.
La meilleure preuve : lorsque la Constitution montagnarde est votée en 1793, elle est
considérée comme la quintessence de la philosophie des Lumières, elle est mise dans
une grande arche. Les Jacobins la déclarent seulement compatible avec des temps de
paix, d’où la nécessité d’un Comité de Salut Public : « le gouvernement sera
révolutionnaire jusqu’à la paix » Rousseau. Si la paix ne vient pas, ce gouvernement a
vocation à perdurer.
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La fois dernière, on a vu les événements révolutionnaires qui caractérisent la France
dès 1789. La Révolution a été impensée par la philosophie des Lumières, plus un projet
réformateur de transformation sociale qu'une théorie de la prise de pouvoir par la
violence et qu'une théorie de rupture.
La Révolution a ceci de spécifique qu'elle ne change pas simplement un régime politique,
elle met à bas tout un ordre hérité des siècles d'Ancien Régime. On peut se rappeler le
diagnostic de Tocqueville, dans L'Ancien Régime et la Révolution, le peuple français "a
fait le plus grand effort qui soit pour établir un fossé infranchissable entre ce qu'il avait
été et ce qu'il entendait être".
Pendant ces années révolutionnaires, naissent des courants politiques différents, une vie
politique profondément original par rapport à ce qu'était le débat public sous l'Ancien
Régime. Des courants de pensée se font jour et se déterminent tous par rapport à la
Révolution ; elle est vite la référence par rapport à laquelle on se fixe. Si on est hostile à
la Révolution dans ses principes, on n'a pas sa place dans l'ordre révolutionnaire et on la
combat depuis l'étranger. Dans la famille de pensée qui porte dès 1789 les idées
révolutionnaires, il y a des courants très différents. C'est le type de régime politique qui
va entraîner une autre césure dans l'ordre des idées, entre une République qui romprait
avec les principes de la monarchie absolue en ce qui concerne notamment la manière
dont on conçoit l'autorité politique, la responsabilité politique, le rôle de l'Etat, du
pouvoir politique. La Révolution Française choisit un modèle porté par le courant dit
jacobin/montagnard. Ce dernier semble être l'un des courants les plus radicaux au sein
des différents courants de la Révolution. Or les Jacobins ne changent rien aux principes
fondamentaux de l'ordre politique : en effet, le courant jacobin qui va triompher à la
suite des événements révolutionnaires insiste sur l'idée d'une République une et
indivisible, sur la souveraineté du peuple mais impartageable, incommunicable,
inséparable, qui insiste sur un Etat administratif centralisé et qui met en place une
hiérarchie des pouvoirs au profit de l'Etat national, au profit d'une souveraineté
populaire sans contre-pouvoir.
L'effondrement de la structure sociale de l'Ancien Régime, des forces intermédiaires
entre le corps social qui caractérisaient l'Ancien Régime, permet au pouvoir issu de la
Révolution de reconstruire politiquement, institutionnellement, administrativement le
pays sous forme de République. Il légitime le pouvoir politique d'en bas. Les
conséquences politiques sur la structure profonde de l'ordre politique sont à peu près
les mêmes. Selon Bertrand de Vauvenmen : "les révolutions liquident les faiblesses et
accouchent de la force": Louis XVI a été victime de la faiblesse d'une monarchie absolue
contestée. Les révolutions qui se veulent émancipatrices semblent toutes finir par
l'accaparement du pouvoir par un homme ou un parti (en France, Bonaparte).
C'est ce courant, qui n'était pas le seul, qui va l'emporter dans la révolution, notamment
sur les Girondins. Les Jacobins vont vouloir mettre en œuvre des théories rousseauistes
dont l'auteur même avait contesté la possibilité de les appliquer dans la réalité.
L'événement nouveau, c'est le rôle joué par la violence politique ; si elle est certes
intrinsèque au phénomène politique d'origine, la Révolution va démocratiser cette
61
violence. Elle ne se limite pas au Prince, mais constitue un mode d'action récurrent pour
l'ensemble des acteurs des processus révolutionnaires, quelque soit leur place dans ce
processus. La violence doit beaucoup au contexte. On a une République assiégée,
contestée par les régimes traditionnels, monarchistes de l'Ancien Europe. Entre 1792 et
1797, la République française est contestée dans son existence même ; un régime
assiégé se durcit, limite les libertés pour résister à la contestation extérieur : la
Révolution en est l'exemple frappant.
La diffusion de la violence politique va plus loin : le peuple est acteur de l'Histoire. Ce
peuple des faubourgs parisiens joue un rôle politique important ; ces événements se
passent d'abord à Paris, sur un périmètre relativement réduit, où le petit peuple de Parsi
est en prise direct avec ceux qui ont des responsabilités politiques et qui font cette
Révolution. Même si c'est une petite partie du peuple, il y a incontestablement un rôle
populaire. On aurait pu le penser émancipateur, il sera la plupart du temps despotique :
les députés seront sous pression permanente des assemblées qui forment ce peuple
urbain.
Au delà, il y a la manière dont ce processus s'exprime. Le symbole, c'est la guillotine. La
pensée révolutionnaire est celle de la négation : le concurrent politique est un ennemi à
éliminer de l'ordre politique. Si ces passions ne sont pas inventées par la Révolution (cf.
guerres de religion), la laïcisation de ces passions politiques ne changent rien à l'affaire,
bien au contraire : l'élimination est plus systématique car plus facile. Il y a dans la
théorie révolutionnaire une violence intrinsèque au processus révolutionnaire.
Comme Tocqueville l'a analysé, la Révolution mange toujours ses enfants. Il y a une
radicalisation constante de l'ordre politique : il y a toujours plus révolutionnaire, des
agents pour accuser les premiers de freiner le processus révolutionnaire. Cette
radicalité élimine les uns après les autres les acteurs de la Révolution française. Cette
radicalité est réelle et surtout symbolique (sorte de cercle vicieux).
Certains vont essayer de théoriser ce processus, de lui donner un statut à l'aune du sens
de ce processus. Comment donner sens à cette violence et à ces révolutionnaires qui
s'auto-engendrent en s'éliminant les uns les autres? Comment donner sens à
l'irrationnel?
Ceci va être théorisé par un messianisme politique : la révolution est un processus qui a
un but, un sens qui est considéré dans le processus historique comme un sens et un but
à atteindre, une finalité ultime que la Révolution doit atteindre par le processus
révolutionnaire lui-même. La Révolution par définition a deux caractéristiques : elle fait
table rase du passé et elle entend accoucher d'une société nouvelle, d'un ordre politique
et social régénéré. La révolution est capable de rénover et de générer un nouvel
individu. Ainsi la pensée révolutionnaire est à classer dans la famille est la conséquence
de la modernité politique : rénovation totale de la société et des individus qui la
composent. Mais ces affirmations sont prises au pied de la lettre. Ainsi, la Révolution est
un moyen : elle n'est jamais posée comme une fin en soi; voilà que ce moyen occupe tout
le champ politique alors que le but et les finalités sont toujours renvoyées à demain.
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Dans le processus révolutionnaire, la réalité résiste beaucoup plus que ce que l'on aurait
pu imaginer : changer la société, la culture, etc... La déception est donc rapide. Devant
cela deux attitudes : la violence ou penser que la Révolution n'est qu'un outil pour
atteindre la société nouvelle et la libération du genre humain.
Le meilleur théoricien est ainsi Robespierre : "le gouvernement sera révolutionnaire
jusqu'à la paix" : on théorise l'idée d'un gouvernement révolutionnaire, qui n'a d'autre
but que de permettre au processus révolutionnaire de se développer et de permettre à
la Révolution de se développer ; l'ordre politique reposant sur un processus classique de
désignation est mis de côté au profit de l'exception révolutionnaire qui devient la règle.
Le cadre légal est fragile : la légitimité ne se trouve pas dans les institutions mais dans la
révolution. La légitimité d'une autorité politique est intrinsèquement liée aux
événements qui la portent. La légitimité est donnée par l'Histoire.
Cette théorie du gouvernement révolutionnaire est chez Robespierre théorisée. La
Révolution n'est que temporaire ; mais comme la déception est toujours plus forte... Le
meilleur est toujours à venir : les problèmes difficiles aujourd'hui seront résolus demain
par le processus révolutionnaire. Si le processus s'arrête, la scène révolutionnaire
s'arrête et le gouvernement révolutionnaire s'effondre.
En 1794, avec la chute de Robespierre, la première partie de la Révolution est terminée,
mais cette pensée va irriguer tout le XIX° français. (Parenthèse où le prof soutient qu'il a
juste 20 ans de plus que nous - et où il parle de Gorbatchev qui met fin au mythe, à la
pensée et au processus révolutionnaires tels qu'ils s'étaient enclenchés en URSS ; il
explique aux assemblées que dans ce processus qui devait conduire la société vers le
communisme, il avait constaté que la société s'était épuisée; il faut dorénavant
considérer le réel tel qu'il est).
Dès 1795, Mme de Stahl a cette phrase "commet guérir de la Révolution Française?"
Comment reconstruire la société après la Révolution? Dans un premier temps, cette
révolution disparaîtra tout entière dans le pouvoir absolu de Bonaparte et de Napoléon
I, qui déclarera la Révolution terminée : la période napoléonienne est une reconstruction
de la société et de l'ordre social.
Cet esprit révolutionnaire, c'est aussi un véritable choix de société. Le modèle jacobin se
retrouve dans le modèle politique de Napoléon I. Au cours du temps, lorsqu'il s'agit pour
la France de revenir sur ce modèle, si elle l'amendera, elle choisira constamment cette
voix jacobine.
La Révolution Française ne se limite pas aux événements de 1789 : tout au long du XIX,
elle recommence : la Révolution est toujours à faire et à refaire ; le processus
révolutionnaire français s'exprimera à nouveau. Dialectique permanente entre ordre et
révolution.
En URSS on théorisera l'idée de la Révolution permanente
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Le XIX Français est caractérisé par une grande instabilité politique ; en Europe, l'ordre
politique est bouleversé. La Révolution Française a des conséquences politiques qui
touchent une grande partie des Etats qui composent l'Europe. Si en 815 à Viennes, en
apparence l'ordre ancien est rétabli, la contestation de celui-ci va se systématiser sous
différentes formes un peu partout en Europe au XIX. C'est notamment le principe des
nationalités, avec le principe des droits des peuples à disposer d'eux-mêmes qui
impliquent la contestation des états traditionnels au profit d'une souveraineté nationale
ou populaire qui émanciperait des sociétés traditionnelles des nations. Cela conduit à
l'unification de l'Italie.
En France l'instabilité politique est chronique, récurrente : événements de 1830 (départ
de Charles X, frère cadet de Louis XVI, et finalement de l'ordre ancien capétien), de 1848
(une nouvelle république), de 1871 (essai de transformation en République sociale). Ces
processus révolutionnaires s'expriment dans un contexte différent de celui de 1789.
L'instabilité politique française au XIX n'est pas tout à fait anarchique : elle a un sens, est
nourrie par deux cycles institutionnel et politique identiques. Ces deux cycles montrent
que cette instabilité peut se comprendre par la recherche du régime politique qui pourra
être l'héritier des principes nés pendant la Révolution Française. La Révolution
Française a changé l'ordre politique et sociale, mais n'a proposé aucune alternative
politique : elle débouche sur la monocratie napoléonienne.
Ces changements reposent sur un certain nombre de principes qui expliquent le passage
à la société libérale du XIX...
Depuis 1789, on peut identifier deux cycles historiques : 1789-1815 / 1815-1870
- 1789 : la France essaie la monarchie constitutionnelle (Constitution de 1791)
- 1792 : I° République (plusieurs phases : robespierriste, thermidorienne)
- expérience bonapartiste voire césariste
- 1815 puis 1830 : monarchie qui tend vers la monarchie parlementaire
- 1848 : II République
- 1851 : II Empire
Dans un processus difficile, c'est finalement le régime républicain qui deviendra le
régime politique officiel de la France nouvelle.
Cette instabilité ne se résume pas à la quête d'un régime politique ; il y a aussi es
principes mêmes de la révolution, que l'on distingue souvent du processus en tant que
tel. Ces principes sont essentiellement fondés sur deux notions : la liberté et l'égalité
(fraternité ajoutée en 1848). Ces deux principes sont caractérisés par leur dimension
générale et floue. Ils sont d'une application infinie. Par certains côtés, la démocratie est
régie par ces deux moteurs insatisfaits en permanence.
Concernant le principe d'égalité, principal moteur :
- en 1789 : égalité civile, en droit : fin des ordres sociaux, abolition des privilèges
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-  en 1848 : égalité devient une revendication d'égalité politique : débat sur le suffrage
universel ; a pour moteur le principe d'égalité politique ; le suffrage est le forme
juridique que prend la souveraineté populaire
- égalité devient une revendication dans l'ordre sociale avec la révolution industrielle ;
on retrouve ce thème porté dans la Commune de Paris
- au XX°: égalité homme/femme, égalité au sein de la famille
L'égalité n'est plus qu'en droit, elle est en droit, la lutte contre tous les types de
discrimination. C'est un processus dynamique par définition qui perturbe l'ordre
politique quel qu'il soit. En 1880, "la révolution française arrive à port".
Tout au long du XIX, des processus révolutionnaires se produisent en Europe. Au cours
du XIX, l'ordre politique ancien s'effondre en Europe. Une question essentielle se pose
alors : comment rattacher l'individu au cœur social? Au Moyen-Age et sous l'Ancien
Régime, l'individu ne se concevait pas en dehors du groupe auquel il appartenait. Si avec
les théories libérales, cet ordre ancien se diffère, ce n'est qu'au XIX que les structures
traditionnelles sociales s'affaiblissent. Les principes de la révolution Française
construisent un individu porteur de droits intrinsèques et non pas de statut, d'un
individu qui a des droits politiques et qui peut donc agir sur l'ordre politique. Cet
individu est un individu construit sur le plan du droit, des principes, mais qui n'a pas de
réalité sociale véritable. Le rattachement au corps social est conditionné par la société
d'ancien régime au XIX. La question se pose d'une nouvelle articulation entre l'individu
et la société. Ceci se transforme rapidement : émergence d'une classe ouvrière,
développement de la bourgeoisie, marginalisation de l'ancienne noblesse. La société se
transforme et le rattachement de l'individu au corps social se pose en termes différents.
Il y a au cours du XIX trois moyens de rattacher l'individu au corps social :
- le rattachement à une communauté culturelle, ethnique, politique, territoriale
immédiatement identifiable : c'est la construction de la réalité nationale, qui donnera les
théories politiques du nationalisme
- le rattachement à la réalité sociale : théories socialistes, communistes ---> sociales de
manière générale : appartenance à un monde sociable identifiable
- les théories libérales : pas de communauté naturelle : il y a d'abord l'individu : la
société est faite pour l'homme et non l'inverse. L'individu va être rattaché à un certain
nombre d'institutions.
- Il reste une quatrième voie : le rattachement par la culture religieuse.
Des voies nouvelles et différentes selon les pays ; ainsi se dessinent les grands courants
du XIX, voire du XX.
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