Enjeux et défis des prochaines élections indirectes Par André Lafontant Joseph Depuis l’adoption de la Constitution de 1987, les élections indirectes pour compléter la mise en place des Collectivités territoriales, ne se sont réalisées qu’une seule fois. C’était sous la première présidence de M. René Préval, à la fin de l’année 1998. Constitués assez tardivement, ces organes se sont éteints avec la crise ouverte par la démission du Premier Ministre Rosny Smarth et aggravée par la caducité de la Chambre des Députés en 1999. Aux autres échéances, le Conseil Électoral Provisoire s’est dissout soit par la nomination de ses membres à des postes de prestige (1991), soit par la démission forcée de certains de ses membres et l’éclatement de l’institution (2000). Neuf ans plus tard, nous nous trouvons face au défi de réaliser enfin le vœu de la Constitution mais surtout de mettre les bases réelles du nouvel État qui n’a jamais vu le jour dans cette interminable transition qui a tourné au cauchemar. Allons-nous enfin gagner le pari? La réponse à cette question est loin d’être évidente. Problématique des élections indirectes Le principal problème autour des élections indirectes locales vient du fait qu’elles initient le processus devant amener à la formation d’une institution représentant un grand enjeu politique, le Conseil Électoral Permanent. Ce CEP dont le mandat de 9 ans lui permettra de réaliser les élections d’au moins deux présidents, de deux Chambres de Députés et au moins trois renouvellement du tiers du Sénat, est un organe déterminant dans la vie politique. Dans un pays ou l’alternance n’est pas un principe facilement accepté par ceux qui occupent le pouvoir, la constitution d’un tel organe peut causer de grandes inquiétudes. Si l’on regarde la configuration générale des résultats des élections des Asecs, on se rend compte qu’aucune formation ou regroupement politique ne peut prétendre avoir une majorité nationale lui permettant d’influencer en sa faveur la Constitution du Conseil Permanent. Il faut se rappeler que le système proportionnel adopté par le CEP pour la formation des Asecs, donne pratiquement au cartel arrivant en tête dans la Section communale, la majorité dans l’Assemblée de la Section communale. Ces cartels doivent donc avoir déjà bien en tête les noms des personnes qu’ils vont envoyer aux Assemblées municipales (AM). Une analyse sommaire des résultats pour les Asecs, porte à croire que différentes tendances politiques formeront les majorités dans les AM et par la suite dans les Assemblées Départementales (AD) des 10 Départements. Ce sont ces AD qui enverront à l’Exécutif la liste des citoyens et citoyennes d’où seront choisis les membres du CEP. Si l’on peut parler de coloration politique, on aura donc un CEP multicolore avec éventuellement des sensibilités politiques plurielles. La même analyse est valable pour la nomination des juges de Paix qui doit passer par les AM et celles des juges de tribunaux de première instance et de Cour d’Appel par les AD. Pour que la réalisation des élections indirectes soient facilitée, il faut que l’actuel pouvoir accepte l’éventualité de ne pas avoir un contrôle hégémonique sur le CEP (Permanent). Il faut aussi que les membres de l’actuel CEP (Provisoire) veuillent et puissent travailler rapidement pour laisser le terrain à leurs successeurs. Au cas où ces deux conditions ne se réalisent pas, on peut s’attendre à l’émergence de nombreux obstacles ou tout simplement à de l’immobilisme dont le résultat sera pareil. Les défis autour de la réalisation de ces élections indirectes Les élections indirectes au niveau des Collectivités territoriales ne concernent pas seulement la constitution des organes locaux (assemblées et conseils) mais également les juges et comme nous l’avons déjà signalé le Conseil électoral Permanent. Il se pose la nécessité pour que ces élections se déroulent suffisamment vite pour permettre la formation du nouveau CEP avant l’échéance des prochaines élections pour le renouvellement du Tiers du Sénat (Septembre – décembre 2007). L’actuel décret électoral, en son article 110, donne mandat au CEP d’organiser les élections indirectes suivant les prescrits de la législation existante sur les Collectivités territoriales. La Charte des Collectivités territoriales, adoptée et promulguée sous la forme de 5 décrets par le récent Gouvernement de transition, définit les modalités et des échéances pour la réalisation des différentes étapes des élections indirectes. Au cas ou elle est appliquée on peut avoir de manière très optimiste le calendrier suivant : 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. Prestation de serment des Asecs et formation de leurs bureaux: mi février 2007 Désignation des membres des AM : fin février 2007 Prestation de serment des AM et formation de leur bureau: mi - mars 2007 Élection des membres des AD : fin mars 2007 Prestation de serment des AD et formation de leur bureau : début d’avril 2007 Formation du Conseil Interdépartemental : mi mai 2007 Désignation des listes des candidats au CEP : mi-juillet 2007 Formation du CEP par les trois branches du pouvoir central : fin juillet 2007 Un CEP qui entrerait en fonction au début d’août 2007 et qui bénéficierait d’une passation de pouvoir amiable et d’un appareil électoral plus ou moins rodé pourrait être en mesure d’organiser les sénatoriales vers octobre – décembre 2007. Si nous ratons ce rendez-vous, en janvier 2008, le Parlement sera amputé d’un tiers de ses membres (10 sénateurs). Les décisions qui réclament la majorité absolue des membres seront alors très difficiles. Il faudra avoir 16 sénateurs sur les 20 restant. Pour que ce scénario se réalise, il faut que le gouvernement de M. Alexis accepte que ce soit les Décrets du gouvernement de transition qui constituent la boussole à suivre, du moins pour le moment, afin que le processus des élections indirectes soit initié sans délai. S’il faut préalablement adopter de nouvelles lois, le processus prendra plusieurs mois avant de pouvoir être lancé. Pire, si le Parlement devait voter tels quels les projets de lois préparés par le Ministère de l’Intérieur, les élections indirectes seraient renvoyées sine die car ces textes ne prévoient ni les mécanismes ni les délais pour l’organisation de ces scrutins. Quelles que soient les reproches que l’on peut faire aux Décrets, ils constituent la seule voie de réalisation cohérente des élections indirectes. Notons en passant que le gouvernement et le Parlement devraient profiter de l’adoption du budget rectificatif pour abandonner la formule inadéquate du « Fond de développement des Communes », créer un « Fond de développement des Collectivités territoriales » et en plus allouer des fonds pour le fonctionnement de toutes les instances des Collectivités. Il faut aussi que le gouvernement, les institutions concernées de la communauté internationale, les institutions spécialisées d’observation électorales et la société civile, en général, se mobilisent autour d’une campagne d’information et de sensibilisation intensive autour des élections indirectes mais également sur les attributions, les droits et les devoirs des élus, leurs rapports entre eux, avec les autres entités de la société et leurs mandants. Cette campagne devrait mettre beaucoup l’accent sur les délais de réalisation des scrutins par les différentes instances et vulgariser les consignes pour que non seulement les élus mais tous les citoyens sachent les modalités à suivre. En conclusion Il est souhaitable que le CEP, le gouvernement, le Parlement, les acteurs de la communauté internationale, les partis politiques et la société civile haïtienne se penchent sérieusement sur la préparation et le lancement sans tarder des élections indirectes. Le mandat de l’actuel CEP ne devrait en aucun cas s’étendre au-delà de leur réalisation. Les conséquences de leur non tenue seraient très négatives pour l’avancement de la démocratie, la normalisation politique et le renforcement des institutions haïtiennes. Le premier grand casse-tête pourrait être la réalisation des prochaines élections sénatoriales et la caducité du tiers du Sénat. Du point de vue institutionnel et légal, le pays peut s’enfoncer encore plus profondément dans la voie de l’inconstitutionnalité, de l’informalité voire de l’arbitraire. Les conseils municipaux en l’absence des AM continueront de dysfonctionner ou au moins fonctionneront sans le bénéfice d’un contrôle de proximité par les citoyens/nnes concernés/es. L’État aura ainsi une justification pour ne pas leur allouer les fonds nécessaires à la fourniture des services dont la population a tant besoin. Les juges de paix, ceux des tribunaux de première instance et des Cours d’Appel n’auront pas à affronter la sanction des Assemblées pour leur nomination ou le renouvellement de leur mandat. La justice pourra continuer sa dégringolade avec son corollaire qui est la perpétuation du règne de l’impunité et son lot de crimes crapuleux. Le pays confirmera son état défaillant et la présence étrangère s’imposera encore pour longtemps face à notre incapacité à régler proprement nos affaires.