Audition du docteur Baetens au Sénat en commission des affaires
sociales le 11 mars 2014
Vous parler du double diagnostic et de la réalité du terrain en 10
minutes est une tâche complexe .Je vais faire de mon mieux
Je m’appelle Godelieve Baetens, je suis psychiatre, Je dirige l’unité
double diagnostic de Manage, après avoir travaillé dans l’unité double
diagnostic de Bierbeek, en Flandre, au côté du docteur Cayenbergs. Ma
pratique ambulatoire est à Uccle.
Je travaille également au centre de santé mentale de la VUB et à
Zonnelied à Roosdaal.
Comme l’a expliqué mon collègue Johan de Groef, je vous rappelle
qu’un tiers des personnes handicapées mentales développent une
maladie mentale.et qu’on appelle double diagnostic. Il s'agit de la
combinaison d’un handicap mental et d’une maladie mentale.
Je vous rappelle également qu’il y a très peu d’unités double diagnostic
à l’heure actuelle en Belgique, 3 en Flandre dont en particulier
Bierbeek, une en Wallonie à Manage qui dessert en plus Bruxelles
puisqu’il n’existe rien pour les adultes dans la capitale de l’Europe.
Laissez-moi vous rappeler aussi ce qu’est une unité double diagnostic
en prenant l’exemple de Manage
L’unité double diagnostic de Manage située à l’intérieur de l’hôpital Saint
–Bernard est une unité spécialisée dans l’accueil des personnes
handicapées mentales avec double diagnostic .Le personnel a été formé
à la problématique du handicap mental et des maladies mentales
associées. Ce personnel est donc en confiance car il comprend ce que
les patients veulent exprimer. Et il sait comment s’occuper d’un autiste
par exemple, ce qui est loin d’’être évident Et cette confiance, les
patients la sentent et c’est la une nécessité absolue pour les soigner et
les stabiliser. D’où l’échec que l’on constate en général des unités
générales de psychiatrie ou des unités chroniques, par absence de
formation du personnel au handicap mental.
On me demande souvent ; docteur quand faut-il hospitaliser ? Et ma
réponse est le moins souvent possible .Quand on peut arrêter une crise
avant l’hospitalisation, c’est parfait et tout le monde est content. Maïs
dans 50% des cas, cela n’est pas possible en particulier lorsque le
patient décompense, et devient un danger sérieux pour lui-même. Il faut
alors une intervention de crise qui n’est possible qu’à l’hôpital.
Et comment procéder dans la pratique ?
Il existe aujourd’hui ce qu’on appelle un réseau autour des personnes
handicapées mentales double diagnostic .Le réseau c’est l’ensemble des
intervenants autour de la personne concernée. Il s’agit de la famille, des
institutions où vit la personne (centres de jour et d’hébergement), du
médecin ambulatoire, de l’équipe volante qui s’occupe du patient et de
l’unité double diagnostic dans les rares cas ou elle existe .Cette unité
prend alors en charge la coordination, organise des réunions avant,
pendant et après l’hospitalisation avec pour objectif essentiel la
prévention.
Mais que penser des équipes volantes créées dans le cadre de la
réforme du 107 ?Le plus grand bien !!
Il en existe une à Manage et cela apporte un plus certain. En effet,
l’équipe volante se rend la où la personne vit. Comme elle est constituée
de personnel médical, elle peut prendre les mesures adéquates,
notamment adapter le traitement. Dans 50% des cas, cela réussit,
évitant ainsi une hospitalisation non nécessaire.
Mais que faire si une hospitalisation s’impose ? L’unité double diagnostic
devient le maillon faible du réseau par absence ou par manque de lits,
puisque l’équipe mobile n’a alors pas de solution adéquate.
Et pour vous permettre de mieux me comprendre, je vais vous parler de
ce qui se passe vraiment au niveau du terrain.
Les excellents centres des trois régions où vivent les personnes
handicapées mentales quand elles ne sont plus chez leurs parents n’ont
aucune vocation médicale. Avant qu’une équipe volante intervienne en
cas de problème de comportement sérieux, ce qui posait une menace
pour tous, elles demandaient aux parents de reprendre la personne à la
maison. La plupart du temps cela se terminait dans une unité chronique,
faute de place en unité double diagnostic.
Le deuxième enjeu est de répondre de façon crédible et fiable à la
question toujours posée par les responsables des centres ; « et si ça
dégénère ?» C'est la réponse du médecin « alors je prends la personne
à l’hôpital !» qui fait toute la différence.
Si l’équipe volante de Manage peut assumer cet engagement, avec
l’unité double diagnostic de Manage en support, qu’en est-il de l’équipe
mobile à Bruxelles qui ne dispose pas de cette ressource de pouvoir
hospitaliser dans l’endroit adéquat ?
Tous les centres sont paralysés à l’idée de se trouver face à une crise
en l'absence de solution hospitalière. Si vous leur garantissez une
solution, alors ils vont prendre, avec l'aide de l’équipe volante, des
risques mesurés, sachant qu’ils ne se retrouveront plus le dos au mur.
Enlevez la possibilité d’une hospitalisation, et l’institution prendra peu de
risque, l’efficacité de votre équipe volante se réduira de beaucoup. E la
personne handicapé va se retrouver dans une unité de soins chroniques,
pour un séjour dont la durée moyenne sera de 3 ans ½.
Or les séjours à Manage comme à Bierbeek sont 16 fois plus courts. Le
taux de stabilisation à la sortie, après deux à trois mois de séjour en
moyenne, est de 80% et permet donc à la personne de reprendre une
vie normale tout en réalisant des économises significatives.
Le manque d’unités double diagnostic est un point noir .
Il en existe un deuxième point noir, tout aussi grave.
Manage c’est 25 lits T, pour 30 lits à Bierbeek .Le personnel à Manage
est de 10 ETP. Il faut ajouter 7 ETP prêtés temporairement par d’autres
départements de l’hôpital, une situation tout à fait inacceptable pour moi,
aussi bien que pour le personnel et pour les patients. Je m'explique.
Malgré une très forte motivation, nous avons de sérieux problèmes avec
le personnel tels que démissions, demandes de mutations, maladies..
C'est principalement dû à la surcharge de travail. .Cette situation
entraine des pertes d’expérience… dont les patients sont les premières
victimes. En tant que médecin en charge, je ne peux plus continuer à
fonctionner de la sorte alors que l'expertise est là pour pouvoir stabiliser
nos patients et les rendre à une vie normale très rapidement .
Pour faire face aux situation de crises que vivent nos patients , il faut un
personne adéquat et en nombre suffisant, car le staff infirmier ne peut
baisser sa vigilance un instant .
Il faut donc adapter de façon urgente la norme d'encadrement de
Bierbeek et Manage pour pouvoir effectuer tout le travail correctement. A
cet effet,je recommande d’utiliser la norme IB équivalent –PCTA,
comme pour les enfants
Je n’ai pas eu le temps de vous parler de la thérapeutique . Disons qu’en
plus d’un traitement médicamenteux qui ne peut se faire qu’à l’hôpital,
nous pratiquons à Manage la methode des ateliers. Les ateliers
réunissent de petits groupes avec une animation adaptée afin de récolter
des observations qui reflètent les difficultés et les acquis des patients. Un
dispositif qui permette de construire ou de reconstruire les savoirs des
patients est ensuite mis en place. Cette technique très efficace
demande beaucoup de personnel et je suis donc aujourd'hui forcée de
réduire les effectifs à un niveau beaucoup trop bas. Cela démontre
l'urgence d'adapter la norme actuellement en vigueur.
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