Qu’est-ce que la conscience ? INTRODUCTION La notion de conscience a toujours intéressé la philosophie, car elle est plus ou moins présente dans sa définition même : ainsi, pour Socrate, la philosophie est une entreprise qui nous enjoint à prendre conscience de nos préjugés, et par là, à pouvoir mieux nous connaître, nous et le monde qui nous entoure. Philosopher, c’est prendre conscience de afin de se rendre maître de soi. Etre conscient, c’est selon l’étymologie latine (cum scientia), être présent à son savoir. - Plusieurs niveaux de conscience : En fait il y a plusieurs niveaux de conscience : il y a la conscience immédiate, la conscience réfléchie, et la conscience morale, qu’on peut ranger dans la conscience réfléchie (en tant qu’elle semble présupposer nécessairement son émergence). 1) La conscience immédiate : ce qui accompagne tous nos actes, nos perceptions, etc (sorte de présence du monde, à laquelle nous faisons attention : nous ne sommes alors pas "immergés" dans le monde, confondus avec) Ici l’exemple serait : percevoir un objet; se rendre compte qu’un objet est devant nous; et même, c’est ici qu’on rangerait "il a perdu conscience" (: il n’est plus "éveillé") 2) La conscience réfléchie : la conscience est ici capacité de retour critique sur nousmêmes, sur nos expériences, nos actions, etc. ; la conscience se retourne sur elle-même, prend ses états de conscience comme objets de conscience; le sujet qui est conscient se ressaisit ici comme conscience, il a conscience d’être conscient (on "prend" conscience) 3) La conscience morale : capacité de répondre de soi, à porter des jugements de valeurs sur ses comportements (ceux d’autrui, ou les miens); nécessite la précédente, car le sujet doit pour cela faire retour sur ses actes afin de les juger. - Problématiques de la conscience : On voit ici combien l’acception du mot conscience peut revêtir des situations différentes aussi bien dans le langage courant qu’en philosophie. Qu’est-ce que la conscience ? En quoi consiste-t’elle ? Quelle particularité donne-t elle à la condition de l’homme ? Le mot conscience, par son voisinage est parfois sa confusion avec les mots : vie, sentiment, pensée, âme..ouvre des problèmes de tous ordres. Un objet inanimé peut il avoir conscience ? Quel rapport entretiennent la conscience et la vie, en somme le corps et l’esprit ? La conscience est-elle autre chose que la pensée ? Y a-t-il des pensées inconscientes ? La problématique de la conscience va et vient ainsi de l’objet au sujet. Elle recouvre tous les problèmes relatifs à l’objectivité et à la subjectivité. L’objet est un être immatériel et le sujet est un être conscient donc il ne peut y avoir d’objet que pour un sujet. Il y a donc un dualisme irréductible entre la conscience et ce qu’elle n’est pas, entre l’objet et le 1 sujet, l’âme et le corps. La conscience se définit-elle alors comme une entité ou comme une seule fonction ? La conscience de soi est-elle nécessairement une connaissance ? Le fait d’être conscient n’apporte aucune solution à aucune question. Bien au contraire, il est la source de toute question. L’analyse de ce terme ouvre une ambiguïté sur la totalité des problèmes qui concernent la condition de l’homme dans le monde. En effet, être conscient c’est agir, sentir ou penser et le savoir. Le fait d’être conscient constitue donc pour l’homme un évènement décisif qui l’installe au coeur du monde et lui demande de prendre position. Car dans la mesure où il est conscient, l’homme n’est plus seulement au coeur du monde un objet au monde, un vivant parmi les vivants, il est devant le monde et dans ce vis-à-vis, le monde se constitue pour lui comme monde à connaître, à comprendre à juger ou à transformer. De fait tout l’effort de penser ou d’agir naît de cette expérience originelle de la séparation de l’homme et du monde instaurée par la conscience. (Texte Delagrave- Camus). - L’essence de la conscience : le cogito La conscience en tant que prise de conscience de soi dans le monde ne peut qu’être le point de départ de toute philosophie. De fait Descartes ouvre l’ère de la modernité avec sa profonde méditation du cogito. (Texte p 22-hatier). Le cogito est la base, le fondement même de toute philosophie au sens moderne du terme, c'est-à-dire subjectif dans la mesure où elle est la seule certitude qui résiste au doute hyperbolique. Après avoir fait table rase de toutes les opinions, les préjugés, et même de son corps puisque les sens peuvent nous induire en erreur, Descartes nous livre une définition à la fois intime et universelle de la conscience. C’est la première des vérités, fondation de toutes les autres. De plus loin d’être un phénomène abstrait elle nous révèle à nous même la réalité de notre existence au monde. - La spécificité de la conscience humaine : La conscience humaine est d’emblée marquée par l’ambivalence. Parce qu’elle permet à l’homme de répondre de soi, elle l’élève infiniment au-dessus des autres êtres sur la terre ». être conscient est le propre de l’homme et constitue sa grandeur et sa dignité. Mais parce que la conscience l arrache à l’innocence du monde naturel, l’homme connaît par elle sa misère. (cf. : texte de Pascal : p 19 : Hatier). En somme, la conscience n’est pas simplement une qualité parmi tant d’autres qui pourrait servir à définir l’humain. Elle est ce par quoi l’homme est obligé de se penser et d’interroger le monde qui l’entoure. En effet, dans la distance nécessaire qu’instaure la conscience un espace s’ouvre pour le doute et le questionnement. De ce fait, on peut dire que la conscience, avant d’être une question pour la philosophie est la condition même qui rend possible l’exercice philosophique de la pensée elle-même. Cependant il s’agit de s’interroger sur la nature même de la conscience. La révélation que fait Descartes dans son cogito, « je pense donc je suis » est lourde de conséquences. En effet toute pensée est toujours accompagnée du savoir de celui qui pense, autrement dit de la certitude, pour le sujet d’exister. Pour Descartes il semble évident qu’on puisse connaître « ce que je 2 suis, moi qui suis certain que je suis ». Ainsi passer du je au moi c’est faire du sujet une substance, c’est en tous cas engager implicitement l’hypothèse de l’identité et de la permanence du sujet pensant à travers la diversité de ses représentations. Même si mes pensées sont variées, « il est de soi si évident que c’est moi qui doute, qui entends et qui désire, qu’il n’est pas ici besoin de rien ajouter pour l’expliquer ». Pour Descartes, cette certitude est première à une possible connaissance du monde. La substance pensante est d’une autre nature que celle de la substance étendue, celle du corps. De fait la conscience par ce passage est considérée comme une entité, une essence qui serait limpide à elle-même et connaissable. Descartes établit une séparation entre l’âme et le corps. Les sens et l’imagination peuvent nous tromper et on n’est alors pas certain que le monde existe tel que nous le percevons. Peut être qu’il n’est qu’une illusion, un mirage ; La substance pensante au contraire, la conscience donc, est au contraire une évidence (qui crève les yeux) puisqu’elle a survécu au doute radical. Je doute de tout sauf du fait que je doute et cela me prouve par là même mon existence. Mais si pour Descartes ce passage semble certain nous pouvons nous demander si l’existence d’une conscience en donne pour autant une connaissance. En somme la conscience est elle une entité claire et distincte à laquelle nous aurions un accès évident et clairvoyant ou n’est elle qu’une fonction ? - Le « je » est une fonction : On s’égare à tenter de se représenter métaphoriquement la conscience. William James la décrivait comme « un petit ruisseau qui creuse un lit à travers une large prairie émaillée de fleurs » Ou Bergson comme « un pont jeté entre l’avenir et le passé » mais hormis ces images poétiques il semble impossible de donner une définition ou de déterminer l’essence de la conscience. Bien sûr comme le souligne Bergson la conscience est une « chose concrète » et « constamment présente à l’expérience de chacun de nous » mais dont il n’est pourtant pas possible de donner une définition objective. Car cette « chose » n’est pas un objet. Avec la conscience nous avons plutôt affaire avec « le facteur subjectif ». Plutôt que de substantialiser la conscience en un objet nous devons nous interroger sur la notion de sujet. A l’encontre de Descartes qui pose l’identité du moi comme réelle et fait de la conscience une chose, Kant montrera que cette identité n’est elle-même que le résultat d’une activité. Autrement dit que le « je » est une fonction nécessaire de la pensée mais ne me livre pas pour autant la connaissance de moi-même comme substance. L’identité suppose en effet un pouvoir préalable d’identification. Or, comme le soulignait déjà Hume la conscience n’est pas saisie comme une chose en elle même mais seulement comme l’ensemble de mes perceptions, de mes représentations. Je n’ai accès en réalité qu’à des flux de conscience, à ce qui se manifeste de l’extérieur vers elle et en aucune façon à la conscience elle-même. A l inverse de ce qu’avançait Descartes c’est bien par l’effet que produisent sur moi les choses extérieures que j ai conscience de moi. Aussi loin d’être une identité elle n’est pour cet empiriste que la somme des sensations se révèlent à ma conscience. Il est ici important de remarquer que deux conceptions s’opposent. L’une idéaliste, considère que la conscience est une entité antérieure à la sensation, que l’esprit prime sur le corps et que l’idée est première. L’autre, l’empirisme souligne à l’inverse que c’est de la sensation que naît l’idée et que la conscience ne serait que le résultat de ces expériences. Pourtant si on accepte le postulat humien, cela revient à penser que la conscience ne se constituerait que de différences et n’aurait aucune consistance d’identité. C’est ce que lui reproche le docteur Sacks. Il compare l’homme humien à l’un de ses patients jimmy. Ce dernier en effet n’aurait aucune reconnaissance de ses sensations et toute perception serait toujours nouvelle, singulière. Cet être apparaît pourtant comme pathologique puisqu’il ne pourrait avoir aucune continuité dans 3 l’idée de lui-même, aucune identité à soi. "Hume a écrit, « que nous ne sommes rien, mais un faisceau ou une collection de sensations différentes, qui se succèdent avec une rapidité inconcevable, et sont dans un flux perpétuel de mouvement. " Dans un certain sens, il a été réduit à un «Hume «je ne pouvais pas m'empêcher de penser combien Hume aurait été fasciné de voir son propre Jimmy philosophique » chimère» incarné, une réduction macabre d'un homme à une simple déconnexion, flux incohérent, changement. "(Sacks 30) La réflexion de ce psychiatre est intéressante d’un point de vue philosophique puisqu’elle souligne la limite de l’empirisme humien ; En effet si la conscience n’est pas une chose claire et distincte dont on pourrait avoir une connaissance tranquille, elle ne peut pour autant se réduire à un flux incohérent de sensations sans aucune identité à soi. En fait, qu’il s’agisse de l’unité des représentations du monde extérieur ou de l’unité de mes représentations à l’intérieur d’une conscience, dans les deux cas il faut supposer l’unité plus originaire d’une conscience de soi qui procure une cohérence à l’ensemble de mes représentations et leur confère une unité. Sans cela non seulement le monde serait pur chaos mais au lieu d’une conscience une et identique « j’aurais un moi divers et autant de couleurs qu’il y a de représentations dont j’ai conscience » (Kant) ; Le monde ou le moi ne sont ainsi que des objets de connaissances possibles que sous la condition préalable du pouvoir de synthèse d’un sujet. Le « je » est donc défini ici comme le pouvoir de synthèse, de classement des représentations extérieures. Le je est donc la condition de possibilité d’une représentation ; En somme il est forcément antérieur à la représentation elle-même mais en tant que fonction. Cette capacité de synthétiser serait par ailleurs vide si aucune sensation extérieure ne venait la remplir. A priori, c'est-à-dire avant l’expérience, nous possédons ce pouvoir qui va permettre justement notre expérience du monde, a posteriori. La conscience peut donc se définir comme unité et identité du sujet à lui-même dans le temps. La conscience est ce qui permet de penser et de dire « je pense » (ego cogito) et donc de me penser comme le sujet de mes pensées, et qui pose distinct de lui, les objets à connaître. Bien que Kant ne réhabilite pas l’idée cartésienne selon laquelle la conscience impliquerait une claire connaissance de soi et une nécessaire différence de nature avec le corps, il admet cependant que pour penser il faut qu’il y ait une continuité dans le temps, un lien, une unité entre les représentations, sinon elles se juxtaposeraient les unes aux autres sans la moindre cohérence. Les représentations sont mes représentations. Il s’agit d’un même sujet qui conduit une pensée. De plus, même si je change dans le temps, j ai conscience d’être le même parce que ma conscience relie et unit les états de conscience éloignés les uns des autres. Cette conscience de soi confère à un être son identité. Après cette tentative de définition, qu’avons-nous appris ? Que la conscience ne peut se définir comme une chose facile à connaître. Le cogito nous révèle la prise de conscience de la conscience mais ne permet pas de la substantialiser comme un objet de connaissance ; Au contraire, la conscience se définit comme une fonctionnalité du sujet, la condition de possibilité d’un rapport à nous même ; Cependant, nous avons également appris que la conscience n’était pas tournée seulement vers elle-même mais plutôt vers l’extérieur le monde objectif ; Les choses comm e les autres sont les objets de conscience mais elles participent également de sa constitution. La conscience s’explose vers le dehors. 4 II- Conscience du monde, conscience de soi : A- intentionnalité de la conscience L’impossibilité pour le sujet d’atteindre une connaissance de soi peut sembler paradoxale. Toute conscience est nécessairement conscience de quelque chose ; D’un autre coté, toute conscience de quelque chose est aussi en même temps conscience de quelque chose ; car le sujet ne pourrait pas se reconnaître à travers ses actes si, d’une certaine façon, il ne s’y savait pas déjà présent. C’est cette nécessité pour la conscience d’exister comme conscience d’autre chose qu’ellemême qui donne tout son sens à la formule de Husserl : « toute conscience est conscience de quelque chose. » Même si, à l’instar de Descartes, je suspends le jugement en dehors de moi, même en pratiquant une mise entre parenthèses du monde ou epokhe (en grec : suspension du jugement), la conscience ne peut être saisie ni comme chose, ni comme intériorité. Tout cogito porte en lui son cogitatum (chose ou objet qui est pensé) auquel il se rapporte et dont il se distingue. Autrement dit toute conscience est relation à autre chose qu’elle-même. Se rapporter à quelque chose suppose donc une distance irréductible du sujet à l’objet qu’il vise. Extérieure à elle-même, la conscience vise toujours autre chose qu’elle-même avec quoi elle ne peut par conséquent jamais se confondre quand bien même il s’agirait de ce que je crois posséder en propre. Ni mon passé ni mes souvenirs ne sont à proprement parler moi. Mais cela n’implique pourtant nullement que le sujet soit absent de ses souvenirs ou de ses projets. Il est au contraire entièrement orienté vers eux et par eux. Aussi la conscience est d’abord projet, visée du monde, « intentionnalité ». Avant toute réflexion ou retour sur soi, être conscient, c’est être présent au monde, désirant, oeuvrant et s’anticipant ainsi soi-même. C’est cette anticipation par laquelle la conscience, toujours au-delà d’elle-même, se transporte vers un ailleurs ou un avenir qu’elle vise, qui donne au monde un sens et y introduit une orientation. C’est pourquoi, avant qu’il soit pour moi un objet à connaître ou un spectacle à contempler, le monde est d’abord un sens à effectuer et à réaliser. Lire le texte de Husserl. B- L’en- soi et le pour soi : le rapport, spécificité de la conscience Pour Sartre L’en soi c’est l’être des choses : qui sont nécessairement ce qu’elles sont Le pour soi : c’est le mode d’être de la conscience, elle est néant, projet, projection et néantisation. Problème d’adéquation du sujet et de l’objet. La conscience de soi n’est pas une connaissance de soi. C- La conscience de soi : la relation du pole subjectif au pole objectif Texte de Hegel. La conscience ou pole subjectif n’est que pour elle-même, elle n’est qu’une certitude tant qu’elle ne s’est pas confrontée au pole objectif. Pour devenir conscience de soi, elle a besoin de s’extérioriser dans le pôle objectif. 5 Dans le texte, on voit bien la distance entre moi et le monde que la conscience instaure. Car l’homme, dans la mesure où il est conscient, n’est plus simplement dans le monde, chose parmi les choses, vivant parmi les vivants. Il est en fait devant le monde et dans ce vis-à-vis, le monde se constitue comme monde à connaître, à comprendre, à juger ou à transformer. 6