Le Mécanisme de développement propre du Protocole de Kyoto

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Le Mécanisme de développement propre du Protocole de Kyoto
Le Mécanisme de développement propre (MDP) est décrit à l’article 12 du Protocole de
Kyoto. Le principe est le suivant : en aidant les pays en développement à réduire leurs émissions de
gaz à effet de serre par la réalisation de projets qui permettent à des entités des secteurs public ou
privé d’investir dans des activités qui réduisent les émissions, les pays développés acquièrent des
crédits (URCE pour unités de réduction certifiées) qu’ils peuvent utiliser pour réduire leurs propres
émissions ou vendre sur le marché libre. La participation aux activités de projets MDP est
volontaire et requiert l’approbation écrite des parties concernées. Pour être agréé, le projet doit
remplir certaines conditions, notamment celle de l’additionalité : il doit avoir « pour résultat une
réduction des émissions anthropiques par les sources ou un renforcement des absorptions
anthropiques par les puits venant s’ajouter à ceux qui pourraient se produire autrement »1.
Les URCE sont fongibles avec les UQA et URE, obtenues par le biais des autres
mécanismes de flexibilité prévues par le Protocole ainsi qu’avec les crédits délivrés pour des
absorptions d’émissions par des puits à carbone (unités d’absorption ou UAB) 2. Les UAB résultent
de l’intégration de la revendication – russe – de prise en compte dans le bilan national des émissions
de CO2 des puits (sinks). Concrètement, cela signifie que les pays peuvent compenser en partie
leurs émissions en accroissant les puits (comme les forêts, qui absorbent le CO2 de l’atmosphère),
en dépit des problèmes scientifiques importants que cela pose, notamment pour établir les
références de base3. Dans le « paquet » des accords de Bonn-Marrakech, des contingents individuels
par pays ont été fixés, les puits ne pouvant représenter qu’une fraction des réductions des émissions
prises en compte4.
Bien que fongibles entre elles, ces quatre catégories d’unités ne sont pas tout à fait
équivalentes car si les quantités d’unités attribuées (UQA) peuvent être librement reportées d’une
période d’engagement à l’autre (c’est la mise en banque des unités d’émission ou banking), les URE
et les URCE ne pourront l’être que dans la limite de 2,5% des quantités initialement attribuées et les
UAB ne pourront pas l’être. Par ailleurs, dans le but de prévenir les risques de « survente » par
l’une des parties, une obligation de maintien permanent, à un niveau prédéfini (90% du montant de
l’allocation initiale ou cinq fois le montant du plus récent inventaire de la partie, la plus faible de
ces valeurs étant retenue), de la quantité de crédits détenus dans son registre national par une partie,
a été adoptée à Bonn et confirmée à Marrakech. La mise en place d’un outil informatique permettra
de « bloquer » les transactions qui compromettraient le respect de ces ratios.
Le MDP est séduisant dans son principe. Il doit bénéficier aux pays en développement –
les réductions d’émissions sont acquises au travers de projets d’investissements menés chez eux, les
projets leur permettent d’acquérir et de bénéficier de technologies propres – et aux pays
industrialisés – qui peuvent remplir à moindre coût leurs engagements de limitation ou réduction
des émissions. Le MDP est censé générer un « second marché » de droits d’émission qui devrait, si
les coûts de transaction ne se révèlent pas trop élevés, contribuer à abaisser le prix de référence de
la tonne de carbone5. En outre, le MDP a aussi vocation à éviter, ou tout au moins limiter, les
délocalisations des entreprises polluantes du Nord vers le Sud, qui pourraient résulter du fait que le
protocole ne contient à ce jour aucune obligation pour les pays du Sud6.
1
Voy. les Lignes directrices pour l’application de l’article 6 du Protocole de Kyoto, FCCC/CP/2001/13/Add.2, p. 13.
Voir Modalités de comptabilisation des quantités attribuées définies en application du paragraphe 4 de l’article 7 du Protocole de Kyoto,
FCCC/CP/2001/13/Add.2, p. 59. La comptabilisation des activités de séquestration du carbone est ainsi abordée par les quantités attribuées et non par
les inventaires. Ainsi, si une partie comptabilise des absorptions par les puits de 20 millions de teq, elle ne soustrait pas cette quantité de son
inventaire d’émissions globales, mais « délivre » 20 millions de teq d’UA.
3
Voir la Décision 11/CP.7, Utilisation des terres, changement d’affectation des terres et foresterie, FCCC/CP/2001/13/Add.1, p. 56. Il a été
convenu que les activités pouvant être prises en compte seront la restauration du couvert végétal et la gestion des forêts, des terres cultivées et des
pâturages. Des contingents individuels par pays ont été fixés ; il en résulte que les « puits » ne représenteront qu’une fraction des réductions des
émissions pouvant être prises en compte pour la réalisation des objectifs de Kyoto.
4
Voy. décision Tables of the common reporting format for land use, land-use change and forestry (LULUCF).
5
L. TUBIANA, Environnement et développement. L’enjeu pour la France, Rapport au Premier ministre, La DF, Paris, 2000, note 84, p. 29.
6
O. GODARD, « Le changement climatique planétaire – le commerce de permis d’émission au service de la production d’un bien collectif »,
Revue d’économie financière, n°66, 2002, p. 75.
2
Le MDP est géré, sous l’autorité de la COP/MOP, par un Conseil exécutif composé de 20
membres, créé lors de COP 7, à Marrakech. Le mécanisme fonctionne depuis décembre 2001. Les
crédits obtenus pourront être utilisés pour satisfaire aux obligations de la première période
d’engagement, à compter de 2008. Se réunissant au moins trois fois par an, le Conseil exécutif
accrédite les entités opérationnelles qui ont la charge de la validation, vérification et certification
des projets MDP. Il enregistre les projets ; délivre les unités de réduction certifiée des émissions
(URCE), une fois les projets vérifiés et certifiés ; établit et tient à la disposition du public un registre
pour faciliter le transfert des URCE/REC. À Montréal, les pays développés se sont par ailleurs
engagés à financer le fonctionnement du mécanisme de développement propre avec plus de 13
millions de dollars américains en 2006-20077. Après de vives discussions, il a également été décidé
de financer le fonctionnement du mécanisme – coûts administratifs – par un prélèvement de 0,1$
sur les 15 000 premières URCE, et de 0,2$ sur les URCE suivantes8.
Au moment de la tenue de la première COP/MOP, 43 projets avaient été enregistrés et les
premières URCE avaient pu être délivrées. On assiste depuis à une augmentation rapide des projets
soumis9. Le chimiste français Rhodia a ainsi monté un projet visant à réduire les émissions de GES
d’une de ses usines de Corée du Sud et prévoit d’autres projets similaires, dont l’un au Brésil, avec
des répercussions financières très intéressantes10. Il y a actuellement plus de 975 projets pour 49
États en développement ; plus de 2000 sont en attente d’enregistrement. Le MDP pourrait générer
plus de 2,7 milliards d’URCE, chacune équivalent à une tonne d’équivalent-carbone. On constate
cependant que, volontaires et fondés sur les mécanismes du marché, les projets MDP se concentrent
logiquement dans les pays les plus attractifs pour les investissements, qui sont pour l’heure l’Inde,
la Chine, le Brésil, le Chili et le Mexique. Le MDP laisse ainsi à l’écart le continent africain.
La thèse devra analyser le fonctionnement d’un mécanisme original et largement méconnu.
Le but recherché à travers ce type de mécanisme est une amélioration de l’efficacité du système. Le
mécanisme théorique est bien de pouvoir obtenir une réduction des émissions de GES à moindre
coût global en effectuant les changements technologiques là où ils sont le moins coûteux. Les
moyens utilisés sont purement incitatifs. Chaque acteur est simplement incité, par le mécanisme, à
adopter volontairement un comportement en accord avec l’objectif fixé11. La thèse devra tenter
d’évaluer l’adéquation du MDP à ces attentes. Un grand nombre de questions se posent. Les
comportements observés sont-il réellement générés par la mise en place du mécanisme ? Certains
projets proposés n’auraient-ils pas existé autrement ? Ne correspondent-ils pas à l’exploitation
d’effets d’aubaine ? Lorsqu’une entreprise propose d’introduire une technologie propre dans une de
ses usines installée dans un pays en développement, n’est-ce pas simplement la technologie qu’elle
connaît et qu’elle aurait de toute façon utilisée ? Est-il possible d’évaluer ces effets ? Si oui, est-il
possible et souhaitable de discriminer les projets en conséquence ?
Un autre objectif de la thèse sera d’analyser la place du MDP dans les instruments du Protocole
de Kyoto et dans le processus global des négociations sur le changement climatique. Les
négociations de l’après-Kyoto visent à engager les pays en développement dans des objectifs
spécifiques et contraignants. Quel rôle joue le MDP dans cette perspective ? Un rôle de substitution,
le mécanisme permettant de compenser en partie le non engagement des PVD ? Du même coup, un
rôle de retardateur de cet engagement ? Ou au contraire un rôle préparatoire et là aussi incitatif ?
Enfin, la thèse sera aussi l’occasion de s’interroger sur la « gouvernance » du MDP, qui fait
l’objet de certaines critiques, y compris les différents mécanismes de contrôle.
7
CP UNFCC, « La Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques s’entend sur des mesures cruciales pour contrer les
changements climatiques ».
8
Voy. décision Further guidance relating to the clean development mechanism. Ainsi que le Rapport
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K y o t o
P r o t o c o l , FCCC/KP/CMP/2005/4/Add.1 , 30.11.2005.
9
A. REVERCHON, « Le mécanisme de développement propre attire les entreprises », Le Monde, 28 février 2006.
10
PH. MESMER, « En Corée, Rhodia parie sur la finance ‘verte’ », Le Monde, 28 février 2006. Selon cet article, « les projets sud-coréen et
brésilien de Rhodia pourraient lui permettre d’obtenir entre 11 et 13 millions de crédits MDP, soit autant de tonnes équivalent carbone à revendre. Le
groupe pourrait ainsi s’assurer de solides rentrées d’argent, à plus de 250 millions d’euros par an... à condition que les cours se maintiennent ».
11
Ceux sont effectivement les objectifs poursuivis par la théorie de la construction de mécanismes incitatifs dont les fondateurs, Hurwicz,
Maskin et Myerson, ont reçu le prix Nobel d’économie en 2007.
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