POLITIQUE MONETAIRE ET CHOMAGE

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POLITIQUE MONETAIRE ET CHOMAGE
INTRODUCTION :
Depuis les années 80, les principaux pays européens connaissent un
chômage massif qui ne parvient pas à se résorber. Si les rigidités du marché du
travail ont fréquemment été mises en avant pour expliquer cette « euro-sclérose » le rajout aux conclusions du Conseil Européen d’Amsterdam (la résolution sur
l’emploi) étant tout à fait représentatif de ce point de vue – on ne peut que constater
qu’en dépit des efforts de flexibilité du travail depuis le milieu des années 80, le
chômage n’a pas reculé en conséquence.
Nous allons ici tenter de nous interroger sur les conséquences des politiques
monétaires menées dans le cadre du SME depuis le début des années 80. La
persistance d’un niveau élevé de chômage appelle-t-elle une nouvelle politique
monétaire ? Quelle peut-être cette politique et sa portée dans un environnement de
plus en plus complexe ? L’euro changera-t-il les choses en la matière ?
Depuis la fin des années 70, les politiques monétaires des banques centrales
ont été contraintes de s’adapter à un environnement extrêmement instable à l’échelle
mondiale. Citons notamment l’instabilité récurrente des taux de change et le
processus de globalisation financière qui changent la donne en matière de politique
économique (Allégret, 1997).
Paradoxalement en apparence, les banques centrales ont réagi à ce nouvel
environnement par une politique à sens unique : la recherche de la stabilité des prix.
En fait, les autorités monétaires ont cherché à atteindre deux objectifs avec une telle
politique : d’une part, éliminer les anticipations inflationnistes des agents, considérant
que l’inflation nuit à la croissance économique et, d’autre part, indiquer clairement au
marché la voie qu’elles suivaient. De ce point de vue, la banque centrale a cherché à
répondre à l’instabilité par une politique plus constante, destinée à ancrer les
anticipations.
La question du rôle de la politique monétaire a été relancée lors de la
récession du début des années 90. En effet, un nombre croissant d’économistes (par
exemple Artus, 1994) ont été amenés à constater que les économies développées
avaient subi ce que l’on appelle un « choc de taux d’intérêt réel » (taux nominal
moins inflation anticipée). Les taux réels auraient atteint un niveau tel que
l’investissement aurait été pénalisé.
Notre démarche s’effectuera en deux temps : après avoir rappelé les
principaux effets des taux d’intérêts sur l’activité économique, et donc sur l’emploi,
nous essaierons de déterminer ce que peut faire la politique monétaire pour
dynamiser l’économie.
Partie 1 :
TAUX D’INTERET, ACTIVITE ECONOMIQUE ET EMPLOI
L’élément central explicatif des années 80 réside dans le niveau
anormalement élevé des taux d’intérêts réels, qui pousse les entreprises à se défaire
de leur main d’œuvre. (Fitoussi et Le Cacheux, 1989)
Fitoussi évoque l’ « écart critique » (écart entre taux réel et taux de
croissance). Cet écart définit les conditions de la solvabilité des agents économiques,
notamment les entrepreneurs structurellement débiteurs, mais il remet en cause les
liens intergénérationnels. (la capitalisation apparaissant plus favorable qu’une
répartition limitée par la croissance actuelle)
Les conséquences du niveau élevé des taux d’intérêts réels (principal
instrument de politique monétaire) sur l’économie réelle sont doubles :
A) Liaison chômage / taux d’intérêt
 Elle se manifeste d’abord à travers l’existence d’un « chômage wicksellien » selon
l’expression de Fitoussi et Le Cacheux (1989). Ces auteurs examinent l’impact du
taux d’intérêt réel dans l’économie en représentant le comportement des
entreprises en matière de formation des prix dans un contexte où les marchés
sont imparfaitement concurrentiels.
 Les firmes fixent leurs prix librement en intégrant leurs conséquences sur
l’anticipation de la demande (en surveillant la concurrence et en cherchant à
maximiser ses profits). Il apparaît donc un arbitrage entre profit présent et profit
futur. C’est à ce niveau que le taux d’intérêt réel a un rôle important compte tenu
de sa dimension intertemporelle.
 Ainsi, un taux élevé tend à dévaloriser le futur relativement au présent. On dira
aussi qu’un taux d’actualisation trop important décourage les paris sur l’avenir et
déclasse une grande partie des projets d’investissement dont le rendement
anticipé est inférieur. Chaque entreprise fixe alors son prix en appliquant sur ses
coûts unitaires de production un taux de marge désiré qui sera relié positivement
au taux d’intérêt réel (les entreprises préférant le profit présent au profit futur). Un
tel comportement se traduit par l’augmentation concomitante des taux d’intérêts
réels et des taux de marge.
 Cela se traduit par l’observation d’évolutions conjointes dans le long et le court
terme des séries de chômage et de taux d’intérêt.
 Il existe de plus un lien de causalité dans la longue comme dans la courte période
qui va des taux d’intérêt vers le chômage. Nous sommes alors dans une situation
de chômage wicksellien : le chômage est augmenté non pas parce que les
salaires réels sont trop élevés, mais parce que les firmes veulent accroître leur
marge à production donnée. Or, ce comportement est dicté par le niveau élevé
des taux réels qui modifie les termes de l’arbitrage profit présent – profit futur.
 D’autres concepts insistent sur l’arbitrage entre lutte contre l’inflation et le
chômage comme objectif de la politique monétaire :
 La règle de Taylor est une règle activiste de politique monétaire reliant
mécaniquement le niveau du taux d’intérêt piloté par la banque centrale à
l’inflation et à « l’output gap ». Elle permet de comparer le taux d’intérêt actuel de
court terme à un taux supposé « optimal ».
 Jacques Nikonoff est l’un des premiers économistes français à parler du NAIRU
(Non Accelerating Inflation Rate of Unemployment) ou « taux de chômage qui
n’accélère pas l’inflation ». Le NAIRU vient du concept, énoncé par Friedman et
Phelps en 1968, de « taux de chômage naturel ». L’idée de base en est simple :
les décisions politiques ne doivent pas conduire à utiliser les dépenses publiques
ou la croissance de la masse monétaire pour réduire le chômage sous un certain
« taux d’équilibre » sous peine de relancer l’inflation.
 Nikonoff n’hésite pas à parler de « fermeté de la politique monétaire pour
maintenir le chômage élevé » (par le biais d’autorités indépendantes). Quand le
chômage baisse pour se rapprocher du NAIRU, les autorités monétaires doivent
prendre des décisions rapide de nature anti-inflationniste pour prévenir une
« surchauffe » de l’économie. c’est cette conception qui sous-tend toutes les
politiques des banques centrales, particulièrement en Europe où l’objectif unique
est la lutte contre l’inflation, c’est à dire la lutte contre l’emploi (le chômage
devenant par là même un instrument de politique économique).
B) Amplificateur financier des cycles économiques
 Ainsi, selon Artus (1994), la récession économique de 1990-93 est largement
expliquée par le comportement des entreprises endettées qui ont amplifié la crise.
Le niveau des taux d’intérêts réels les empêchait d’avoir un comportement
stabilisateur étant donné le poids des charges financières. C’est la raison pour
laquelle l’investissement a joué un rôle déterminant dans la profondeur de la
récession.
 Il s’agit d’un phénomène relativement nouveau par rapport aux années
précédentes qui se manifeste par une augmentation de la corrélation entre PIB et
investissement productif sur la période 1988-93 (déjà constaté entre 1970 et
1975).
 En outre, il est possible d’introduire une persistance dans le produit lié au coût
d’ajustement du capital. Plus précisément, lorsque la contrainte financière est trop
forte, les firmes préfèrent réduire le volume de leur capital pour jouer sur leur
capacité à se désendetter.
 Comme la mise en route d’un nouveau capital exige des coûts d’ajustement, on
en déduit que les firmes ont réduit durablement leur capital. L’effet de la crise
peut donc perdurer durant cette phase d’ajustement.
 En outre, le niveau élevé des taux d’intérêt participe du processus de
financiarisation de l’économie, les entreprises qui dégagent des liquidités étant
incitées à les placer sur des actifs financiers à la rémunération plus sûre et
surtout plus rapide que l’investissement productif.
Partie 2 :
QUE PEUT FAIRE LA POLITIQUE MONETAIRE ?
Ainsi, les effets des taux d’intérêt sur l’économie sont extrêmement importants.
Avant de déterminer dans quelle mesure la politique monétaire peut exercer une
influence sur l’activité, il convient de rappeler brièvement les principales explications
au niveau élevé des taux d’intérêt en Europe :
 explication par la pénurie d’épargne mondiale (mais par quel mécanisme quand
l’activité est stagnante ?)
 explication par le poids des déficits publics (mais pourquoi la totalité des pays
d’Europe ont-ils en même temps accru leur déficit public ? Par quel mécanisme le
taux d’intérêt réel équilibre-t-il le marché des biens, compte tenu du fait que la
banque centrale fixe le taux d’intérêt nominal de court terme ? Ce schéma
néoclassique correspond-il aux évolutions constatées ?)
 l’explication par la « tyrannie des créanciers » : les investisseurs imposant aux
Etats des conditions particulières qui ne sont pas liées à leur situation
économique objective.
La politique monétaire doit désormais évoluer dans un environnement de plus
en plus complexe. Il nous semble d’ailleurs qu’une certaine irréversibilité apparaît,
rendant moins puissante la politique monétaire. En effet si les politiques monétaires
excessivement rigides du début des années 90 ont accentué la récession, elles ont
aussi enclenché les mécanismes keynésiens de contraction de la demande suite à la
contraction initiale de l’investissement (engendrant par là même du chômage).
De ce point de vue, la question aujourd’hui n’est peut-être plus celle du rôle
que peut jouer la politique monétaire dans la relance et ce, dans la mesure où le
problème se situe davantage dans les perspectives de la demande, domaine où
l’impact de la politique monétaire est limité.
A) De faibles marges de manœuvre ?
 Est-ce à dire que la politique monétaire n’est pas importante dans la configuration
actuelle ? Non, l’UEM reste particulièrement concernée par le risque d’une
politique monétaire excessivement restrictive.
 Au début des années 90, la hausse des taux d’intérêt suite à la réunification
allemande a été largement due au manque de coordination entre ce pays et les
autres pays européens, mais aussi et surtout, elle a reposé sur une volonté
française de maintenir à tout prix le taux de change franc / mark et donc à refuser
une appréciation nominale de la monnaie allemande. Or, ceci aurait permis de
limiter les tensions inflationnistes.
 Si l’euro devait éliminer les risques d’une telle surenchère, deux problèmes
importants restent en suspens :
 1) dans la phase de transition actuelle, les politiques monétaires européennes
auront très certainement de faibles marges de manœuvre. On peut s’attendre à
ce que les pays européens fassent en sorte de maintenir le plus possible leur
taux d’intérêt à des niveaux proches, même si les mouvements qui doivent en
résulter ne correspondent pas nécessairement aux situations économiques
nationales.
 2) quels vont être les choix de la BCE ?
B) Quels vont être les choix de la BCE ?
 En effet, les conditions d’articulation entre la politique monétaire de la BCE et les
politiques budgétaires des Etats participants ne sont pas encore clairement
posées.
 On peut alors légitimement redouter une politique monétaire exclusivement
restrictive, la BCE voulant rapidement gagner en crédibilité.
 Jointe à une possible appréciation de l’euro sur les marchés des changes (qui
reste l’objectif), cela ne serait pas sans poser de sérieuses difficultés aux
entreprises.
 En dépit de ces difficultés, il ne faut pas oublier que la monnaie unique ouvre de
nouvelles perspectives à l’Europe. en effet, sa politique monétaire sera beaucoup
plus indépendante de celle des Etats-Unis, c’est à dire moins soumise aux
fluctuations du dollar.
CONCLUSION :
Sans remettre en cause l’importance de la stabilité des prix en tant qu’objectif
de la banque centrale, deux remarques s’imposent néanmoins. D’une part, la relation
croissance / inflation n’est pas aussi évidente que peut le prétendre Barro. Plus
précisément, un grand nombre de travaux empiriques tendent à montrer que
l’inflation pèse sur la croissance à partir de niveaux relativement élevés (supérieurs à
10%).
D’autre part, l’objectif de stabilité des prix ne doit pas empêcher une certaine
« discrétion contrainte » selon l’expression de Bernanke et Mishkin (1997). Cela
signifie que les autorités monétaires doivent pouvoir se donner les moyens de réagir
à des chocs économiques négatifs sur la production, quitte à sacrifier
temporairement leur objectif monétaire sans remettre en cause la stabilité des prix à
moyen terme. Autrement dit, objectif de stabilité des prix dans le temps et absence
de souplesse de la politique monétaire ne vont pas nécessairement ensemble.
En définitive, dans le nouveau contexte international et si la BCE accepte de
jouer avec sa discrétion contrainte, l’UEM pourrait faire retrouver une « véritable »
politique monétaire correspondant à une « économie dynamique » : maintenir les
taux d’intérêt à des niveaux compatibles avec la stabilité des prix, la croissance
économique, et la lutte contre le chômage ; mais aussi être à l’abri des fluctuations
trop importantes de ces taux. La politique monétaire ne peut guère faire plus…
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