Docteur Michel Leclerc, médecin généraliste en retraite.

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UNAFAM
CONFERENCE DU SAMEDI 25 SEPTEMBRE 2010
Docteur Michel LECLERC - médecin généraliste retraité depuis le 1er octobre 2009
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Bonjour à toutes et à tous,
Il y a quelques mois, Mme Chantal PASCAUD m’a demandé de venir ici cet après-midi et j’ai accepté de
vous parler de mon expérience de médecin généraliste face à la psychiatrie et tout spécialement face aux
maladies psychiatriques chroniques, d’autant plus que ces pathologies ont toujours été pour moi sources de
problèmes multiples et graves.
Cadre de mon travail
- Mes études médicales ont été faites à PARIS. Pendant 4 ans j’ai été externe des hôpitaux de Paris selon
l’ancien régime.
- Pendant ces études et ce travail hospitalier je n’ai pas reçu de formation psychiatrique ; j’ai pu bénéficier
seulement de quelques cours de psychologie qui n’avaient pas d’intérêt majeur.
-J’ai donc débuté il y a 40 ans ma carrière de médecin généraliste sans formation spécifique pour la
psychiatrie, installé à TONNERRE dans le nord de la Bourgogne le 1er décembre 1971 - après y avoir fait,
pendant deux ans, de fréquents remplacements.
- TONNERRE est une ville de 6500 habitants, en comptant le village voisin - le corps médical desservait une
population de 12 000 personnes.
Cette région est essentiellement rurale (céréales, vignes), les industries sont peu nombreuses et au fil des
années une partie importante de la population a eu tendance à se précariser.
J’ai eu la chance d’avoir une patientèle avec laquelle je pouvais dialoguer normalement, qui était
demandeuse de beaucoup d’attention, de précisions de tout ordre concernant leur santé.
Les structures
Les établissements psychiatriques avec lesquels je pouvais travailler étaient nombreux.
 L’hôpital spécialisé d’AUXERRE (disparition du qualificatif « psychiatrique)
- Nous étions attachés au secteur 4. L’organigramme a souvent évolué sans que nous en soyons
avertis officiellement. Sauf exception rare, je ne savais jamais sur qui je pouvais compter. Je n’ai
vraiment connu et communiqué verbalement qu’avec deux médecins du secteur 4 en 40 ans.
 La clinique REGENNES à APPOIGNY près d’Auxerre
Clinique privée conventionnée, recevant en hospitalisation uniquement les patients âgés de plus de
50 ans, mais dont les psychiatres recevaient en consultation les patients de tout âge.
Les confrères présents dans cet établissement m’ont toujours été d’un grand secours ; nous avons
tissé au fil des années de solides relations amicales. Certains de ces médecins n’hésitaient pas à
donner des rendez-vous en urgence, très tardifs le soir - même après 22 heures, voire plus tard.
Ils nous ont conviés souvent à des formations le soir ou des week-ends de conférences-débats sur
la psychiatrie.
L’hôpital d’Auxerre organisait également des formations mais elles avaient lieu dans la journée et il
était exceptionnel que nous puissions abandonner notre cabinet pendant les tranches horaires
choisies.
 La clinique KER YONNEC à CHAMPIGNY/MARNE située à 100 kms de TONNERRE
Au fil des années certains confrères m’ont été d’un grand secours.
Les mutations des médecins ont été fréquentes et les délais de rendez-vous pour hospitalisation ont
toujours été longs.
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 L’hôpital de la CHARTREUSE à DIJON
Grâce à lui des situations difficiles ont pu être résolues avec une grande efficacité.
 La clinique MONTSOURIS à PARIS
Des relations personnelles m’ont permis de résoudre des problèmes complexes en évitant le
placement d’office officiel. Mais cette clinique -privée et non conventionnée- était à 180 kms de
TONNERRE.
 L’hôpital SAINTE ANNE à PARIS
Où les urgences psychiatriques sont assurées 24/24h toute l’année.
Après quelques 15 ans d’installation à TONNERRE est arrivé un médecin psychiatre libéral uniquement,
avec lequel les relations sont toujours restées neutres. Son arrivée a permis une diminution considérable
des suicides par pendaison ou armes à feu pour lesquels nous étions appelés, assurés d’être perturbés par
ces violences auxquelles nous n’étions pas préparés, sans pouvoir bénéficier « de cellules de soutien
psychologique ».
Le département de l’AUBE était limitrophe ; j’y soignais de nombreux patients et je n’ai jamais pu savoir
qu’elle était l’organisation psychiatrique de ce département, mis à part l’existence à Brienne le Château d’un
établissement publique spécialisé départemental.
Il y avait à TROYES des médecins libéraux psychiatres ; l’un d’eux m ‘a souvent aidé.
A AUXERRE existent plusieurs psychiatres libéraux installés en ville, avec lesquels il était souvent difficile
d’avoir des rendez-vous rapides.
A TONNERRE existe un CMP dont je n’ai pu avoir en 40 ans que deux fois l’organigramme écrit. Il y avait
dans cette structure une consultation de psychiatrie adulte dont l’organisation ne plaisait souvent pas aux
patients.
Les malades -souvent chroniques- atteints de psychose maniaco-dépressive, ou de schizophrénie, ou
d’états dépressifs chroniques, considéraient souvent que le temps de consultation était trop court, le
médecin se contentant de recopier l’ordonnance. Il semblait que tous soient convoqués à la même heure.
Faisant partie de l’hôpital psychiatrique, des infirmiers ou infirmières visitaient les patients chroniques à leur
domicile sans coordination avec le médecin généraliste qui ne les connaissait pas la plupart du temps.
Les patients
Les circonstances qui m’ont amené à rencontrer des patients atteints de maladies psychiatriques chroniques
sont multiples, en sachant qu’il faut parfois 10 ans pour établir le diagnostic de psychose maniacodépressive (P.M.D.) dont seraient atteints 1% de la population, le même pourcentage concernant les
malades atteints de schizophrénie. Pour ces patients schizophrènes, le diagnostic est parfois également long
à établir, entre la puberté et la trentaine.
1. La reconduction de traitement à vie de patients m’ayant choisi comme médecin traitant sans qu’il y ait de
diagnostic précis, patients vivant chez eux, ayant eu parfois plusieurs épisodes d’hospitalisation en milieu
spécialisé, allant bien ou prenant le traitement qu’ils n’arrêtent jamais et qui comporte surtout des
neuroleptiques.
Ce sont des patients pour lesquels je n’avais pas de dossier médical, ni de diagnostic précis.
2. Les patients atteints de P.M.D. avec un diagnostic confirmé par le psychiatre qu’ils revoient tous les 2 ou 3
mois, en alternance avec moi. Leur vie et celle de leur entourage devenait infernale.
3. les patients schizophrènes :
Certains voulant être suivis uniquement ou presque par leur médecin traitant et recevoir l’injection intra
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musculaire toutes les 3 semaines uniquement par lui - vivant à domicile avec les parents sans occupation
précise.
Autres cas :
 Appel désespéré d’une mère par rapport à l’unité familiale devant une schizophrénie très probable
avec une addiction aux vapeurs d’essence, le père s’étant suicidé quelques années avant.

Autre appel et visite de parents dont le fils vient d’être emprisonné alors que des troubles fréquents
évoquaient une schizophrénie. Ma réaction a été de leur dire : quelle chance avez-vous, on va enfin
pouvoir le soigner ! - ce qui fut et est toujours le cas.
Il a été mis en place des consultations psychiatriques régulières en alternance avec le médecin
généraliste, ce qui lui a permis detrouver une certaine indépendance sans pouvoir travailler, donc
avec peu ou pas de vie sociale.
4. Les maisons de retraite avec les nouveaux arrivés venant parfois de loin et nécessitant un traitement
psychiatrique à vie sans diagnostic précis mais refusant l’aide du psychiatre.
5. Les grands blessés de la vie qui ne peuvent se passer de traitement antidépresseur / anxiolytiques et qui
refusent la psychiatrie.
6. Les amis proches, connaissances pour lesquelles une aide m’a été demandée devant :
un épisode délirant
une tentative de suicide
un accès mélancolique
des antécédents de P.M.D. ou de schizophrénie dans la famille proche ou lointaine.
7. Les troubles de la personnalité liés à l’accouchement et/ou apparus très jeune – parfois dans le cadre de
déficiences mentales.
8. L’internement sur demande des parents (hospitalisation à la demande d’un tiers).
Je me souviens d’une jeune fille qui m’a à moitié scalpé en refusant d’entrer dans la voiture. Après quelques
années, elle m’a remercié de lui avir sauvé la vie.
9. Les appels de la gendarmerie :
Souvent pour avoir un certificat médical autorisant la garde à vue,
Dans un nombre de cas importants :

pour des personnes isolées, visiblement psychiatriques ayant stoppé tout traitement avec lesquels
le dialogue était souvent difficile, voire impossible.
 Dans un nombre de cas non négligeable il fallait faire un certificat pour placement d’office.
Le certificat établi devait selon la loi être le plus explicite possible et depuis le 10 décembre 2001, étaient
considérés comme des documents administratifs pouvant être transmis à l’intéressé.
Il était donc très difficile de faire ces certificats, qu’il fallait souvent refaire le lendemain car non conformes.
Je rencontrais de plus des difficultés liées à la méconnaissance du patient, à la nécessité de se fier
uniquement aux paroles des gendarmes ayant constaté les faits ou aux témoignages qu’ils ont reçus,
nécessaires à cette hospitalisation d’office.
Pour ce qui concerne l’hospitalisation en milieu psychiatrique (H.O. et H.D.T.)
Ces hospitalisations se heurtent à un grand nombre de problèmes :
- problème de transport et de trouver quelqu’un qui l’assure. Auparavant une ambulance spéciale venait de
l’hôpital psychiatrique avec deux ambulanciers costauds (voire un infirmier en plus). Ce système a
apparemment disparu. Ces derniers temps, il fallait se « débrouiller » avec la famille et les ambulanciers
- problème de la promiscuité et du mélange des malades. Les conditions d’hospitalisation pouvaient être
désastreuses
- problème de la possibilité pour les personnes hospitalisées de téléphoner dès l’admission en secteur
fermé. L’une d’elles a appeler son épouse pour l’accuser de vouloir se débarrasser de lui en l’enfermant
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chez les fous.
- problème de la surveillance (évasion par vasistas…).
- problème de la remise en cause rapide par le médecin psychiatre de l’établissement du diagnostic du
médecin ayant provoqué l’internement, qui entraînait une sortie rapide du patient. Il nous est arrivé de faire
une « battue » dans les bois pour récupérer l’un d’entre eux.
- l’adhésion du patient à l’hospitalisation d’office ou à l’HDT est exceptionnelle.
- difficulté pour mobiliser les gendarmes afin d’essayer d’éviter un suicide annoncé et probable. Par contre,
ils se déplacent pour constater la pendaison …
Pour le suivi au long court de ces patients :
- les jeunes restent attachés à l’hôpital psychiatrique par différentes structures (appartements
thérapeutiques, activités à l’hôpital de jour, rarement intégration professionnelle)
- les plus âgés se retrouvent en maisons de retraite ou à domicile chez les parents….Beaucoup de
familles se retrouvent sans solution pour l’avenir de leurs proches malades.
Voici mes constations :
Il faut dire que le métier de généraliste est difficile, qu’il nous manque du temps pour posséder toutes les
informations nouvelles et rencontrer les confrères spécialisés en psychiatrie.
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