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Familles en thérapie
Salvador Minuchin
1. La famille selon Minuchin.
La vie personnelle et le parcours professionnel de Minuchin ont un lien très
étroit. Ses expériences personnelles, ses études et ses rencontres ont
profondément influencé les réflexions qui l’ont amené à la création de la
thérapie familiale structurale. Cette thérapie s’est développée au cours de la
seconde moitié du XXème siècle et considère l’homme comme faisant partie de
son environnement.
D’un côté Minuchin a grandi dans une famille très nombreuse d’immigrants
Russes d’origine juive, à organisation patriarcale, où le père était celui qui
détenait tout le pouvoir et représentait l’autorité. Durant cette même époque, le
dictateur Perón gouvernait l’Argentine dans un régime totalitaire, en menant un
culte de la personnalité, soutenu par un large contrôle des médias et des
évènements.
Par ailleurs, ses études l’ont amené à s’intéresser à plusieurs domaines, parmi
lesquels :
 la psychiatrie interpersonnelle de Sullivan, qui considère la personnalité
comme une entité hypothétique qui ne peut pas être étudiée hors des
situations interpersonnelles dans lesquelles elle se manifeste ;
 la théorie des systèmes de Bateson, qui décrit un système comme
composé de différentes parties interdépendantes qui s’affectent l’une
l’autre mutuellement et affectent le système globalement ;
 les études d’Ackerman qui, en observant les aspects interpersonnels de
l’unité familiale, a contribué à développer une approche
psychodynamique de la théorie familiale.
Minuchin a travaillé avec des familles de jeunes immigrés en Israël et il a
rencontré des enfants noirs et portoricains des ghettos les plus défavorisés de
New York.
Ces rencontres lui ont permis de commencer une réflexion sur les
caractéristiques particulières de ces familles et sur une méthode d’intervention
plus adaptée, étant donné que l’approche individuelle s’était révélée inefficace.
C’est finalement en lisant Levi-Strauss qu’il a pensé utiliser le mot « structure »
dans le cadre de ses propres travaux. En effet, il était déjà en train de mener une
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réflexion sur les structures biologiques de l’homme et leurs fonctions dans les
actions humaines.
Exemple : métaphore de la main qui tient une fleur.
Minuchin et l’école de Palo Alto ont tous deux développé une pratique
d’intervention avec les familles, mais en utilisant des processus différents.
A Palo Alto la théorie a été imposée à la pratique par des personnes qui n’étaient
pas vraiment des praticiens. Minuchin, qui au contraire vient d’une formation
psychanalytique, a dans un premier temps développé une pratique et en a déduit
une théorie, par nécessité de conceptualiser ce qu’il était en train de faire.
Après dix ans de collaboration avec Haley auprès de la Wiltwych School de
New York, Minuchin a élaboré le modèle structural, qui regroupe quatre
aspects principaux :
1. Une prise en compte des individus et de leurs interactions au sein d’un
contexte qui influe sur eux et en étant lui même affecté par leurs actes.
2. L’importance accordée au cycle de vie de la famille et au stade de
développement familial.
3. La conception des symptômes comme des manifestations qui sont à la fois
maintenues par le système et concurrent à la persistance de ce dernier.
4. L’intégration établie entre le changement individuel et le changement du
système interpersonnel.
La où un thérapeute d’orientation individuelle a tendance à voir l’individu
comme le lieu de la pathologie, un thérapeute d’orientation structurale familiale
verra les processus internes de l’esprit comme directement influencés par le
contexte. Minuchin reprend une phrase de Ortega y Gasset : « Je suis moi même
plus mes conditions de vie, et si je ne peut pas les sauver je ne peux pas sauver
moi même. Ce secteur de la réalité que sont les conditions de vie forme l’autre
moitié de ma personne ; c’est seulement grâce à lui que je peux m’intégrer et
être pleinement moi même. »
Minuchin souligne encore plus le rôle essentiel joué par la famille dans
l’évolution de l’individu en dénotant la famille comme la matrice de l’identité
individuelle, qui favorise le développement d’un sentiment d’appartenance et
d’un sentiment d’être séparée. Le sens d’identité de chaque membre est
influencé par le sentiment d’appartenance à une famille spécifique, mais en
même temps, la participation à différents sous-systèmes permet à l’individu de
vivre un sentiment de séparation.
Mony Elkaïm explique bien dans son livre ce rôle de la famille de laboratoire où
ces deux ingrédients seraient dispensés et mêlés.
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La psychothérapie de groupe avait déjà commencé à voir la souffrance
psychique comme une dimension qui demeure dans le monde relationnel du
patient et non comme un élément purement intrapsychique.
Foulkes, un des fondateurs de la psychothérapie de groupe, a expliqué cela en
distinguant deux concepts fondamentaux : celui de Réseau et celui de Matrice.
Le premier concept est constitué par l’ensemble des personnes qui sont liées
entre elles et qui participent à des interactions communes et réciproques. Le
deuxième est le contenu qui progressivement apparaît comme résultat
d’interactions. La matrice fondamentale est la famille.
En effet, le mental est constitué par l’ensemble complexe de relations (réseau) et
de processus d’interactions (matrice personnelle) en constant accroissement, à
partir d’une base qui constitue le fondement de l’apparat psychique (matrice
familiale).
La famille « normale », selon Minuchin, pourrait se définir comme un système
qui encourage la socialisation en fournissant à ses membres tout le soutien, toute
la régulation et toutes les satisfactions qui sont nécessaires à leur
épanouissement personnel et relationnel.
Exemple d’Alice au pays de merveille : en changeant la relation existant
entre une personne et le contexte familier dans lequel elle fonctionne, on
change son expérience subjective.
La famille est une unité sociale qui fait face à une série de tâches de
développement :
1) Le jeune couple doit faire une adaptation mutuelle pour plusieurs petites
habitudes de vie quotidienne. Dans ce processus le couple met au point un
ensemble de patterns transactionnels, des séquences répétitives
d’échanges verbaux et non verbaux qui se forgent au cours de la vie
quotidienne.
2) Le couple doit aussi accomplir la tâche de se séparer de sa famille
d’origine et négocier des relations différentes avec chaque membre de
cette famille. De la même façon, toutes les rencontres avec le monde
extra-familial doivent être réorganisées et réglées de façon nouvelle.
3) A la naissance du premier enfant, les fonctions des conjoints doivent se
différencier pour répondre aux demandes de soin et de nourriture du bébé.
L’engagement physique et affectif à l‘égard de l’enfant demande un
changement dans les patterns transactionnels des conjoints. Le couple doit
en même temps former un nouveau sous-système : le sous-système
parental. Pendant cette période, ce nouveau sous-système doit redéfinir
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les frontières avec la famille étendue et le domaine extra-familial. Le
développement de la famille procède à travers plusieurs phases
d’adaptation et restructuration.
Exemple de la famille Wagner.
4) Les enfants deviennent grands, puis adultes. Les parents deviennent
grands-parents et, enfin, l’unité originelle mari-femme réapparait.
2. Un modèle familial.
Au delà des mouvements d’appartenance-différentiation internes à une famille,
celle-ci passe aussi à travers plusieurs changements parallèles à ceux de la
société.
La famille change tout comme la société. Pour sa part, la société développe des
structures extra-familiales pour s’adapter aux nouvelles réalités économiques et
sociales. La création des crèches et garderies d’enfants suite à la croissance du
nombre de familles dans lesquelles les deux parents travaillent en dehors de la
maison en constitue un exemple.
Néanmoins, la société n’est pas tout le temps capable de répondre aux exigences
évolutives des familles. L’exemple représenté par les nombreuses crises et
difficultés vécues par les adolescents qui n’ont pas de fonctions clairement
différenciées, en témoigne.
Le changement commence toujours par la société et se propage à la famille.
La famille revêt trois aspects :
- Elle est un système socio-culturel ouvert en transformation ;
- elle se développe en traversant un certain nombre de stades qui exigent
une restructuration ;
- elle s’adapte aux changements de circonstances afin de maintenir sa
continuité et favoriser la croissance psycho-sociale de chaque membre.
3. Les huit concepts principaux de la thérapie structurale.
Minuchin organise la thérapie structurale autour de huit concepts principaux : la
structure, les règles, les sous-systèmes, les frontières, la carte familiale, la
complémentarité, le symptôme et l’adaptation aux changement.
1) La structure est un réseau invisible d’exigences fonctionnelles qui
organise la façon dont interagissent les membres de la famille.
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Dans une famille, les relations sont définies par des séquences répétitives
d’échanges. Ces interactions répétées quotidiennement constituent des
patterns transactionnels, qui établissent à la fois quand, comment et avec
qui on rentre en relation (système). La structure étant l’organisation de
base de la famille, elle est constituée par plusieurs éléments : règles, soussystèmes, frontière.
L’observation de tous ces éléments, de la position occupée par chaque
membre par rapport aux autres et des distances nous permet de tracer une
carte familiale, représentation statique de la structure d’une famille.
Exemple :
la structure  le réseau de câbles téléphoniques qui relient plusieurs
immeubles,
le système  la communication qui passe à travers les câbles
la carte familiale  plan du réseau.
Les patterns transactionnels sont maintenus par deux systèmes de
contraintes :
- Les règles universelles et générales, qui gouvernent
l’organisation familiale. Par exemple, il doit y avoir une
hiérarchie du pouvoir.
- Les règles spécifiques, qui comprennent les attentes réciproques
des membres d’une famille particulière.
Le système a tendance à se maintenir par lui même. Il offre une résistance
aux changements qui dépassent un certain niveau. Une fois que les
changements, qu’ils soient intérieurs ou extérieurs, dépassent le seuil de
tolérance du système, ce dernier se déséquilibre. Mais la structure de la
famille doit être capable de s’adapter et de se transformer quand les
circonstances changent, de façon à répondre aux nouvelles circonstances,
sans perdre la continuité qui procure à chaque membre son cadre de
référence.
2) La famille se différencie en sous-groupes, que Minuchin appelle soussystèmes, qui sont déterminés par la génération, le sexe, l’intérêt ou la
nature des tâches à accomplir. Ils peuvent inclure un seul membre de la
famille ou plusieurs, ils peuvent changer dans le temps et une personne
peut appartenir à plusieurs sous-systèmes dans lesquels elle jouit de
pouvoirs variables et apprend à exercer différentes compétences.
Les notions de « pouvoir » et de « responsabilité » sont étroitement liées
et elles dépendent aussi de notion de « hiérarchie ». Chaque sous-système
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occupe un niveau plus ou moins élevé dans la hiérarchie familiale. Le
sous-système parental est celui qui occupe le niveau plus élevé, il a donc
plus de pouvoir parce qu’il assume plus de responsabilité au sein de la
famille.
Le sous-système conjugal se forme quand deux adultes de sexe opposé
s’unissent avec le but déclaré de former une famille. Les adultes doivent
avoir un territoire psychosocial qui leur est propre et dans lequel ils
peuvent se soutenir affectivement l’un l’autre.
Les comportements des deux membres du couple s’ajustent mutuellement,
sitôt que l’un met en avant certains aspects de sa personne, l’autre affiche
un trait complémentaire. Dans une famille qui fonctionne bien, la
complémentarité se traduit par un bon travail d’équipe.
Un nouveau niveau est atteint dans la formation de la famille à la
naissance du premier enfant. Le système conjugal doit maintenant se
différencier pour remplir toutes les tâches nécessaires au développement
de l’enfant et donc, devenir un sous-système parental.
Enfin, il existe un sous-système fraternel qui est le premier laboratoire
de vie sociale dans lequel les enfants peuvent expérimenter des relations
avec leurs pairs.
3) Les frontières d’un sous-système sont les règles définissant qui y
participe et comment. La fonction d’une frontière est de protéger la
différenciation du système.
Pour qu’il y ait un bon fonctionnement familial, les frontière des soussystèmes doivent être claires, c’est à dire suffisamment bien définies pour
permettre aux membres d’un sous-système de s’acquitter des ces
fonctions et de développer ses compétences sociales sans craindre
l’ingérence des autres.
Minuchin dessine un continuum qui va des frontières rigides jusqu’aux
frontières diffuses en expliquant en parallèle le type d’interaction et donc
de structure familiale qu’une telle frontière peut déterminer.
___________________ _ _ _ _ _ _ _ _ _ . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
(Frontières excessivement
rigides)
(Frontières claires)
(Frontières diffuses)
Quand les frontières sont trop rigides, la famille est désengagée, les
individus fonctionnent de façon trop autonome, jusqu’à avoir un sens de
l’autonomie perverti. Les sentiments de fidélité et d’appartenance sont
extrêmement fragiles, la communication est malaisée et les fonctions
protectrices de la famille sont rarement exercées.
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Quand les frontières au contraire sont trop diffuses, la famille est
enchevêtrée. Le système tourne sur lui même et forme un unique
microcosme. Le sentiment d’appartenance est très intense et d’un autre
côté, l’autonomie est presque inexistante. Les relations interpersonnelles
sont caractérisées par une surabondance de communications et par un
souci excessif des besoins du prochain. Le comportement d’un membre
affecte directement celui des autres.
4) Un thérapeute structural observe la configuration familiale en se focalisant
sur sa structure : les distances, les frontières, etc. Dans ce contexte, le
symptôme représente le « marqueur » d’une structure dysfonctionnelle
qui devra être remodelée.
Contrairement à Selvini, Minuchin ne s’interroge pas sur la fonction du
symptôme, puisqu’il part du postulat qu’il s’agit d’une communication
exprimée par une séquence de comportements, mis en place à un moment
où les membres du système ont eu du mal à gérer un changement exigé
par les inévitables transitions du cycle de vie de la famille.
Le symptôme n’étant pas vu en terme de fonction, il représente « la façon
dont les membres de la famille se positionnent par rapport au porteur du
symptôme ».
Finalement Minuchin arrive a mettre en évidence quatre caractéristiques
des familles psychosomatogènes : l’enchevêtrement, la surprotection, la
rigidité et l’absence de résolution des conflits.
Minuchin met également en évidence quatre différentes sources de stress :
- contact d’un membre avec des stress extra-familiaux ;
- contact de toute la famille avec des stress extra-familiaux ;
- stress aux périodes de transition du développement normal de la
famille ;
- stress lors des problèmes particuliers.
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4. La technique du « Oui, mais ».
Il s’agit d’une technique à travers laquelle Minuchin accueille et accepte
la définition qu’un patient donne de lui même, tout en proposant en même
temps une autre définition possible du patient et du problème.
Le thérapeute s’accommode et s’affilie aux différents membres de la
famille, mais il met aussi en œuvre des manœuvres de restructuration pour
permettre à la famille d’expérimenter une autre possibilité de fonctionner.
Dans le cas de la famille Smith, Minuchin accepte la définition du mari
comme le malade de la famille, et la définition de la femme comme la
victime. Il essaye toutefois de leur proposer une inversion des rôles. Le
système étant trop rigide et résistant au changement, Minuchin décide de
s’unir avec les conjoints en confirmant chacun d’eux individuellement,
pour pouvoir ensuite remettre en question leurs interactions. Cela revient
à dire : « Vous êtes tous deux très gentils, mais il y a quelque chose dans
la façon dont vous agissez l’un envers l’autre qui est discutable. »
A travers des mouvements alternés et répétés d’accommodation et de
restructuration, Minuchin rend possible l’émergence de patterns
transactionnels jusque-là submergés. Ces nouveaux patterns seront ensuite
entretenus et renforcés tout au long de la thérapie.
5. La technique du « Oui, et ».
Avec la technique du « Oui, et » le thérapeute soutient les réponses que
les membres de la famille ont fait aux circonstances et respecte leurs
efforts pour faire face à la situation.
Par ailleurs, en proposant des lectures logiques et positives des
comportements des différents membres, y inclus ceux du patient désigné,
il essaye de modifier leurs transactions interpersonnelles en développant
le sens de soi des participants.
Whitaker, qui montre cette technique dans l’entretien avec la famille
Dodds, évite toutes critiques négatives et toutes attaques frontales et
propose, en revanche, une nouvelle lecture des relations qui lient les
membres de la famille. Il soutient le couple, ses frontières et sa
complémentarité et essaye de promouvoir de nouvelles interactions entre
le patient désigné et ses parents. Ainsi faisant, il introduit de nouvelles
perspectives de comportement possible que le patient identifié et ses
parents n’avaient même pas imaginées.
Avec la famille Dodds la séance démarre avec une mère centralisante et
autoritaire qui se plaint d’un fils qui la déçoit. L’intervention du
thérapeute oriente, ensuite, les modes de transaction mère-fils vers un
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autre pattern de transaction possible, dans lequel une mère embarrassée et
qui se sent coupable, fait ses excuses à son fils.
De garçon incompétent, le patient identifié est maintenant transformé en
garçon qui a le pouvoir de pardonner ou non à une mère coupable.
Questions et critiques
1) Une première lecture des séances menées par Minuchin nous a donné une
impression de cette technique comme étant trop agressive et parfois
violente dans ses interventions. Est-ce que cela pourrait être interprété
comme un manque d’empathie de la part des patients ?
2) Minuchin a une représentation de la famille très particulière (idéal
patriarcal, pouvoir de l’homme sur la femme, etc.), modèle social de
années 50-60. Qu’est-ce que c’est une famille « normale » aujourd’hui ?
Et où est-ce qu’on place la question du transgénérationnel ?
3) Comment se déplacer dans la famille et comment décider quel élément ou
sous-système mettre en valeur ou laisser en retrait ?
4) Posture particulière du thérapeute en tant que parent éloigné :
signification, explications et utilisation.
5) Où est-ce que on se positionne nous aujourd’hui en tant que thérapeutes
débutants ? Question de l’efficacité thérapeutique.
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