Revue Commerce - Juillet 2001 Pression sur les profits MAURICE N. MARCHON Professeur à l'Institut d'économie appliquée École des Hautes Études Commerciales 26 avril 2001 Veuillez noter la source des données pour les graphiques de l’article : Statistique Canada et Bureau of Economic Analysis (si le graphique inclut des données américaines). Les profits des sociétés sont très difficiles à prévoir à court terme à cause des fluctuations cycliques, qui peuvent être très violentes, et parce qu’il s’agit d’une variable résiduelle. Les profits proviennent de la différence entre le chiffre d’affaire et le paiement de tous les intrants nécessaires à production et la gestion de l’entreprise. Nous aborderons donc la rentabilité des entreprises dans une perspective à long terme, car c’est dans ce contexte qu’elles peuvent maîtriser les paramètres de leur destinée. L’amélioration de la rentabilité des entreprises canadiennes Il est maintenant bien reconnu que la prospérité économique d’un pays dépend de la rentabilité des entreprises. Ces dernières doivent démontrer qu’elles sont capables d’assurer leur expansion en fournissant un rendement compétitif aux actionnaires et en prouvant leur rentabilité financière aux bailleurs de fonds. Les entreprises canadiennes ont vécu un très long processus de restructuration. Après les années 70 très favorables aux producteurs de ressources naturelles à cause de la hausse du prix relatif des matières premières, les entreprises canadiennes ont dû s’ajuster à un environnement où la performance dépend bien davantage de la maîtrise des coûts de production que de l’augmentation du prix de vente. La période de désinflation des années 80 et la récession de 1990-1991 ont entraîné des ajustements douloureux pour les entreprises canadiennes, provoquant une diminution des profits des sociétés avant impôts à 4,5 % du PIB en 19911992 (graphique 1) comparativement à 12,4 % en 1979. Elles ont toutefois été capables d’améliorer leur rentabilité au cours des dernières années, grâce à la maîtrise des coûts et à leur participation de plus en plus poussée à la chaîne de production de l’économie nord-américaine et mondiale. Au 4e trimestre de 2000, les profits des sociétés avant impôts se sont de nouveau hissés à 12,2 % du PIB, ce qu’on n’avait pas vu depuis la fin des années 70. Le Canada se compare avantageusement avec les États-Unis La rentabilité des entreprises canadiennes se compare avantageusement à celle des entreprises américaines puisque les profits des sociétés avant impôts des comptes nationaux s’élevaient à 12,2 % du PIB au 4e trimestre de 2000 comparativement à 8,8 % aux États-Unis (graphique 1). Notons toutefois que lorsqu’on prend en considération les impôts sur les bénéfices des entreprises, la différence est quasiment nulle (graphique 2). Le fardeau fiscal est donc toujours bien plus important ici qu’aux États-Unis. Page - 2 - Graphique 1 Bénéfices des sociétés avant impôts en pourcentage du PIB nominal Canada et États-Unis 12 10 8 6 4 2 1979:1 1982:1 1985:1 1988:1 Canada 1991:1 1994:1 1997:1 2000:1 États-Unis Graphique 2 Bénéfices des sociétés après impôts en pourcentage du PIB nominal Canada et États-Unis 9 7 5 3 1 1979:1 1982:1 1985:1 1988:1 Canada 1991:1 1994:1 1997:1 2000:1 États-Unis Page - 3 - D’un point de vue structurel, les entreprises canadiennes sont donc parvenues à maîtriser leurs coûts et à rétablir leur rentabilité. Notons toutefois qu’à long terme les profits des entreprises ne peuvent pas croître de façon aussi rapide que ceux attendus par les analystes financiers au sommet du cycle économique. Au cours des vingt dernières années, le taux de croissance annuel moyen des bénéfices des sociétés avant impôts a été de 6,1 % comparativement à 6 % pour le PIB nominal. Même observation aux États-Unis où les taux annuels moyens ont été respectivement de 6,4 % et 6,5 %. Dans un environnement non inflationniste, où la croissance du PIB nominal s’établit entre 5 et 7 % (3 ou 4 % pour la croissance du PIB réel et 2 à 3 % pour l’inflation), il est téméraire de prévoir un taux de croissance à long terme des profits des sociétés bien supérieur à 7 %. Les fluctuations cycliques sont toujours bien présentes D’un point de vue conjoncturel, on notera que les profits des sociétés avant impôts sont toujours fortement influencés par l’évolution du prix des produits de base comme en témoigne le graphique 3. Les fluctuations des prix des matières premières autres que l’énergie affectent les profits des sociétés pour l’ensemble de l’économie et non seulement celles qui œuvrent dans le secteur des ressources naturelles. Cela est probablement dû au phénomène plus étendu de l’impact de la conjoncture mondiale sur notre commerce international et l’évolution des termes de l’échange. La croissance rapide de l’économie mondiale en 1999 et au 1er semestre de 2000 a entraîné un accroissement de la demande de nos ressources naturelles et un raffermissement de leurs prix. L’augmentation du prix des ressources naturelles se transmet à l’ensemble des secteurs d’activité, car les bénéfices des sociétés stimulent l’investissement et la création d’emplois. L’emploi soutient à son tour la demande intérieure et l’expansion de l’activité économique. Depuis le 3e trimestre de 2000, le ralentissement de l’économie mondiale et de l’économie américaine en particulier entraînent une baisse des prix des produits de base et par conséquent une stagnation des profits en 2001 comparativement à deux années consécutives à 23 % d’augmentation. Page - 4 - 70 18 60 13 50 40 8 30 3 20 10 -2 0 -7 -10 -20 -12 -30 -40 -17 1989:1 1990:3 1992:1 1993:3 1995:1 1996:3 1998:1 1999:3 2001:1 Bénéfices des soc. avant impôts Prix des prod. de base Bénéfices avant impôts Graphique 3 Taux de croissance annuel des bénéfices des sociétés avant impôts et du prix des produits de base sans l’énergie Prix des prod. de base sans l’énergie Grande variation de rentabilité selon les secteurs d’activité L’enquête de Statistique Canada sur les entreprises dont les données sont disponibles depuis 1988 permet de vérifier à quel point la rentabilité des entreprises varient selon les secteurs d’activité où elles opèrent. La marge bénéficiaire de l’ensemble des secteurs qui a été en moyenne de 8,3 % de 1988 à 1998 a légèrement augmenté en 1999-2000 pour atteindre 10,5 % au 4e trimestre de 2000. Les marges bénéficiaires sont toutefois bien plus importantes dans le secteur financier (25,1 % en 1999-2000) que dans les industries non financières (7,9 % en 1999-2000). On constate également que 14 des 19 secteurs d’activité ont amélioré leur rentabilité au cours des deux dernières années. Page - 5 - Tableau 1 Ensemble des secteurs Secteur non financier Secteur financier et assurances Agriculture, forestrie, pêche et chasse Combustibles minéraux Exploitation minière (sauf combustibles) Services publics Construction Secteur manufacturier Commerce de gros Commerce de détail Transport et entreposage Services d’information et services culturels Services immobiliers et service de location Services professionnels, scientifiques et techniques Gestion de sociétés et d’entreprises Autres services aux entreprises Hébergement et services de restauration Intermédiation de dépôt et de crédit Intermédiation financ. non faite par le biais de dépôts Sociétés d’assurance Autres fonds et instruments financiers Autres intermédiaires financiers Marge bénéficiaire (ratio) 1988-1998 1999-2000 4e trim.2000 8.3 9.1 10.5 7.0 7.9 8.4 18.2 25.1 25.8 4.3 7.7 8.6 14.4 23.0 31.2 5.2 9.6 12.0 11.7 9.0 5.9 9.3 3.2 3.0 5.5 8.8 9.0 1.9 3.5 3.6 3.2 4.6 4.1 3.0 4.7 4.9 8.2 6.8 7.2 15.1 18.1 18.2 1.9 4.8 7.7 72.0 50.5 51.0 0.6 1.2 3.0 5.8 10.6 11.1 11.4 18.1 17.3 29.7 28.2 31.1 6.9 7.3 7.6 57.8 68.9 66.5 28.2 22.2 27.5 Source : Statistique Canada Une mauvaise passe Si l’année 2000 a été une année record pour les profits des entreprises canadiennes, 2001 passera aux annales comme une année perdue. La récession du secteur industriel américain, l’implosion de la bulle spéculative et la croissance du PIB réel bien inférieur à son taux d’expansion à long terme exerceront des pressions à la baisse sur la rentabilité des entreprises en 2001. L’absence de pressions inflationnistes permet aux banques centrales des États-Unis et du Canada d’abaisser rapidement les taux d’intérêt à court terme, préparant ainsi le retour de la croissance économique en 2002. Il ne faut toutefois pas s’attendre à une reprise très rapide, car le boom des investissements au sommet de la bulle spéculative a donné naissance à un surplus de capacité dans plusieurs secteurs d’activité (technologies de l’information, automobile). De plus, les consommateurs américains devront aligner leurs dépenses de consommation avec la croissance du revenu personnel disponible afin de rétablir un taux d’épargne positif comparativement à un taux d’épargne négatif de –1,1 % en février 2001. Le redressement du taux d’épargne de la part des consommateurs et l’ajustement Page - 6 - nécessaire à l’absorption de la capacité excédentaire freineront la reprise de la demande finale. C’est pourquoi les taux d’intérêt à court terme baissent et resteront bas tant et aussi longtemps que les déséquilibres macro-économiques ne se seront pas résorbés. Page - 7 -