Conférence Nantes le 14 décembre 2013
Introduction
Qu’est-ce que les Jésuites ont transmis aux Chinois ? Voilà la question à laquelle je
vais essayer d’apporter une réponse, qui ne pourra être que partielle, au cours de
l’heure qui vient.
Une telle question sous-entend que nous nous intéressons aux activités des Jésuites
en Chine à ce que nous pouvons appeler leur « grande époque », celle où ils étaient
en relation avec les plus hauts mandarins de l’empire chinois, quand ce n’était pas
avec l’empereur. Comme vous le savez, la Compagnie de Jésus, c’est-à-dire
l’organisation religieuse à laquelle appartienne les Jésuites, a été supprimée en
1775, ce qui nous permet de définir avec précision les dates de cette « grande
époque », en prenant comme terme la date de cette suppression, soit 1775, et
comme origine celle de l’arrivée des premiers missionnaires jésuites en Chine, et
notamment celle de Matteo Ricci, soit 1582.
Cette période qui s’étend de de 1582 à 1775, dure presque deux cent ans,
correspondant aux XVIIe et XVIIIe siècles à une vingtaine d’années près. En Chine,
elle correspond aux trois derniers empereurs Ming, et après le changement de
dynastie de 1644, les Mandchous montent sur le trône, aux premiers empereurs
dont le plus grand est Kangxi ; et, en France, elle correspond aux règnes d’Henri IV à
Louis XV.
Pendant ces deux siècles, 990 missionnaires jésuites ont été envoyés en Chine. Un
tout petit nombre d’entre eux a vécu et travaillé dans l’entourage de l’empereur, les
autres s’adonnant à des activités religieuses dans les villes et les campagnes.
Ce que les Jésuites ont apporté aux Chinois pourrait être classé dans trois grandes
catégories :
Tout d’abord, l’introduction d’idées et pratiques nouvelles en mathématiques,
astronomie, géographie, et autres domaines de connaissance de la nature, c’est-
à-dire des idées et des pratiques qui leur étaient inconnues, mais surtout qui
bouleversaient, pour nombre d’entre elles, leurs représentations du monde ;
ajoutons en incise que les représentations que les Occidentaux se faisaient du
monde ont été elles aussi bouleversées au cours du XVIIe siècle, et d’une
manière radicale, avec la disqualification irréversible de la physique
d’Aristote grâce à la mise au point de la méthode expérimentale.
En deuxième lieu, ils ont introduit la religion chrétienne et ce, sous deux modes,
celui de la conversion de populations (on estime à 250 000 personnes le nombre
de chrétiens chinois à la fin du XVIIIe siècle) et la diffusion dans la culture
chinoise de conceptions chrétiennes qui, acceptées ou refusées, contribueront à
la faire évoluer.
Enfin, et aujourd’hui c’est peut-être le plus important aux yeux des Chinois, ils ont
en Europe fait connaître la Chine, son histoire, sa culture, ses mœurs par le
moyen de leurs écrits publiés dans toute l’Europe. Mentionnons deux de ces
écrits ; le récit de Matteo Ricci sur l’histoire de la mission, qui inclut une longue
description des institutions et des mœurs chinoises à la fin du XVIe siècle et la
traduction en latin de trois des quatre principaux livres du confucianisme,
traduction publiée par Philippe Couplet en 1687 sous le nom de Confucius
sinarum philosophus, Confucius philosophe de la Chine.
Avant d’entrer dans les savoirs et conceptions que les Jésuites ont transmis, je
voudrais attirer l’attention sur ce dernier mot, le mot « transmis ». Il suppose deux
actions ou deux temps : il suppose, d’une part, un apport et, d’autre part, une
réception. Jusqu’à une date assez récente, disons les années 1970, le second terme
n’avait pas fait l’objet de profondes investigations ; l’histoire qui était narrée ne
pouvait qu’adopter le seul point de vue de ceux qui apportaient, des missionnaires ;
elle s’étendait sur ce qu’ils avaient remis, apporté, et elle laissait entendre que ce qui
avait été remis avait été reçu, et plus précisément avait été reçu et compris d’une
manière identique à la manière dont les missionnaires le comprenaient. Ces derniers
avaient certainement conscience de l’écart entre ce qu’ils disaient et ce qui était
entendu, mais n’en parlaient guère.
Aujourd’hui, les recherches menées depuis quelques décennies ont profondément
modifié la narration de ces échanges en étudiant les diverses étapes de la réception
de ces savoirs par les Lettrés chinois. Nous pouvons distinguer trois étapes : une
acceptation globale et peu approfondie dans un premier temps. , suivie du rejet de
nombreuses affirmations et méthodes, rejet fondé sur l’étude de leurs classiques et
enfin un narratif permettant de concilier, fût-ce par une fable, l’utilisation des savoirs
occidentaux et la conformité aux exigences confucéennes. En d’autres termes,
même les savoirs sur la nature (physique, astronomie, chimie, …) étaient et sans
doute sont encore pour beaucoup - enchâssés dans des cultures fort différentes en
Europe et en Chine et que leur transplantation n’est pas une tâche aisée et rapide.
Tout d’abord, au risque de vous ennuyer avec des faits que vous n’êtes pas sans
connaître, puisquil y a un environ une exposition « Matteo Ricci précurseur des
échanges des savoirs entre l’Europe et la Chine » a été montrée à Nantes, je
voudrais vous donner des précisions sur ce personnage, l’un des deux seuls
étrangers, avec Marco Polo, à être représentés dans le Monument du Millenium.
Matteo Ricci était un missionnaire jésuite italien. Il était missionnaire, c’est-à-dire
envoyé en Chine afin de faire connaître la religion chrétienne et d’inviter les Chinois
à l’adopter. Il était un jésuite, c’est-à-dire membre d’une organisation catholique, plus
précisément d’un ordre religieux, dont le nom complet était et est encore -, comme
je viens de vous le dire, la Compagnie de Jésus et dont les membres sont
couramment appelés les jésuites.
Une question vient immédiatement à l’esprit : pourquoi des missionnaires chrétiens
envoyés en Chine dans un but religieux y ont-ils introduit en Chine toutes sortes de
connaissances scientifiques ?
Il u eut deux raisons différentes, elles ne sont pas contradictoires, elles se sont plutôt
succédées au cours de leur présence en Chine. La première est assez générale.
Les Jésuites savaient parfaitement que la Chine était une civilisation très raffinée et
que, pour gagner la confiance des Chinois, pour les intéresser, ils devaient montrer
qu’ils venaient aussi de pays civilisés, qui maîtrisaient de grandes connaissances.
L’expérience qu’ils avaient acquise au Japon leur avait révélé que les gens posaient
beaucoup de questions sur le soleil, la lune, les éclipses, etc. et pour cette raison,
parmi les jésuites qui étaient envoyés au Japon ou en Chine, certains étaient forts en
mathématiques et en astronomie. Autrement dit, leurs connaissances scientifiques
permettaient de faire comprendre aux populations, à leurs fonctionnaires et à leurs
souverains, qu’ils venaient de pays qui avaient aussi une grande civilisation, qu’ils
méritaient d’être considérés comme des gens sérieux et d’être écoutés.
La seconde raison est beaucoup plus spécifique à la Chine.
Dans les premières décennies de la mission, le but qu’ils poursuivaient n’était
certainement pas de travailler continuellement dans le Bureau impérial de
l’Astronomie à proximité des empereurs mandchous, comme ils l’ont fait pendant un
siècle et demi environ. Cette situation est la conséquence d’une sorte de division du
travail entre jésuites : pendant que quelques jésuites travaillent comme astronomes
du souverain, d’autres s’adonnent à un travail missionnaire dans les villes et
provinces.
Mais pourquoi une telle division du travail ? Les gouvernants et fonctionnaires
chinois ont, eu tendance tout au long de leur histoire, à voir les religions comme un
facteur de désordre social. Matteo Ricci, qui était arrivé non sans difficulté à s’établir
en Chine, avait compris qu’il pouvait très facilement se produire des situations où les
jésuites seraient accusés à tort ou à raison de violer les lois chinoises, qu’ils seraient
obligés de quitter le pays et que leur mission ne pourrait pas perdurer. Pour éviter
que ne se produisent de telles situations, Matteo Ricci saisit une possibilité de se
rendre utile aux empereurs, et ce d’une manière durable, et d’arriver avec eux à un
accord tacite : quelques jésuites rendent à Pékin un service où ils sont
indispensables et les fonctionnaires impériaux n’entravent pas le travail des
missionnaires dans les villes et campagnes. Cette approche fut couronnée de
succès.
Le service fut la réforme du calendrier.
Trois sollicitations
Dès son arrivée en Chine, Matteo Ricci a fait preuve d’une grande disponibilité aux
sollicitations dont il était l’objet, et on peut dire que c’est l’attention qu’il a portée à
trois d’entre elles qui ont pratiquement décidé de ce qu’ils allaient faire au cours des
deux siècles de leur présence en Chine, hors les activités spécifiquement
religieuses.
La première se produisit peu de temps après son arrivée, quand le
gouverneur de la région où il demeurait remarqua une carte suspendue dans
la maison des missionnaires, s’étonna que ce soit une carte du monde bien
différente de la chinoise et demanda de lui en réaliser une analogue, mais
traduite en chinois.
La deuxième survint environ dix ans plus tard, lorsqu’un vice-ministre du
Ministère des cultes lui fit part des problèmes rencontrés dans l’établissement
du calendrier et l’invita à l’accompagner à Pékin pour contribuer à sa révision.
La troisième émanera de plusieurs jeunes gens instruits, dont certains déjà
admis aux concours mandarinaux ; ils exprimaient une demande plus
complexe, étroitement liée à la situation politique et sociale de la fin du XVIe
siècle en Chine. Cette demande débouchera notamment sur la traduction
d’œuvres mathématiques.
Qu’est-ce les jésuites ont fait en Chine dans les domaines de la cartographie, de
l’établissement du calendrier et la traduction des mathématiques occidentales, voilà
les questions qui vont nous occuper maintenant.
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