sont donc des toilettes où l’enfant se dit qu’il souffrira « à son aise » (aisances/aise) ce
qui signifie qu’il y est à sa place. Symboliquement encore, le chapitre débute par
l’adjectif « chassé » et se termine par le substantif « vie », comme si son destin était
lié à la négation de sa propre existence.
DEUXIEME AXE : LE TEMOIGNAGE D’UNE SOUFFRANCE
La souffrance de l’enfant est manifeste dans ces deux paragraphes. Tout
d’abord, le narrateur est marqué par le blâme public qui l’a atteint : on s’aperçoit
d’une gradation ascendante dans la première phrase qui met en valeur les
conséquences de l’insulte (honni, honteux, seul). Honni renvoie à l’acte vécu, honteux
renvoie au sentiment perçu, seul renvoie à ce destin pressenti. Cette gradation est
amplifiée par une comparaison frappante : « comme une épingle » qui, par son aspect
anodin et piquant, évoque une souffrance physique et quotidienne. La souffrance de
l’enfant est d’ailleurs tout autant physique que morale, puisqu’il note son mal
au foie à la fin de l’extrait. Peut-être l’amateur de langage qu’est Albert Cohen a-t-il
utilisé ce mal physique comme un jeu de mots (le mal au foie est peut-être un mal de
sa foi, c’est-à-dire de sa croyance religieuse, croyance qui fait tout l’objet de
l’insulte)...
Une seconde souffrance vient de naître dans le cerveau de cet enfant : la
peur d’être reconnu. C’est-à-dire qu’on sache qu’il est juif. Cohen montre le
cheminement très rapide de l’auto culpabilité qui l’amène à se cacher. Nous
entrons, par un monologue intérieur, dans ce cerveau enfantin par l’utilisation d’une
phrase hypothétique introduite par « si » : « si je demandais à ce passant, il
regarderait mon visage et il saurait qui j’étais ». Cette phrase est sans doute la plus
importante pour comprendre l’inhibition qui se produit lorsqu’un individu se sent
rejeté. Pour éviter d’être à nouveau insulté, le petit garçon s’abstient d’entrer en
relation. Tout prend naissance dans la peur de son propre visage. Lorsqu’il
demande son chemin à la femme, l’enfant cache son visage. Notons l’allitération en
« m » (mal avec ma main) qui par sa douceur effrayante fait entrer l’enfant dans un
autre rapport avec lui-même. Dans la même phrase, l’adverbe « finalement » intensifie
cette peur.
Se cacher, telle est la préoccupation de l’enfant désormais. La comparaison
« comme un voleur » l’entraîne vers la conscience qu’il est hors-la loi. A ce
moment du texte, nous savons que l’aventure traumatisante du petit garçon le pousse
à considérer le monde comme séparé en deux : il y a les bons et les méchants. Si
l’enfant veut prendre le train, c’est qu’il veut être « loin des méchants » dit-il. Or, dans
le vocabulaire traditionnel de la religion juive, on nomme « gentils » les non juifs.
Donc les gentils peuvent être des méchants... Et la femme qu’il accoste, puisqu’elle n’a
pas deviné qu’il est juif, puisqu’elle ne l’a pas insulté, est une gentille gentille. L’enfant
entre dans un monde manichéen mais un monde manichéen dont il ne sait pas quelles
seront les réactions à son égard.
Le registre pathétique est utilisé à la fin de la narration. Il est souligné
par les pleurs de l’enfant. La répétition du verbe « pleurer », l’obscurité des WC
publics, la métaphore du « coin » qui renvoie à une mise à l’écart – et peut-être au
vocabulaire enfantin de l’école (aller au coin) – caractérise la souffrance d cet être
perdu.
CONCLUSION :
La volonté de faire de cette page, sobrement racontée, le symbole d’un destin qui
débute, l’envie de montrer aux lecteurs les sentiments d’un enfant qui peut découvrir