
faiblement déterminé, et, d’autre part, la régulation des minorités (définies par 
rapport à une majorité). La perspective qui se profile pour Foucault n’est pas celle 
d’une intensification des disciplines, ni non plus d’une généralisation de la régulation “ 
biologique ” de la race, mais le “ contrôle ” des individus tel que Deleuze en parle 
dans son célèbre article sur les “ sociétés de contrôle ”. Ce n’est pas la vie comme 
biologie, mais la vie comme virtualité qui est au centre des nouveaux dispositifs de 
pouvoir. “ On a, au contraire, à l’horizon de cela, l’image de l’idée ou le thème-
programme d’une société où il y aura optimisation des systèmes de différence, dans 
laquelle le champ serait laissé libre aux processus oscillatoires, dans laquelle il y aura 
une tolérance accordée aux individus et aux pratiques minoritaires, dans laquelle il y 
aura une action non pas sur les joueurs, mais sur les règles du jeu et enfin dans 
laquelle il y aura une intervention qui ne serait pas de type de l’assujettissement 
internes des individus, mais une intervention de type environnementale. ” Ces 
nouveaux dispositifs de pouvoir définiront un cadre assez “ lâche ” (les conditions 
matérielles, technologiques, sociales, juridiques, de communication, d’organisation de 
la vie) à l’intérieur duquel, d’une part, l’individu pourra exercer ses “ libres ” choix sur 
des possibles déterminés par d’autres et au sein duquel, d’autre part, il sera 
suffisamment maniable, gouvernable, pour répondre aux aléas des modifications de 
son milieu, comme le requiert la situation d’innovation permanente de nos sociétés. 
Dans mon livre, en continuité avec les nouveautés énoncées par la philosophie de la 
différence, j’ai essayé d’introduire la notion de “ publics ” dans cette histoire des 
dispositifs de pouvoir et des modalités de résistance. Pour Foucault, dans l’État de 
police (Polizeiwissenschaft), terrain de naissance et d’expérimentation de la 
biopolitique, les deux grands éléments de réalité que le gouvernement doit manipuler 
sont l’“économie” et l’“opinion”. Et en effet, “ la naissance des économistes et la 
naissance des publicistes sont contemporaines ”. Mais Foucault fait du public un 
dispositif de conduite des consciences qui est destiné à être résorbé par la 
population : “ Lorsqu’on parle du public, de ce public sur l’opinion duquel il faut agir 
de manière à modifier ses comportements, on est déjà tout près de la population. ” 
Pour Tarde, au contraire, les publics deviennent des dispositifs de pouvoir spécifiques, 
distincts des dispositifs de régulation de la population. Comme j’ai essayé de le dire 
dans mon livre, les sociétés de contrôle exercent leur pouvoir par la création de 
mondes (“ d’environnements ”, dit Foucault) en laissant flotter l’individualisation, 
plutôt qu’en l’imposant, comme dans les disciplines. A l’intérieur de ces mondes, les “ 
différences ” et les “ pratiques minoritaires ” pourront varier selon un minimum et un 
maximum définis par des cadres “ lâches ” ouverts aux aléas de la vie comprise 
comme virtualité. De façon que le pouvoir devient “ actions sur des actions possibles ” 
sur la base de la dynamique de l’événement. La constitution et le contrôle des publics 
sont, à mon avis, l’une des modalités de fonctionnement de ces dispositifs de pouvoir 
environnemental qui interviennent sur le cadre, sur les règles du jeu, plutôt que sur 
les joueurs : à l’individu et à la population des sociétés disciplinaires se superposent 
les publics des sociétés de contrôle. Les caractéristiques de la population (corps 
multiple, corps à nombre de têtes, sinon infini, du moins pas nécessairement 
dénombrable, l’aléatoire de ses comportement, la possibilité de les saisir seulement 
statistiquement, la dimension temporelle) sont intensifiées et reconfigurées par les 
publics. Les publics, groupes sociaux de l’avenir, comme les définissait Tarde à la fin 
du XIXe siècle, n’ont cessé de grandir et de s’étendre. Dans le rapport de l’expert 
nommé par le gouvernement chargé d’une expertise sur les intermittents, il n’y a 
qu’une information vraiment intéressante : sur une année, les Français passent 63 
milliards d’heures en tant que faisant partie d’un public (de télé surtout, mais aussi de 
cinéma, de théâtre etc.) et seulement 34 milliards d’heures au travail. Qu’est-ce qui 
se passe dans ces 63 milliards d’heures, une fois que nous avons récusé les 
explications idéologiques ou superstructurelle ? Il y a d’abord de la production de la 
valeur économique (la construction d’une oeuvre est pour la moitié le fait des publics,