Recherches sur la conscience
Jean-Pierre Dupuy
Académie des technologies, Groupe conscience,
13 avril 2010
Théories de la conscience
Pb de
Newcomb
Théorie quantique Théories de
l'action
2
I. De la conscience phénoménologique à la
philosophie de l'action
1. Thèse sur l'ironie de l'histoire. Rétrospectivement,
on peut dire que la naturalisation de la philosophie
transcendantale husserlienne était peut-être plus facile
à mener à bien que la naturalisation d'une philosophie
psycholinguistique de l'esprit à la manière des sciences
cognitives orthodoxes.
2. Introduction au concept d'intentionnalité en
phénoménologie.
Le concept d'intentionnalité est présent dans les deux
continents philosophiques mais il y a des sens très
différents. Chez Husserl, ce sont les "vécus psychiques"
3
qui ont la propriété d'être "intentionnels", cette
propriété constituant l' "essence du concept de
conscience". Ce qu'on sait généralement moins, c'est que
l'intentionnalité en philosophie de l'esprit et
l'intentionnalité husserlienne ont un ancêtre commun, à
savoir la psychologie philosophique de Franz Brentano.
Husserl fut l'élève de celui-ci, à Vienne, de 1884 à
1886, et l'influence qu'il en reçut fut décisive, comme
en attestent les Recherches logiques de 1901. Quant à
Roderick Chisholm, avant d'être l'inventeur de la
version linguistique de l'intentionnalité, il fut
l'introducteur de la pensée de Brentano sur le sol
américain, traducteur et commentateur de plusieurs de ses
livres, bref, l'une des autorités brentaniennes les plus
incontestées. Et pourtant, de Husserl et de Chisholm, il
faut bien que l'un des deux au moins ait trahi son
maître.
"Toute conscience est conscience de quelque chose" :
cette formule de Husserl, dont on connaît, en France, ce
qu'elle est devenue dans cette variante de la
phénoménologie qu'est l'existentialisme sartrien, c'est
de la pensée de Brentano que Husserl la tire, et plus
précisément de ce passage, qu'il cite, de l'ouvrage du
maître de Vienne, publié en 1874 sous le titre :
Psychologie du point de vue empirique
1
: "Tous les
phénomènes psychiques sont caractérisés par ce que les
scolastiques du Moyen Age ont appelé l'inexistence
intentionnelle (ou encore mentale) d'un objet, et que
nous pourrions appeler, quoique de façon non dénuée
d'ambiguïté, la relation à un contenu, l'orientation vers
1
F. Brentano, Psychologie vom empirischen Standpunkt, Vienne 1974; il
existe une traduction française due à Maurice de Gandillac, parue
chez Aubier en 1944.
4
un objet (terme qui ne doit pas être compris ici comme
signifiant une chose), ou l'objectivité immanente".
2
Tous les mots, ici, sont des pièges en puissance.
"Intentionnel", nous rappelle Brentano, est un terme
scolastique qu'utilise, par exemple, Thomas d'Aquin dans
le sens de "mental", par opposition à "réel". Dans
l'objet réel, c'est-à-dire situé en dehors de l'esprit,
la forme est unie à la matière; l'objet "intentionnel",
lui, n'est présent que par sa forme. "Inexistenz"
("Inexistence") vient du latin in-esse, qui signifie :
"être à l'intérieur de". Le contresens serait ici,
évidemment, de comprendre "inexistant" comme voulant dire
"non existant". L'objet vers lequel tend l'esprit (son
intention ) se situe à l'intérieur de l'esprit; voilà
pourquoi sa présence est "immanente".
La vie psychique, selon Brentano, est avant tout une
activité, un processus, une dynamique. Cette activité est
"présentation". Brentano précise : "Par présentation, je
ne veux pas dire cela même qui est présenté, mais bien
plutôt l'activité de présentation". Cette activité a un
contenu, ou plus précisément un "objet". L'objet est cela
même qui est présenté : le son que nous entendons, la
couleur que nous voyons, le froid que nous ressentons.
Ces objets de la présentation, Brentano les nomme, comme
pour mieux brouiller les pistes, "phénomènes physiques" -
par opposition à l'activité psychique précédemment
définie. Mais il précise, pour enlever toute ambiguïté,
que ces phénomènes "physiques" font bien partie des
"données de la conscience".
L'activité psychique est intrinsèquement consciente
d'elle-même. Quand nous pensons, nous avons une
perception immédiate du fait que nous pensons, et la
perception de l'activité pensante est simultanément
2
Ma traduction. Sur le rapport de Husserl à Brentano, surtout en tant
qu'il se situe en tronc commun par rapport à la bifurcation qui mène
d'un côté à Heidegger et de l'autre à Sartre, on consultera avec
profit Alain Renaut, Sartre, le dernier philosophe, Grasset, 1993;
plus spécialement p. 88-102.
5
perception de l'objet de la pensée. Cette perception
interne ne peut pas être une observation, note Brentano,
car il y aurait alors régression infinie d'activités
psychiques pointant les unes vers les autres. C'est en
une appréhension globale et unique que la pensée comme
activité se rapporte à la fois à elle-même et à son objet
intentionnel.: "Percevons - nous les phénomènes
psychiques qui existent à l'intérieur de nous ? On doit
répondre emphatiquement oui à cette question; car d'où
nous viendraient les concepts de présentation et de
pensée sans une telle perception ? En revanche, il est
évident que nous ne pouvons pas observer les phénomènes
psychiques en nous (...) Cela suggère qu'il y a un lien
particulier entre l'objet de la présentation interne et
la présentation elle-même, et que l'un et l'autre
relèvent d'une seule et même activité psychique. La
présentation d'un son et la présentation de la
présentation d'un son relèvent d'un seul et même
phénomène psychique; c'est seulement lorsque nous
considérons ce dernier dans sa relation à deux objets
différents, l'un d'entre eux étant un phénomène physique
et l'autre un phénomène psychique, que nous le divisons
conceptuellement en deux présentations (...) C'est dans
le phénomène psychique même par lequel le son se présente
à l'esprit que nous appréhendons simultanément le
phénomène psychique lui-même."
3
On sait ce que Husserl fera de cette idée. Il en
déduira le geste phénoménologique par excellence,
l'"epoché" ou "réduction", qui revient à décider de ne
voir dans l'objet de la représentation que le corrélat
(dit "noématique") de l'activité psychique (dite
"noétique"), mettant entre parenthèses le problème du
rapport entre l'objet de la représentation (l'objet
intentionnel) et la chose en soi. L'intentionnalité ainsi
comprise est, ainsi que le montre excellemment Alain
Renaut, l'arme principale de Husserl dans sa critique du
3
F. Brentano, Psychologie, op. cit.; ma traduction.
1 / 46 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !