LA VERITE EXPOSE THOMISTE Deux mots de la langue commune, mais qui appartiennent aussi au vocabulaire des philosophes, en sorte que la réflexion philosophique consistera dans une grande mesure à distinguer nettement les diverses acceptions qu'ils prennent dans les divers contextes où nous les employons. Ils expriment des notions analogues qui servent souvent à se définir l'une l'autre : ainsi il est courant de dire que la vérité est le caractère de ce qui est conforme à la réalité et de définir la réalité comme ce qui existe véritablement. L'ordre dans lequel on doit en traiter ne s'impose donc pas. Mais la notion de réalité étant moins complexe, c'est par elle que nous commencerons. I ] LA RÉALITÉ A – NOTIONS 1) Définition nominale a. Etymologiquement La « réalité » désigne ce qui est réel (realis), c'est-à-dire qui appartient à l'ordre des choses (res), mot de signification si indéterminée qu'il peut désigner à peu près n'importe quoi, les personnes exceptées : les personnes, en effet, s'opposent aux choses. Nous allons retrouver cette opposition à propos de l'adjectif « réel ». b. Juridiquement Dans le vocabulaire juridique, réel est corrélatif de personnel et désigne ce qui concerne les biens : la taxe personnelle, par exemple, frappe la personne ; la taxe réelle, les choses, c'est-à-dire les biens possédés, voiture, appareil de télévision, chien... c. Usuellement Dans l'usage courant, réel s'oppose à imaginaire ou à des adjectifs de sens analogue : est dit réel ce qui existe effectivement et non pas seulement dans un esprit inventif ou dans ceux qui se repaissent de ses inventions. d. Philosophiquement L'usage philosophique est plus complexe. En effet, pour le philosophe, les images mentales qu'elles correspondent à des choses extérieures à l'esprit ou qu'elles soient purement imaginaires ne sont pas rien puisqu'elles sont capables de nous émouvoir ; par suite, elles sont réelles d'une certaine manière ; on peut seulement refuser de les croire aussi réelles que les choses indépendantes de notre esprit. Pour le philosophe, il y a donc divers degrés de réalité. La notion de réalité étant une notion première, nous ne pouvons guère dépasser les indications de la définition nominale. 2) Une double acception Distinguons cependant une double acception du mot : a. Une acception concrète La réalité ou une réalité est cela même qui appartient à l'ordre des choses et non à l'ordre de l'imaginaire ou du simple possible : avant convaincu l'accusé de contradiction dans ses prétendus alibis, le juge d'instruction l'accule à reconnaître la réalité, c'est-à-dire le fait que c'est lui l'assassin ou le cambrioleur ; on est souvent déçu par les réalités d'une situation longtemps embellie par le désir... b. Une acception abstraite La réalité est le caractère de ce qui est réel, c'est-à-dire appartient à l'ordre des choses (on met en doute la réalité d'événements dont une presse partisane diffuse la nouvelle). C'est principalement l'acception abstraite du mot « réalité » que nous considérons ici pour en déterminer les degrés. B – LES DEGRES DE LA REALITE Un exemple nous préparera à une distinction fondamentale : descendant, après une nuit à peu près sans sommeil, d'un train bien chauffé, je frissonne et me dis : quel froid ! mais, ayant consulté le thermomètre, je me ravise ; en réalité, il ne fait pas si froid que cela. Je ne nie pas, pour autant, la réalité de ma sensation de froid, mais je la tiens pour une réalité d'un autre ordre. D'après cet exemple, il est facile de distinguer comme deux plans de réalité que, depuis Kant, il est commun de distinguer par les mots - phénomène - et - noumène -. 1) Le phénomène Il y a d'abord ce que les choses sont pour nous, sujets connaissants, c'est-à-dire les états subjectifs qu'elles suscitent en nous, les données de l'expérience des sens et de la conscience. Ces « choses pour nous », Kant les appelle « phénomènes », mot qui désigne étymologiquement ce qui apparaît. Toutefois, il ne faudrait comprendre que les phénomènes sont de simples apparences : « les phénomènes mêmes sont des réalités » mais, pour le sens commun, des réalités d'un degré inférieur. 2) Les noumènes Ce que les choses sont en soi, indépendamment des représentations que nous nous en faisons, Kant l'appelait les noumènes, signifiant par là que l'esprit (nous) en conçoit l'existence, mais que l'expérience ne saurait nous le faire atteindre. C – QUELLE EST LA REALITE TYPE ? De cette distinction il résulte que la notion de réalité n'est pas univoque, mais analogue. La réalité du pournous n'est pas la même que celle de l'en-soi, bien qu'elles présentent quelque chose de commun. Dès lors se pose la question de savoir laquelle de ces deux sortes de réalité est la plus réelle et constitue la réalité au sens propre, l'autre ne recevant cette dénomination que par analogie. Pour le sens commun, c'est la réalité de l’en-soi, principalement de la chose matérielle, que perçoivent nos yeux et que nos mains peuvent toucher. Mais, comme nous l'avons noté, les philosophes sont moins simplistes et parfois d'une subtilité qui déconcerte les profanes. 1) La matière est-elle la réalité type ? Les uns, donnant une forme rationnelle à l'opinion du sens commun, partagent, mais en la justifiant, la croyance en la réalité de la matière qui constitue pour nous le type de la réalité. En effet, comme le dit l'adage, « il n'y a rien dans l'intelligence qui ne vienne des sens ». C'est ce que perçoivent nos yeux et que touchent nos doigts qu'évoque directement le mot « réalité ». Les partisans de cette doctrine sont appelés réalistes. Ce réalisme n’implique pas le matérialisme : il tient que qu pour nous, la réalité-type est la matière, mais l’esprit qui perçoit la réalité matérielle est lui-même immatériel. 2) La pensée est-elle la réalité type ? D'autres, plus critiques, observent que les sens ne nous font pas connaître ce que les choses sont en soi, mais seulement ce qu'elles sont pour nous, êtres sentants. Bien plus, réduisant ce « nous » à l'esprit que, contrairement aux données les plus indiscutables de l'expérience, ils conçoivent comme indépendant du corps et se suffisant à lui-même, ils en viennent à nier toute possibilité de connaître quelque chose qui serait en dehors de l'esprit, et même toute existence de choses extérieures à la pensée. Non seulement le type de la réalité est la chose pour nous, mais encore il n'y a pas d'autre réalité que celle-là, c'est-à-dire nos idées. Telle est la position des idéalistes. 3) Un mélange des deux ? Plus subtile une attitude résultant de la combinaison du réalisme et de l'idéalisme. Il existe des choses en soi (réalisme). Mais ce n'est là qu'une réalité ou une existence virtuelle. En effet, « réel » qualifie ce que nous savons être tel, ce que nous avons éprouvé ou constaté. Par suite, c'est la connaissance que nous prenons des choses en soi qui les fait accéder au plan de la réalité véritable (idéalisme). Ainsi, le type de la réalité est la chose pour nous, le phénomène ; la chose en soi n'est pas rien, mais ce n'est qu'une réalité en puissance. Nous avons là la position de phénoménologues (par ex. : J.-P. Sartre, M. Merleau-Ponty), à ne pas confondre avec les phénoménistes, qui, ne reconnaissant pas d'autre réalité que celle des phénomènes, sont en réalité des idéalistes. D – QUELLE EST LA REALITE DES IDEES ? Plus intéressante peut-être (parce quelle nous fera revenir aux mathématiques) la question de savoir à quel type de réalité appartiennent les idées : à la réalité en soi ou à la réalité pour nous ? Mes idées, ou plutôt mes opinions politiques, celles que je me fais sur mes camarades ou mes maîtres..., ont la réalité du pour moi : je conçois qu'on puisse en avoir d'autres et je sais que, effectivement, tout le monde ne pense pas comme moi. Mais il en est d'autres bien différentes. Ainsi, les idées que le mathématicien se forme des divers objets dont il traite ne permettent pas les divergences de celles dont nous venons de parler ; elles sont, non pas seulement pour nous, mais aussi en soi, quoique en dehors du monde matériel : « Lorsque j'imagine un triangle, encore qu'il n'y ait peut-être en aucun lieu du monde hors de ma pensée une telle figure, et qu'il n'y en ait jamais eu, il ne laisse pas néanmoins d'y avoir une centaine nature. ou forme, ou essence déterminée de cette figure, laquelle est immuable et éternelle, que je n'ai point inventée, et qui ne dépend en aucune façon de mon esprit » (Descartes, Cinquième méditation.) D'après ces lignes, les notions mathématiques ont la réalité de l'en-soi. Cette conception peut être dénommée un réalisme mathématique. Mais elle ne se limite pas aux notions mathématiques ; elle s'étend à toutes les idées servant de norme dernière à nos jugements : idées de vrai, de bien, de juste, de beau... La tradition réaliste dont Descartes se constitue l'écho est toujours vivante. B. Russell, par exemple, parlant des notions générales, écrit : « Leurs subsistances ne dépendent en aucune façon des esprits qui les connaissent : les sciences abstraites ont donc un objet complètement indépendant de tout élément mental. Cette tradition remonte à la célèbre théorie des idées de Platon. Pour lui, les mathématiques, qui occupaient le premier rang parmi les disciplines prévues pour la formation du futur magistrat, avaient pour but essentiel de le détacher du monde sensible et de le rendre capable de contempler les idées du monde intelligible : idées normatives, types idéaux d'après lesquels il aurait à gouverner ses semblables, et dont la hiérarchie était dominée par l'idée du Bien. Pour Platon, le monde sensible tenu par le vulgaire comme la seule réalité, n'est qu'une participation du monde intelligible, qui, seul, est pleinement réel. Sous sa forme radicale, cette théorie, n'a pas eu d'autre partisan. II ] LA VÉRITÉ Au sens concret (dire à quelqu'un « ses quatre vérités »), on entend par « une vérité » ou « des vérités » une ou des propositions vraies. Au sens abstrait, « la vérité » est le caractère d'une proposition vraie (la vérité des axiomes est au-dessus de tout doute). C'est principalement de la vérité en ce second sens qu'il est question dans ce paragraphe. A - DEFINITIONS 1) Définition générale Le Dictionnaire définit la vérité : « Caractère de ce qui est vrai »; or, à « vrai », nous lisons : « Qui est conforme à la vérité », ce qui nous ferait tourner en rond s'il n'était pas ajouté : « à ce qui est réellement. » C'est donc grâce à la notion de réalité que nous pouvons donner de la vérité une définition qui ne contienne pas la notion à définir. 2) Vérité formelle / Vérité matérielle Malheureusement, mathématiciens et philosophes parlent d'une sorte de vérité, la vérité formelle, qui n'a aucun rapport avec la réalité. Commençons donc par élucider cette notion technique pour nous en tenir ensuite aux notions communes. L'idée de vérité formelle se précise par opposition à vérité matérielle ou réelle, qui, dans l'usage ordinaire, est la vérité tout court. Pour les distinguer, voici des exemples d'assertions formellement vraies et matériellement fausses ou inversement. Soit les syllogismes suivants : Des Français sont médecins, L’homme est un ruminant ; Or Claude Bernard est Français ; Or Pierre est homme Donc Claude Bernard est médecin. Donc Pierre est ruminant. Les trois propositions de syllogismes sont Deux des trois propositions de ce syllogisme matériellement vraies; mais la conclusion sont matériellement fausses: mais la conclusion est formellement fausse parce qu'elle n'est est formellement vraie parce qu'elle ne contredit pas la conséquence logique des prémisses. pas les prémisses. Ainsi, la conclusion d'un syllogisme est formellement vraie quand, le syllogisme étant correct, elle découle nécessairement des prémisses. Elle est formellement fausse quand le raisonnement est incorrect. La vérité formelle consiste dans l'accord de la pensée avec elle-même. Il y a fausseté formelle quand on se contredit. La logique formelle a pour rôle d'assurer la seule vérité formelle. La vérité des mathématiques, elle aussi, est purement formelle : le mathématicien ne prétend pas que le monde qu'il définit existe réellement, au sens usuel du mot « réalité. » Tout ce qu'il prétend c'est que sa construction est cohérente, exempte de contradiction. C’est ainsi que Spinoza parlant de l’idée d’une sphère engendrée par la rotation d’un demi-cercle, observe : « Cette idée est vraie avec certitude et, bien que nous sachions qu’aucune sphère de la nature n’a jamais été ainsi engendrée, c’est cependant une perception vraie… » (Spinoza, De la réforme de l’entendement.) La vérité matérielle ou réelle peut se définir : l'accord de la pensée et des choses (res). L'assertion « La barrière est ouverte » est vraie si, effectivement, la barrière en question se trouve ouverte. C'est évidemment la vérité matérielle que cherchent les sciences de la nature et les sciences humaines. En métaphysique, on peut bien recourir à des raisonnements purement formels (c'est le cas du fameux argument ontologique de l'existence de Dieu), mais le but est d'établir des vérités réelles, de mieux connaître des existants. Il ne va être question maintenant que de la vérité au sens ordinaire du mot, c'est-à-dire de la vérité réelle, que nous pouvons définir : le caractère d'une affirmation conforme au réel. Mais, étant donné les divers types de réalité, le problème se pose aussitôt : à quelle sorte de réel ? Nous répondons : cela dépend de l'intention de celui qui parle, intention indiquée normalement par le contexte ou par les circonstances. 3) Vérité logique / Vérité ontologique Il est vrai, disons-nous, que Napoléon est mort à Sainte-Hélène ; il n'est personne qui conteste la vérité de cette assertion. La réalité qui la justifie est d'ordre expérimental et matériel. La définition suivante précisera la nature de cette première sorte de vérité : la vérité d'une proposition consiste dans sa conformité avec les faits. Comme ce genre de vérité est propre à ce qui est dit ou affirmé, on l'appelle vérité logique, c'est-à-dire du logos (au sens de « langage », « parole »). Mais nous parlons aussi d'un « vrai fils », d'un « vrai juste », d'un « vrai dévouement »... En portant ces appréciations, nous ne nous référons pas, comme dans le cas précédent, à la réalité expérimentale : c'est elle que nous jugeons, et nous la jugeons d'après des normes idéales auxquelles il faut bien reconnaître une certaine réalité, puisqu'elles s'imposent à nous. Nous avons là une seconde sorte de vérité qui consiste dans la conformité des choses ou des êtres avec leur type idéal. Ce genre de vérité étant propre, non plus à ce qu'on affirme, mais aux êtres mêmes, on l'appelle vérité ontologique. B - LA VERITE AU SENS PROPRE Des deux acceptions usuelles du mot « vérité » que nous venons de définir sous les termes de « vérité logique » et « vérité ontologique », quelle est celle qui est première et celle qui est dérivée ? En d'autres mots, la vérité au sens propre du mot est-elle que dans la pensée ou dans les choses ? Aristote avait déjà répondu : « le faux et le vrai ne sont pas dans les choses mais dans la pensée. » 1) La vérité est dans la pensée. En effet, la vérité se définit par la conformité au réel. Or, cette conformité suppose un esprit qui compare une affirmation avec l’objet sur lequel elle porte et constate leur rapport. La vérité est donc premièrement dans la pensée ; nous ne la plaçons dans les choses que secondairement, ou par analogie, en considération d'une pensée qui tient ces choses pour vraies. 2) Plus précisément, dans le jugement Or, tenir une chose- pour vraie, c'est au. moins implicitement juger. Sans doute, il y a une connaissance antérieure au jugement : la sensation, les représentations imaginatives, les constructions mathématiques... Mais ce genre de connaissance n'est ni vrai ni faux pour la bonne raison que je m'abstiens d'affirmer ou de nier sa correspondance avec le réel. L'idée de centaure, par exemple, n'est pas plus fausse que vraie. La vérité et l’erreur n'apparaissent qu'avec l'affirmation ou la négation : « le musée du Capitole possède un Centaure », « le centaure existe. » Ainsi la vérité porte toujours sur quelque chose. Comme la conscience qui est conscience de quelque chose, la vérité est toujours la vérité de quelque chose [A.3]. Y a t’il donc une vérité en soi ? C – LE CORRELATIF DE LA PENSEE VRAIE Une fois établi que, au sens propre, la vérité est le caractère d'une pensée ou d'un jugement conformes au réel, il reste à préciser de quel réel il s'agit : est-ce le réel pour nous, c'est-à-dire la représentation que nous nous faisons des choses, ou bien le réel en soi, existant indépendamment de la connaissance que nous en avons ? 1) Est-elle le pour soi ? Les idéalistes, Kant, par exemple, tenant la connaissance de la chose en soi pour impossible, concluent logiquement que la vérité ne peut pas consister dans l'accord du jugement avec une réalité qui transcende nos possibilités de connaître ; pour eux, est vrai le jugement conforme à la chose pour nous, au phénomène ou, en prenant le mot au sens large, à la pensée elle-même. Mais c'est détourner les mots de leur sens usuel et naturel : le vrai ne s'identifie pas avec ce qui n'est réel que pour nous ; ce qui n'est réel que pour nous n’est pas, si l’on peut dire, vraiment vrai. Ajoutons que le fondement de cette conception ne peut pas être retenu. Connaître ce n'est pas, comme le supposent les idéalistes, prendre conscience d'une donnée subjective : la connaissance atteint toujours un objet distinct du sujet pensant ; la connaissance est toujours connaissance de quelque chose, répètent avec raison les phénoménologues contemporains. 2) Est-ce la toute la chose en soi ? Toutefois, il ne faudrait pas tomber dans un réalisme par trop naïf et croire que, grâce à la connaissance, nous possédons les choses mentalement telles qu'elles sont en soi. C'est trop évident, elles ne nous sont connues que grâce aux impressions quelles font sur nos sens : impressions de formes et de couleurs perçues par la vue, impressions de rugosité ou de poli perçues par le toucher, etc… Sans doute, l'esprit ne s'arrête pas à ces impressions subjectives ; à travers elles, il atteint immédiatement ce qui la provoque, la chose en soi, mais il n'en atteint que l'aspect particulier affectant l'organe sensoriel. Par suite, il faut bien le reconnaître, la chose en soi ne nous est pas donnée avec toutes ses déterminations, et la vérité ne consiste pas dans une adéquation de la pensée avec la chose en soi. 3) C’est quelqu’une de ses propriétés Ainsi un jugement est vrai lorsqu'il affirme de la chose en soi une propriété qui est réelle, par exemple : la lune est ronde ; la peau de l'orange est grenue, tandis que celle de la pomme est lisse. C'est en multipliant nos impressions et nos jugements que nous tendons vers la connaissance de la chose en soi dans sa totalité. Mais c'est une limite dont nous restons toujours fort éloignés. III ] QUELQUES CONCEPTIONS ABERRANTES Définir un mot consiste à dire ce que tout le monde entend par là. C'est le principe qui nous a guidé dans le paragraphe précédent : nous nous en sommes tenu à la notion commune de la vérité conçue comme l'accord avec le réel, sans négliger les diverses façons dont les philosophes comprennent cet accord. Nous pourrions nous en tenir là. Mais de nos, jours - sans que l'usage ordinaire ait changé - certains philosophes ont émis de la vérité des notions différentes qu'il est bon de connaître et de discuter. La principale critique à leur faire consiste d'ailleurs à observer que ce n'est pas ce que l'on entend, en fait, par vérité. A – LA CONCEPTION PRAGMATISTE D'une façon générale le pragmatisme est la conception d'après laquelle la vérité se manifeste dans l'action (grec pragma), et non dans la spéculation. Mais dans le mot « action » les pragmatistes mettent divers contenus. 1) Le pragmatisme américain a. Exposé de la théorie Le pragmatisme répond bien au caractère du citoyen des Etats-Unis, où William James le répandit. Toutefois, même en Amérique et même chez James, il se présente sous des formes assez différentes. Sous sa forme la plus grossière, il identifie la vérité avec la réussite, c’est-à-dire avec ce qui est avantageux pour notre pensée. Ainsi compris, il ne mérite même pas d'être discuté, et James, bien qu'on trouve chez lui quelques formules dans ce sens, se défend de tenir une telle extravagance. Plus raisonnablement et plus couramment, chez James et surtout chez John Dewey, il identifie la vérité avec la vérification : est vrai ce qui a été vérifié ; est valable l'hypothèse sortie victorieuse des épreuves instituées pour son contrôle et qui, dans ce sens, constitue une réussite. Ajoutons enfin qu'il considère la vérité comme une conquête. La vérité n'est pas donnée à une contemplation passive, mais demande une élaboration qui mobilise toutes les puissances mentales de l'homme. b. Critiques Sous ces deux dernières formes, le pragmatisme paraît à première vue satisfaisant, étant donné surtout qu'il tient pour seule valable l'évidence réfléchie. Cependant, il faut le rejeter : Parce qu'il n'admet qu'une vérification expérimentale, alors qu'il faut nécessairement admettre des principes évidents par eux-mêmes et pour lesquels la vérification se réduit à constater cette évidence. Parce qu'il prétend que la vérification fait la vérité comme l'indique l'étymologie du mot : or, si elle fait la vérité pour nous, c'est-à-dire nous la fait connaître, elle ne fait pas la vérité en soi ; les propositions que nous pouvons énoncer (par exemple : « j'ai 1.000 francs en poche ») sont vraies ou fausses avant toute vérification. 2) Le pragmatisme français a. Exposé de la théorie Nous pouvons ranger sous ce titre, bien qu'ils ne se soient pas donnés eux-mêmes comme pragmatistes, deux philosophes français dont la doctrine est plus exactement dénommée une philosophie de l'action : Edouard Le Roy et Maurice Blondel, dont la thèse (L'Action, 1893) fut un événement philosophique. Bien que le pragmatisme de Le Roy soit aussi scientifique, on peut caractériser les deux penseurs français par le caractère moral et religieux de leur doctrine : pour eux, c'est de la vérité morale et religieuse qui doit être conquise par l'action vécue autant que pensée. Elle ne devient vérité que dans la mesure où elle est pratiquée, assimilée, et agent d'amélioration morale. Dans le même sens, SaintExupéry écrivait : « La vérité pour l'homme c'est ce qui fait de lui un homme. » b. Critiques Les philosophes de l'Action ont opportunément rappelé que, du moins dans le domaine moral et religieux, il faut aller au vrai, comme le disait Platon, « avec toute son âme. » Il convient toutefois de faire ces réserves : Si la pratique conditionne la découverte de la vérité, c'est toujours l'intelligence qui juge du vrai et du faux. Une proposition n'est pas vraie parce qu'elle est assimilée, et facteur d'amélioration ; c'est au contraire sa vérité qui la rend assimilable ou bienfaisante ; par suite, la vérité est antérieure à son assimilation et indépendante d'elle ; c'est dans ce même sens qu'il faut interpréter la pensée de Saint-Exupéry. B – CONCEPTIONS DIALECTIQUES Autrefois art de la discussion ou synonyme de « logique » le mot « dialectique » a pris avec Hegel un sens nouveau. On entend aujourd'hui par dialectique le mouvement par lequel l'esprit progresse en surmontant les contradictions. Ce progrès s'effectue suivant le processus indiqué par la célèbre triade : thèse, antithèse et synthèse. Dans la perspective dialectique, il n'y a pas de vérité définitive. La vérité est en devenir : ce qui est tenu pour vrai à une époque pourra, à l'époque suivante, sinon être rejeté comme radicalement faux, du moins être remplacé par une vérité différente. C'est seulement au terme de l'évolution que l'esprit possédera la vérité absolue. 1) La conception marxiste Concevant la connaissance comme un reflet du réel « conception qui apparente la théorie au réalisme naïf », les marxistes admettent la thèse classique d'après laquelle la vérité consiste dans l’accord de la pensée avec les choses. Ils s'en écartent cependant sur deux points : - Professant le caractère dialectique de la matière à quoi, pour eux, se réduisent toutes choses, le marxisme conclut logiquement que la pensée qui la reflète est dialectique et que la vérité est en perpétuel devenir, ce qui est vrai aujourd'hui ne le sera plus demain. - Tout en ridiculisant le pragmatisme comme une « philosophie bourgeoise », ils en retiennent la thèse essentielle : mouvement révolutionnaire et non école philosophique, le marxisme proclame l'inséparabilité de la théorie et la pratique, et c'est le résultat pratique qui, pour lui, détermine la vérité ou l’erreur de l’affirmation théorique ; seulement, la pratique envisagée n'est pas d'ordre individuel, c'est avant tout la conquête du pouvoir par le prolétariat. On comprend dès lors qu'un marxiste ait pu écrire dans une thèse soutenue en Sorbonne, que la véritable objectivité implique l’esprit de parti et désigne du nom péjoratif d' « objectivisme » « une idéologie qui prétend se placer au-dessus des classes. » Dans ces conditions, être objectif, pour un marxiste, c'est faire siens les intérêts de sa classe ou du moins de la classe qu'il définit « montante. » 2) Conception dialectique de la science a. Exposé de la théorie Tout à fait en dehors de la lutte marxiste et indépendamment de la tradition hégélienne, le Suisse F. Gonseth, se cantonnant dans le domaine scientifique et spécialement mathématique, croit observer qu'il n'y a pas de vérité scientifique définitive. Aussi préconise-til une « philosophie ouverte » adoptant le principe d' « universelle révisibilité » : « Non seulement aucun savoir ne doit être posé intangible, mais aucun point de départ ne doit être déclaré inaltérable, inconditionnel. Il ne doit pas être dressé de barrière mettant à l'abri (et pour toujours !) telle ou telle partie de la connaissance et même des règles qui l'orientent et la dominent. De ses sources à ses aboutissements, toute l'étendue de la connaissance doit être ouverte à une éventuelle révision » (F. Gonseth, Dialectica.) Observons-le toutefois : « révision ne dit pas rejet total, mais simple mise au point rendue nécessaire par les acquisitions nouvelles, qui, ne se juxtaposant pas à l'acquis antérieur, mais s'intégrant à lui, modifient son équilibre interne. » « Le développement de la connaissance est rétroactif : il peut arriver qu’un fait nouveau ne puisse être intégré à l'acquis que par une révision de ce dernier, révision qui peut s'étendre jusqu'aux vues les plus élémentaires et jusqu’aux notions les plus fondamentales » (F. Gonseth, Dialectica.) b. Critiques Un certain, processus dialectique de la pensée est indiscutable : les contradictions auxquelles sont en butte les thèses qu'une génération tient pour vraies provoquent un examen, une révision et une synthèse assimilant la part de vrai que contient la doctrine adverse. Mais on ne peut pas prétendre que la vérité elle-même change et qu'il, n'y a aucune vérité définitive. En effet : C'est notre connaissance de la vérité qui change et non la vérité ; le géocentrisme, qui passa pour vérité durant des siècles, était effectivement une erreur. Il ne manque pas de vérités définitives et même éternelles : les Marxistes le reconnaissent pour les vérités de fait (il est et il sera éternellement vrai qu'à cet instant j'ai écrit cette phrase) ; M. Gonseth l'admet pour la vérité de droit qu'est le principe de contradiction ; seules, les applications qui en sont faites sont soumises au principe de révisibilité. On peut enfin reprendre ici l'objection faite aux sceptiques de toute nuance et dire que la thèse dialectique est donnée comme une position définitive, ce qui implique une contradiction interne : « Une philosophie qui professerait qu'il n'y a que des idéologies provisoires s'installerait, par le fait même de cette affirmation, au-dessus de ces idéologies et énoncerait une vérité oui ne lui apparaîtrait pas comme provisoire » (G. Madinier, Conscience et signification.) C – LA VERITE DANS L’EXISTENTIALISME 1) Idée générale Pour les existentialistes français qui sont en même temps phénoménologues (J.-P. Sartre, M. Merleau-Ponty), les « choses » avec lesquelles la pensée doit se trouver en accord pour être vraie ne sont pas les choses en soi de la doctrine classique, mais les choses pour moi, dans ma situation concrète. Par suite, la vérité est essentiellement subjective, multiple, historique. Bien plus « c'est la conception de Sartre » chacun posant librement ses normes de la vérité, « c’est la liberté qui est le fondement du vrai. » 2) Discussion On ne saurait le nier : nous jugeons toutes choses de notre point de vue ; les principes d'action, eux aussi, doivent être adaptés aux conditions particulières de chacun. Mais il ne s'ensuit pas qu'il y ait plusieurs vérités et que ce qui est vérité pour l'un soit erreur pour l'autre. Même en laissant de côté la vérité physique et mathématique et en ne considérant que la vérité existentielle, c'est-à-dire celle qui se rapporte à l'existence concrète de l'homme individuel : - Ce qui est réellement vrai de mon point de vue l'est également pour quiconque se place à ce point de vue ; la vérité est donc bien unique et non multiple. - Il faut en dire autant de la vérité pratique : votre tempérament et vos conditions de vie vous amènent à avoir des exigences morales différentes des miennes ; mais, en dépit de ces différences, je pourrai très bien reconnaître que vous êtes dans le vrai tout aussi bien que moi ; les principes sur lesquels nous nous fondons sont absolus, mais leur application est relative aux situations particulières. 3) Le cas « Heidegger » a. Exposé de la théorie Heidegger, philosophe très obscur, sans doute parce que très profond, s'est appesanti sur le problème de la vérité, mais il en donne des définitions difficilement conciliables : 1° Prenant position contre la thèse classique, il affirme que « la vérité appartient à l'essence de l'être », et non à la pensée ou au jugement : c'est réduire la vérité à la vérité ontique, c'est-à-dire (à l'être lui-même.) 2° Mais il la définit plus volontiers comme le dévoilement de l'étant, définition fondée sur l'étymologie du mot grec qui correspond à vérité. 3° Enfin, il répète aussi que « l'essence de la vérité est liberté » car la vérité ne se dévoile qu’à l'esprit disposé à la recevoir. b. Critiques Sans doute, tout ce qui est, est vrai, et, réciproquement, tout ce qui est vrai appartient à la catégorie de l'être ; mais : 1° Il n'en est pas de même de la vérité, qui est une abstraction. 2° Le dévoilement de l'étant conditionne si l'on veut la connaissance du réel et la possession de la vérité ; mais il ne constitue pas la vérité. CONCLUSION Nous avions à répondre à cette question : « Qu'est-ce que la vérité ? » Or, cette question équivaut à « Qu'entend-on par vérité ? » Il s'agissait donc de consulter l'usage. Or, l'usage n'est pas douteux : Au sens premier, la vérité est le caractère d'une affirmation ou d'une pensée conformes au réel. On peut sans doute prendre le mot dans un sens différent, mais ce sens est arbitraire : celui qui l'adopte ne dit pas ce qu'est la vérité, ou ce qu'on entend par la vérité, ni même ce qu'il entend lu i-même par la vérité dans l'usage ordinaire du mot (car il parle, comme tout le monde), mais comment il l'entend quand il pose en philosophe la question précise de la nature de la vérité. EXPOSE SELON LE PROGRAMME OFFICIEL Le ton que nous allons maintenant employer, est celui usité par tous les philosophes contemporains. Pour un exposé plus complet, référez-vous au document joint N° 2. La vérité est une qualité du jugement et du discours, plus qu’une réalité, plus qu’une chose ou une adéquation avec le réel. Elle se rattache donc à l’énoncé et au langage. Mais pour être plus précis, il faut distinguer 2 dimensions de la vérité - Formellement : Cohérence du discours. Celui-ci ne doit pas être contradictoire. C’est la vérité logique : «Le principe de contradiction est en général: une proposition est ou vraie oufausse; ce qui renferme deux énonciations vraies, l'une que le vrai et le faux ne sont point compatibles dans une même proposition, ou qu'une proposition ne saurait être vraie et fausse à la fois; l'autre que l'opposé ou la négation du vrai et du faux ne sont pas compatibles, ou qu'il n'y a point de milieu entre le vrai et le faux, ou bien : il ne se peut pas qu'une proposition soit ni vraie ni fausse» (Leibniz, Nouveaux Essais sur l'entendement humain.) - Matériellement : Accord avec la réalité, avec les phénomènes. I ] BREF PARCOURS HISTORIQUE A – LA VERITE COMME VALEUR ABSOLUE 1) Platon - - La vérité est constituée par les Idées, les Essences ; lesquelles existent indépendamment de l’esprit du sujet connaissant. Elle est atteinte par la participation aux Idées. C’est donc une valeur suprême, absolue et immuable. Il y a une certaine valeur morale de la vérité chez Platon : La vérité est la fin de la vie, c’est le seul modèle à suivre. Le mal est donc l’erreur, le pécheur un ignorant… Et atteindre la vérité est difficile, car nous sommes prisonniers de ce monde sensible (cf. l’allégorie de la caverne [T6-p.83].) Il faut s’y préparer et savoir que ce que nous connaissons de ce monde sensible n’est qu’illusion. L’erreur c’est ce qui est apparent [T3p.80]. La vérité se découvre par soi-même, par un effort de la pensée et de la mémoire (savoir c’est se souvenir.) L’acte par lequel la vérité est découverte s’apparente quasiment à une vision. Elle ne s’enseigne donc pas. 2) La scholastique - La vérité est l’adéquation de l’esprit à la chose, une conformité de la pensée et du jugement [A.2]. Critique de la philosophie contemporaine : Une telle conception oublie que la vérité est une construction. B – LA POSITION CLASSIQUE Les philosophes de la période classique entendent plutôt chercher des critères de vérité qui permettraient de la distinguer de l’erreur. A quoi reconnaît-on la vérité ? Quel est son signe extrinsèque ? Descartes et Leibniz admettent une subjectivisation de la vérité. Celle-ci n’est pas relative à l’être, elle n’est donc plus absolue ni stable.) Mais elle devient liée à la certitude de l’esprit pensant. 1) Descartes - - L’évidence permet de distinguer la vérité de l’erreur. Et l’évidence surgit à partir du doute méthodique [A.10 + T2-p.173 + T8-p.178]]. La méthode permet d’échapper à la subjectivité. Vérité et méthode sont donc liées. Il faut construire une méthode philosophique rigoureuse L’évidence est la certitude première, inébranlable. La certitude de l’esprit pensant et la vérité sont liées [T7-p.177]. L’évidence c’est l’idée claire et distincte. Celui qui la possède sait qu’elle est vraie (Ne peut-on pas y voir l’évocation des principes premiers ?) L’évidence est garantie par un fondement métaphysique : Dieu. Celui-ci, en tant que l’entendement dépend directement de lui, ne peut pas nous tromper [T16-p.185]. 2) Leibniz - L’évidence est somme toute assez subjective, car elle varie selon les esprits, et elle engendre bien des chimères. Le critère est plutôt le calcul fait selon les règles pour Leibniz [T2-p.239]. Il insiste donc sur le formalisme logique. Une démonstration est solidaire du vrai quand elle respecte la forme logique. C – LES DESTRUCTEURS DE VERITE A partir du 18ème siècle, c’est la possibilité même d’accéder à la vérité qui est remise en doute. 1) Kant - - - La vérité dépend de la structure de l’esprit qui organise la connaissance. Il n’y a pas de critère universel de vérité, car il est selon chacun [T9-p.285]. Elle est perçue par ce que nous appréhendons des choses à travers les formes à priori de la sensibilité. Elle est constituée par les phénomènes qui sont eux-mêmes structurés par l’espace, le temps, et ce que Kant appelle, les catégories à priori de la sensibilité (ex : causalité, possibilité, nécessité, etc…) La vérité est donc relative puisqu’elle dépend de la structure à priori de l’esprit de chacun. La vérité absolue, le noumène, ne peut pas être atteint. Seuls, les phénomènes sont à notre portée. En soi et pour soi sont distingués, et irréductibles. Il faut connaître les limites du savoir pour laisser place à la croyance, laquelle étant tout ce qui ne peut pas être vérifié par l’expérience [T20-p.294]. 2) Nietzsche - - - Pour Nietzsche, la quête de la vérité correspond à un besoin de sécurité ontologique. La vérité comme réalité idéale et absolue est détruite. Le philosophe à la pour suite de cette vérité idéale, projette en réalité son désir d’un monde purifié des souffrances du temps [A.4]. La quête de la vérité serait-elle donc un signe de notre souffrance, de notre faiblesse ? Répond-elle plus à un besoin de remède à notre angoisse existentielle qu’à un désir de connaissance objective ? D’après le philosophe du soupçon, l’homme se forge un monde supposé vrai pour se rassurer et échapper au désenchantement lié au monde sensible : « Douleur et impuissance ont créé tous les outre-mondes » (Ainsi parlait Zarathoustra.) La philosophie nietzschéenne entend donner un sens à la philosophie en quête de vérité : «L'homme cherche la "vérité" : un monde qui ne puisse ni se contredire, ni tromper, ni changer, un monde vrai - un monde où l'on ne souffre pas ; or la contradiction, l'illusion, le changement sont cause de la souffrance ! Il ne doute pas qu'il existe un monde tel qu'il devrait être ; il en voudrait chercher le chemin. Il est visible que la volonté de trouver le vrai n'est que l'aspiration à un monde du permanent » (Nietzsche, La Volonté de puissance.) - - Nietzsche critique donc violemment la quête platonicienne de la vérité. C’est une quête vers le monde supra-sensible, vers le monde des ombres. C’est le fait d’hallucinés tournés vers l’arrière-monde, l’outre-monde, lequel est créé par la souffrance. Or ce qui compte, c’est ce monde, celui dans lequel nous vivons : « Les vérités sont des illusions dont on a oublié qu’elles le sont » (Le Livre du philosophe.) Il faut assumer ce manque de vérité dans le monde. Ne pourrions-nous pas opposer à Nietzsche que c’est l’erreur qui est plus rassurante que la vérité ? II ] DEBATS MODERNES A – LA VERITE EST-ELLE UNE VALEUR ? - - Il semble en effet que la vérité véhicule un aspect normatif. Elle apparaît comme une règle, un modèle, un type idéal [T2-p.148]. N’est-elle pas ce qui doit être ? Le faux est comparé à la vérité, une déviation. C’est à ce titre qu’elle apparaît comme une valeur (absolue ?) Si la vérité est une valeur absolue, n’est-elle pas dangereuse ? N’est-elle même pas plus. Ne revêt-elle pas une connotation morale ? Comme s’il y avait un devoir de vérité [ A.6] ? Y a t’il un droit à l’erreur et au mensonge [A.8] ? La vérité estelle une exigence éthique ? Et finalement pourquoi rechercher la vérité ? Est-elle nécessaire ? En avons-nous besoin ? A quoi sert-elle ? B – VERITE ET LANGAGE - Vrai et faux sont aussi des attributs du discours [T1-p.162]. Il faut savoir déjouer les pièges du langage. Qu’est-ce que dire la vérité ? C’est la conformité des paroles à ce que nous pensons : « La première signification de vrai et de faux semble avoir tiré son origine des récits ; et on a dit vrai un récit quand le fait était réellement arrivé ; faux quand le fait raconté n'était arrivé nulle part. Plus tard les philosophes ont employé ce mot pour désigner l'accord ou le non-accord d'une idée avec son objet; ainsi, on appelle idée vraie celle qui montre une chose comme elle est en elle-même; fausse celle qui montre une chose autrement qu'elle n'est en réalité » (Spinoza.) - A ce titre la vérité rend possible la confiance entre les hommes. Dès lors l’accès à la vérité se complique à cause de la pluralité du langage et des discours portant sur l’être. Aristote dit d’ailleurs que l’être se dit de manières multiples [A.5]. Toute vérité n’est pas bonne à dire : il est donc des moments où nous trouvons plus facile de cacher la vérité. Comme si certaines choses valaient mieux que la vérité. C – AUTRES PISTE D’ETUDE 1) Vérité et action - La vérité est-elle seulement contemplation ? N’y a t-il pas une notion d’action ? La vérité n’organise-t-elle pas le monde ? 2) N’y a t’il qu’une vérité ? - La philosophie contemporaine enseigne que parce qu’il n’y a pas de vérité univoque, celle-ci ne peut pas être unique. D’ailleurs son concept n’a t-il pas évolué dans le temps ? La vérité est-elle unique et universelle ? [A.9 + T.1-p.73] 3) Vérité de la révélation et de la raison - Y a t-il une opposition entre la vérité révélée et la vérité atteinte par la raison ? Il est évident qu’il y a un différence. Mais à quel niveau se situe-t-elle ? [A.7] TEXTES EN ANNEXE Annexe 1 : Vérité logique et vérité ontologique La vérité est-elle dans l'intelligence ? N'est-elle pas plutôt dans les choses ? Aristote estimait que la vérité est d'abord dans l'intelligence ; la tradition augustinienne orientait dans le sens d'une vérité objective ou ontologique. Saint Thomas s'est appliqué à équilibrer cette doctrine. Pour lui, la vérité est d'abord dans l'intelligence, mais, de façon dérivée, elle se rencontre également dans les choses. Voici comment, dans la question de la Somme théologique qu'il consacre à cette notion il opère cette mise en place. « De même que le bien signifie ce vers quoi tend l'appétit, ainsi le vrai signifie-t-il ce vers quoi tend l'intelligence. Mais il y a cette différence entre l'appétit et l'intelligence ou n'importe quelle connaissance, que la connaissance consiste en ce que le connu est dans le connaissant, tandis que l'appétit consiste en ceci que celui qui désire est incliné vers la chose désirable elle-même. Il en résulte que le terme de l'appétit, qui est le bien, est dans la chose désirable, tandis que celui de la connaissance, qui est le vrai, est dans l'intelligence elle-même. Or, comme le bien est dans la chose en tant qu'elle a ordre à l'appétit, et qu'à cause de cela la «raison de bien » dérive de la chose désirable à l'appétit, lequel est alors dit être bon pour autant qu'il a le bien pour objet, ainsi, le vrai étant dans l'intelligence selon qu'elle se conforme à la chose appréhendée, est-il nécessaire que la « raison de vrai » dérive de l'intelligence vers cette chose, en sorte qu'elle aussi soit dite vraie, pour autant qu'elle a ordre à l'intelligence. Mais la chose appréhendée peut avoir ordre à une intelligence, soit essentiellement, soit par accident. Essentiellement elle a ordre à l'intelligence dont elle dépend dans son être, par accident à celle dont elle peut être connue. Ainsi dit-on qu'une maison se rapporte essentiellement à l'intelligence de l'architecte, et par accident, à l'intelligence dont elle ne dépend pas. Or l'on juge d'une chose, non d'après ce qui lui convient accidentellement, mais d'après ce qui lui convient par soi. Il en résulte que c'est par rapport à l'intelligence dont elle dépend qu'une chose est dite absolument vraie. Ainsi les objets fabriqués sont dits vrais par rapport à notre intelligence : une maison vraie est celle qui atteint à la ressemblance de l’idée qui est dans l'esprit de l'architecte, et un discours est vrai en tant qu'il est le signe d'une pensée vraie. De façon semblable, les choses de la nature sont dites vraies dans la mesure où elles atteignent la ressemblance des idées qui sont dans l'esprit de Dieu : une vraie pierre est celle qui réalise la propre nature de la pierre, en conformité avec la conception antérieure de l'intelligence divine. En définitive, la vérité est principalement dans l’intelligence, et secondairement dans les choses pour autant que celles-ci sont rapportées à l'intelligence comme à leur principe. » S. Thomas d’Aquin, Somme théologique. Annexe 2 : La vérité est la conformité de l’intellect avec les choses On l'a déjà dit, le vrai, quant à sa notion immédiate et première, est dans l'intelligence. Comme d'autre part toute chose est vraie selon qu'elle revêt la forme qui lui est propre et qui répond à sa nature, il y a nécessité que l'intelligence, faculté de connaître, soit vraie en raison d'une représentation fidèle de la chose connue, représentation qui est sa forme propre en tant que pouvoir connaissant. Pour ce motif, la vérité se définit par la conformité de l'intellect avec les choses, et il en résulte que connaître une telle conformité, c'est connaître la vérité. Or cette conformité, les sens ne la connaissent en aucune manière; car bien que l'œil, par exemple, ait en lui l'image de l'objet visible, il ne saisit point le rapport qu'il y a entre la chose vue et ce qu'il s'en représente. Au contraire, l'intellect a le pouvoir de connaître sa propre conformité avec l'objet intelligible ; mais il ne conçoit pas cette conformité par celui de ses actes qui appréhende telle ou telle chose ; c'est quand il porte un jugement sur ce qui est, attribuant à la chose une forme d'existence semblable à la forme de connaissance qu'il en a extraite, c'est alors seulement qu'il connaît et qu'il dit le vrai. Or il fait cela en composant et en divisant ; car en toute proposition où un jugement s'exprime, l'esprit attribue une certaine façon d'être, signifiée par le prédicat, à une certaine chose signifiée par le sujet, ou bien il l'en écarte. Et ainsi, il se trouve sans doute que le sens est vrai à l'égard de telle ou telle chose, et aussi l'intellect qui appréhende les natures ; mais ni l'un ni l'autre ne connaît ni ne dit la vérité. Il en va de même des paroles, suivant qu'elles sont complexes ou incomplexes. On voit par là que la vérité peut se trouver dans le sens ou dans l'intelligence qui conçoit l'essence des choses comme elle se trouve dans un objet vrai ; mais non comme le connu est dans la sujet connaissant, ce que suppose cependant ce mot : le vrai. Car la perfection de l'intelligence c'est le vrai connu, en tant qu'il est connu. En conséquence, à parler en toute propriété de termes, la vérité est dans l'intelligence qui compose et divise, c'est-à-dire qui juge ; elle n'est pas dans le sens, et pas davantage dans l'intelligence qui élabore de simples concepts. S. Thomas d’Aquin, Somme théologique. Annexe 3 : Le vrai ne peut s’appliquer aux choses elles-mêmes Le vrai n'est pas un terme transcendantal. - Ceux-là se sont donc trompés entièrement qui ont jugé le vrai un terme transcendantal ou une affection de l'Être. Car il ne peut s'appliquer aux choses elles-mêmes qu'improprement ou, si l'on préfère, en vue de l'effet oratoire. Comment diffèrent la vérité et l'idée vraie. - Si l'on demande maintenant ce qu'est la vérité en dehors de l'idée vraie, que l'on demande ce qu'est la blancheur en dehors du corps blanc ; car la relation est la même entre ces choses. Quelles sont les Propriétés de la Vérité ? La Certitude n'est pas dans les choses. - Les Propriétés de la Vérité ou de l'idée vraie sont : 1° Qu'elle est claire et distincte. 2° Qu'elle lève tout doute, ou d'un mot, qu'elle est certaine. Ceux qui cherchent la certitude dans les choses elles-mêmes se trompent de la même manière que lorsqu'ils y cherchent la vérité ; et, quand nous disons qu'une chose est incertaine nous prenons, à la façon des orateurs, l'objet pour l'idée, de même que quand nous parlons d'une chose douteuse, à moins que peut-être nous n'entendions par incertitude la contingence, ou la chose qui fait naître en nous l'incertitude ou le doute. Spinoza, Pensées métaphysiques. Annexe 4 : L’aspiration à la vérité pose problème La volonté du vrai, qui nous induira encore à bien des aventures périlleuses, cette fameuse véracité dont tous les philosophes ont toujours parlé avec respect, que de problèmes elle nous a déjà posés ! Et quels problèmes singuliers, pernicieux et équivoques ! L’histoire en est déjà longue, et cependant il semble qu'elle ne fasse que tout juste de commencer. Quoi d'étonnant, si nous finissons par nous méfier, par perdre patience, par nous détourner, excédés ? Si ce sphinx nous enseigne finalement à poser des questions à notre tour ? Qu'est-ce en nous qui veut trouver la « vérité » ? De fait, nous nous sommes longuement attardés devant le problème de l'origine de ce vouloir, et pour finir nous nous sommes trouvés complètement arrêtés devant un problème bien plus fondamental encore. Nous nous sommes interrogés sur la valeur de ce vouloir. En admettant que nous voulions le vrai, pourquoi pas plutôt le non-vrai ? Ou l'incertitude ? Ou même l'ignorance ? Est-ce le problème de la valeur du vrai qui s'est présenté à nous, ou bien est-ce nous qui nous sommes offerts à lui ? Qui est OEdipe ici ? Et qui est le Sphinx ? Il semble que ce soit un rendez-vous de questions et de problèmes. Et le croirait-on ? Il nous semble en définitive que le problème n'avait jamais été posé jusqu'à présent, que nous sommes les premiers à le voir, à l'envisager, à l'oser. Car il comporte un risque, et peut-être le risque suprême. Nietzsche, Par-delà le bien et le mal. Annexe 5 : Les vérités de l'intelligence humaine sont mobiles et changeantes Comme on l'a dit plus haut, la vérité est proprement dans la seule intelligence, et les choses sont dites vraies en raison d'une vérité qui se rencontre en quelque intellect. La mutabilité du vrai doit donc être étudiée par rapport à l'intellect, dont la vérité consiste en sa conformité avec les choses qu'il connaît'. Or cette conformité peut varier de deux façons, comme toute autre ressemblance change en raison de l'un de ses deux extrêmes. La vérité pourra varier du côté de l'intelligence, du fait que le sujet, les choses restant les mêmes, en pourra concevoir une opinion différente. Et d'une autre façon si, l'opinion demeurant, la chose change. Dans ces deux cas il y a changement du vrai en faux. Si donc il se trouve une intelligence en laquelle ne puisse se produire aucune alternance d'opinion, ou aux prises de laquelle aucune chose n'échappe, la vérité, en cette intelligence-là, sera immuable. Or telle est l'intelligence divine, comme il est évident d'après ce qui précède. La vérité de l'intelligence divine est donc immuable. Mais la vérité de notre intelligence à nous est changeante. Non qu'ellemême soit le sujet de ce changement, mais selon que notre intelligence passe du vrai au faux. Car c'est ainsi que des formes sont dites changeantes. Pour Dieu, la vérité de son intelligence étant la cause que les choses naturelles sont dites vraies, l'immutabilité est en lui parfaite. S. Thomas d’Aquin, Somme théologique. Annexe 6 : La vérité se présente comme un devoir D’une part, le premier devoir est de dire la vérité, dans la mesure où on la connaît. Il est ignoble de ne pas dire la vérité quand il y a lieu de la dire : par là on s'abaisse à ses propres yeux et à ceux des autres. Mais on a également le devoir de ne pas dire la vérité, quand on n'est pas appelé à le faire et qu'on n'en a même pas le droit. Si l'on dit la vérité tout simplement pour avoir fait ce qui était en son pouvoir, sans conséquence ultérieure, il y a là au minimum quelque chose de superflu, car il ne s'agit pas d'avoir dit la chose mais bien qu'elle se fasse. Parler n'est pas encore agir ou faire, ce qui est mieux. La vérité est dite en son lieu et en son temps lorsqu’elle sert à réaliser la chose. La parole est un moyen étonnamment puissant, mais pour en bien user il faut un vigoureux entendement. Hegel, Propédeutique philosophique. Annexe 7 : La vérité religieuse et la vérité technique Un credo religieux diffère d'une théorie scientifique en ce qu'il prétend exprimer la vérité éternelle et absolument certaine, tandis que la science garde un caractère provisoire : elle s'attend à ce que des modifications de ses théories actuelles deviennent tôt ou tard nécessaires, et se rend compte que sa méthode est logiquement incapable d'arriver à une démonstration complète et définitive. Mais, dans une science évoluée, les changements nécessaires ne servent généralement qu'à obtenir une exactitude légèrement plus grande; les vieilles théories restent utilisables quand il s'agit d'approximations grossières, mais ne suffisent plus quand une observation plus minutieuse devient possible. En outre, les inventions techniques issues des vieilles théories continuent à témoigner que celles-ci possédaient un certain degré de vérité pratique, si l'on peut dire. La science nous incite donc à abandonner la recherche de la vérité absolue, et à y substituer ce qu'on peut appeler la vérité « technique », qui est le propre de toute théorie permettant de faire des inventions ou de prévoir l'avenir. La vérité «technique» est une affaire de degré : une théorie est d'autant plus vraie qu'elle donne naissance à un plus grand nombre d'inventions utiles et de prévisions exactes. La «connaissance» cesse d'être un miroir mental de l'univers, pour devenir un simple instrument à manipuler la matière. Mais ces implications de la méthode scientifique n'apparaissaient pas aux pionniers de la science : ceux-ci, tout en utilisant une méthode nouvelle pour rechercher la vérité, continuaient à se faire de la vérité elle-même une idée aussi absolue que leurs adversaires théologiens. B. Russel, Science et Religion. Annexe 8 : Le devoir de vérité et la liberté de mentir L'homme exige la vérité et la réalise dans le commerce moral avec les hommes ; c'est là-dessus que repose toute vie en commun. On anticipe les suites malignes des mensonges réciproques. C'est de là que naît le devoir de vérité. On permet le mensonge au narrateur épique parce qu'ici aucun effet pernicieux n'est à craindre. - Donc là où le mensonge a une valeur agréable il est permis : la beauté et l'agrément du mensonge, à supposer qu'il ne nuise pas. C'est ainsi que le prêtre imagine les mythes de ses dieux : le mensonge justifie leur grandeur. Il est extraordinairement difficile de se rendre à nouveau vivant le sentiment mythique du mensonge libre. Les grands philosophes grecs vivent encore entièrement dans cette justification du mensonge. Là où l'on ne peut rien savoir de vrai, le mensonge est permis. Tout homme se laisse continuellement tromper la nuit dans le rêve. La tendance à la vérité est une acquisition infiniment plus lente de l'humanité. Notre sentiment historique est quelque chose de tout nouveau dans le monde. Il serait possible qu'il opprime totalement l'art. Nietzsche, Le Livre du philosophe. Annexe 9 : Le paradoxe de la vérité subjective Le sommet de l'intériorité d'un sujet existant est la passion à laquelle correspond la vérité comme un paradoxe; et le fait que la vérité devienne paradoxe repose justement sur son rapport à un sujet existant. Quand on cherche la vérité d'une façon objective, on réfléchit objectivement sur la vérité comme sur un objet auquel le sujet connaissant se rapporte. On ne réfléchit pas sur le rapport, mais sur le fait que c'est la vérité, le vrai, à quoi on se rapporte. Quand ce à quoi on se rapporte est la vérité, le vrai, alors le sujet est la vérité. Quand on cherche la vérité de façon subjective, on réfléchit subjectivement sur le rapport de l'individu : si seulement le comment de ce rapport3 est dans la vérité, alors l'individu est dans la vérité, même quand, ainsi, il a rapport avec le non-vrai. Prenons comme exemple la connaissance de Dieu. Objectivement, on réfléchit sur ce qu'il est le vrai Dieu; subjectivement, sur ce que l'individu se rapporte à un quelque chose de telle façon que son rapport est, en vérité, un rapport à Dieu. Maintenant, de quel côté est la vérité ? De quel côté y a-t-il le plus de vérité? De celui qui ne cherche qu'objectivement le vrai Dieu et la vérité la plus rapprochée de la représentation de Dieu, ou de celui qui se préoccupe au plus haut point de se rapporter à Dieu en vérité avec la passion illimitée du besoin : la réponse ne peut être douteuse pour quiconque n'est pas entièrement gâté par le savoir objectif Quand un homme qui vit au sein du christianisme va dans la maison de Dieu, du vrai Dieu, avec, dans l'esprit, la vraie représentation de Dieu, et ensuite prie, mais pas en vérité; et quand un homme vit dans un pays païen, mais prie avec toute la passion de l'infini, bien que son oeil se repose sur une idole : où y a-t-il le plus de vérité ? L'un prie Dieu en vérité, bien qu'il prie une idole; l'autre prie le vrai Dieu, mais pas en vérité, et prie donc en vérité une idole. Kierkegaard, Post-scriptum aux miettes philosophiques. Annexe 10 : Le doute sceptique, mise en cause de l’évidence Le carré de l'hypoténuse est égal au carré des deux côtés, cette proposition exprime une relation entre ces figures. Trois fois cinq est égal à la moitié de trente exprime une relation entre ces nombres. Les propositions de ce genre, on peut les découvrir par la seule opération de la pensée, sans dépendre de rien de ce qui existe dans l'univers. Même s'il n'y avait jamais eu de cercle ou de triangle dans la nature, les vérités démontrées par Euclide conserveraient pour toujours leur certitude et leur évidence. Les faits, qui sont les seconds objets de la raison humaine, on ne les établit pas de la même manière b et l'évidence de leur vérité, aussi grande qu'elle soit, n'est pas d'une nature semblable à la précédente. Le contraire d'un fait quelconque est toujours possible, car il n'implique pas contradiction et l'esprit le conçoit aussi facilement et aussi distinctement que s'il concordait pleinement avec la réalité. Le soleil ne se lèvera pas demain, cette proposition n'est pas moins intelligible et elle n'implique pas plus contradiction que l'affirmation : il se lèvera. Nous tenterions donc en vain d'en démontrer la fausseté. Si elle était démonstrativement fausse, elle impliquerait contradiction et l'esprit ne pourrait jamais la concevoir distinctement. C'est donc peut-être un sujet digne d'éveiller la curiosité que de rechercher quelle est la nature de cette évidence qui nous assure de la réalité d'une existence et d'un fait au-delà du témoignage actuel des sens ou des rapports de notre mémoire. Hume, Enquête sur l’entendement humain. DOCUMENTS JOINTS DOCUMENT 1 : LE VRAI COMME TRANSCENDANTAL 1) Formation de la théorie du vrai Avec ce transcendantal, nous pénétrons dans un domaine plus complexe, car il implique une référence de l'être à quelque chose d'autre que lui.. Qu'est-ce donc que le vrai ? Au premier abord, il se manifeste à nous comme le but vers lequel tend toute connaissance, c'est-à-dire comme la fin ou la perfection de l'intelligence : on connaît pour posséder la vérité. C'est de ce point de vue subjectif qu'Aristote a principalement envisagé la vérité. Avec saint Augustin, le docteur par excellence de la philosophie du vrai, et avec toute la tradition qui se rattache à son nom, les perspectives se trouvent inversées : la vérité apparaît plutôt comme un objet qui domine l'esprit et qui s'impose à lui ; en ce sens, elle est d'abord et fondamentalement cette immuable et éternelle vérité divine, à laquelle les esprits créés participent. Héritier de cette double tradition, saint Thomas s'efforcera de concilier les doctrines : pour lui, la vérité sera à la fois, sous des aspects divers, perfection de là connaissance, ou vérité logique, et propriété objective de l'être, finalement rapportée à la science divine, ou vérité ontologique. 2) Vérité logique, vérité ontologique La vérité implique un ordre de l'être à l'intelligence ; mais cet ordre peut être considéré ou bien en tant que subjecté principalement dans l'intelligence, ou bien en tant que qualifiant directement l'être. Considérons tout d'abord avec Aristote la vérité dans l'intelligence. Nous dirons que l'intelligence est vraie lorsque, dans son acte, elle est conforme à l'être, à ce qui est : une connaissance vraie est une connaissance qui est en rapport de conformité avec son objet : ainsi entendue, la vérité pourrait se définir : adaequatio intellectus ad rem, la conformité de l'intelligence à la chose. Si, à l'inverse, nous nous plaçons au point de vue objectif, nous devrons dire que l'être, est vrai dans la mesure où il est conforme à l'intelligence ; la vérité sera alors : adeequatio rei ad intellectum. L'une et l'autre de ces formules demandent à être précisées [A.1]. a. La vérité logique Selon sa signification originelle, le vrai est dans l'intelligence ou dans la puissance de connaître pour autant qu'elle se conforme à la chose. Mais ici deux cas peuvent se présenter : - Ou bien l'intelligence, tout en étant conforme à la chose ne le sait pas, ce qui se produit dans la simple intellection et dans la connaissance sensible - Ou bien mon intelligence, grâce à son pouvoir de réflexion, se saisit elle même comme conforme à son objet, ce qui se réalise dans le jugement. Le vrai est alors dans mon intelligence, comme connu, ce qui évidemment est plus parfait que lorsqu'il s'y trouve sans qu'on le sache. Saint Thomas exprime parfaitement cette doctrine dans ce texte : « ... La vérité est définie par la conformité de l'intelligence et de la chose. Il s'ensuit que connaître cette conformité est connaître la vérité. Ce que le sens ne parvient en aucune façon à faire. La vue, en effet, bien qu'elle ait en elle la similitude de ce qui est vu, cependant ne perçoit en aucune manière le rapport qu'il y a entre cette chose vue et ce qu'elle connaît. Au contraire l'intelligence peut connaître la conformité qu'elle a par rapport à la chose connue ; toutefois elle ne l'appréhende pas dans sa simple saisie des essences, mais seulement lorsqu'elle juge que la chose est bien conforme à la forme qu'elle en appréhende ; alors, pour la première fois, elle connaît et elle dit le vrai... La vérité en conséquence peut bien se trouver sans le sens ou dans l'intelligence en tant qu'elle connaît la nature des choses, de la même manière que dans une chose vraie, mais non pas comme ce qui est connu dans le connaissant, ce qu'implique le terme de vrai. Or la perfection de l'intelligence se trouve dans le vrai en tant qu'il est connu. De sorte que, à proprement parler, la vérité est dans l'intelligence qui compose et qui divise, et non dans le sens ni dans l'intelligence comme faculté de la simple saisie de ce qu'est une chose. » b. La vérité ontologique Si l'on considère à présent le vrai dans les choses, ou comme propriété transcendantale de l'être, l'on doit dire encore qu'il se définit par un ordre à l'intelligence. Et de nouveau deux cas peuvent se présenter : Ou bien il s'agit d'une intelligence dont la chose considérée dépend, comme l'œuvre d'art de l'artiste. Ou bien il est question d'une intelligence qui au contraire se soumet, comme à son objet, à la chose qu'elle connaît. Dans le premier cas, qui est seul essentiel pour la constitution de la vérité ontologique, les choses , se subordonnent en dernière analyse à l'intelligence créatrice première ; la vérité n'est alors que la conformité des choses à l'intelligence divine dont elles dépendent. Dans le second cas, qui définit seulement un rapport accidentel des choses à une intelligence (l'intelligence créée), la vérité devient seulement l'aptitude des choses à être l'objet d'un intellect spéculatif tel que l'intellect humain. En définitive l'on rencontre la vérité : Formellement et principalement dans l'intelligence qui juge. Dans le sens et dans la simple intellection au même titre que dans n’importe quelle chose vraie. Dans les choses, essentiellement, en tant qu'elles sont conformes à l'idée selon laquelle Dieu les crée. Dans les choses, accidentellement, par rapport à l'intellect spéculatif qui peut les connaître. 3) Le faux Parallèlement à l'étude du vrai, saint Thomas a institué une étude de son contraire, le faux. Notons que transcendantalement il ne peut exister de fausseté absolue ; l'être faux, en ce sens, serait un être qui échapperait à la causalité créatrice de l'intelligence divine, ce qui est impossible. L'on ne peut parler de choses fausses que par rapport à l'intelligence créée, et dans la mesure où de telles choses prêtent par leur apparence extérieure à des confusions sur leur véritable nature. Comme la vérité, la fausseté se rencontre principalement dans la connaissance et formellement dans le jugement, lequel est faux quand il déclare être ce qui effectivement n'est pas ou inversement. Le sens et la simple intellection intellectuelle sont toujours vrais, tout au moins lorsqu'ils sont relatifs à leur objet propre. 4) Le principe de raison d'être A propos de l'intelligibilité ou de la vérité de l'être, on fait souvent état d'un principe que l'on ne retrouve pas de façon explicite chez saint Thomas, celui de raison d’être : « Tout être, dira-t-on, a sa raison d'être ». Quel sens peut-on donner valablement à cette formule qui est l'objet de tant de contestations et qui, on ne peut le nier, se rattache, quant à ses origines, au rationalisme leibnizien. Prenons comme point de départ cette autre formule qui est authentiquement de saint Thomas : « Tout être est vrai », c'est-à-dire que tout être a profondément un ordre essentiel à l'intelligence ; « tout être est intelligible », pourrait-on dire. Cette dernière formule demande à être bien précisée. Il est évident en effet que l'intelligibilité dont il est question ne sera parfaite que vis-à-vis d'un être parfait, ou parfaitement être, autrement dit de Dieu. Les êtres créés, pétris d'être et de non-être, garderont nécessairement devant l'intelligence une certaine opacité. Si donc nous voulons éviter de tomber dans un rationalisme inconsidéré nous devrons dire : « Tout être est intelligible en tant qu'il est être ». Quel est, à présent, le fondement de cette intelligibilité de l'être ? Il n'y en a pas d'autre que celui-ci : il possède « sa raison d'être », étant à la fois ce qui détermine l'être à être et ce qui le rend intelligible. Faisons un pas de plus. Cette raison d'être, l'être peut la posséder de façon suffisante en lui-même, ou en vertu de sa propre nature ; le rouge, le carré, par exemple, sont ce qu'ils sont parce qu'ils ont telle essence - mais il se peut être n'ait pas sa raison suffisante d'être en lui-même ou dans son essence ; que tel homme soit effectivement blanc ne résulte pas de sa nature. Dans ce dernier cas, l'on dira que cet être doit avoir sa raison d'être dans un autre qui sera sa cause. C'est ce qu'affirme saint Thomas : « Tout ce qui convient à une chose, sans que ce soit par elle-même, lui convient par une certaine cause, comme la blancheur à l'homme. » Pourquoi doit-il en être ainsi ? Saint Thomas de poursuivre: « Ce qui n'a pas de cause est premier et immédiat et doit être par soi et selon ce qu'il est. » Ainsi, ou bien l'être est par soi et par essence ce qu'il est, ou bien il l'est par un autre. D'où l'on conclut, pour notre principe, à cette formule : « Tout être, en tant qu'il est, a sa raison d'être en soi ou dans un autre. » A vrai dire, en s'exprimant de la sorte, on enveloppe deux types d'explication très différents. Au plan de l’essence, on dira que les propriétés ont leur raison d'être dans l'essence du sujet auquel elles se rapportent : ainsi l'égalité à deux droits des angles d'un triangle résulte de la nature de cette figure ; l'aptitude de l'homme à recevoir un enseignement tient à sa nature raisonnable. Au plan de l'être concret ou de l'existence, on rencontre l'explication causale proprement dite : tel être qui n'existe pas soi (l'être contingent), cet arbre, cette pierre, a la raison d'être de son existence dans un autre qui en est sa cause et ceci suivant les diverses lignes de causalité. De cette constatation il ressort que le principe de raison d'être est un principe analogique, c'est-àdire qu'il ne doit être appliqué que proportionnellement aux différents types d'explication. A l'oublier, on court le risque de tomber dans le rationalisme le plus intempérant. H.D Gardeil, Initiation à la philosophie de S. Thomas d’Aquin, La métaphysique. DOCUMENT 2 : L’IDEE DE VERITE La conscience naïve ne connaît que des choses et s'ignore elle-même comme conscience. Par exemple, je dis spontanément: «Devant moi il y a une Lampe, sous mes pieds il y a un tapis, sur le balcon il y a des fleurs.» Je ne pense pas d'abord à l'acte de mon esprit par lequel j'affirme tout cela : mais ma pensée s'oublie, s'efface devant les choses qu'elle affirme. La première démarche de l'esprit est donc ontologique. Elle affirme les choses, l'être, le « il y a. » Cependant, je fais bien vite l'expérience de l'erreur. Par exemple, je me dis : « Il y a un moineau sur le balcon » , je m'approche et ce n'est qu'un petit papier gris. Donc, il n'y avait pas de moineau mais j'avais cru voir un moineau. J'avais cru... Ici ma pensée, d'abord tournée vers les choses, revient sur elle-même ; je réfléchis sur ma connaissance, je me demande quelle est sa valeur. Cette deuxième démarche de l'esprit, c'est la démarche critique qui s'oppose à la démarche ontologique. Cessant d'affirmer l'objet, je reviens sur ma propre affirmation, je la mets en question, je m'interroge sur cet acte d'affirmer. Ce retour critique, cette réflexion sur ma propre pensée, son mécanisme, sa valeur, m'incitent à formuler une théorie de la connaissance. Qu'est-ce que la vérité ? Y a-t-il seulement une vérité ? Y a-t-il des degrés de vérité ? Nous nous demanderons d'abord quelle est la nature de la vérité, s'il y a des critères pour distinguer le vrai du faux, quelle définition de la vérité nous pouvons accepter. Ensuite, nous examinerons si ces critères sont en fait applicables, s'il y a au moins une vérité que nous puissions atteindre, ou si nous devons, comme pensent les sceptiques, y renoncer. C'est, si l'on veut, le problème de l'existence de la vérité. Enfin, si l'on reconnaît que la vérité est accessible, il reste à se demander s'il n'y a pas diverses sortes de vérités. L'hypothèse d'un physicien ou d'un chimiste, soumise au verdict de l'expérience, n'est pas du tout du même ordre que l'interprétation d'un psychanalyste. I ] NATURE DE LA VERITE Le langage vulgaire confond bien souvent les termes réalité et vérité. En fait, il convient de les distinguer soigneusement. Un objet (ce tapis, cette lampe), un être seront qualifiés de réels. Cette lampe est réelle, autrement dit elle existe ; ce bureau est réel. Mais cela n'aurait aucun sens de dire : ce bureau, cette lampe sont vrais (ou faux). La vérité est une valeur qui concerne un jugement. Ainsi, par exemple, le jugement: « Ce bureau existe, ce bureau est rouge » est un jugement vrai, ou bien un jugement faux. La « vérité » ou la « fausseté » qualifient donc non l'objet lui-même, mais la valeur de mon assertion. Dans certains cas, pourtant, le langage parait attribuer la vérité ou la fausseté à l'objet. Songez-y, quand vous dites : de fausses dents, de faux billets, un faux Rembrandt, un faux Vermeer, vous désignez des objets qui sont réels. La fausseté est ici l'absence d'une valeur à laquelle on se réfère. La preuve, c'est que les fausses dents sont un vrai dentier , les faux billets, du vrai papier ; le faux Rembrandt, un vrai Dupont ; et le faux Vermeer, un vrai Van Meegeren. Plus exactement, c'est le jugement par lequel nous affirmons que ce tableau attribué à Vermeer est en réalité de Van Meegeren qui est un jugement vrai. Ce point acquis, il faut chercher maintenant quel est le critère de la vérité. Comment reconnaître, caractériser, définir le jugement vrai ? A – LA VERITE = EVIDENCE ? 1) L’évidence selon Descartes et Spinoza La réponse la plus simple est celle-ci : le jugement vrai se reconnaît à ses caractères intrinsèques : il se révèle vrai par lui-même, il se manifeste par son évidence. C'est le point de vue de Spinoza. « La vérité est à ellemême son propre signe. Celui qui a une idée vraie sait en même temps qu'il a cette idée et ne peut douter. Quelle règle de vérité trouvera-t-on plus claire et plus certaine qu'une idée vraie ? De même que la lumière se montre soi-même et montre avec soi les ténèbres, ainsi la vérité est à elle-même son critérium et elle est aussi celui de l'erreur. » Pour Descartes, comme pour Spinoza, une idée claire et distincte qui apparaît évidente est une idée vraie et il n'y a point à chercher au-delà. « Les idées qui sont claires et distinctes ne peuvent jamais être fausses », dit Spinoza. Descartes écrit de son côté : « Et remarquant que cette vérité je pense, donc je suis, était si ferme et si assurée que toutes les plus extravagantes suppositions étaient incapables de l'ébranler, je jugeais que je pouvais la recevoir, sans scrupule, pour le premier principe de la philosophie. Après cela je considérai en général ce qui est requis à une proposition pour être vraie et certaine ; car, puisque je venais d'en trouver une que je savais être telle, je pensais que je devais aussi savoir en quoi consiste cette certitude. Et ayant remarqué qu'il n'y a rien du tout en ceci, ‘je pense, donc, je suis’ qui m'assure que je dis la vérité, sinon que je vois très clairement que pour penser il faut être, je jugeais que je pouvais prendre pour règle générale que les choses que nous concevons fort clairement et fort distinctement sont toutes vraies. » (Discours de la Méthode.) 2) L’évidence peut être une illusion Cette conception de la vérité peut être dangereuse. Car l'évidence est mal définie. Nous éprouvons un sentiment d'évidence, une impression d'évidence. Mais devons-nous accorder à cette impression une valeur absolue ? Descartes a senti la difficulté puisque, après avoir affirmé que nos idées claires et distinctes sont vraies, il reconnaît « qu'il y a quelque difficulté à bien remarquer quelles sont celles que nous concevons distinctement. » En fait, l'impression vécue de certitude n'est pas suffisante pour caractériser le jugement vrai. Car on peut se croire dans le vrai et cependant se tromper. Je peux éprouver un sentiment très fort et très sincère de certitude et pourtant être dans l'erreur. C'est une grave objection à la théorie de l'évidence-vérité. Comment distinguer les fausses évidences et les vraies évidences ? C'est ici qu'un critère serait nécessaire. Descartes, disait Leibniz, « a logé la vérité à l'hostellerie de l'évidence mais il a négligé de nous en donner l'adresse. » Souvent les passions, les préjugés, les traditions fournissent des contrefaçons d'évidence. Nous avons tendance à tenir pour claires et évidentes les opinions qui nous sont le plus familières, celles auxquelles nous sommes habitués. Les idées trop claires, sont souvent, comme dit Albert Bayet, des « idées mortes. » En revanche, les idées nouvelles, révolutionnaires, ont du mal à se faire accepter. Au nom de l'évidence, de la prétendue évidence, c'est-à-dire des traditions bien établies et des pensées coutumières, les penseurs officiels, installés dans leur conformisme, ont toujours critiqué les grands créateurs d'idées neuves. L'Académie des sciences se moque de Pasteur comme les vieux chimistes s'étaient moqués des découvertes de Lavoisier. Les vérités les plus fécondes, bien loin de s'imposer tout d'abord comme des évidences, sont proposées au contraire dans l'étonnement et le scandale. Le sentiment d'évidence, de certitude est une donnée purement subjective, purement psychologique, qui ne peut pas fournir un fondement objectif à la vérité. B – EST-CE LA COPIE DE LA REALITE 1) La vérité reflet Une idée ne serait donc pas qualifiée de « vraie » ou « fausse » en elle-même, par ses caractéristiques intrinsèques, mais seulement par sa conformité ou sa non-conformité à la réalité. Les scolastiques disaient: « La vérité, c'est la conformité de notre pensée aux choses. » L'idée vraie est celle qui est fidèle à la réalité. Cette définition est incontestable mais imprécise. Car il reste à interpréter cette conformité, cette fidélité de la pensée vraie au réel. Le sens commun en donne une interprétation très simple : la vérité serait une simple copie de la réalité, la présence même de la réalité dans ma conscience qui la reconnaît. La connaissance vraie serait une simple réception de la réalité. 2) La vérité est une construction Or, nous nous proposons de montrer que cette notion de vérité-copie n'a aucun sens, que tout jugement vrai est une reconstruction intelligible du réel, qu'il suppose un travail de l'esprit et n'est pas un simple reflet passif. Et cela s'applique à la vérité au sens artistique, comme à la vérité au sens scientifique et philosophique. Un peu de réflexion nous permet de dépasser ce point de vue. Si vous prenez, avec un temps de pause extrêmement bref, la photographie d'une automobile roulant à 120 km/heure, l'image obtenue, menteuse malgré sa « fidélité », donnera l'impression de fixité absolue. Nous admirons au contraire, dans le Derby d'Epsom de Géricault, des chevaux galopant ventre à terre. Cette impression de vie est donnée en dépit d'une infidélité « littérale. » Jamais aucun cheval n'a pu avoir, comme c'est le cas dans l'œuvre du peintre, les pattes de devant dans le prolongement des pattes de derrière. De même, L'homme qui marche de Rodin, s'il parait vrai, n'est pas réel. Car, dans la marche réelle, les deux pieds ne sont jamais tous les deux collés au sol, l'un des deux se trouve nécessairement en l'air (de fait, en photographie, un homme qui marche a souvent l'air de sauter à cloche-pied.) La vérité artistique n'est donc pas copie et reflet mais structuration, transfiguration. L'art, dit André Malraux, dans ses Voix du silence, « c'est ce par quoi les formes deviennent style. » Le vrai, ce n'est pas ici la réalité brute stylisée, mais un réel, transfiguré, repensé par l'esprit. De même, la vérité scientifique suppose toute une reconstruction de l'expérience par les concepts. Non seulement les faits sont liés entre eux par des lois nécessaires, mais le jugement vrai n'atteint le fait qu'à travers des techniques expérimentales. Par exemple, ce jugement : « Ce matin à huit heures cinq minutes, il faisait dix-sept degrés », qui paraît tout simple et élémentaire, suppose déjà un haut niveau d'abstraction et diverses techniques expérimentales : d'abord les techniques relatives à la mesure du temps, ensuite l'utilisation du thermomètre. Pour que mon auditeur comprenne le sens de ce jugement, il faut qu'il sache que je parle des degrés Celsius, il faut qu'il sache que la chaleur dilate les corps et qu'en disant « il fait dix-sept degrés », j'indique la hauteur de l'alcool dans un petit tube attaché à une règle graduée posée sur ma fenêtre. Dire qu'il fait dix-sept degrés, c'est parler un langage d'initié. Mon jugement se réfère à la technique du thermomètre, qui suppose elle-même la théorie de la dilatation. « Un instrument n'est qu'une théorie matérialisée » (Bachelard). Le jugement vrai transpose et reconstruit la réalité à travers tout un réseau de manipulations techniques et d'opérations intellectuelles. Si la vérité est « opératoire », le critère de la vérité ne sera-t-il pas fourni par le succès pratique de l' « opération » ? C'est ce point de vue « pragmatique » que nous allons examiner à présent. C – EST-CE L’IDEE QUI REUSSIT ? 1) Vérité et succès Le pragmatisme, avec le philosophe américain William James (1842-1910), soutient que le seul critère de la vérité est le succès. La pensée est au service de l'action. Les idées ne sont que des outils dont nous nous servons pour agir : l'idée vraie, c'est celle qui paie le mieux, celle qui a le plus de rendement, qui est la plus efficace. Pour apprécier la valeur de cette théorie, il faudrait savoir quel sens donner aux formules de James. L'idée vraie, c'est l'idée utile. Mais que veut dire « utile » ? Faut-il prendre le mot au sens de vérifiable ? En ce cas, le pragmatisme est très acceptable. Descartes lui-même, si attaché qu'il fût aux « idées innées » et aux évidences pures, reconnaissait qu'il se rencontre « beaucoup plus de vérité dans les raisonnements que chacun fait touchant les affaires qui lui importent et dont l'événement le doit punir bientôt après s'il a mal jugé, que dans ceux que fait un homme de lettres dans son cabinet touchant des spéculations qui ne produisent aucun effet ». Malheureusement le mot « utile », tel qu'il est employé par les pragmatistes, a le sens le plus large et le plus vague. W. James n'a jamais rien fait pour en dissiper l'équivoque. Il écrit: « Ce qui est vrai, c'est ce qui est avantageux de n'importe quelle manière. » Ainsi, une loi physique ou chimique est vraie si elle a des applications techniques fécondes. Mais aussi une croyance politique est vraie si elle me donne « bonne conscience », si elle me justifie ; une théorie philosophique est vraie si elle calme mes inquiétudes, si elle assure « mon confort intellectuel » ; une religion est vraie si elle est consolante, si elle permet de m'améliorer moralement. L'idée de Dieu est comme toutes les autres idées, elle n'est vraie que si elle est rentable, et W. James déclare sans ambages : « Dieu est une chose dont on se sert. » Dans cette perspective, la vérité cesse d'être une valeur de la raison pour devenir une valeur d'existence. Saint-Exupéry déclare dans Terre des hommes : « La vérité pour l'homme, c'est ce qui fait de lui un homme. » La vérité, c'est ce qui m'épanouit, ce qui « me délivre » et m'accomplit : « La vérité, ce n'est point ce qui se démontre. Si dans ce terrain et non dans un autre les orangers développent de solides racines et se chargent de fruits, ce terrain là, c'est la vérité des orangers. Si cette religion, si cette culture, si cette échelle de valeurs (...) et non telles autres favorisent dans l'homme cette plénitude, délivrent en lui un grand seigneur qui s'ignorait, c'est que cette échelle de valeurs, cette culture sont la vérité de l'homme. » 2) La vérité peut-être « triste » Peut-on parler de vérité et d'erreur ? Dans cette perspective, il peut y avoir plusieurs vérités contradictoires car différents hommes peuvent trouver leur utilité dans des systèmes opposés, être épanouis par des affirmations contradictoires. L'erreur même devient à l'occasion une pseudo-vérité pragmatique. Peu importe, pensaient certains au temps de l'affaire Dreyfus, que Dreyfus ait été condamné sur des témoignages erronés : il faut considérer la condamnation comme juste car une reprise du procès nuirait au parti nationaliste. Un polémiste écrivait : « Une erreur, lorsqu'elle est française, n'est plus une erreur. » Le pragmatisme enlève toute signification au mot vérité. Bien souvent, la découverte de la vérité est pénible pour nos passions, nos tendances, nos habitudes. Quelquefois, disait Renan, la vérité est « triste. » L'ex-abbé Loisy (excommunié pour ses conceptions hérétiques) cite dans ses Mémoires une lettre qu'il reçut en 1916 de Mgr Mignot, évêque d'Albi, qui était resté son ami. Comme Loisy lui avait écrit qu'il préparait un livre sur la religion et qu'il lui en indiquait les grandes lignes en lui demandant son avis, l'évêque lui répondit : « Hélas ! Je crains d'avance de le trouver trop vrai. » Un tel mot n'aurait aucun sens dans la perspective pragmatiste : le vrai, c'est ce que la raison démontre (ou croit démontrer) et qui bouleverse le cœur, trouble les coutumes, angoisse l'être de chair et de sang. Qu'une affirmation soit consolante, réconfortante, rassurante, cela n'en fait pas une vérité. Tout au contraire l'esprit critique doit être ici mis en garde : « Les vérités consolantes, dit Jean Rostand, doivent être démontrées deux fois. » Contre le pragmatisme il faut restaurer les droits de l'objectivité, contre la préoccupation objective et large de l' « intérêt », de l' « utilité », il faut revaloriser les exigences des « vérifications » objectives. D – C’EST LA NON-CONTRADICTION D’UN SYSTEME DE JUGEMENTS On peut - dans une perspective rationaliste - définir la vérité comme la non-contradiction d'un système de jugements. Cette définition convient à la fois à la vérité dite « formelle » et à la vérité « expérimentale. » 1) La vérité formelle Soit par exemple le syllogisme suivant Majeure Tous les hommes sont honnêtes. Mineure Or M. Dupont est un homme. Conclusion Donc M. Dupont est honnête. La conclusion « M. Dupont est honnête » est logiquement correcte. Elle est en effet non contradictoire par rapport aux prémisses. La conclusion s'identifie à la majeure car la mineure me donne le droit de substituer à l'expression Tous les hommes (sont honnêtes) l'expression M. Dupont (puisque M. Dupont rentre dans la « classe » des hommes). La conclusion « M. Dupont est honnête » est formellement vraie par rapport aux prémisses, parce qu'elle s'identifie aux prémisses, parce qu'elle dit « la même chose. » Mais la conclusion, ainsi que les prémisses, peuvent être matériellement fausses. Il est possible que M. Dupont ne soit pas honnête, car il est sans doute faux, matériellement, que tous les hommes soient honnêtes. La vérité formelle ignore donc la réalité, elle est seulement l'accord de l'esprit avec ses propres conventions. La vérité formelle triomphe en mathématiques. Par exemple, j'affirme que la somme des angles d'un triangle vaut deux droits ; est-ce vrai, est-ce faux ? C'est vrai (non contradictoire) si j'admets les postulats d'Euclide, c'est faux (contradictoire) si je décide d'adopter une axiomatique non euclidienne. 2) La vérité expérimentale Une proposition telle que « En ce moment il pleut » prétend à la vérité matérielle, expérimentale et pas seulement formelle. C'est une affirmation qui concerne le réel. Mais il est aisé de montrer qu'ici encore le critère de la vérité est la non-contradiction de mes jugements, qu'il est l'accord et l'identification de mes énoncés sur un donné matériel. Je dis « il pleut » parce que, penché sur mon travail, j'entends des gouttes d'eau frapper la vitre de la fenêtre. Ce jugement isolé ne pourra être considéré comme vrai que s'il est vérifié ; autrement dit, s'il ne contredit pas les jugements divers que je puis porter à ce moment, dans différentes conditions expérimentales, sur la réalité. Par exemple, je vais à la fenêtre, je vois la pluie tomber, et je constate que tout en bas la route est mouillée. Tous ces jugements, « j'entends les gouttes d'eau », « je vois la pluie », « la route est mouillée » sont non contradictoires il est donc vérifié qu'il pleut. Mais une vérification complète, définitive est-elle possible ? Sommes-nous capables de découvrir une vérité certaine ? En effet, il ne suffit pas de déterminer des critères théoriques, encore faut-il savoir s'ils s'appliquent pratiquement. Existe-t-il une seule vérité accessible ? A cette question le scepticisme répond négativement. II ] EXISTENCE DE LA VERITE, LE SCEPTICISME Le scepticisme est défini, dans le Vocabulaire technique et critique de la philosophie d'André Lalande, comme « la doctrine d'après laquelle l'esprit humain ne peut atteindre avec certitude aucune vérité. » L'esprit se déclare incapable d'affirmer ou de nier quoi que ce soit. La doctrine a été soutenue par les célèbres sceptiques grecs Pyrrhon, au 4 ème siècle avant notre ère (Pascal emploie sans cesse le mot pyrrhonisme dans le sens de scepticisme), Carnéade, au 2ème siècle et Enésidème, au 1er siècle avant notre ère. A – SCEPTICISME ANTIQUE ET DOUTE CARTESIEN On sait que les Méditations de Descartes commencent, elles aussi, par l'exercice d'un doute absolu : Descartes rejette le témoignage des sens (en rêve on croit voir, entendre, bouger, et ce n'est qu'une illusion). Il rejette même les vérités mathématiques (car il peut se faire qu'un « malin génie » tout-puissant s'amuse à me tromper dans toutes les pensées). Mais ce doute cartésien s'oppose radicalement au doute sceptique. D'abord le doute cartésien est provisoire (il prend fin lorsque Descartes s'aperçoit qu'il peut douter de tout sauf du fait même qu'il pense et qu'il doute : et cette évidence invincible: « Je pense, donc je suis » est une première vérité d'où bien d'autres vont jaillir). C'est un doute volontaire, un doute « feint », dit Descartes, dont la fonction est d'accoutumer « l'esprit à se détacher des sens » et même de tout objet de pensée pour révéler en sa pureté l'acte même de penser. Le doute cartésien a la valeur d'une pédagogie de l'ascèse qui vise à nous délivrer provisoirement des pensées que nous avions, pour révéler l'esprit que nous sommes. Le doute cartésien est méthodique (le malin génie n'est lui-même, selon l'excellente formule d'Henri Gouhier, qu'un « pantin méthodologique »), c'est une technique mise au service de la recherche du vrai. Le doute cartésien est un doute optimiste et « héroïque » (Hegel), un déblaiement préalable qui précède la construction de l'édifice philosophique, une décision volontaire de faire table rase de toutes les connaissances antérieures pour bâtir une philosophie nouvelle. B – LES ARGUMENTS DES SCEPTIQUES GRECS Tout au contraire, le scepticisme absolu des pyrrhoniens et de leurs disciples n'est pas un point de départ mais une conclusion - la conclusion d'un échec - au terme de l'aventure du savoir. Il faut connaître ces arguments que l'on retrouve chez Montaigne, et Pascal, plus tard chez Anatole France. 1) La contradiction des opinions Les sophistes grecs, frappés par la contradiction des opinions des philosophes (par exemple Héraclite disait : le réel n'est que changement, alors que Parménide niait le changement), aboutissent à la conclusion pessimiste que la vérité – qui devrait être une et universelle – est inaccessible. Les sceptiques ont été parfois de grands voyageurs qui, à force d'avoir vu les gens les plus divers professer des opinions contradictoires, adopter des valeurs différentes, ne croient plus à rien. Pyrrhon avait par exemple accompagné le conquérant Alexandre dans un grand nombre de ses expéditions. Montaigne avait visité l'Allemagne, l'Italie, mais avait surtout voyagé dans sa « librairie » parmi les systèmes philosophiques innombrables et tous différents. Pascal reprend les thèmes pyrrhoniens de Montaigne : « Vérité en-deçà des Pyrénées, erreur au-delà. » 2) La régression à l'infini Une vérité ne peut pas être acceptée comme telle sans preuves car n'existe pas un signe du vrai « comparable à la marque imprimée sur le corps des esclaves et qui permet de les reconnaître quand ils sont en fuite. » Mais si je propose une preuve pour une affirmation, le sceptique me dira : « Prouve ta preuve. » Ainsi la preuve qu'on apporte pour garantir l'affirmation a besoin d'une autre preuve et celle-ci d'une autre, à l'infini. Pour connaître la moindre chose, je suis d'autre part contraint de remonter à l'infini, c'est-à-dire de mettre ce donné en rapport avec une infinité d'autres faits. Car chaque chose est relative à toutes les autres et pour connaître le moindre objet il faudrait connaître son rapport avec tout l'univers. Nous ne connaissons le tout de rien, ce qui revient à ne connaître rien du tout. 3) La nécessité d'accepter des postulats invérifiables Ne pouvant remonter de preuve en preuve à l'infini, l'esprit accepte toujours sans démonstration un point de départ qui est une simple supposition et dont la vérité n'est pas garantie. 4) Le diallèle (diallêlôn : «les uns par les autres») Il n'est pas possible de raisonner en évitant les « cercles vicieux ». Ainsi je démontre que a est vrai en supposant que b est vrai, et je démontre que b est vrai en supposant que a est vrai. Je commets un cercle vicieux en démontrant les unes par les autres des propositions dont aucune n'est fondée a priori. Le cercle vicieux par excellence est celui-ci : pour prouver la valeur de ma raison, il faut que je raisonne, donc précisément que je me serve de cette raison dont la valeur est en question ! 5) Toute opinion est relative « L'homme, disait Protagoras, est la mesure de toutes choses », formule célèbre qu'Anatole France commentait ainsi : « L'homme ne connaîtra de l'univers que ce qui s'humanisera pour entrer en lui, il ne connaîtra jamais que l'humanité des choses. » Toute affirmation sur l'univers est relative à celui qui affirme. Socrate résume ainsi la thèse de Protagoras : « N'arrive-t-il pas parfois qu'au souffle du même vent l'un de nous frissonne et non l'autre ? Or que dirons-nous alors de ce souffle de vent envisagé tout seul et par rapport à lui-même ? Qu'il est froid ou qu'il n'est pas froid ? Ou bien en croirons-nous Protagoras : qu'il est froid pour qui frissonne et ne l'est pas pour qui ne frissonne pas ? L'affirmation sur un même objet diffère non seulement d'un individu à un autre mais chez le même individu selon les moments (le monde ne m'apparaît pas de la même façon quand je suis gai ou triste) et même selon les perspectives d'observation (une tour vue carrée de près parait ronde de loin). Pour les sceptiques, il n'y a pas de vérités objectives mais seulement des opinions subjectives toutes différentes. Que faut-il penser du scepticisme ? A l'exemple de ceux qui « prouvaient le mouvement en marchant », nous pourrions alléguer le fait que la science moderne a réfuté le scepticisme en affirmant des « vérités » qui font aujourd'hui l'accord de tous les esprits compétents. Mais, plus fondamentalement, on peut remarquer que le scepticisme se contredit en s'énonçant, car il se donne pour la vraie théorie de la connaissance. Poser comme vérité que la vérité est inaccessible, c'est au moins reconnaître une vérité et par là démentir sa propre thèse. Toute pensée qui s'énonce - ou même que j'affirme intérieurement pour moi-même - vise une vérité, se reconnaît faite pour la Vérité, et tend à poser implicitement sa propre valeur. Vergez & Huisman, Cours de Philosophie. FICHE TECHNIQUE 1) Définitions * Authenticité : N° 12 * Croyance : N° 30 * Erreur : N° 44 * Réalité : N° 99 * Connaissance : N° 25 * Doute : N° 39 * Jugement : N° 69 * Vérité : N° 123 2) Citations 1 – « On définit la vérité par la conformité de l’intellect et du réel ; Connaître cette conformité, c’est donc connaître la vérité. » S. Thomas d’Aquin, Somme théologique. 2 – « Le vrai et le faux sont des attributs du langage, non des choses. Et là où il n’y a pas de langage, il n’y a ni vérité ni fausseté. » Hobbes, Léviathan. 3 – « La vérité ne peut être tolérante, elle n’admet ni compromis ni restrictions. » Freud, Nouvelles conférences sur la psychanalyse. 4 – « Le vrai consiste simplement dans ce qui est avantageux pour notre pensée. » W. James, Le pragmatisme. 5 – « Le premier précepte de la méthode était de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie, que je ne la connusse évidemment être telle. » Descartes, Discours de la méthode. 3) Table d’orientation Conscience Idée Jugement Illusion Imagination Logique Vérité Mathématiques Société Autrui Langage Histoire Sens 4) Références a. Philosophiques Descartes, Discours de la méthode. Hegel, Phénoménologie de l’esprit. Kant, Critique de la raison pure. Heidegger, L’Essence de la vérité. b. Littéraires Considérer les courants littéraires du 19ème et du 20ème : Réalisme, surréalisme, symbolisme. Réfléchir sur la tradition du roman policier. c. Cinématographiques D. Vertov, L’Homme à la caméra. 1930. H.G Clouzot, Le Corbeau, 1943. La Vérité, 1960. A. Cayatte, Les Risques du métier, 1967. Music-Box. d. Générales - Cf. Les différents éléments évoqués dans le cours : Justice, tableaux, photographies, etc… 5) Devoir : Plan détaillé L’exigence de vérité est-elle compatible avec le souci d’être tolérant ? Septembre 1998, Série E.S.