D’illustres voyageurs étrangers ont traversé l’Atlantique pour venir visiter la terre
de Colomb, la république à jamais glorieuse des temps modernes. Ils ont essayé de la
décrire, de la faire connaître à la vieille Europe: ont-ils réussi? Non, ils ne l’ont pas
décrite avec vérité: j’ose le dire, moi, avec toute la franchise d’un enfant des déserts.
M. de Chateaubriand surtout, l’inconstant et rêveur René, a voulu toucher cette
terre poétique, s’asseoir à l’ombre de ses forêts qui n’ont pas d’âge; il a voulu errer dans
les vertes savanes qui bordent ses fleuves, descendre la Meschacébé dans la pirogue
d’écorce, frapper à la cabane hospitalière du Chactas, et partager avec lui la tranche de
bison qu’il donne avec joie, et la peau d’ours étendue par terre. —Il est si doux de dormir
au désert, lorsqu’on revient des grandes villes d’Europe!. —Oh! sans doute, le jeune
aventureux, dans ses courses à travers cette nature vierge et sauvage, a dû rencontrer plus
d’une fois quelques sites monotones qui lui ont rappelé l’austère Armorique. —Mais M.
de Chateaubriand était un étranger; son enfance s’était passée dans les bruyères de
Combourg; il n’admirait pas, il ne décrivait pas avec un coeur américain. Cette nature
âpre, sauvage, souvent monotone, toujours grandiose, elle ne parlait pas à son coeur
comme une mère parle au coeur de son enfant; elle lui était inconnue, ses plus grandes
beautés lui échappaient, et ses accents les plus pathétiques ne trouvaient point d’échos
dans son âme exilée. On ne connaît, on ne peint très bien que son pays natal; le pays où
l’on a vu fuir son enfance joyeuse, où l’on espère voir se coucher le soleil triste de sa
vieillesse. Le berceau et la tombe, voilà le double culte de l’âme, les deux plus grandes
sources d'inspiration vraies et profondes, capables d’exciter les plus vives sympathies.
Que de regrets donnés à l’enfance, évanouie avec toutes ses fleurs, éteinte avec toutes ses
étoiles de joie, d’innocence et d’amour! Que de réflexions graves, de pressentiments
douloureux à l’idée de ces ombres, qui vont bientôt descendre sur nous; de cette nuit, qui
va se faire autour de notre demeure silencieuse et solitaire!
Pour peindre l’Amérique avec une touche de vérité, pour la peindre avec des
couleurs brûlantes et locales, il fallait donc des enfants nés du sol; il fallait des
Américains. Aussi avons-nous vu naître, grandir et se succéder, Brown, Cooper et Irving,
Brown, le profond, le puissant et sombre créateur (d’après les Anglais mêmes) de
Wieland, d’Edgar Huntly et Artur Mervyn, et peintre aussi exact que poétique de la riche
et imposante nature américaine; Washington Irving, le gracieux et brillant écrivain, qui
nous a donné de si fidèles et poétiques tableaux des régions lointaines de l”Occident (of
the far west); de la vallée immense et fertile du Mississipi, où le miel et le lait coulent
par ruisseaux, comme dans la Terre promise; Cooper enfin, le chantre national et
immortel du Dernier des Mohicans, cette Iliade moderne.
Mais à côté de ces prosateurs justement célèbres, nous avons aussi de grands
poètes, ces esprits doués du coeur de la femme, comme l’a bien dit M. Fortoul dans sa
thèse sur Virgile.
A la vue de ces lacs, sans rivages visibles; de ces fleuves, sans sources connues;
de ces forêts majestueuses, où l’imagination se perd dans la distance; de ces prairies
illimitées, ondoyantes comme des mers; à la vue de tout ce globe, nouveau dans son
aspect, mystérieux par son origine, peuplé de nombreuses tribus qui disparaissent chaque
jour, et ne laissant pour histoire que des tombeaux, des tumuli, ces pyramides de
l’Occident, vous le comprenez, des coeurs se sont émus, des imaginations se sont
exaltées, un cri de réveil intellectuel a été entendu dans le désert; et la poésie a débordé,
intarissable et pure, comme une source naturelle. —La voix tonnante du Niagara, qui