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Rapport introductif
Toronto 7 novembre 2014
Yves CHAPUT Professeur émérite de
l’Université Paris 1 (Panthéon-Sorbonne)
Dans l’Union européenne l’approche économique est fondamentale, puisqu’elle s’est
construite à partir d’un marché unique, ayant pour corollaire la liberté de circulation des entreprises,
des produits, des services et des capitaux.
L’Union européenne réunit des Etats qui ont en commun des exigences irréductibles en matière de
droits et de libertés fondamentaux. Ce sont des Etats de droit.
Ces principes étant affirmés, les institutions des Etats membres ne sont pas uniformes. La diversité
des juridictions économiques est une conséquence rationnelle de leur création historique et des
spécificités évolutives des contentieux économiques.
Aussi constate-t-on une diversité, mais ordonnée (v. L. Cadiet, Diversités, convergences et
perspectives, in Quelles juridictions économiques en Europe ? Du règne de la diversité à un ordre
européen - Dir. Y. Chaput et A. Lévi, Préface de R. Badinter, concl. De G. Canivet, Litec, Paris 2007).
Le modèle français qui présente de nombreuses particularités par rapport à d’autres institutions
européennes ou mondiales a été façonné par l’histoire, sous deux influences plus complémentaires
que contradictoires : la familiarité de ses juges élus par les entrepreneurs avec l’économie réelle ;
leur intégration progressive au sein de l’ordre judiciaire classique, avec un droit commercial codifié
séparément du droit civil.
Aussi, lors de la crise de 2007-2008 et malgré ses séquelles, les tribunaux de commerce français ont
su répondre avec une réactivité positive aux défaillances financières des entreprises, en raison des
compétences managériales de ces juges issus des milieux économiques, mais sous l’égide de
juridictions d’appel et de cassation de droit commun composées de magistrats nommés par l’Etat.
Si ce système n’était pas adéquat, en raison même des intérêts en jeu, il serait invraisemblable
qu’une institution inadaptée ou anachronique ait pu perdurer, sans être contournée ou supprimée.
Or au contraire, les lois récentes françaises ont encore accru la compétence des tribunaux de
commerce. Est-ce à dire que leur statut doit être figé ?
En revanche, la complexité croissante de la vie économique suscite en France une réflexion
constructive sur des réformes partielles de l’institution.
Ces thèmes étant illustrés par ces remarques pertinentes du Président Robert Badinter : « il y a peu
de domaine social où les traditions et les habitudes nationales sont aussi fortes que dans le domaine
judiciaire. Faut-il pour autant les transformer pour aboutir à un modèle juridictionnel unique dans
toute l’Europe ? La justice dans les pays européens procède de l’art des cathédrales plus que de
l’architecture classique. Gardons leur diversité séculaire. Elle est une des richesses de la culture
européenne… Le facteur décisif repose, y compris en matière économique sur une unité de règles
communes que toutes les juridictions économiques européennes sont tenues d’exercer (Quelles
juridictions économiques en Europe ? précité p. XXIII et XXIV).
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En contrepoint, une enquête du Centre de recherche sur le droit des affaires de la Chambre de
commerce de Paris (Creda-CCIP), en 2006 montrait un fort taux d’approbation par les professionnels
du droit de leurs juridictions économiques nationales et une forte demande de poursuite d’une
harmonisation procédurale ainsi qu’une accélération de la durée des procédures (op. cit. P. 327 et
s.).
L’attractivité de ce modèle français est confirmée par l’histoire des tribunaux de commerce (I), qui
permet d’en comprendre le statut actuel et les perspectives d’évolution (II) au sein de l’ordre
judiciaire européen et français (III).
I. L’évolution pragmatique de la justice consulaire française.
L’ancienneté paradoxale d’une institution n’est pas nécessairement le signe de son
obsolescence, dès lors qu’elle n’est pas intangible en toutes ses dispositions.
Bien au contraire, les étapes de la constitution du régime actuel des tribunaux de commerce est la
preuve d’une indéniable capacité à s’adapter à des conjonctures variables, sans dénaturation de
leurs principes essentiels.
A l’origine des tribunaux de commerce, il est traditionnel de citer les “conservateurs” des foires
médiévales arbitrant les contestations nées entre les marchands. Ils étaient l’embryon d’une justice
répondant aux besoins d’un milieu homogène et international. Ce milieu cherchant à s’émanciper du
pouvoir politique local et provoquant, par le bénévolat de ses juges, une guerre des “épices” avec les
multiples juridictions seigneuriales et ecclésiastiques.
Ultérieurement, afin notamment d’accroitre l’“attractivité” des places commerciales françaises, le
pouvoir royal institua des juridictions spécifiques, par exemple à Toulouse en 1549 en permettant
aux marchands de la ville d’élire entre eux des consuls compétents pour connaître les litiges entre
professionnels indépendants.
D’où la terminologie conservée de nos jours, de juges et de tribunaux “consulaires”.
Leur institution fut généralisée à l’instigation de Michel de l’Hospital par un édit de novembre 1563
suivi en 1566, de la création dans la plupart des grandes villes marchandes de tribunaux de
commerce comportant des consuls, marchands élus par leurs pairs. Une ordonnance royale de 1673
(Louis XIV) les conforta dans leurs fonctions et la Révolution française, avec une loi de 1790 les
maintiendra, malgré leur origine corporatiste, précisément parce qu’ils reposaient
démocratiquement sur l’élection des juges par leurs pairs.
Le Code de commerce napoléonien de 1807 les conservera et fixera leur organisation, leur
compétence et leur procédure malgré les tendances centralisatrices d’un pouvoir impérial.
Au cours de cette évolution, leur compétence sera progressivement étendue, en lien étroit avec un
droit commercial codifié séparément du droit civil.
La France a toujours conservé cette distinction entre le droit civil et le droit commercial, même si le
domaine du droit économique est beaucoup plus étendu.
En revanche de nos jours, leurs particularités se sont atténuées. Les tribunaux de commerce
présentent de nombreuses analogies avec les tribunaux civils, si ce n’est précisément dans la
désignation de leurs juges qui sont toujours issus des milieux professionnels par l’élection et exercent
bénévolement leurs missions et par le droit applicable à des litiges de nature commerciale.
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En outre, depuis 1981, a été institué un ministère public auprès des tribunaux de commerce, qui est
un magistrat professionnel appartenant souvent ou s’il n’est pas à un parquet de tribunal de grande
instance, spécialement attaché à un tribunal de commerce.
Ce ministère public intervient notamment dans les cas où l’ordre public se trouve intéressé. En
matière de procédures collectives le législateur a renforcé ses missions.
II. Le droit positif français.
Actuellement, un des 134 tribunaux de commerce a compétence pour trancher les litiges
entre commerçants ou entre commerçants et sociétés commerciales, qu’il s’agisse de litiges entre
fournisseurs et détaillants, de droit boursier, de droit de la concurrence, de crédit et
significativement en matière de défaillance financière des entreprises.
Ce tribunal est composés de juges qui ne sont pas des magistrats professionnels mais des
représentants du monde de l’entreprise ou des cadre salariés. Electeurs et éligibles sont donc issus
du même milieu économique.
En outre, leurs fonctions sont bénévoles, ce qui écarte toute préoccupation de carrière de nature
strictement financière et allège en contrepartie le budget de la justice.
Le nombre total des juges consulaires est de 3200.
Leurs capacités reposent sur leur expérience du terrain économique et social comme des exigences
de la vie des affaires.
Leur point faible dans un monde les relations économiques se sont juridiquement complexifiées
tient à la diversité de leurs parcours professionnels et par conséquent de leurs aptitudes à la fonction
judiciaire et à motiver leurs décisions en droit strict.
D’une part, à la différence d’un système de Common Law, la clarté d’un droit écrit économique est
une source de sécurité cadrant la liberté du juge.
D’autre part, l’élection des juges n’est pas, en droit commun comparé, une anomalie, alors même
qu’elle est, en droit commercial, a fortiori en droit de la faillite”, une particularité française. Si
l’échevinage est répandu, la preuve n’est pas faite, universellement, de sa supériorité. La
Commission européenne pour l’efficaci de la justice (CEPEJ) n’a pas manqué de souligner que
« comparer n’est pas classer » en 2010. Le droit français mérite d’être mieux connu, mais il pâtit de
l’obstacle linguistique par rapport à des catégories “anglo-américaines”.
Or est tout à fait remarquable la créativité dont ont fait preuve les tribunaux de commerce dans la
mise en place de mesure de détection et de prévention des difficultés des entreprises (alerte par le
président du tribunal, conciliation entre partenaires sous l’égide d’un juge etc.).
Dans le traitement des défaillances financières des entreprises, l’avenir dépend de l’appréciation
fiable du maintien d’une branche d’activité, de la préservation de l’emploi et de l’apurement du
passif. Aussi peut-on dire que la mission d’un juge consulaire s’apparente alors à celle d’un juge des
tutelles équilibrant dans l’intérêt général des revendications contradictoires mais maîtrisant bien les
techniques de gestion.
Etant précisé que le ministère public est un partenaire attentif, aux pouvoirs affermis par le
législateur pour garantir le respect de l’ordre public.
Ainsi en droit positif français, les tribunaux de commerce, centres d’information du monde
économique à travers leurs greffes, véritables boussoles des marchés, sont les initiateurs d’avancées
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jurisprudentielles salvatrices, adaptant la règle à la conjoncture. Les justiciables sont en présence de
juges parlant leur langage, ce qui facilite l’accès à la justice, dès lors que la confidentialité est
respectée. Et surtout, les tribunaux de commerce ne sont pas isolés au sein de l’ordre judiciaire
français. La cohérence est assurée par un équilibre entre la première instance et les cours
hiérarchiquement supérieures. La prééminence est donnée en première instance à des juges issus du
monde de l’entreprise. En outre, la mission des avocats aux multiples spécialités est une source
précieuse de compétence juridique. En revanche, en appel comme en cassation, les litiges sont
portés devant des magistrats de l’ordre judiciaire seuls. Et depuis la création en 1946 à la Cour de
Cassation d’une Chambre commerciale, financière et économique, il n’a pas été assez souligné son
influence bénéfique sur l’unification et la clarification du droit commercial. Sa réactivité est tout à fait
remarquable et l’autonomie du droit économique y a trouvé sa légitimité.
En outre une formation des juges consulaires à leur mission est assurée d’une part, grâce à une
intégration progressive dans la complexité des contentieux et d’autre part au sein de l’Ecole
nationale de la Magistrature, institution étatique assurant la formation principale des magistrats
professionnels français.
Pour les juges consulaires, traditionnellement, grâce à la collégialité, les nouveaux bénéficient de
l’expérience des plus anciens. Et en conséquence, pour les fonctions plus complexes, des conditions
d’ancienneté sont exigées. Si la diversité des connaissances est amplement satisfaite dans les
tribunaux importants le “vivier” des professionnels compétents, notamment en droit, est
largement pourvu, la situation est différente dans les tribunaux ayant une activité réduite. Cela
repose la question de la “carte judiciaire” et d’une centralisation des contentieux devant des
tribunaux moins nombreux mais composés de juges ayant démontré leurs aptitudes à intervenir dans
des matières spécifiques (commerce, bourse etc.).
L’Ecole nationale de la magistrature (ENM) assure une formation spécifique, des juges consulaires
aux arcanes du droit. Etre juge nécessite une méthode dans la conduite d’un raisonnement juridique,
la technique de la décision et le suivi procédural. Cette formation renforcée relève du service public.
L’enseignement en ligne est un moyen complémentaire de préparation.
Mais ce sont tous les magistrats qui devraient recevoir une formation en économie du droit et en
science juridique de l’économie. Au-delà des chambres commerciales des TGI ou des cours d’appel,
nul ne peut désormais agir dans l’ignorance de “l’économique”.
Enfin, tous les juges doivent respecter une déontologie inhérente à leur mission.
Qu’il s’agisse des magistrats issus de l’ENM ou des consulaires, ils ont tous, parce que juges, à
respecter des valeurs intangibles qui sont clairement rappelées à l’article 6 de la Convention
européenne des droits de l’homme : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue
équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial,
établi par la loi… ». Ils prêtent le même serment que les magistrats : « Je jure de bien et fidèlement
remplir mes fonctions, de garder religieusement le secret des délibérations et de me conduire en
tout comme un juge digne et loyal » (article L.722-7 du code de commerce). En ce sens, il existe bien
un statut universel du juge. Mais, au-delà des bonnes intentions, le respect de ses dispositions doit
être rigoureusement assuré.
Constitutionnellement, l’“autorité judiciaire est indépendante. S’agissant des magistrats,
appartenant à la fonction publique, leur indépendance à l’égard de l’exécutif tient à leur statut
protecteur reposant depuis 1958 sur une loi organique posant des conditions strictes de nomination
et de carrière et la garantie d’inamovibilité des juges du siège.
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En revanche, l’indépendance des “consulaires” envers le pouvoir exécutif repose sur une élection
démocratique. Pour renforcer leur légitimité à l’égard de leurs électeurs, une réflexion est entamée
sur une rénovation des élections et la composition du corps électoral. Et pour leurs aptitudes, à
l’instar des usages dans les tribunaux commerciaux importants, une appréciation préalable indicative
compatible avec l’onction du suffrage pourra être généralisée.
Le juge doit évidemment être tout aussi impartial.
Des dispositions existent déjà en droit français sur la récusation ou le déport d’un juge, mais les
incompatibilités sont à élargir. En outre, comme une check-list”, sont souhaitables institué une
déclaration d’intérêt et une déclaration d’indépendance de chaque juge, préalable à la prise de
fonction ou même lors des litiges soumis au juge.
Enfin, en pratique, si l’on veut que le droit soit fiable, la motivation de la décision est une vertu
cardinale ; or, les juges consulaires doivent être particulièrement attentifs à la qualité rédactionnelle
de leurs décisions.
Non seulement le juge doit respecter la règle de droit substantiel, mais scrupuleusement le
contradictoire et l’égalité des armes entre les plaideurs. Selon l’article 16 du Code de procédure
civile, li juge doit en toutes circonstances faire observer et observer lui-même le principe du
contradictoire.
L’avenir des tribunaux de commerce n’est donc pas figé. La Ministre de la Justice française a présenté
en Conseil des ministres, des mesures pour une réforme de la justice du 21ème siècle.
Parmi ces propositions, il est prévu de favoriser les modes alternatifs de règlements des litiges et de
mieux sécuriser la vie économique notamment quant au statut et à la formation des juges des
tribunaux de commerce tout en permettant aux citoyens de mieux évaluer leurs chances de succès
dans leurs procès, notamment grâce à un partenariat avec les universités pour analyser la
jurisprudence.
Toutefois, les juges des tribunaux de commerce sont des juges à part entière et ne sauraient être
confondus avec es arbitres. La justice consulaire est parfaitement distincte des procédures arbitrales.
III. La place des tribunaux de commerce français au sein des juridictions de l’économique.
En France, le droit commercial est distinct du droit civil, d’où l’existence de deux codes : le
code civil, le code de commerce.
Le commerce étant perçu comme une activité à risque pour ceux qui l’exercent comme pour leurs
clients.
Aussi des incapacités et des interdictions ont été instituées pour en exclure les trop naïfs ou les trop
habiles.
Or, parce que la liberté d’accès aux professions commerciales est le principe, écartant les
corporatismes, l’application du droit commercial dépend de la nature des activités exercées (théorie
des actes de commerce) qui entraîne la qualité du commerçant.
En conséquence, les commerçants sont régis par le droit commercial qu’applique en cas de litige le
droit commercial.
Aussi comprend-on la créativité de la jurisprudence en prise directe avec les réalités de l’entreprise.
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