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L’accompagnement des personnes vulnérables
le care comme enjeu de justice sociale ?
Les politiques sociales de solidarité prennent en France des formes
multiples. Elles recouvrent, dans une logique redistributive, l’allocation de
ressources aux personnes qui en sont dépourvues ou peu pourvues (c’est
le cas par exemple du revenu de solidarité active) ou de personnes devant
faire face à des dépenses spéciales du fait de leur dépendance (c’est le cas
de l’aide personnalisée à l’autonomie).
Elles concernent également l’accompagnement de personnes fragiles,
comme les nourrissons suivis par la protection maternelle et infantile, ou
fragilisées comme les enfants et adolescents suivis par les services l’aide
sociale à l’enfance ou de la protection judiciaire de la jeunesse, des adultes
placés sous tutelle ou sous curatelle.
Elles peuvent, plus largement, constituer une des dimensions du champ
éducatif ou thérapeutique.
Chacune de ces politiques mobilise à la fois des financements publics, des
professionnels, des institutions, qu’elles soient publiques ou privées. Elles
se trouvent généralement étroitement encadrées par un dispositif
normatif, législatif et glementaire, souvent inscrit dans un Code, le Code
de la Famille et de l’aide sociale, le Code de la Santé publique, le Code du
travail.
Ainsi, chacune d’entre elles combine étroitement, quoique de selon des
entrelacs divers, l’usage de droits et règles d’une part, la responsabilité et
les liens humains, d’autre part. Elles s’attachent ainsi à articuler des
principes généraux à contenu normatif plus ou moins précis et des
circonstances concrètes qui tiennent à la situation des bénéficiaires
auxquels elles s’adressent. Adossées à un ensemble de règles, elles n’en
constituent pas moins une activité constituée d’expériences quotidiennes
et confrontées aux problèmes ordinaires ou moins ordinaires de la vie.
1) Dans ces conditions, le débat entre une éthique de la justice adossée à
des règles générales et une éthique du care, fondée sur l’attention au
particulier et aux liens a-t-il encore un sens appliqué aux politiques de
solidarité ?
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Deuxième niveau d’interrogation : dans cette approche descriptive, la
question de l’altruisme n’apparaît pas immédiatement. Ce n’est pas une
attitude relevant des obligations du fonctionnaire ou de l’agent public, pas
davantage des conventions collectives gissant les statuts des travailleurs
sous contrat de travail privé.
Pour mémoire, les obligations qui incombent statutairement aux
fonctionnaires sont le devoir d'information du public, le secret
professionnel dans les conditions définies par le Code nal, la discrétion
professionnelle, l'obligation de réserve, l'obéissance hiérarchique,
l'interdiction de cumul avec une activité privée lucrative.
S’agissant des aptitudes attendues de l’éducateur spécialisé, métier central
du travail social, elles sont décrites par le Ministère des solidarités et de la
cohésion sociale de la manière suivante :
« Une grande attention aux problèmes sociaux et humains, la capacité à
travailler en équipe, la créativité, le sens des responsabilités, l’engagement
personnel, une capacité d’écoute, un solide équilibre psychologique. »
S’il est difficile de reconnaître dans cette liste des vertus proprement dites,
au sens où Aristote les lie à la recherche du Bien défini comme l’acte
propre à chaque être, sauf peut-être l’expression d’engagement personnel,
il s’en dégage néanmoins une férence à une éthique de la responsabilité,
peut-être au souci de l’autre et à une forme de tempérance à travers
l’expression « solide équilibre psychologique ».
On chercherait toutefois en vain une quelconque allusion à une forme
d’altruisme.
2) Dans ces conditions, faut-il en conclure pour le regretter à une
disjonction entre politique et altruisme au sens Auguste Comte,
inventeur du terme, en fondait la nécessité par l’intermédiaire d’une
réélaboration du statut de l’individu et du sujet?
Enfin, troisième niveau d’interrogation, il est aujourd’hui assez manifeste
que les activités liées à la mise en œuvre des politiques sociales de
solidarité relèvent de professionnels dont il est attendu un certain nombre
de compétences relationnelles. Dans les projets d’établissement auxquels
sont désormais tenus les établissements sociaux et médico-sociaux depuis
la loi de 2002 est apparue la notion de bientraitance.
3) Cette notion de bientraitance et la substitution de « la prise en charge
des publics en difficulté » par « l’accompagnement des personnes
vulnérables » traduisent-elles un renouvellement de l’intervention
publique et de son éthique ou recouvrent-elles une reformulation de l’idéal
d’adaptation à la société libérale?
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1. Les apports des travaux combinant éthique de la justice et éthique du care
dans les politiques de solidarité
Si les premiers travaux sur le care conduits par Caroll Gilligan à partir de son livre
In a different voice (1982, contemporain de Liberalism and the limits of Justice par
M.Sandel) ont introduit une distinction entre l’éthique du care centrée sur
l’attention à la singularité de l’autre, et l’éthique de la justice mue par l’adhésion
à des règles, des valeurs et des principes moraux et un traitement abstrait des
individus, fondé sur quelques catégories choisies, les travaux de la seconde
génération soulignent davantage en quoi le care implique également des
considérations de justice et vient à son tour enrichir l’éthique de la justice.
C’est l’objet notamment des travaux de Marylin Friedman qui soutient la
nécessité de dépasser la dichotomie entre care et justice. Mais ces travaux portent
plutôt sur les relations entre proches alors que nous entendons centrer nos
remarques sur les relations publiques.
L’on voit mal en effet comment des professionnels qui traitent les bénéficiaires
avec justice pourraient ne pas s’en soucier et inversement. Le problème quotidien
qui se pose aux politiques de solidarité, notamment celles chargées d’allouer des
ressources est d’articuler le moins mal possible des critères néraux souvent
consignés dans des règlements, qui peuvent eux-mêmes intégrer suffisamment de
variantes pour prendre en considération une diversité de situation et les cas
individuels. Un problème récurrent de la mise en œuvre de ces politiques consiste
ainsi dans le problème du plafond de ressources et des effets de seuil qui en
résultent. L’égalité de traitement voudrait que la même règle soit appliquée à
toutes les personnes relevant de la même catégorie (familiale, financière, sociale)
mais cette règle entre en conflit avec la prise en considération de situation
spécifique. C’est toute la question des dérogations destinées à corriger le principe
d’égalité par celui d’équité mais dans ces situations se pose la question de la
légitimité de l’auteur de la décision. Dans les collectivités locales, à qui reviennent
la majorité des compétences en matière de solidarité - pour des raisons de
proximité -, il est fréquent que la décision revienne à l’élu(e) qui incarne la
légitimité mocratique. Ce traitement des recours gracieux fait émerger à son
tour d’autres critiques, puisqu’une saisine directe par l’usager de l’élu(e), suivie
d’une décision dérogatoire est souvent suspecte de clientélisme.
La justice consiste en outre certes à donner aux personnes ce qui leur est mais
aussi à les traiter de façon appropriée. C’est en partie le sens de la loi du 12 avril
2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les
administrations et qui impose notamment d’indiquer les coordonnées du
correspondant de façon à rendre moins anonymes les relations à l’administration
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mais aussi de la loi sur la liberté d’accès aux documents administratifs du 17
juillet 1978 et la loi relative à l’Informatique, aux fichiers et aux libertés du 6
janvier 1978. C’est aussi l’enjeu des plans de formation des personnels consacrés
à l’accueil des publics, notamment ceux dits difficiles et le développement des
pratiques de numéro vert en cas de crise.
Chez Rawls, les parties prenantes la justice doit se gocier doivent en outre
être mutuellement désintéressées. C’est le sens des principes d’égalité et de
neutralité, critères de définition du service public, et de ses veloppements
contemporains à travers l’application du principe de non discrimination introduit
dans la plupart des conventions conclues pour l’accès des usagers à un service
public, comme la formation professionnelle ou l’apprentissage par exemple. Mais
il va de soi que le bénéficiaire potentiel des soutiens publics, surtout quand il
s’agit d’allocation de ressources, est loin d’être désintéressé même s’il se révèle
parfois peu enclin à endosser les contreparties attendues en terme de démarche
d’insertion, d’assidui à une formation par exemple. Il en va bien sûr très
différemment des intérêts en cause dans une mesure de protection de l’enfance,
de tutelle voire d’hospitalisation sous contrainte.
Gilligan a elle-même suggéré dans ses travaux ultérieurs que le raisonnement
relatif au care intégrait des considérations relatives à la justice et aux droits. Mais
sa vision de ce que cela signifie demeure limitée. Elle implique seulement la
reconnaissance que chacun est l’égal de l’autre. Or, il n’est pas contestable que les
relations entre l’administration et les administrés demeurent marquées par
l’asymétrie inhérente à la relation entre un demandeur et une personne fut-elle
morale chargée d’instruire sa demande et d’y apporter une réponse sous la forme
d’un acte individuel. C’est le cas pour les relations avec les particuliers comme
pour les relations avec des porteurs de projet collectif, même contractualisées par
convention.
Cette asymétrie n’est pas toujours le signe d’une injustice ou d’une inégalité dans
les rapports entre les contractants, le juge veille d’ailleurs à l’équilibre des
contrats. La perspective de la justice dans sa mise en œuvre concrète via des
professionnels n’exclut pas en outre le déploiement de formes d’attention portée
aux individus (émotion, sentiment, passion, compassion) mais ne fait pas de cette
attention permanente requise par l’éthique du care une condition de sa
réalisation. Il y a d’ailleurs des cas une attention flottante est préférable à un
excès de sollicitude, notamment quand il s’agit d’accueillir l’indiscernable et
l’indécidable.
La notion de justice, même élargie de la justice distributive à une justice basée sur
la reconnaissance comme l’a fait Axel Honneth, demeure insuffisante pour rendre
compte et surmonter la mise en échec de la relation d’aide.
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Honneth part du constat que le défaut d’harmonie des rapports sociaux sulte
moins d'une violation des principes de justice que d'une atteinte concrète aux
conditions de l'autoréalisation individuelle. Une société qui fonctionne bien est
selon lui une société dont l'environnement social, culturel ou politique permet
aux individus de développer une identité autonome ou une relation positive à soi-
même, crée les conditions requises pour mener une vie réussie. En ce sens, il
reste fidèle à la tradition kantienne fondée sur l’autonomie de la personne, même
s’il accorde une place importante aux relations intersubjectives. Il inscrit sa
réflexion dans une critique sociale mettant en évidence un détournement par le
libéralisme des pratiques d’auto-réalisation de soi qui débouchent sur de
nouvelles pathologies, que l’on peut rassembler avec Alain Ehrenberg sous le
terme « la fatigue d’être soi ».
Fidèle à la tradition de l’Ecole de Frankfort, il reste qu’Honneth conserve comme
horizon d'oeuvrer à l'avènement d'une « communauté d'hommes libres» dont
seul le défaut de reconnaissance empêcherait la venue.
Or, il est une autre notion, issue de la même tradition marxiste, qui me paraît
pouvoir compléter cette analyse de philosophie sociale, enrichir l’entrelac des
notions de justice et de care et rendre compte de certains échecs de la relation
d’aide, la notion d’aliénation. Cette notion revêt à la fois une dimension sociale
quand elle s’applique à des groupes qui agissent contre leurs intérêts parce qu’ils
sont sous l’emprise de croyances fausses et une dimension psychique, que Freud
est parvenu à repérer. Le principe de répétition, dégagé en 1914, et devenu
instinct de mort dans les années 20, le masochisme moral et le besoin de punition
sont les trois facteurs qui freinent l’allègement de la souffrance. Il faudrait y
ajouter le sacrifice, anéantissement de la particularité du sujet ou l’identification
à la victime.
Lacan soutient pour sa part que l’expérience humaine générale est celle d’une
aliénation par le langage, d’une impossibilité à exprimer cette expérience dans le
langage commun.
Ainsi, l’expérience de la souffrance ne se laisse-t-elle pas décrire correctement
comme toujours injuste ni appeler toujours une réponse en terme de plus de
sollicitude. La sollicitude, entendue comme attitude permettant, au sein d’une
relation dissymétrique, de rétablir un équilibre plutôt que d’accentuer le
déséquilibre a la structure d’un appel.
Même la bienveillance, entendue comme intention consistant à aborder l’autre
avec le souci de faire le bien pour lui, se brise trop souvent à la fois sur la
réticence des êtres humains à ce que quelqu’un d’extérieur se charge de ce souci
et sur le constat relevé par Lacan selon lequel ce n’est pas forcément en voulant le
bien de son prochain qu’on l’obtient.
Ainsi, une approche mixte des politiques de la solidarité en termes à la fois de
justice et de care permet-elle de mieux rendre compte du souci du politique de
favoriser l’égalité des chances, l’équité et le respect des droits mais demeure sans
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