Rapport pour le Commissariat Général du Plan – 2005 Les nouveaux cadres du dialogue social : l’espace européen et les territoires Annette Jobert (coord.), Élodie Béthoux, Fausta Guarriello, Eckhard Heidling, Laure Machu, Arnaud Mias Partout en Europe, on assiste à une diversification des espaces de la négociation collective et du dialogue social qui déstabilise la négociation collective de branche, pivot des systèmes nationaux de relations professionnelles. Au niveau communautaire, à travers le développement du dialogue social interprofessionnel et sectoriel ainsi que par la mise en place de comités d’entreprise européens, se construit un système européen de relations professionnelles. Dans les États, la tendance à la décentralisation et à l’autonomisation de la négociation collective au niveau des entreprises, initiée depuis une vingtaine d’années, se poursuit, tandis qu’émergent des formes de régulation territoriales, régionales et locales. Ce sont ces régulations européennes et territoriales ainsi que leur dynamique qu’étudie cette recherche, menée par une équipe internationale et pluridisciplinaire (sociologie, histoire, science politique, droit). Une perspective comparative entre trois pays, Allemagne, France, Italie, a été retenue pour analyser les dimensions territoriales. Les analyses s’appuient sur une réflexion générale complétée par des études de cas portant sur : des conventions collectives locales négociées en France en 1936, des expériences actuelles de dialogue social territorial dans les trois pays, la mise en place et le développement de comités d’entreprise européens, le dialogue social dans le secteur des télécommunications aux niveaux européen, national et de l’entreprise. Les principaux résultats de la recherche s’organisent autour de quatre thèmes : la définition de l’espace de dialogue social, le renouvellement de ses objets, les ressorts de l’action, l’articulation entre ces espaces et leurs effets sur les systèmes de relations professionnelles. 1) Territoires et Europe ne sont pas des espaces donnés, mais des espaces qui font débat, d’une part parce que leurs frontières sont à définir (elles ne recoupent pas simplement les découpages administratifs), d’autre part parce que leur légitimité, en tant qu’espace d’intervention, ne s’impose pas d’emblée à tous les acteurs et reste souvent à construire. L’analyse historique de la négociation des conventions collectives en France en 1936 montre que la définition du territoire n’allait pas de soi à cette époque. En fonction des intérêts des parties et des caractéristiques des industries et de la main d’oeuvre, des conventions ont en effet été conclues à l’échelon départemental, infra-départemental ou au niveau des bassins d’emploi. Le dialogue social territorial qui émerge depuis quelques années s’inscrit lui aussi dans des cadres très divers : régions, départements, bassins d’emploi, « pays », communautés d’agglomération. Il en va de même au niveau européen : la délimitation des frontières des secteurs où s’opèrent de nouvelles formes de régulation font l’objet de discussions intenses comme le montre très clairement le cas des télécommunications. Cette question cruciale se retrouve aussi lorsqu’il s’agit de définir, à travers la négociation, le champ d’action des comités d’entreprise européens, nouvelle institution de représentation du personnel dans les entreprises multinationales installées sur le territoire européen. Trois facteurs sont déterminants dans la définition de ces espaces : la structuration des Synthèse rapport pour journée du 15 juin 2006 1 acteurs patronaux et syndicaux eux-mêmes ; les choix stratégiques des acteurs et leur capacité à engager une action collective dans un espace ; l’action que déploient les institutions publiques pour initier et soutenir ces nouvelles formes de régulations. 2) Un deuxième résultat réside dans la grande diversité des thèmes et des questions abordés dans ces nouveaux espaces. Ainsi la régulation territoriale poursuit des objectifs comme le développement économique local, la création d’entreprise, les relations donneurs d’ordre/soustraitants, l’innovation technologique, l’insertion dans l’emploi de catégories fragiles, l’accès au service public, la formation professionnelle et le fonctionnement des marchés du travail. Au niveau européen, sectoriel et dans les comités d’entreprise européens, c’est moins la nouveauté des thèmes qui ressort que la manière de les aborder dans une perspective qui se veut d’emblée transnationale. Dans tous ces espaces, le dialogue social imbrique plus étroitement l’économique et le social que ne le fait la négociation collective classique. L’établissement de diagnostics partagés sur la situation économique et sociale occupe ainsi une grande place dans les délibérations des acteurs. Liés à cette imbrication, les enjeux cognitifs prennent eux aussi une place importante. 3) Le troisième résultat établit les ressorts multiples de l’action collective développée dans ces espaces. La coopération de nombreux acteurs publics et privés est ainsi une des caractéristiques majeures du dialogue social territorial qui ne se limite pas à un face à face entre représentants des salariés et des employeurs mais implique, selon les cas, collectivités territoriales, services décentralisés de l’État, agences de développement, acteurs privés divers. Les outils et les dispositifs d’action sont eux-mêmes multiples : outils de contractualisation et de conventionnement typiques des politiques publiques, commissions ad hoc et agences de développement... Les analyses mettent également en évidence le rôle d’acteurs-clefs et la force des engagements interpersonnels. Elles soulignent enfin les tensions fortes qui peuvent se faire jour entre une logique de représentation (rechercher une représentation « juste ») et une logique d’action (construire une action collective « efficace »). Les tensions entre ces logiques apparaissent particulièrement vives dans le cas des comités d’entreprise européens. 4) Le quatrième résultat a trait à l’articulation entre ces espaces et aux effets des régulations qui y prennent place sur les systèmes de relations professionnelles. L’articulation est complexe, variable – pensons aux relations entre l’entreprise multinationale et le secteur au plan national et européen ou encore à l’insertion de ce type de firme dans les territoires – et ne peut être pensée en terme de dépendance hiérarchique ou d’emboîtement. Chaque espace fait système (au sens où la régulation est le fait d’acteurs largement autonomes, capables de développer une stratégie et une action qui leur soient propres) et se trouve autant en concurrence qu’en complémentarité avec les autres espaces. Il faut noter l’adoption et la circulation d’un espace à l’autre de mécanismes et d’outils communs relevant souvent de ce que l’on appelle la soft law. Ces nouveaux espaces du dialogue social conduisent à une reconfiguration des cadres traditionnels de l’action collective et de la négociation. En particulier « l’européanisation » des relations professionnelles qui s’appuie sur le développement des régulations sectorielles et des comités d’entreprise européens doit s’interpréter comme un mouvement global qui reconfigure, voir configure tout simplement, les branches et les entreprises. Synthèse rapport pour journée du 15 juin 2006 2