Synthese 15 juin 2006 (DOC, 31 Ko)

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Rapport pour le Commissariat Général du Plan – 2005
Les nouveaux cadres du dialogue social : l’espace européen et les territoires
Annette Jobert (coord.), Élodie Béthoux, Fausta Guarriello,
Eckhard Heidling, Laure Machu, Arnaud Mias
Partout en Europe, on assiste à une diversification des espaces de la négociation collective et du
dialogue social qui déstabilise la négociation collective de branche, pivot des systèmes nationaux
de relations professionnelles. Au niveau communautaire, à travers le développement du dialogue
social interprofessionnel et sectoriel ainsi que par la mise en place de comités d’entreprise
européens, se construit un système européen de relations professionnelles. Dans les États, la
tendance à la décentralisation et à l’autonomisation de la négociation collective au niveau des
entreprises, initiée depuis une vingtaine d’années, se poursuit, tandis qu’émergent des formes de
régulation territoriales, régionales et locales. Ce sont ces régulations européennes et territoriales
ainsi que leur dynamique qu’étudie cette recherche, menée par une équipe internationale et
pluridisciplinaire (sociologie, histoire, science politique, droit). Une perspective comparative entre
trois pays, Allemagne, France, Italie, a été retenue pour analyser les dimensions territoriales. Les
analyses s’appuient sur une réflexion générale complétée par des études de cas portant sur : des
conventions collectives locales négociées en France en 1936, des expériences actuelles de dialogue
social territorial dans les trois pays, la mise en place et le développement de comités d’entreprise
européens, le dialogue social dans le secteur des télécommunications aux niveaux européen,
national et de l’entreprise.
Les principaux résultats de la recherche s’organisent autour de quatre thèmes : la définition de
l’espace de dialogue social, le renouvellement de ses objets, les ressorts de l’action, l’articulation
entre ces espaces et leurs effets sur les systèmes de relations professionnelles.
1) Territoires et Europe ne sont pas des espaces donnés, mais des espaces qui font
débat, d’une part parce que leurs frontières sont à définir (elles ne recoupent pas simplement les
découpages administratifs), d’autre part parce que leur légitimité, en tant qu’espace d’intervention,
ne s’impose pas d’emblée à tous les acteurs et reste souvent à construire. L’analyse historique de
la négociation des conventions collectives en France en 1936 montre que la définition du
territoire n’allait pas de soi à cette époque. En fonction des intérêts des parties et des
caractéristiques des industries et de la main d’oeuvre, des conventions ont en effet été conclues à
l’échelon départemental, infra-départemental ou au niveau des bassins d’emploi. Le dialogue
social territorial qui émerge depuis quelques années s’inscrit lui aussi dans des cadres très divers :
régions, départements, bassins d’emploi, « pays », communautés d’agglomération. Il en va de
même au niveau européen : la délimitation des frontières des secteurs où s’opèrent de nouvelles
formes de régulation font l’objet de discussions intenses comme le montre très clairement le cas
des télécommunications. Cette question cruciale se retrouve aussi lorsqu’il s’agit de définir, à
travers la négociation, le champ d’action des comités d’entreprise européens, nouvelle institution
de représentation du personnel dans les entreprises multinationales installées sur le territoire
européen. Trois facteurs sont déterminants dans la définition de ces espaces : la structuration des
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acteurs patronaux et syndicaux eux-mêmes ; les choix stratégiques des acteurs et leur capacité à
engager une action collective dans un espace ; l’action que déploient les institutions publiques
pour initier et soutenir ces nouvelles formes de régulations.
2) Un deuxième résultat réside dans la grande diversité des thèmes et des questions
abordés dans ces nouveaux espaces. Ainsi la régulation territoriale poursuit des objectifs comme
le développement économique local, la création d’entreprise, les relations donneurs d’ordre/soustraitants, l’innovation technologique, l’insertion dans l’emploi de catégories fragiles, l’accès au
service public, la formation professionnelle et le fonctionnement des marchés du travail. Au
niveau européen, sectoriel et dans les comités d’entreprise européens, c’est moins la nouveauté
des thèmes qui ressort que la manière de les aborder dans une perspective qui se veut d’emblée
transnationale. Dans tous ces espaces, le dialogue social imbrique plus étroitement l’économique
et le social que ne le fait la négociation collective classique. L’établissement de diagnostics
partagés sur la situation économique et sociale occupe ainsi une grande place dans les
délibérations des acteurs. Liés à cette imbrication, les enjeux cognitifs prennent eux aussi une
place importante.
3) Le troisième résultat établit les ressorts multiples de l’action collective développée
dans ces espaces. La coopération de nombreux acteurs publics et privés est ainsi une des
caractéristiques majeures du dialogue social territorial qui ne se limite pas à un face à face entre
représentants des salariés et des employeurs mais implique, selon les cas, collectivités territoriales,
services décentralisés de l’État, agences de développement, acteurs privés divers. Les outils et les
dispositifs d’action sont eux-mêmes multiples : outils de contractualisation et de
conventionnement typiques des politiques publiques, commissions ad hoc et agences de
développement... Les analyses mettent également en évidence le rôle d’acteurs-clefs et la force des
engagements interpersonnels. Elles soulignent enfin les tensions fortes qui peuvent se faire jour
entre une logique de représentation (rechercher une représentation « juste ») et une logique
d’action (construire une action collective « efficace »). Les tensions entre ces logiques apparaissent
particulièrement vives dans le cas des comités d’entreprise européens.
4) Le quatrième résultat a trait à l’articulation entre ces espaces et aux effets des
régulations qui y prennent place sur les systèmes de relations professionnelles. L’articulation est
complexe, variable – pensons aux relations entre l’entreprise multinationale et le secteur au plan
national et européen ou encore à l’insertion de ce type de firme dans les territoires – et ne peut
être pensée en terme de dépendance hiérarchique ou d’emboîtement. Chaque espace fait système
(au sens où la régulation est le fait d’acteurs largement autonomes, capables de développer une
stratégie et une action qui leur soient propres) et se trouve autant en concurrence qu’en
complémentarité avec les autres espaces. Il faut noter l’adoption et la circulation d’un espace à
l’autre de mécanismes et d’outils communs relevant souvent de ce que l’on appelle la soft law. Ces
nouveaux espaces du dialogue social conduisent à une reconfiguration des cadres traditionnels de
l’action collective et de la négociation. En particulier « l’européanisation » des relations
professionnelles qui s’appuie sur le développement des régulations sectorielles et des comités
d’entreprise européens doit s’interpréter comme un mouvement global qui reconfigure, voir
configure tout simplement, les branches et les entreprises.
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