Soljenitsyne nous donne des significations sue sa vision intérieure : révélateur de la vérité
s’oppose à la science. Mais il y a des romanciers qui ont des projets scientifiques : « le roman est
une exemplarisation », affirme Grivel. Il fonctionne comme une parabole, le développement,
l’illustration d’un projet initial. Soljenitsyne apporte une correction à ces propos : la vérité du
roman est d’un autre ordre : elle est dans la prétention scientifique du romancier.
Nous citerons le Roman expérimental de Zola et Seuils de G. Genette, pour qui le rôle des
préfaces est d’indiquer la direction des lectures (ex : Les mémoires d’un homme de qualité de l’abbé
Prévost qui sont un traité de moral réduit agréablement à l’exercice) et pour qui le roman est une
vérité à démontrer et à illustrer.
Au XIXe siècle, l’histoire n’est pas constituée. Ce sont les historiens du XIXe siècle qui vont la
constituer. Or, le romancier est un concurrent de l’historien. Il doit affronter le problème de la
vérité (le vraisemblable et/ou la vérité de l’ordre historique) ; d’où l’utilisation d’événements et de
personnages historiques. Mais ils demeurent des romans (fables, fiction…). On peut dès lors se
demander si le romancier n’est pas un historien qui jouerait avec la fiction, un historien au présent
(comme le croit Balzac) ? Le développement des sciences et le positivisme tentent certains
romanciers d’accéder à une vérité romanesque par une démarche scientifique : « […]
l’expérimentateur paraît et institue l’expérience, je veux dire, fait mouvoir les personnages dans
une histoire particulière, pour y montrer que la succession des faits y sera telle que l’exige le
déterminisme des phénomènes mis à l’étude. Le romancier part à la recherche d’une vérité. » (Le
roman expérimental, Zola. Le roman va confirmer un point de vue en théorie. L’expérience
romanesque ne peut que confirmer en effet la conclusion du romancier (cf. Histoire naturelle et
sociale d’une famille : histoire qui relève de la science, elle suppose une classification relevant du
déterminisme). Flaubert lui-même affirmera : « La littérature prendra de plus en plus les allures
de la science. Elle sera surtout exposante ». Le projet scientifique est réducteur dans le roman.
Soljenitsyne va au-delà : il parle d’ampleur, de sens vivant.
La philosophie romanesque dépasse les attentes de son auteur et devient une réflexion de
l’individu sur sa place dans la société : le roman ne donne pas qu’une seule solution (ex : Les
souffrances du jeune Werther, Goethe). Le roman déborde de son propre message : une part est
laissée à l’interprétation : c’est une œuvre ouverte.
Le romancier travaille sur une vision globalisante (Les hommes de bonne volonté, J. Romains :
roman unanimiste = une seule âme = rendre compte d’une âme collective / la somme de romans
comme la comédie humaine de Balzac). J. Romains ne veut pas se limiter à l’histoire d’un
personnage central. Il veut une histoire de groupe, de famille, tel un drame musical ou une
immense symphonie (idées d’ampleur et de composition combinées). Il s’agit d’une addition de
points de vue différents comme on en retrouve chez Soljenitsyne dans La roue rouge, chez Martin
du Gard avec Les Thibault (où le développement fait ampleur plus que la vision), chez Perec qui
bâtit son récit sur la construction d’un immeuble à partir de laquelle le roman va s’intéresser à
différentes histoires, convergentes ou non, dans La vie mode d’emploi, ou encore chez Joyce avec
Ulysse qui reflète la capacité du roman à organiser une totalité avec une organisation de la durée,
de l’espace et du lieu (récit d’un homme –Léopold Bloom- lors de son errance dans Dublin : un seul
personnage, une seule journée, un seul lieu). Même constat avec Maupassant (Une vie).
Le roman est ainsi dans le concret. C’est la dogmatique de Proust : possibilité d’un esprit
d’accéder à une vérité. L’art consiste à dégager les lois de la vie, mais selon Proust, ça consiste à
incarner l’abstrait : c’est bien donner un sens vivant. Il distingue le roman dogmatique du roman à
thèse. Il note que quand le roman à thèse a une valeur, il le dit à autre chose qu’à sa thèse. Proust
prend l’exemple du Médecin de campagne de Balzac : capacité de rendre compte de l’incarnation de
l’abstrait. Le chrono tope de Bakhtine (Esthétique et théorie du roman) permet l’incarnation, il est
le centre organisateur « des principaux événements contenus dans le sujet du roman ». Le roman
n’a donc de valeur que parce qu’il y a incarnation d’un personnage dans le chrono tope.
3. clairvoyance et prophétie