DEPT DE MEDECINE GENERALE / UNIVERSITE PARIS DIDEROT TRACE D’APPRENTISSAGE Nom et prénom de l’étudiant auteur de la présente trace : Nom et prénom du tuteur : Gelly Julien Numéro du semestre du DES au cours duquel cette trace a été produite : S4 Date de réalisation de la trace: 10/07/11 Le maître de stage du stage concerné par cette trace a-t-il évalué cette trace ? : Non COMPETENCES VISEES PAR CETTE TRACE Compétence 1 : Prendre en charge un problème de santé en soins de premier recours Compétence 2 : Communiquer de façon efficiente avec le patient et/ou son entourage Si votre tuteur estime que cette trace mérite d’être publiée sur le site en tant que trace remarquable, acceptez vous qu’elle le soit : Oui Interne en pédiatrie en 3ème semestre l’hiver. Lors de la visite du matin, je vais voir un garçon de 6 ans, hospitalisé la veille pour un purpura rhumatoïde avec une protéinurie non négligeable ; il n’a pas d’antécédent, les vaccins sont à jour. Sa mère m’explique que les tâches sont apparues il y a 2 jours sur les jambes puis se sont étendues, avec des douleurs de la cheville droite. A l’examen : œdème du dos du pied, purpura sur les membres inférieurs et les fesses. J’explique à la maman la maladie, ses complications, la surveillance de la tension artérielle, le suivi de la protéinurie avec bandelette urinaire, et qu’il faut signaler les douleurs abdominales, testiculaire, etc. Elle me demande combien de temps il va rester hospitalisé. Je ne peux apporter de réponse précise, tout dépendra de la protéinurie, de la disparition des douleurs. La semaine passée, je m’étais occupée d’un petit garçon ayant un purpura rhumatoïde qui était resté moins de 48heures. Au cours de la journée, Y ne s’est plaint que de la cheville ; le lendemain la protéinurie est toujours élevée, et Y a des douleurs abdominales de faible intensité. J’ai immédiatement demandé une échographie abdominale en urgence pour éliminer une invagination intestinale. L’échographie est normale. En ce qui concerne la protéinurie, j’ai appelé le néphrologue de l’hôpital Robert Debré qui m’a dit de continuer la surveillance et qu’en cas de persistance on programmerait une ponction biopsie rénale. Le soir, je suis de garde. Le papa me fait appeler car Y vient de vomir et a une diarrhée. L’examen clinique est rassurant, l’abdomen est souple, pas de rectorragie. Je rassure le père et lui explique qu’on a fait une échographie le midi qui était normale, que ça pourrait être une gastroentérite (il y avait une épidémie dans le service) mais aussi ça que ça peut être lié aux complications du purpura rhumatoïde et donc on va surveiller. J’en parle à mon sénior qui passe voir Y avant d’aller se coucher. Je continue de travailler aux urgences, avec dans un coin de la tête Y, et l’intention de repasser le voir au cours de la nuit. Plus tard dans la nuit l’infirmière m’appelle en urgence : dans le chambre je trouve le père affolé devant Y pâle et recouvert de diarrhée et de sang. Y est somnolent, avec un pouls filant et en défaisant son pyjama du sang rouge vif jaillit de l’anus. Pour moi aussi c’est la panique : « qu’est ce que j’ai oublié de faire ? à côté de quoi je suis passée ? ». Je demande aux infirmières de poser une deuxième voie veineuse, de le « remplir » avec du sérum physiologique et de le scoper pendant que je demande des culots globulaires et réveille mon chef. Je me sens mal et pense que je ne vais pas savoir gérer. Le chef prend alors le relais et appelle ensuite le SMUR pour un transfert. A ses côtés je suis un peu désemparée, inutile, et je me repasse les événements de la journée : qu’aurais-je dû faire différemment ? Heureusement l’état de Y s’améliore, la tension remonte et l’hémodynamique reste stable, il n’y a plus d’hémorragie active. Je décide alors d’aller parler au père pendant que mon chef reste aux côtés de Y. A peine arrivée près de lui, le papa me crie dessus et me dit cette phrase « alors, vous croyez vraiment que c’est une gastro ça ? Mon fils va mourir et vous n’avez rien fait il y a 3 heures »… Je comprends sa réaction, elle me paraît normale. Je sais pourtant que je lui ai parlé des deux hypothèses, et que j‘avais averti mon chef qui est allé le voir et n’a rien remarqué non plus. Mais malgré tout je me sens fautive ; aurais-je dû refaire un examen complémentaire ? En tout cas je n’aurai pas dû parler d’une possible gastroentérite car le père n’a retenu que ça. Je me suis contentée d’expliquer au père ce qu’on avait fait, que son état s’était amélioré et que le SMUR allait arriver. Régulièrement j’ai appelé l’hôpital pour avoir des nouvelles de Y : il n’a pas eu d’autre hémorragie, mais il a fait d’autres complications au cours de son hospitalisation (orchite, néphropathie sévère). Puis tout est rentré dans l’ordre et il a pu retourner chez lui. On n’a jamais eu de nouvelles de la famille. Lorsque j’ai eu de nouveau dans mes lits un enfant avec un purpura rhumatoïde, j’avoue ne pas avoir été sereine, je redoutais des complications et je revoyais cet enfant qui saignait sous mes yeux. Une fois que le SAMU est parti, on a beaucoup parlé avec le chef ; il essayait de me déculpabiliser en disant que je n’avais pas commis d’erreur, que lui non plus ne s’y attendait pas, et que j’avais su gérer l’urgence ; mais c’est difficile de faire partir cette image… Finalement, cette situation n’est pas satisfaisante sur plusieurs niveaux : -d’un point de vue médical : on ne s’attendait pas au choc hémorragique, le patient a été dans un état critique et a dû être transféré ; -d’un point de vue relationnel entre le patient et les médecins ; -d’un point de vue personnel avec un sentiment de culpabilité. Au cours d’un ED avec 4 autres internes et le Pr Eric Galam, chacun de nous a présenté une situation médicale non satisfaisante / une situation où une erreur médicale a été faite. Bien sûr, j’ai présenté cette situation, ça n’a pas été facile d’en parler aux autres (sentiment de culpabilité qui resurgit, peur du jugement de ses pairs, la vision de ce petit garçon entouré de son sang…). Mais finalement ça soulage d’en reparler : chacun a connu une situation difficile où il s’est remis en question. « Aucun d’entre nous ne doit se dire ou même se croire totalement et toujours à l’abri. La levée des tabous peut, seule, permettre aux médecins de reconnaître leurs erreurs, voire de les dépister, car elles sont beaucoup plus nombreuses que nous ne le croyons. Nous devons accepter d’en parler ouvertement avec des confrères, entre pairs, hors de toute culpabilité ou menace, en nous efforçant de développer une pratique réflexive – aptitude à réfléchir sur nos actions en décrivant leurs modalités et en explicitant leurs raisons. » Galam E. Dédramatiser et travailler nos erreurs. Rev Prat Med Gen. 2005 Ce que j’ai retenu de ma situation : -il faut toujours garder à l’esprit les complications éventuelles, même si on a déjà fait des examens rassurants. -il faut faire très attention à ce que l’on dit au patient / à sa famille : la communication médecin-patient n’est pas toujours évidente, surtout dans les annonces de maladie grave ou lorsqu’il s’agit d’un enfant, et ce d’autant plus quand on est dans l’urgence. Certaines personnes sont prêtes à entendre la vérité, d’autres sont dans le déni, préfèrent ne pas savoir pour se protéger. Il faut trouver les mots adaptés à chacun. La difficulté est de trouver le juste milieu entre être trop rassurant et trop alarmiste. Dans le groupe, on a parlé d’erreur médicale due à un retard de diagnostic, ce qui a entrainé un retard de prise en charge et une aggravation de l’état de santé du patient, donc une perte de chance. Lorsqu’on nous raconte l’histoire, avec le dénouement, c’est toujours plus facile d’avoir un regard critique, de dire « comment ils ont pu passer à côté de ça, c’est évident pourtant » Mais il ya tout un contexte à prendre en compte : ce que nous dit vraiment le patient à ce moment là, le lieu (dans un box d’urgence, une foule de patients qui attendent), en fin de garde… « À tous les stades de la prise en charge, l’erreur peut intervenir. Il peut s’agir d’erreurs : – cognitives (mémorisation, raisonnement, exécution) ; – sensorimotrices (inaptitudes physiques, manque d’entraînement, inadéquation du matériel, difficultés propres de l’acte) ; – d’attitudes. Les dysfonctionnements de la relation médecin-patient sont souvent sources d’erreurs, notamment par une mauvaise observance ou une communication inadaptée. Un certain nombre de facteurs intrinsèques relevant du médecin ont été répertoriés : – les éléments affectifs : désirs, préférences, aversions, préjugés, tabous, sympathies, pitié ; –les éléments caractériels, culturels et idéologiques : préjugés personnels et attitudes envers ceux des autres, notamment les positions vis-à-vis de l’Ordre, de l’université… –les éléments éthiques : degré de transgression par rapport à des normes réglementaires, déontologiques ou simplement morales ; –les éléments de gestion : organisation du travail, dossiers, gestion du temps, matériel, entretien du cabinet… –le mode de réaction à l’erreur : fuite, de type refoulement et oubli, rejet de la responsabilité, distanciation (cela peut arriver à tout le monde, j’ai fait de mon mieux…), introjection (sentiment de culpabilité, de honte ou de désespoir), médecine défensive (sélection de la clientèle ou des actes, ou au contraire activisme destiné à reconquérir l’estime de soi) ; – des facteurs circonstanciels tels que fatigue, surcharge de travail, stress. » Aucun d’ente nous n’est à l’abri d’une erreur médicale, et malheureusement elles font partie de la vie du médecin ; c’est important de pouvoir en parler avec ses semblables. Bibliographie : Galam E. Dédramatiser et travailler nos erreurs. Rev Prat Med Gen. 2005;686/687:377-80