Interne en pédiatrie en 3ème semestre l’hiver.
Lors de la visite du matin, je vais voir un garçon de 6 ans, hospitalisé la veille pour un
purpura rhumatoïde avec une protéinurie non négligeable ; il n’a pas d’antécédent, les
vaccins sont à jour.
Sa mère m’explique que les tâches sont apparues il y a 2 jours sur les jambes puis se sont
étendues, avec des douleurs de la cheville droite. A l’examen : œdème du dos du pied,
purpura sur les membres inférieurs et les fesses. J’explique à la maman la maladie, ses
complications, la surveillance de la tension artérielle, le suivi de la protéinurie avec
bandelette urinaire, et qu’il faut signaler les douleurs abdominales, testiculaire, etc. Elle me
demande combien de temps il va rester hospitalisé. Je ne peux apporter de réponse précise,
tout dépendra de la protéinurie, de la disparition des douleurs. La semaine passée, je m’étais
occupée d’un petit garçon ayant un purpura rhumatoïde qui était resté moins de 48heures.
Au cours de la journée, Y ne s’est plaint que de la cheville ; le lendemain la protéinurie est
toujours élevée, et Y a des douleurs abdominales de faible intensité. J’ai immédiatement
demandé une échographie abdominale en urgence pour éliminer une invagination
intestinale. L’échographie est normale. En ce qui concerne la protéinurie, j’ai appelé le
néphrologue de l’hôpital Robert Debré qui m’a dit de continuer la surveillance et qu’en cas de
persistance on programmerait une ponction biopsie rénale.
Le soir, je suis de garde. Le papa me fait appeler car Y vient de vomir et a une diarrhée.
L’examen clinique est rassurant, l’abdomen est souple, pas de rectorragie. Je rassure le
père et lui explique qu’on a fait une échographie le midi qui était normale, que ça pourrait
être une gastroentérite (il y avait une épidémie dans le service) mais aussi ça que ça peut
être lié aux complications du purpura rhumatoïde et donc on va surveiller. J’en parle à mon
sénior qui passe voir Y avant d’aller se coucher. Je continue de travailler aux urgences, avec
dans un coin de la tête Y, et l’intention de repasser le voir au cours de la nuit.
Plus tard dans la nuit l’infirmière m’appelle en urgence : dans le chambre je trouve le père
affolé devant Y pâle et recouvert de diarrhée et de sang. Y est somnolent, avec un pouls
filant et en défaisant son pyjama du sang rouge vif jaillit de l’anus. Pour moi aussi c’est la
panique : « qu’est ce que j’ai oublié de faire ? à côté de quoi je suis passée ? ». Je demande
aux infirmières de poser une deuxième voie veineuse, de le « remplir » avec du sérum
physiologique et de le scoper pendant que je demande des culots globulaires et réveille mon
chef. Je me sens mal et pense que je ne vais pas savoir gérer.
Le chef prend alors le relais et appelle ensuite le SMUR pour un transfert. A ses côtés je suis
un peu désemparée, inutile, et je me repasse les événements de la journée : qu’aurais-je dû
faire différemment ? Heureusement l’état de Y s’améliore, la tension remonte et
l’hémodynamique reste stable, il n’y a plus d’hémorragie active.
Je décide alors d’aller parler au père pendant que mon chef reste aux côtés de Y. A peine
arrivée près de lui, le papa me crie dessus et me dit cette phrase « alors, vous croyez
vraiment que c’est une gastro ça ? Mon fils va mourir et vous n’avez rien fait il y a 3
heures »… Je comprends sa réaction, elle me paraît normale. Je sais pourtant que je lui ai
parlé des deux hypothèses, et que j‘avais averti mon chef qui est allé le voir et n’a rien
remarqué non plus. Mais malgré tout je me sens fautive ; aurais-je dû refaire un examen
complémentaire ? En tout cas je n’aurai pas dû parler d’une possible gastroentérite car le
père n’a retenu que ça.
Je me suis contentée d’expliquer au père ce qu’on avait fait, que son état s’était amélioré et
que le SMUR allait arriver.
Régulièrement j’ai appelé l’hôpital pour avoir des nouvelles de Y : il n’a pas eu d’autre
hémorragie, mais il a fait d’autres complications au cours de son hospitalisation (orchite,