Nouvelles technologies et travail - Cité des Sciences et de l`Industrie

Nouvelles technologies et travail :
Risques et opportunités
Quel travail ? Images d’hier. Questions d’aujourd’hui.
Conférence du jeudi 10 mai 2001
Les grands débats hebdomadaires
Retrouvez sur le site www.cite-sciences.fr/travail les présentations, photos et vidéos des débats
décrits ici.
Les nouvelles technologies et les mutations de l’économie incitent à changer notre manière de
travailler, mais ne déterminent pas les options futures. Comment influencer le développement de la
société de l’information pour concilier qualité du travail et qualité de la vie ?
Débat animé par Olivier LAS VERGNAS, gué à l’insertion, la formation et l’activité
professionnelle, Cité des métiers, Cité des sciences et de l’industrie.
Avec la participation de :
Andréas AGATHOCLÉOUS, Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail
(ANACT),
Danièle LINHART, CNRS, groupe Travail et mobilité, Université de Paris X,
Gérard VALENDUC, physicien, Centre de recherche Travail et technologies, Université de
Namur(Belgique), autour de son livre “ L’avenir du travail dans la société de l’information ”,
L’harmattan, 2000.
Gérard VALENDUC
Je dirige le Centre de recherche travail et technologie dans la Fondation travail-université.
Cette fondation a été créée il y a une vingtaine d’années pour essayer de faire un trait
d’union entre les préoccupations du monde du travail et le monde de la recherche
universitaire. J’enseigne aussi la politique de la science et de la technologie à l’université de
Namur.
Andréas AGATHOCLÉOUS
Je suis chargé de mission à l’Anact (Agence nationale pour l’amélioration des conditions de
travail) à Lyon. Cette agence développe un certain nombre de thématiques comme
l’organisation du travail, la santé au travail, les compétences, et aussi les nouvelles
technologies de l’information et de la communication. Notre objectif est d’étudier les
nouvelles technologies, tous les enjeux autour du travail et les conditions de travail, et voir
dans quelle mesure ces nouvelles technologies peuvent être utilisées dans les entreprises
Conférence du 10 mai 2001 : Nouvelles technologies et travail : risque ou opportunités ?
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pour améliorer les conditions de travail des personnes et rendre les entreprises plus
performantes.
Danièle LINHART
Je suis chercheur en sociologie au CNRS et je dirige le laboratoire “ Travail et mobilité ” qui
appartient à la fois au CNRS et à l’université de Paris X-Nanterre. Dans ce laboratoire, nous
sommes un certain nombre de sociologues à nous intéresser au monde du travail sous tous
ses aspects. Je m’intéresse plus particulièrement à tout ce qui touche à la modernisation des
entreprises françaises.
Olivier LAS VERGNAS
Pour bien comprendre le thème dont nous parlons, je vous propose de commencer dans le
vif du sujet. Il peut y avoir une ambiguïté. Souvent c’est le cas sur l’affiche et un certain
nombre de programmes on raccourcit aux nouvelles technologies dans le travail. Nous
parlons de l’influence des nouvelles technologies de l’information et de la communication et
pas de l’ensemble de l’impact de toutes les évolutions technologiques, par exemple les
biotechnologies et autres Pour bien comprendre le sujet, je propose de voir deux extraits
d’une série de films que la Cité des sciences a co-produit avec la Cinquième, Le temps des
souris. Nous allons regarder deux personnes dont la vie professionnelle est modifiée par
l’informatique et les réseaux.
Extrait de Gros cubes et petits calibres
•Elisabeth
L’image du routier, vous n’allez pas me dire le contraire : elle est quand même tr ès
gative. Demandez aux gens dans la rue ce qu’ils pensent d’un routier : c’est l’emmerdeur
de première, c’est celui qui vous ennuie quand vous passez sur la route, c’est la grande
gueule, la petite tête, les gros bras Ça va évoluer, je pense. De plus en plus, on demande
des formations de plus en plus poussées. Il ne suffit pas d’avoir son permis, de nos jours,
pour pouvoir rouler. Ce n’est plus au chauffeur, après avoir vidé, d’aller s’asseoir et de se
dire : maintenant, si je veux rentrer chez moi, qu’est-ce que je vais trouver ?
• Un correspondant
À 17 heures 21, elle était à Thiéblemont. Puis, après, à 18 heures 06, à Sommesous.
C’est-à-dire que cela avance progressivement, suivant son parcours et suivant la
reconnaissance satellite.
•Elisabeth
Je trouve cela rassurant de pouvoir joindre et être jointe où que je sois, quelle que soit
l’heure. Même la nuit, si j’ai des choses à faire passer à l’affréteur, je sais très bien qu’il ne
sera pas là avant le lendemain matin. Mais le message est parti, je peux dormir tranquille. La
route, oui, mais à mes conditions !
Yves et ses collègues ont mis au point un outil informatique de gestion à distance des
vergers extrêmement performant. Une petite station météo est installée au milieu des arbres.
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Yves
Une fois que nous avons les informations, nous les traitons, c’est-à-dire nous les
saisissons. Des ces informations-là, nous en tirons des analyses statistiques. En classant
par variétés, par porte-greffes, par âges de verger, ces informations nous permettent, très
rapidement dans un verger, de pouvoir connaître le point négatif, le point où ça ne va pas.
Le temps est vraiment très important aujourd’hui dans notre société. Si vous avez dix jours
pour intervenir sur l’éclaircissage chimique, par exemple, vous n’avez pas douze jours ; vous
avez dix jours. Et il faut faire son travail dans ces dix jours-là
Olivier LAS VERGNAS
C’est un extrait de la série Le temps des souris, l’épisode Gros cube et petit calibre présente
d’une part la situation d’Élisabeth Ciloca, chauffeur poids lourd et d’autre part, Yves Baranco
qui travaille dans la société Eurofruits.
À partir de ces deux exemples, on peut clarifier le débat de ce soir. Ces transformations
constatées dans deux situations professionnelles particulières, celle de l’arboriculture d’une
part, et celle du transport routier d’autre part, constituent-elles des risques ou des
opportunités ? Plus exactement : dans quelle mesure constituent-elles des risques pour
certains, pour certaines situations ou des opportunités pour d’autres et dans d’autres
situations ?
Gérard VALENDUC
Les opportunités et les risques sont deux facettes d’une même réalité qui est aujourd’hui tout
à fait multiforme et qui est souvent un peu caricaturée. À travers une vision assez optimiste,
on dirait que les nouvelles technologies de l’information et de la communication, c’est la
possibilité de créer des emplois, plus d’autonomie, des tâches plus variées, une qualification
plus élevée, une plus grande indépendance, une meilleure harmonie entre temps de travail
et vie privée. De l’autre côté, une vision plus pessimiste prend un peu le contre-pied de la
première, en disant que c’est la dépendance, plus d’insécurité, un temps de travail qui
devient de plus en plus incompatible avec la vie familiale, voire l’isolement, l’instabilité, la
stagnation professionnelle, un intérêt plutôt décroissant du travail, un accès difficile à la
formation. Finalement, pour très peu de gens, c’est la version rose, et pour peu de gens la
version tout à fait noire. La réalité du travail de beaucoup de gens ne se situe pas tellement
entre les deux mais c’est un mélange d’éléments contradictoires empruntés à la fois à la
vision optimiste et à la vision pessimiste. On peut, en même temps, trouver que l’on a plus
d’autonomie dans son travail mais que l’on a une plus grande pression sur l’organisation de
son temps, sur le rythme de travail, sur son intensification, etc.
Qu’est-ce qui est vraiment nouveau là-dedans ? Et qu’est-ce qui relève, par ailleurs, d’une
remise au goût du jour de tendances longues, de fond, en termes d’organisation ou de
qualité du travail ? Ce qui est vraiment nouveau, comme le montrent les deux extraits de
film, c’est, dans la nouvelle génération de technologies de l’information et de la
communication, la priorité donnée à la communication. Dans le travail de le conductrice de
poids lourd, dans le travail de ce consultant technique en agronomie, la communication est
au cœur des nouvelles applications qui sont évoquées : la capacité de communiquer, de
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travailler en ligne, d’avoir à sa disposition de manière relativement instantanée un grand
nombre d’informations, de pouvoir les traiter, etc. Cette nouvelle génération de technologies
s’intéresse vraiment au problème de la communication plutôt qu’à l’automatisation des
opérations comme l’ont fait des générations antérieures de technologies de l’information et
de la communication.
Deuxième nouveauté : une sorte d’intégration de toutes les formes de flexibilité du travail. On
parle de flexibilité du travail depuis longtemps. On a parlé de flexibilité du temps de travail,
des contrats de travail, de la localisation du travail, des liens de subordination entre
l’employeur et les travailleurs, de la flexibilité fonctionnelle que l’on appelle parfois
polyvalence ” pour faire moins savant. Aujourd’hui, on assiste à un mélange, à une
intégration beaucoup plus forte de toutes ces formes de flexibilité du travail dans de
nouvelles formes d’emploi et de travail qui sont, la plupart du temps, liées à ces
technologies.
Une troisième chose me paraît aussi assez nouvelle : l’intensification du travail. Ce n’est plus
tellement le problème du temps du travail qui est crucial aujourd’hui, c’est la manière dont ce
temps est composé : les rythmes et la densité du travail, la compatibilité entre les rythmes de
travail et d’autres rythmes ou temps sociaux dans l’organisation du travail et de la société.
Qu’est-ce qui relève plutôt de tendances plus longues qui sont remises au goût du jour ?
C’est l’éternelle question du taylorisme : renouveau, disparition, néo-taylorisme,
post-taylorisme On assiste à des progrès de la taylorisation du travail, notamment dans le
domaine de la codification des connaissances. Quand on regarde les gens qui travaillent
dans les centres d’appel et qui gèrent des conversations avec des clients, en suivant des
scripts qui ont été pré-établis pour gérer la communication, c’est de la codification de la
communication, de la codification des connaissances. C’est le prolongement d’une tendance
plus ancienne.
Le contrôle électronique des performances est remis aussi au goût du jour. Il est aussi
ancien que l’informatique. Depuis que l’informatique existe, on a essayé de s’en servir pour
accroître le contrôle sur le travail. Ce qui change, avec le contrôle électronique des
performances, c’est un lien beaucoup plus fort entre le contrôle des performances d’une part,
et d’autre part, le développement de formes de rémunérations qui sont, elles aussi, plus
flexibles, liées à la performance, à la qualité, à la capacité d’atteindre ou non des objectifs
formulés plus ou moins clairement, etc.
Le travail par projets est remis au goût du jour aussi. Le travail par objectifs ou par projets
n’est pas nouveau non plus. Mais, aujourd’hui, les technologies de l’information et de la
communication permettent d’organiser ce travail par projets sous forme de travail à distance,
sous forme d’équipes réparties à des endroits différents, et d’une manière beaucoup plus
flexible.
Enfin, remis au goût du jour également : le management par effet de mode, c’est-à-dire un
style de direction des entreprises par conviction, par des discours qui relèvent autant de
l’exhortation que du management et qui essaient tout le temps de surfer sur ces questions
de nouveauté et de changement. Je me demande si le problème, dans les entreprises, c’est
la gestion du changement ou plutôt la gestion de la continuité. Dans un certain nombre de
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cas, les questions auxquelles sont confrontées les entreprises, c’est en fait de gérer la
continuité des activités, plutôt qu’un éternel discours sur le changement.
Nous avons essayé de traiter cette série de questions dans un livre intitulé L’avenir du travail
dans la société de l’information (L’Harmattan), que j’ai écrit avec une collègue sociologue qui
s’appelle Patricia Vandramin. Ce livre a une petite histoire. C’était d’abord une commande
d’un organisme de formation de travailleurs qui nous a demandé de faire un document pour
un programme de formation d’un an, destiné à tous les délégués syndicaux en Belgique
francophone. Nous avons fait ce petit manuel sur la base de notre expérience de recherche,
Patricia et moi. Après avoir fait ce manuel, nous pensions avoir fait un gros effort de
synthèse, de vulgarisation, une espèce de petite encyclopédie, tout en restant modeste. Cela
vaut peut-être la peine d’en faire un bouquin. Voilà l’origine de cette affaire.
Andréas AGATHOCLÉOUS
Je suis tout à fait d’accord avec Gérard Valenduc. Ce que je vais raconter, viendra plutôt en
complément qu’en débat par rapport à ce qu’il a dit.
Je vais m’appuyer essentiellement sur une étude que nous sommes en train de terminer à
l’Anact dans une soixantaine d’entreprises qui ont mis en place une nouvelle technologie de
l’information et de la communication. Nous avons essayé de voir comment ces entreprises
ont introduit les nouvelles technologies dans leur organisation et ensuite tous les impacts :
les conditions de travail, l’organisation et les performances de l’entreprise. j’ai travaillé aussi
sur les nouvelles technologies de la production, il y a quelques années. Il y a un certain
nombre d’apports méthodologiques qui viennent justement de ces nouvelles technologies de
la production. Mais, en même temps, on se rend compte que les NTIC apportent aussi
quelque chose de nouveau.
Risques ou opportunités ? La question se pose de la même manière que pour les nouvelles
technologies de la production dans les années 1970. À l’époque, ces technologies étaient
beaucoup plus “ rigides ” que les NTIC actuelles. Je dirai tout de suite qu’il n’y a pas de
déterminisme technologique. Nous nous sommes rendu compte, dans les entreprises que
nous avons observées, que les impacts négatifs ou positifs que nous avons relevés
dépendent de la manière dont l’entreprise a introduit ces technologies dans son organisation
et de la manière dont elles ont associé ou pas les salariés, les futurs usagers. En
schématisant, j’essaie de répondre à une question que les chefs d’entreprise nous posent
souvent : “ Dites-nous en quelques mots, en une minute, comment il faut faire pour réussir
l’introduction des nouvelles technologies dans mon organisation ? J’essaie de leur
répondre mais, bien sûr, ce n’est pas une réponse standard. Une première question dont
nous nous sommes rendu compte qu’elle est incontournable, c’est : quelle est la stratégie de
l’entreprise ? Et en quoi les NTIC peuvent-elles répondre à cette stratégie ? À partir du
moment où l’on se pose cette question et une fois que l’on y a répondu, cela veut dire que
les NTIC, pour l’entreprise, pour la société, ne sont pas une fin en soi, ce n’est pas un outil
technique mais un moyen. Si j’insiste, c’est parce que nous nous sommes rendu compte que
beaucoup d’entreprises utilisent les NTIC comme une fin en soi. Cela veut dire qu’à partir du
moment où l’on a mis les NTIC en place, on va avoir la performance, la réactivité, le
bonheur, etc. C’est tout à fait faux mais je suppose que vous êtes conscients de cet enjeu.
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